Extrait d"un tableau de Spitzweg représentant un bibliothécaire
Dictionnaire de théologie

Mal (Existence du mal & de la souffrance)

Toute philosophie et toute théologie se pose la question de l’existence du mal (et de l’existence du bien, voir aussi ce mot). La Bible rend compte de plusieurs réponses différentes à la question que pose cette douloureuse réalité. On ne peut donc pas dire qu’il n’y ait pas de réponse à la question de l’existence du mal ! Au contraire, nous avons l’embarras du choix. Et ce choix est important pour nous car cela a une influence sur notre façon d’être.

Passons rapidement en revue cinq de ces réponses pour chercher les avantages et les limites de chacune.

a)  » Cette question nous dépasse. « 

C’est une façon d’éluder la question, de renoncer à y apporter une réponse satisfaisante.

  • Dans la Bible : Le livre de Job conclut sur cette réponse.
  • Avantage : c’est vrai que notre point de vue est toujours partiel et limité. Nous sommes un peu comme une fourmi marchant sur une immense affiche, ne voyant que des taches de couleurs sous ses pattes sans voir ce que cela représente. En dernier recours, l’humilité et la confiance en Dieu sont une bonne attitude, car nous ne sommes pas Dieu.
  • Inconvénient : Cette théologie n’invite pas tellement à agir contre la souffrance. Mais surtout, Dieu ne nous demande pas de renoncer à l’intelligence pour avoir la foi ! Au contraire : quand Jésus cherche vraiment à faire réfléchir les personnes qui l’écoutent, tous, même les personnes les plus simples (…voir confession de foi). C’est vrai que nous ne comprenons pas tout, mais la Bible nous dit que Dieu nous crée à son image, et il nous a rendu capables de quand même comprendre quelque chose de la réalité qui nous entoure.

b) Dieu créerait la souffrance pour notre bien.

La souffrance est alors comparée à un médicament amer, un avertissement, un exercice pour nous rendre plus fort ou une épreuve pour nous évaluer. La souffrance nous apparaîtrait comme pénible, mais elle serait donc en réalité un bien.

  • Dans la Bible : Psaume 32:10, Ésaïe 48:10.
  • Avantage : cette solution est simple et claire.
  • Inconvénient : Cette théologie invite à accepter la souffrance comme venant de Dieu, plutôt que de lutter contre la souffrance. Mais le plus grave c’est qu’une multitude de personnes a été rendue athée par cette théologie, ou en est venu à douter de la bonté de Dieu. Car, effectivement, si Dieu était à la fois tout puissant et amour, il aurait d’autres moyens que la torture pour nous éduquer ! Et, face à la leucémie d’un enfant ou à de terribles catastrophes naturelles, cette théologie qui soutient « Tout vient de Dieu, le bien comme le mal » est vraiment épouvantable à entendre (voir aussi le mot providence).

c) Dieu laisserait la liberté à l’homme, qui a tout gâché.

Dieu aurait tout parfaitement créé à l’origine, puis il aurait restreint sa toute puissance pour laisser à l’homme la liberté de faire le bien comme le mal.

  • Dans la Bible : voir les textes où Dieu s’absente (par exemple Adam & Ève, ou la parabole des talents).
  • Avantage : C’est vrai que le mal que nous faisons a pour conséquence des souffrances importantes et un gâchis dont les conséquences se font sentir parfois fort loin dans l’espace et le temps.
  • Inconvénient : Cette explication est parfois injuste et culpabilisante, par exemple quand elle nous rend responsables, sans que l’on sache comment, de la mort subite d’un nouveau-né, ou responsable d’un cyclone qui a tout ravagé sur son passage, comme de la souffrance injuste du bébé gazelle croqué par un lion. Tout cela existait avant que l’homme puisse en être responsable. Enfin, dans cette théologie, Dieu n’est pas complètement innocent, il est au moins coupable de non-assistance. Des parents responsables laissent une liberté raisonnable aux enfants mais empêchent quand même les trop graves conséquences quand ils le peuvent. Dieu n’aurait-il pas dû imposer des bornes à notre liberté pour éviter Auschwitz ?

d) Dieu affronterait un ennemi actif.

Cette théologie est bien plus ancienne que la Bible. Il y aurait un Dieu bon, et il y aurait une autre personne transcendante qui ferait le mal. Certaines théologies chrétiennes ont repris cette théologie avec une puissance du mal personnifiée (voir le mot Diable).

  • Dans la Bible : Apocalypse 2:13, Job 1, 2 Pierre 2:4.
  • Avantage : cette solution est claire et elle innocente vraiment Dieu. Il est et demeure à 100% bon, il n’est jamais source de souffrance.
  • Inconvénient : Une telle lecture est proche du dualisme, une théologie à deux dieux. On a le droit de penser cela, et certains théologiens chrétiens le font, mais c’est dommage d’abandonner ainsi le monothéisme radical de l’Évangile et de la Loi de Moïse qui affirme qu’il y a un seul Dieu, une seule personne transcendante dans l’univers et qu’elle crée le bien. De plus, cette explication ne correspond pas bien à l’expérience, car quand une catastrophe frappe, on peut remarquer qu’elle frappe tout le monde, au hasard, le pécheur comme le juste. S’il y avait un diable derrière, il frapperait surtout les êtres bons.

e) Dieu serait en train de poursuivre son œuvre de création.

Dieu serait puissant, mais il ne pourrait pas tout faire en une seconde, il crée dans la durée. Dieu n’est alors la cause que du bien, mais il y a encore du chaos dans ce monde que Dieu est en train d’organiser progressivement.

Dieu crée l’homme dans ce chantier en cours, et il l’appelle à participer à cette œuvre et à se développer lui-même.

  • Dans la Bible : tous les passages qui disent que le Royaume de Dieu vient, qu’il est à attendre, à préparer. Par exemple, dans le Notre Père =  » que ta volonté soit faite…  » et le Psaume 121 qui parle de « l’Éternel qui est en train de créer le ciel et la terre » (et non « qui créa le ciel et la terre » comme le disent des traductions mensongères).
  • Avantage : Dieu est totalement innocent de toute souffrance, que ce soit comme acteur de cette souffrance, ou même comme laissant faire. Dieu est la source d’une dynamique d’évolution positive. C’est un grand avantage théologique, assurant une bonne cohérence avec ce que nous savons de Dieu par Jésus-Christ. Cette théologie est également intéressante sur le plan moral : elle nous mobilise pour lutter avec Dieu contre toute souffrance.
  • Limite : Comme dans la théologie précédente, Dieu ne serait actuellement pas tout puissant. Cela peut gêner certaines personnes, même si dans la Bible l’idée de  » toute puissance  » de Dieu est en réalité extrêmement rare et contestée (voir le mot Puissant).

f) Le bien et le mal sont intimement liés

Dans ce monde où nous évoluons, il y a du tragique, et parfois il n’est pas possible de choisir autre chose de mieux que le moindre mal. Par exemple dans le fait que la biologie de notre corps nous impose de manger du vivant pour vivre (que ce soit du végétal ou de l’animal). Le fait que les ressources de la planète ne sont pas infinies font qu’il n’est pas possible de toute façon de respirer sans priver les autres de l’oxygène que nous brûlons dans nos cellules.

Le fait même d’évoluer est une des caractéristiques de ce monde et tout particulièrement de l’humain. C’est merveilleux et c’est aussi difficile à vivre, car cela demande de l’énergie est tout changement nous met plus ou moins mal à l’aise, une partie de ce que nous étions hier meurt pour laisser place à ce que nous serons demain.

  • Dans la Bible : nous voyons Jésus face à ce tragique quand il choisit d’enfreindre le commandement de ne pas produire le jour du Shabbat. Ce commandement est bon car il nous rappelle que l’humain ne vit pas de pain de farine uniquement mais aussi de l’action de Dieu en nous, cela nous rappelle aussi que la valeur de la personne et la dignité de son existence existent indépendamment du fait que nous soyons productif on non. Cette pratique nous aide à faire place à Dieu dans notre vie. En choisissant d’enfreindre le Shabbat, Jésus place l’amour et la compassion au dessus même de l’utile pédagogie proposée par ce commandement. Et il manifeste sa confiance dans la bienveillance de Dieu.

Bilan de ces propositions

On ne peut vraiment pas dire que cette question de l’existence du mal n’a pas de réponse, au contraire, elle en plutôt trop. Chacun peut donc en retenir une, en combiner plusieurs, ou en chercher d’autres…

Personnellement, ma réponse à cette question intègre trois des cinq réponses, et rejette les deux autres.

  • Oui, on ne comprend pas tout, et le moindre progrès est pour nous un effort, une sorte de souffrance, pourtant bonne dans ce cas (réponse -a). Mais Dieu cherche à nous rend intelligent (voir l’article sur l’Intelligence) faisons donc lui confiance en essayant de réfléchir grâce à lui.
  • Oui, l’homme est responsable des autres et du monde, et il est coupable d’une partie de la souffrance (réponse -c), mais n’exagérons pas inutilement non plus notre culpabilité.
  • Et je crois que Dieu n’est pas indifférent à la souffrance et ne se résignera jamais devant le mal. Il agit dans le monde, poursuivant son œuvre de création, il nous aide à transformer la souffrance en vie, il nous accompagne, il nous pardonne, il nous appelle à agir, il nous ressuscite (réponse -e).
  • Enfin, avec le f) nous pouvons chercher à vivre en ce monde avec humilité, mais aussi en responsabilité. Pour agir le plus possible en conscience, en cherchant à minimaliser le mal, sans gâcher.

En conclusion, Dieu est bon, et il est à mil % innocent du mal, si je puis dire pour résumer le fait qu’il n’est pas la cause de mal, et qu’il est au contraire totalement engagé dans la lutte pour le bien. Il peut même transformer le mal, qu’il ne voulait pas, en une source de bien imprévue. Cela ne justifie pas après coup le mal, mais cela nous encourage à le vivre avec Dieu, et comme lui, à « n e pas nous laisser vaincre par le mal, mais surmonter le mal par le bien. »

 

Marc Pernot

Suite :

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9 Commentaires

  1. Bourgeois dit :

    Comment comprenez vous exode 4 v 12 troublant

    1. Marc Pernot dit :

      bonjour
      Euh, qu’est-ce qui vous trouble dans ce verset ?

  2. Fournier dit :

    Très bon article, à vrai dire le problème du mal est redoutable, mais le plus grand mal qui s’est produit sur Terre n’est t’il pas la mort atroce de Jésus innocent, parfait et de nature divine ?
    Vous avez bien expliquez la limite de chacune des « explications » du mal et il est vrai que l’argument le plus pénible à entendre est celui de « la liberté de l’homme » en effet, de 1) on ne sait pas si l’homme est libre, les Calvinistes pensent par exemple qu’il est totalement déterminé
    2) Dieu respecterait la liberté d’un homme qui commettrai le mal en violant un enfant mais l’enfant a t’il eu la liberté de subir le mal ?
    3) beaucoup de maux ne dépendent pas de la liberté humaine, les catastrophes naturelles et toutes les horreurs de la nature d’une part et puis les horreurs commises par un petit nombre d’hommes qui retombent sur la multitude sans consentement (dictature, nazis)

    1. Marc Pernot dit :

      Je pense que le pire mal est la souffrance de l’enfant maltraité par ses parents.
      Jésus, lui, savait ce qu’il faisait, choisissait de le faire, donc ce qui lui est arrivé est particulièrement cruel et pénible, mais au moins, cela avait du sens pour lui.

      Je ne sais pas quels calvinistes vous avez rencontrés, en tout cas dans l’église de Genève, largement héritière de Calvin, je n’ai rencontré personne qui dise que l’humain est entièrement déterminé. Sauf en ce qui concerne le salut : que Dieu a choisit de nous donner la vie, que c’est sa liberté à lui. Mais c’est une autre question, et ne nie pas notre liberté (certes relative).

      Pour le reste, je suis bien du même avis que vous sur les sources du mal.

  3. Jean-Marie dit :

     » Dieu serait puissant, mais il ne pourrait pas tout faire en une seconde, il crée dans la durée. Dieu n’est alors la cause que du bien, mais il y a encore du chaos dans ce monde que Dieu est en train d’organiser progressivement.  »
    Dieu aurait créé ce chaos ? Et donc, finalement, permit l’existence du mal ? Innocent à 1000 % ? J’ai du mal à comprendre ! Et comment expliquer tout cela aux autres ?
    Merci à vous pour ce que vous êtes et ce que vous faîtes !

    1. Marc Pernot dit :

      En tout cas, le livre de la Genèse ouvre son récit de création sur un chaos préexistant et Dieu. Cette façon de voir était commune dans l’antiquité.
      L’idée d’une création à partir de rien (ex nihilo) est une hypothèse tardive de certains théologiens, quelques siècles après Jésus-Christ.
      Comment explique que Dieu soit bon à mil pourcents ?

      • Du point de vue de la pensée, si l’on prend comme définition de Dieu : le bien, le bon, le juste ultime, ce qui est le plus élevé dans l’ordre de l’idéal : Dieu est nécessairement à mil pourcents bon, juste et aimable.
      • Du point de vue existentiel : si l’on prend comme définition de Dieu ce qui en nous et dans le monde est source de création, d’évolution positive, source de qualité d’être et de vie : alors, par principe même, Dieu est toute positivité. Il n’est pas pensable alors que Dieu soit source de chaos, c’est littéralement dans le champ du « diabolique » (du verbe grec diaballo, qui éparpille, disperse).

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