Le Cervin avec au premier plan des felurs de montagne - Image par Claudia Beyli de Pixabay
Question

Comprendre la contemplation de la nature comme expérience du sacré ? Ou non ?

Par : pasteur Marc Pernot

Le Cervin avec au premier plan des felurs de montagne - Image par Claudia Beyli de Pixabay

Question posée :

Bonsoir,

Comment comprendre la contemplation de la nature comme expérience du sacré ? Un ami ( qui se dit matérialiste, fils spirituel de Démocrite et de Lucrèce ! ) m’objecte que si le sacré est l’expression d’une transcendance, alors ce n’est pas la nature qui peut nous faire ressentir ce sentiment du sacré. Je suis ennuyé car je suis personnellement très sensible à la sublimité de la nature qui me renvoie à la foi en un Dieu dont la puissance est celle de l’amour.

Autre question : l’expérience mystique via la contemplation de la nature a-t-elle encore un sens pour quelqu’un qui se dit matérialiste et athée ?Personnellement je ne vois pas trop, et j’ai toujours le sentiment que l’expérience du sacré traduit/trahit alors une  » nostalgie ( inconsciente) de Dieu ».

J’espère ne pas être trop confuse, et ne pas abuser de votre temps.

En toute amitié

Réponse d’un pasteur :

Bonsoir

Je suis tout à fait d’accord avec vous concernant l’expérience de la nature. Comme je suis très gourmand, en plus d’aimer la montagne, cela me fait parfois le même effet en attaquant un repas avec des personnes sympas ou un plat préparé avec amour ou passion, que devant la stupéfiante beauté de la nature.

Votre ami a du goût avec Démocrite et Lucrèce, apprécier ces témoignages de philosophes est plsu que compatible avec une recherche théologique et spirituelle. Cela dit, l’objection de cet ami « si le sacré est l’expression d’une transcendance, alors ce n’est pas la nature qui peut nous faire ressentir ce sentiment du sacré » ne fonctionne pas, à mon avis. Il est possible de reconnaître devant un objet qu’il y a eu à son origine une intention, un souffle, un génie qui le dépasse infiniment. Reconnaître le génie derrière l’œuvre peut effectivement nous transcender. Par exemple devant une simple visage peint en trois traits par Matisse, ou à l’écoute d’un aria de Jean-Sébastien Bach. Quelques pigments sur un papier, à peine. Une simple ligne mélodique. Rien de transcendant ?

C’est ce dont parle la théologie chrétienne, c’est une théologie de l’incarnation. La transcendance n’est alors pas une sorte de Zeus qui reste loin dans les hauteurs à festoyer, restant bien transcendant, spectaculaire et formidable. Dans la Bible et particulièrement dans l’Evangile du Christ, Dieu, qui est d’une tout autre dimension que ce monde, se manifeste dans ce monde à travers une intention, un amour et des actes. Il ne crée pas seulement de loin, ou de l’extérieur comme un potier impose par une force extérieure une forme à l’argile, Dieu crée comme un souffle qui plane à la surface de ce monde, comme une dynamique d’évolution qui soulève la pâte, il crée même comme un souffle qui est donné à l’humain, créature devenant co-créateur avec Dieu… il se manifeste en embrasant un buisson d’épines pour décider Moïse. Bien entendu, c’est une façon de parler, mais cette histoire et significative quand même d’une certaine vision de la transcendance.

Selon l’apôtre Paul « les perfections invisibles de Dieu (c’est à dire à mon avis : pas seulement non-révélées, mais transcendantes, inconnaissables), sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’oeil nu, depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages » (Romains 1:20) la nature n’est alors plus seulement la nature mais un livre de théologie. Derrière l’immanence (ce monde auquel nous sommes habitués), peut se lire une intention, une intelligence, une transcendance. Dans un passage assez surréaliste du livre du prophète Ésaïe 55:12 « Les montagnes et les collines éclateront d’allégresse devant vous, Et tous les arbres de la campagne battront des mains. » la nature est alors une louange au créateur. Avec le Christ encore plus, la parole éternelle, vivante, indicible de Dieu, cette Parole se fait chair en Christ, on la voit de nos yeux, on voit ses œuvres, on l’entend de nos oreilles, notre être en est ému.

Scientifiquement (je suis de formation scientifique en plus d’être théologien), la possibilité même d’une organisation de la matière, son évolution vers des formes d’une intelligence extraordinairement raffinée rend plausible l’existence d’une source extérieure au système formé par la simple matière. C’est à mon avis l’hypothèse la plus raisonnable, mais ce n’est pas la seule, évidemment. Par ailleurs, cette source de l’évolution concorde avec l’expérience de la transcendance qu’une part importante des humains fait depuis que l’humain n’est pas seulement une sorte de singe, sur tous les continents et dans toutes les cultures. Particulièrement dans la contemplation de la nature et dans l’étonnement d’être soi-même vivant.

Je dirais comme vous, donc, que l’émotion face à la nature est une émotion mystique, spirituelle, et non seulement sensorielle. On peut le voir comme un stade esthétique, pré-mystique. On peut le voir comme une intuition de Dieu, ou comme un appétit de Dieu (plus qu’une nostalgie de Dieu, car je ne suis pas certain que l’on naisse croyant, au contraire, il faut une vie entière pour l’être sans cesse un peu plus). Mais je pense que c’est plus que cela. C’est de la mystique mais dont le bénéficiaire n’emploie pas nécessairement un langage religieux pour en parler. Cela vaut souvent mieux car un langage pieux peut vite devenir comme une musique qui devient vide de sens, alors qu’il devrait au contraire y avoir excès de sens, une richesse bouleversante de sens, d’inspiration. De même que Jean dit dans sa 1ère lettre « quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu » (1 Jean 4:7), l’amour vrai est alors un fruit de l’Esprit de Dieu en nous, même si on ne l’a pas analysé ainsi, même chez quelqu’un qui ne le verbaliserait dans ce langage là.

Il est possible ainsi, croyant et athée, de se sentir en communion avec la personne qui aime. Et en tant que croyant, je ne peux pas honnêtement dire que ce qu’elle vit alors, ce qu’elle est alors, ne serait aussi essentiel que ce que j’appelle le souffle de Dieu en nous, croyants. Et l’amour dont parle Jean dans ce beau passage, cet amour c’est de s’intéresser à quelque chose d’autre que seulement soi-même, et être dans l’admiration pour cette réalité qui n’est pas moi, et lui vouloir du bien. L’émotion devant la nature a quelque chose de cette sortie de notre nombrilisme, quelque chose de l’amour que nous commande le Christ, ou qu’il nous propose d’espérer. Quelque chose qui nous porte à la transcendance.

Dieu vous bénit et vous accompagne.

par : Marc Pernot, pasteur à Genève

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