Je ne suis pas convaincu sur la notion de gratuité à cause de Matthieu 6:14 (si vous ne pardonnez pas…)
Question posée :
Cher Monsieur. Je vous suis toujours reconnaissant de m’avoir confirmé dans mon rejet du sacrifice, bien que vous ne m’ayez pas convaincu sur la notion de gratuité à cause de Matthieu 6.14 et à un moindre degré Luc 11.4. J’ai lu il y a un certain temps je crois sur votre site un texte de Mme Parmentier qui proposait de parler de pardon immérité. Je trouve le mot très heureux ; il dit aussi la même chose sans le côté aujourd’hui trop « mercantile » de la gratuité.
Je suis toujours en contact avec vous grâce à votre site, prédications, messages de vendredi et questions. Le bien que vous faites à tant de gens doit vous porter, je m’imagine bien la somme de réflexion et de travail que cela représente.
Bien cordialement.
Réponse d’un pasteur :
Bonsoir
Un grand merci pour ce message si fraternel. Si encourageant pour moi.
Il est vrai que Matthieu 6:14-15 a fait beaucoup de tort, je pense. En particulier à des personnes victimes de graves agressions sur leur personne ou sur des personnes chères.
« Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos offenses. »
Je reconnais que la lecture la plus claire et évidente fait penser que la mesure du pardon de Dieu serait notre propre capacité à pardonner. Cela n’est, à mon avis, tout simplement pas possible. Ce serait nier la transcendance de Dieu que de dire qu’en quelque chose que ce soit la mesure de Dieu aurait pour borne notre mesure à nous.
C’est ainsi que l’amour de Dieu est premier et le nôtre court à sa suite, inspiré par le sien.
« Pour nous, nous l’aimons parce qu’il nous a aimés le premier. » (1 Jean 4:19).
« Méprises-tu les richesses de sa bonté, de sa patience et de sa longanimité, ne reconnaissant pas que la bonté de Dieu te pousse à changer de mentalité ? » (Romains 2:4).
Il en est de même pour le pardon, qui est une simple conséquence de la grâce, de l’attachement de Dieu pour chaque personne. La patience et la longanimité, sans borne, évoquent notre difficulté à avancer.
Certains ont alors imaginé que, certes le pardon de Dieu est premier et infini et que ce pardon a tout pour nous inspirer de pardonner ensuite, mais qu’alors, si nous ne nous laissons pas convertir par ce pardon de Dieu en pardonnant nous-même, nous perdrions cette chance d’être pardonné par Dieu. Ceux qui soutiennent cette théorie invoquent parfois la parabole du serviteur impitoyable (Matthieu 18:23-35). Seulement, là aussi, cette lecture ne me semble pas possible. En effet, cette parabole vient en commentaire que Jésus donne suite à son enseignement disant que le juste comportement consiste à pardonner non pas 7 fois, mais même 77 fois 7 fois, autrement dit une infinité de fois (Matthieu 18:21-22). C’est impossible à l’humain, mais puisque Jésus le présente comme étant le juste comportement, il n’y a pas de doute que Dieu soit le premier, le seul, à y arriver. Il n’est donc pas pensable que selon Jésus Dieu ne nous pardonnerait pas quand nous-même n’arrivons pas à pardonner.
Le pardon de Dieu me semble donc sans condition, répété, sans mesure.
Le dire « Immérité » est bien, mais à mon avis ne suffit pas, car il pourrait être immérité et néanmoins sous condition, ou immérité et limité à certains cas pas trop graves. A mon avis, l’attitude de Jésus lui-même montre bien que le pardon est immérité, certes, mais aussi sans condition, sans bornes.
Comment comprendre alors ces passages qui, à côté de l’annonce de la grâce infinie de Dieu, font penser que si nous ne pardonnions pas nous ne serions pas pardonné ?
Ma première hypothèse serait de dire que voilà encore une de ces paroles provocantes de Jésus qui font partie de sa pédagogie stimulant la réflexion de chacun de ses auditeurs. Ces paroles inapplicables comme ce commandement où il nous dit de « ne pas résister au méchant » : Ce n’est pas possible de laisser systématiquement triompher le mal, la violence, l’injustice, le viol et la rapine. D’ailleurs Jésus lui-même résiste à la violence que certains lui opposent, soit en s’échappant hors du cercle de ses assaillants, soit en répondant à ceux qui critiquent son action, par exemple ses guérisons le jour du sabbat, ou par exemple quand il répond à un homme qui le frappe « Si j’ai mal parlé, explique-moi ce que j’ai dit de mal; et si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu? » (Jean 18:23). Jésus résiste donc à sa façon aux méchants. Ces commandements manifestement hyperboliques, surprenants, inapplicables me semblent être une façon d’attirer l’attention de ses auditeurs à une question particulièrement importante pour nous. Mais u!ne situation complexe où il nous appartiendra de discerner par nous-même, en fonction des circonstances, comment nous pourrions faire « au mieux ». Par exemple pour la question de la violence que nous subissons, si Jésus donne un commandement manifestement hyperbolique, cela dit que c’est à chaque personne de chercher et de discerner quelle sera l’attitude qu’elle pourra prendre en fonction des circonstances particulières, attitude qui à la fois ne laisse pas le mal triompher, et en même temps amortisse cette violence au lieu de l’augmenter.
Ces versets sur le pardon me semblent être du même ordre, hyperboliques. Il me semble que cela dit que cette question est un point important pour nous, et en même temps que la solution est à trouver au cas par cas.
En effet, il me semble absolument impossible de tirer de ces versets une théorie menaçante, affirmant que le pardon de Dieu serait limité : que notre difficulté à pardonner ne serait pas pardonnée par Dieu. Cette théorie est extrêmement cruelle, car une personne qui a du mal à pardonner est toujours une personne qui a été blessée. Or, tout l’Évangile nous dit et nous montre que Jésus ne se moque pas d’une personne blessée, la laissant sur le bord du chemin. Cette théorie serait contraire à chaque page des évangiles, en particulier la parabole du « bon samaritain » (Luc 10:30-37). Une personne qui a du mal à pardonner à une personne est au contraire une personne dont Dieu prend soin, que Dieu accompagne. Bien sûr. Comment Dieu refuserait-il de pardonner à une mère ayant du mal à pardonner à la personne qui a violé et assassiné sa fillette ? Comment oserait-on dire à cette mère qu’elle doit pardonner ? Que c’est un commandement de Dieu et du Christ réunis ? Et qui plus est assortir ce commandement d’une menace ? Ce serait lier une charge supplémentaire sur les épaules de cette victime. Ce serait tordre sa sincérité, ce serait fouiller encore dans sa plaie vive, compromettant le sentiment de sa propre valeur. Bien sûr mon exemple est extrême mais il montre que cette théorie du pardon de Dieu limité à notre capacité à pardonner n’est pas possible. Et donc que ces paroles de Jésus entrent dans le cadre de ses paroles hyperboliques. Qu’en tirer, alors ?
- Certes, le pardon est un point important pour l’humain. En effet, il est un soulagement pour la victime. Ce n’est donc pas par plaisir ni par choix qu’une personne a du mal à pardonner à quelqu’un qui lui a fait du mal. Ces versets disent que ce serait un soulagement pour la victime que cette plaie puisse cicatriser, faire moins souffrir, ce qui peut s’appeler « pardonner ».
- En même temps, la forme hyperbolique dit que le pardon est de l’ordre de l’idéal, et en ce qui concerne notre vie concrète, nous devons faire preuve de discernement pour chercher à faire au mieux.
Un chemin que nous propose Jésus dans le Notre Père me semble donner un point important en ce qui concerne le pardon : c’est de demander à Dieu de nous aider à nous libérer de la logique de la dette. Quand il y a une faute commise, la question n’est pas celle d’une comptabilité des peines, appelant à faire souffrir le coupable comme si cela rachetait la peine de la victime, enfermant la victime dans l’attente d’excuses du coupable… La question du pardon se limite alors à la blessure de la victime, à sa douleur cuisante qu’il est bon de soigner, mais absolument pas de menacer. La question de que faire du coupable, comment l’amener à devenir meilleur est une autre question.
Effectivement, la théorie du sacrifice comme propitiatoire, et de la souffrance comme rédemptrice n’est pas innocente dans le lourd poids qui pèse sur la question du pardon.
Dieu vous bénit et vous accompagne.
par : pasteur Marc Pernot
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La notion de gratuité du pardon de Dieu peut très bien être illustré par la rencontre de Jésus et de la femme samaritaine ; de Jésus et de la femme adultère ; de Jésus et de Zachée le péager ; chaque fois, le message est identique : « J’ai besoin de toi, tu es libéré de ton péché, [mais] va, et ne pèche plus ».
Egalement vrai quand Jésus rencontre Marthe et Marie : il faut bien se dire que dans un intérieur comme jadis, la voix de Jésus dans la pièce à vivre, salon, mais plus vraisemblablement salle à manger, devait s’entendre à la cuisine, par delà la porte rideau qui existe encore de nos jours.
Il s’ensuit que Dieu – Jésus – ne tient pas de comptabilité de nos péchés ; ce serait énorme. Mais il ne nous juge pas, il nous dit très simplement : « Va, et cesse de te tourmenter {= ne pèche plus !} ».
C’est aussi simple que ça ; car dans ces conditions, chaque acte, chaque pensée constructive nous donne un sursaut de forces nouvelles que nous ne saurions estimer. Est-ce que celà ne vaut pas d’être vécu pleinement ?