La rue du Rhône à Genève
Bible

Qui est mon prochain ? Les visages qui me conviennent, me questionnent, m’appellent ?

La rue du Rhône à Genève

Question posée :

Bonjour Marc

Merci de votre accueil et votre grande disponibilité. J’aimerais vous poser cette question « qui est mon prochain ? De qui serais je le prochain ?
Est-ce que ce sont les visages qui me conviennent, me questionnent, m’appellent ?

Cette question en amène toujours une autre pour moi (parce qu’elle vient si souvent) : à quoi suis je sourde ? Endormie ? Inconsciente ? Quel voile d’invisibilité obstrue alors mon regard, aliène ma pensée, mes actes, mes sentiments, mes paroles ?

Me promenant en ville, arrêtée à la terrasse d’un café, je regarde le monde bigarré. Tous ces gens qui s’installent, discutent, commentent, courent, se rencontrent, se croisent. A la nuit venant sous la pluie, l’autre jour, je marchais. C’était l’heure de la fermeture des magasins. Dans une encoignure s’installaient alors une famille, sur des cartons. Les voitures filaient. J’entendais le cri muet, les larmes retenues de tous ces exilés du monde. J’ai été bouleversée – seulement – de ce que je vivais dans ces instants sans pouvoir ni donner rien de bon, ni faire du mal d’ailleurs… entre-choquée en moi même dans tout ce charivari d’émois, de peurs, d’impasses intérieures, débordée, passive, inutile.

J’ai continué mon chemin vers mes enfants avec qui j’avais rendez vous. Avec cette misère dans mes yeux, dans mon être. Mes enfants, m’ont emmenés dans un café bar où mon fils deuxième travaille pour son autonomie. Un café rempli d’une jeunesse nantie : de culture, d’argent, de certitude, d’avenir, de joie, d’amitié, de projets, d’espoirs.

« Aime ton prochain comme toi même ? « Sois un bon messager » me demandait mon grand père, très croyant et libre croyant . Que puis donner, recevoir, rendre quand il m’est si difficile de tracer mon propre sillon. Comme une lisière si ténue entre la nuit, l’ombre sombre, le silence brut et la lueur, la clarté, la clairvoyance ?

Bien à vous

Réponse d’un pasteur :

Chère madame

Merci pour cette magnifique lettre, écho d’un cœur vivant, un cœur de chair.

Ma réponse est que le monde n’est pas sauvé par des super héros. Dieu n’a pas d’autres héros que nous. Même le Christ a agi petitement, au gré de rencontres, presque rien à l’échelle du monde. Et pourtant. Il ne faudrait surtout pas que la largeur, la hauteur et la profondeur de la souffrance du monde vous gâche ces actions que vous pouvez faire, et attriste votre cœur à cause de ce que vous ne pouvez faire, alors qu’il pourrait y avoir la joie d’avoir fait au moins un geste de ce que vous pouviez. Certes, on pourrait toujours faire plus ? Mais jusqu’à un point seulement, celui où nos forces s’épuisent, où notre caractère parfois même se dégrade au lieu de s’élever, où notre action se disperse, s’éparpille, s’épuise dans une gerbe d’étincelles. C’est pourquoi, même Jésus savait limiter son action et imposer aux foules de partir pour le laisser se reposer et prier.

Il est bon d’avoir cet idéal infini. Il est indispensable aussi d’assumer notre condition finie. L’humain a la position magnifique et un peu tragique aussi d’être dans cette position, dans cette tension. Elle est féconde et en même temps elle n’est pas culpabilisante quand on la vit sous la grâce de Dieu. Elle est à la fois inspirante et pacifiante.

Qui est mon prochain ? Là est la question très personnelle de chaque instant pour chacun. Nous avons à chaque instant 6 ou 7 milliards de « prochains » puisque ce terme désigne littéralement dans la Bible les personnes qui ont le même « berger » que moi, comme Dieu est le Dieu de toute personne, cela fait du monde, sans compter les animaux dont il est sans doute le berger aussi. Personne ne peut nous en vouloir de ne pas s’être senti appelé de sauver tout le monde ! En mêle temps Dieu espère qu’aucun de ses enfants ne soit abandonné tout seul. Il tente de coordonner, appeler, consoler, encourager les membres de son équipe que nous sommes. Cela laisse la place au discernement personnel, que Dieu peut venir éclairer, tout en nous laissant la liberté, la sensibilité propre à notre personne. Donc oui, votre prochain peut être discerné parmi les personnes qui vous conviennent, ou plutôt qui conviennent à votre conscience, à votre cœur, votre intelligence, votre foi aussi. Peut-être telle personne qui vous questionne, vous appelle. Les personne et les situations qui vous semblent être dans vos forces, ou pour lesquelles vous pourriez faire le relai, ou prendre votre part.

Mais votre question n’est pas seulement « Qui est mon prochain ? » mais aussi « De qui serais je le prochain ? » et cela suit cette fameuse parabole de Jésus (Luc 10). C’est finalement cette seconde question qui intéresse le plus Jésus, cette question à qui il nous renvoie. Pour savoir qui, en réalité m’a donné une étincelle de vie véritable. Discerner ceux qui m’ont aimé, nourri, rendu meilleur, rendu plus vivant moi-même. En ruminant cette question, on ressent de la gratitude, au moins quelques gouttelettes de bénédiction. Penser à Dieu aussi, si l’on a la chance d’être croyant ou au moins d’espérer le devenir. Gratitude qui remonte à l’origine même de la possibilité du bien, du beau, de ce qui est bon et agréable au moins en espérance. Et se laisser rendre plus vivant. Cela a bien des chances de nous inspirer pour se sentir prêt pour la première question, un petit peu disponible à l’occasion venant par surprise (peut-être au mauvais moment).

Votre grand père a raison, être un messager est un service que nous pouvons parfois rendre : être un ange (littéralement, dans la Bible, c’est cela que signifie le mot « ange »). En effet, bien des détresses sont spirituelles, détresses terrible qui consiste à ne pas avoir conscience de sa propre dignité, et même de la chance unique d’être soi-même. C’est une famine de recevoir une grâce, une bénédiction. Comme chrétien, ayant peu ou prou reçu quelque chose de l’Evangile, nous avons une richesse en nous. Pas une richesse de versets bibliques prêts à être jeté à la figure des gens, mais un trésor intérieur, un évangile reçu, digéré, incarné dans notre chair. Et trouver le mot ou le geste qui fera que l’autre se sentira rejoint, aimé, compris, valable.  Être un bon messager n’est pas facile, c’est là que l’écoute, le regard, la sensibilité dont vous parliez, et un brin d’amour pour la personne humaine qui est là, et un brin d’humour aussi pour ne pas se prendre soi-même pour Dieu. Être messager non pas de nous-même mais de Celui qui nous donne à tous la même dignité. Se sentir messager c’est sentir que le geste que nous faisons vient de plus loin, nous dépasse : il vient peut-être à travers moi à ma grand-mère qui m’a fait sentir une fois que j’étais aimé , et de bien d’autres gestes et étincelles de foi. Être messager et ne pas aliéner, si par chance nous avons pu aider un peu, l’autre ne nous doit rien. S’il en est mieux portant, s’il en a de la gratitude, qu’il donne à son tour, comme il pourra son message de grâce et de dignité radicale. Pour la suite, ce que deviendra notre geste, cela disparait souvent de notre horizon, il faut du temps entre le temps des semailles et celui de la moisson, et bien d’autres facteurs interviennent.

En ce qui concerne ces jeunes que vous avez croisés, certes nous aimerions qu’ils soient plus conscients. Ils le sont souvent, bien plus qu’il ne semble. Et ces fêtes, je ne sais pas si elles ne sont pas un cri de manque de souffle, simple cri de famine de se sentir vivant, de se sentir faisant parti d’un corps. Peut-être alors que l’urgence est de leur permettre de découvrir ou de redécouvrir cette source qu’est Dieu. Et son souffle qu’il donne. Une ouverture sur la beauté de la vie, et du sens. Une ouverture vers la joie d’un service pour rendre le monde un tout petit peu plus fraternel.

Donc oui, l’urgence est sans doute, comme vous l’a dit votre grand père, d’essayer modestement d’être un messager, peut-être même parfois un bon messager.

Dieu vous bénit et vous accompagne.

par : Marc Pernot, pasteur à Genève

Si vous voulez, vous pouvez voir aussi, dans le petit dictionnaire de théologie :

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