Pourquoi les protestants sont-ils réticents à poser des gestes liturgiques ?
Question posée :
Monsieur le Pasteur,
Encore une fois, merci pour tous les efforts que vous faites pour enrichir ce site qui me nourrit régulièrement.
Pourquoi les réformés sont-ils si réticents à poser des gestes liturgiques ? Par exemple, je ne crois pas voir de bougie allumée pendant la lecture de la Parole, de main imposée pendant les bénédictions, de main dans la main pendant le Notre Père, de signe de croix…
J’ai même discuté avec une dame d’une église évangélique qui m’expliquait qu’il n’y a pas de croix dans leur salle de culte pour « interdire » (c’est le verbe qu’elle a employé !) aux gens (considérés comme idolâtres, païens, polythéistes… bref, pire que des cathos dans sa bouche !) de s’incliner devant. C’est de la tyrannie !
Je sais bien que ce ne sont que des symboles, mais ne serait-ce pas une aide à la prière pour certains ? On voit à Taizé un goût prononcé pour la beauté (des lieux, de la lumière, des chants), qui porte à l’ultime Beauté. Pour ma part, j’aime commencer ma prière par un signe de croix, allumer une bougie, me mettre devant une belle icône etc. Et je ne me sens pas le pire des adorateurs de veau d’or ! Et c’est tellement moins austère…
Donc : est-ce que les réformés refusent les gestes liturgiques ? si oui, pourquoi ?
Sachez, cher monsieur le Pasteur, que je prierai pour vous, de tout cœur… avec une bougie !
Bien amicalement à vous,
François.
Réponse d’un pasteur :
Bonjour et un grand merci pour vos encouragements et pour cette très bonne question.
Pourquoi si peu de gestes liturgiques ? C’est juste une question de style, et une question de pédagogie. Il y a finalement une alternative pour évoquer le Royaume de Dieu, ces deux « styles » traversent finalement l’histoire de l’église tout entière, elle est même sensible dans ce que l’on voit dans l’Ancien Testament:
- soit on cherche à faire ressentir plus ou moins la beauté du Royaume par les sens : par de la musique pour les oreilles, de l’encens pour les narines, du pain et du vin pour la bouche, de l’or et des lumières pour les yeux, de l’émotion pour le cœur… dans l’idée de faire ressentir quelque chose de fort et de beau qui serait comme un avant goût de la relation à Dieu, qui en serait un peu l’image.
- soit au contraire, on se place face à un vide qui pose question, et qui renvoit à se recentrer sur l’invisible, à chercher à l’intérieur de nous mêmes et de nos relations quelque chose qui est de l’ordre de la qualité d’être.
On retrouve des traces de ce débat dans la Torah : tantôt la moindre image est interdite, et tantôt des séraphims en or sont sculptés pour mettre en valeur l’autel dans le Temple.
On retrouve ces deux courants, ces deux pédagogies, dans les grands ordres monastiques du Moyen-Âge : Clairvaux étant du premier type et Cîteaux du second.
Les catholiques sont du premier type et les réformés du second. Même dans la famille protestante, les deux courants existent : les Luthériens sont plutôt du premier type à Paris et du second dans le pays de Montbéliard. Chez les anglicans, les églises high church sont du premier type et les low church du second. Cela n’est pas un problème, nous sommes en complète communion entre réformés, luthériens et anglicans… les pasteurs pouvant même passer d’une église à l’autre, et les fidèles aussi.
C’est pourquoi, je ne jetterais pas du tout de jugement à l’emporte pièce sur cette question comme semble le faire cette dame « évangélique ». Mais il faut reconnaître que le danger existe. C’est tout le problème des symboles : la question est le même que pour les médicaments : s’ils sont efficaces, ils sont dangereux ; et s’ils ne sont pas efficace, ce n’est pas la peine de les prendre ! C’est la réalité, et donc nous prenons des médicaments en essayant que ce soit en connaissance de cause et avec discernement. C’est la même chose avec les symboles, que ce soient les sacrements, mais aussi les gestes, les attitudes, les bougies, l’encens… L’intérêt est de rendre plus visible une réalité invisible comme la prière, l’amour de Dieu, la foi… mais le danger existe aussi de priver de ces bienfaits en servant d’écran, voire de perturber en faisant basculer dans la superstition.
Dans l’église catholique, par exemple, les acteurs font souvent un effort de pédagogie pour accompagner leurs gestes et symboles. Il n’est pas rare de voir à côté de les comptoirs pleins de cierges une affichette qui dit en substance que le cierge eut accompagner la prière mais qu’il ne prie pas à notre place. Pendant les baptêmes, le prêtre explique en général chacun des gestes pour bien dire qu’il s’agit d’un symbole mais qu’il n’y a là rien de magique (eau, signe de croix, onction de Saint-Chrême, bougie, vêtement blanc…). Cet effort de pédagogie est intéressant pour prémunir des travers possibles, mais en même temps, un symbole expliqué devient vite lourd et grossier.
Dans le protestantisme réformé nous sommes plutôt du genre un peu sobres et dépouillés au point de vue des gestes et des symboles. Ce n’est pas un refus, c’est un style. Nous avons conscience que ce n’est qu’un style, comme on peut aimer les meubles anciens ou au contraire les meubles contemporains, ou le mélange des deux. Je ne pense donc pas qu’en ce domaine certains auraient raison et d’autres tort. Notre style, donc, est un culte et une église plutôt dépouillés, avec un minimum de gestes et de symboles. C’est pour nous une façon de renvoyer à une intériorité du cœur et de la réflexion, une prière intérieure, intime, dans le secret de la chambre de chacun. Alors, chacun peut mettre une bougie ou non, s’agenouille ou non, lève les bras et les mains vers le ciel s’il veut, pourquoi pas une icône ou une bible ouverte… Si cela l’aide à entrer dans un esprit de prière, et si tel est son choix. Dans ce domaine, il me semble qu’il convient d’être pragmatique, voir ce qui convient à telle personne à tel moment de sa vie. Ce qui l’aide à avancer.
Amitiés fraternelles
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