Le chamanisme, plus proche de la réalité que le christianisme ?
Question posée :
Cher pasteur,
Je ne fais pas de philosophie ni de théologie ; j’espère que je m’exprime clairement, avec un vocabulaire approprié : si ce n’est pas le cas, je m’en excuse d’avance.
Je m’interroge sur le chamanisme, et sur sa comparaison avec le christianisme. Cette forme de spiritualité est bien plus ancienne que le christianisme. La religion judéo-chrétienne semble venir comme une simplification du polythéisme, qui lui-même est une simplification, généralisation de l’animisme. La religion judéo-chrétienne semble gommer toutes les difficultés, toutes les singularités du « monde invisible » pour ne garder qu’un seul et unique principe créateur et vivant, Dieu. Lorsque quelque chose n’entre pas dans les critères de ce que l’on appelle « Dieu », on l’appelle « satan » ou bien depuis une époque plus récente, on l’explique par la science en l’appelant « maladie mentale », par exemple. Je dresse ici des hypothèses (que je ne suis sans doute pas la première à émettre) et peut-être ne serez-vous pas d’accord avec moi.
Première question : Cette simplification à outrance n’a-t-elle pas conduit l’Homme à n’avoir foi qu’en la Raison comme c’est le cas aujourd’hui ? La religion judéo-chrétienne n’a-t-elle pas désacralisé le monde petit à petit en évacuant Dieu dans un au-delà, au lieu de voir des forces spirituelles dans les forêts, les montagnes, les rivières ? La religion judéo-chrétienne ne serait-elle pas responsable de la sécularisation du monde actuel, qui s’en remet maintenant à la Science, la Raison (j’insiste sur les majuscules car il me semble que nous avons gardé la même logique que le monothéisme qui nous a façonné, à savoir tout expliquer par des généralités, des entités abstraites, seulement nous avons enlevé Dieu de l’équation), etc ? La religion judéo-chrétienne n’a-t-elle pas complètement désacralisé le monde ? n’est-elle pas une lointaine précurseur de l’incroyance actuelle, qui a simplement remplacé le mot Dieu, par les mots Science, Raison ? n’a-t-elle pas préparé l’incroyance actuelle puisqu’elle a évacué ce en quoi elle croit, Dieu, dans un lointain au-delà ?
Deuxième question : N’est-ce pas par crainte, par peur que l’Homme a cherché à domestiquer toutes ces entités spirituelles en lesquelles il croyait autrefois, en les rangeant soit dans la catégorie de « Bien », soit dans celle de « Mal » ? les singularités parfois absurdes, impossibles à apprivoiser du monde invisible auquel il était autrefois confronté n’étaient-elles pas trop terrifiantes ? mais n’est-ce pas aplanir, enlever l’intensité de notre vie humaine que de tout schématiser ainsi, en « Bien », en « Mal » ?
Troisième question : La religion chrétienne est-elle vraiment universelle et intemporelle ? Elle s’adresse, de par ses paraboles, à des civilisations qui utilisent l’agriculture, l’argent, et caetera ; certaines sociétés ne peuvent donc pas comprendre la logique du christianisme, puisqu’elles ne vivent pas de cette manière-là. Le christianisme est-il vraiment dans le cœur de tout homme ou n’est-il pas simplement le fruit d’une évolution de société ?
Quatrième question : les mises en garde de l’animisme qui nous disent sans cesse que la nature est plus forte que l’Homme et qu’il faut respecter celle-ci ne sont-elles pas d’une plus grande actualité que le christianisme, à l’heure de la crise écologique ? Je sais que je ne suis pas la seule à me poser cette question… Mais pour celles qui précèdent, je serais intéressée de connaître les auteurs qui ont pensé comme moi, si vous les connaissez.
Ces questions me donnent de sérieux doutes dans ma foi. Merci beaucoup pour votre blog qui nourrit régulièrement ma réflexion ; vos réponses sont toujours très intéressantes et pertinentes.
Réponse d’un pasteur :
Bonjour et bravo pour ce questionnement profond et sincère.
Je ne pense pas que le monothéisme soit une simplification du polythéisme. Il me semble que c’est précisément l’inverse. Cela me semble au contraire être un raffinement. Il est bien plus simple de mettre un dieu dans chaque réalité puissante comme le bien, le mal, la guerre, la mer, les planètes, le feu, etc. Penser une unité d’une même source positive en amont est loin d’être une simplification, c’est chercher à un niveau plus profond ce qui peut permettre une unification. Et cela me semble juste. Cela dit, ce n’est pas pour dénigrer ceux qui choisiraient de prier Mars ou le Soleil, la Mer ou telle planète, chacun fait ce qu’il veut. Quant à satan, je suis d’accord avec vous, c’est un reste de dualisme. Là aussi, on a le droit, mais personnellement, il me semble plus exact de penser une seule puissance transcendante positive. Le mal venant du chaos et de la créativité humaine parfois tournée vers la haine et la destruction.
Je ne pense pas que la foi chrétienne renvoie Dieu dans un au-delà, il est dans la profondeur. Il suscite l’évolution positive.
Et je ne pense pas que le christianisme conduise l’humain à n’avoir foi qu’en la raison. Au contraire. C’est vrai que Jésus encourage la personne humaine à utiliser son intelligence personnelle, sa rationalité. Il encourage l’usage de cette intelligence pour mieux écouter et aimer Dieu. Cela me semble tout à fait excellent. Bien des religions tendent à encourager l’humain à mépriser sa propre intelligence, ce quie st surtout fort pratique pour les chefs religieux afin de mieux manipuler les masses. Cela dit, notre intelligence et donc la raison et la science n’ont alors pas de majuscule, car elles sont des facultés humaines utiles, mises au service d’une ouverture à la transcendance. Là encore, c’est loin d’être une « simplification », mais c’est un raffinement. Par exemple au niveau de l’éthique. Cela conduit par exemple à utiliser la science pour faire de la recherche médicale, tout en la subordonnant à la conscience. Ni l’importance de la science et de la raison c’est cesser toute recherche médicale, philosophique. Ensuite, quand on utilise des antibiotiques ou que l’on opère une personne d’un cancer, il est vrai que l’on va au-delà de la nature naturelle, mais on cherche le principe même qui est en amont de la nature comme évolution vers la vie. En même temps, toute recherche et toute évolution est-elle positive ? Certainement pas, c’est là que l’idée de placer l’intelligence comme n’étant pas divine en elle même mais utile au service de la recherche, de l’écoute, du respect amoureux du créateur de la vie me semble génial.
Première question
Ce n’est donc pas le Christianisme, ni même le christianisme des lumières (associant ainsi foi et raison) qui conduirait à n’avoir foi qu’en la Raison. C’est l’abandon de la foi. C’est donc l’inverse. Or, cet ensemble d’une foi hardie et d’une raison humble forme un ensemble très fécond, l’une et l’autre étant dans une recherche de cheminement vers la vérité, tout en sachant ne pas la posséder seule. La
Cela dit vous avez raison que la foi biblique dé-divinise la nature, le monde. Cela ne veut pas dire qu’il le désacralise tout à fait. Dans cette foi et cette pensée, ce monde est une bénédiction, une créature vivante de Dieu dont nous sommes un élément. Cela me semble être une juste position. Permettant de se voir soi-même, ainsi que l’humanité, et le monde comme étant en évolution, et de prendre conscience que nous avons, en tant qu’humain à prendre notre petite part dans cette évolution en ayant une vie créative, d’une belle façon, en harmonie et non contre la création. C’est précisément en pensant la transcendance comme une commune source que nous pouvons nous sentir membre de l’ensemble et non en concurrence, dans une sorte de guerre de petits dieu, le feu contre l’eau, la mer contre l’humain, l’humain contre l’animal sauvage, etc.
Je ne pense pas du tout que la foi biblique, et encore moins la foi chrétienne renvoie Dieu dans une sorte d’au-delà abstrait. Au contraire, fondamentalement la foi chrétienne est une foi en Dieu comme étant au dessus de tout, certes, mais en même temps Dieu avec nous, en tous. On appelle ça une théologie de l’incarnation, c’est même le cœur de ce que célèbre Noël. Et la théologie se décline alors en une éthique, toute pensée sur Dieu ayant une implication éthique correspondante dans l’existence humaine.
Deuxième question
Je ne sais pas à quoi vous faites référence avec ces « ces entités spirituelles en lesquelles il croyait autrefois », puisque le spirituel est effectivement une dimension importante de la foi en Dieu pour la plupart des chrétiens.
Je ne suis pas certain que la foi chrétienne en particulier catégorise si schématiquement que cela en bien et en mal. Je reconnais que c’est une tendance huumaine assez naturelle que de vouloir absolutiser chaque petite idée qui lui est apparue comme importante dans son propre contexte. L’Evangile du Christ ne me semble pas du tout aller dans ce sens. Il relativise la religion comme un simple exercice au service de l’humain, il dit que le critère de ce qui est bien est d’aimer. Ce que Saint Augustin résumera avec cette formule célèbre :
« Une fois pour toutes, ce bref commandement t’est donné : Aime et fais ce que tu veux… Aie au fond du cœur la racine de l’amour, de cette racine, il ne peut sortir que du bien » (Commentaire de la 1e lettre de Jean)
Personnellement, je trouve que cela donne une extraordinaire intensité à la vie.
Troisième question
La foi chrétienne a un côté universel au sens où le message du Christ annonce fondamentalement une vision de bénédiction universel, pour chaque personne et pour ce monde, car Dieu les aime. Ensuite, la religion chrétienne peut effectivement être géniale pour de toute sorte de personnes très diverses, de toute génération et sous toute latitude. Mais si telle personne en particulier préfère le judaïsme, l’Islam, le bouddhisme, l’animisme, le shamanisme… tant mieux pour elle. Je peux expliquer pourquoi moi, personnellement, la foi chrétienne est topissime, et me fait vivre. Mais c’est vu de mon horizon à moi. D’ailleurs Jésus était comme ça : il félicite ouvertement un centurion romain de sa foi extraordinaire, alors que ce monsieur n’était même pas monothéiste.
Quatrième question
Malheureusement, je ne suis pas certain que la nature est plus forte que l’homme. C’est peut-être au contraire à trop penser cela que l’humanité se permet de faire n’importe quoi comme si la planète pouvait tout encaisser, comme si elle était transcendante, divine, immortelle. Or, nous savons qu’elle ne l’est pas. Elle est une créature vivante comme nous, nous sommes un membre de ce corps qu’est la nature. Et précisément, il me semble qu’en cherchant avec foi et intelligence à être à l’écoute et en communion avec la source ultime de l’évolution et de la vie, nous pouvons saisir la juste attitude.
Suite…
Il y a actuellement tout un courant de pensée, de recherche théologique, éthique et spirituel qui pourrait vous intéresser, il vous suffit de chercher « ecospiritualité »
Encore bravo pour cette recherche. Le fait de se poser des questions n’est pas du tout contraire à la foi. Au contraire. Comme la science avance en se remettant en cause elle-même, la théologie aussi. Et la foi a tout à gagner à faire équipe avec une théologie comme cela, une théologie que l’on n’identifie pas avec son objet, Dieu, qui dépasse et dépassera toujours ce que l’on peut dire et même penser.
Bien respectueusement.
Dieu vous bénit et vous accompagne
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