maquette mettant en scène un définé sous staline - Photo de Ant Rozetsky sur https://unsplash.com/fr/photos/IP_rZpTeXqc
Bible

À propos de Romains 13:1-7 (soyez soumis aux autorités). J’avoue ne pas trop savoir « quoi en faire »…

Par : pasteur Marc Pernot

maquette mettant en scène un définé sous staline - Photo de Ant Rozetsky sur https://unsplash.com/fr/photos/IP_rZpTeXqc

Question posée :

Bonjour monsieur le pasteur,

Je vous écris à propos de l’extrait Romains 13:1-7. J’avoue ne pas trop savoir « quoi en faire »… J’ai trouvé des auteurs qui argumentent que cet extrait est sans rapport avec le contexte (chap.12-15), qu’il s’agit d’un ajout ultérieur (curieusement, ceux-là sont aussi souvent les mêmes qui justifient l’accointance de l’Eglise au pouvoir temporel – paradoxal, non ?); d’autres auteurs (J. Ellul, par exemple) défendent l’idée que cet extrait est parfaitement à sa place et que, replacé dans son contexte, il renvoie au commandement d’amour (le pouvoir est exercé par des hommes, qui font malgré cela partie de nos « prochains ») mais n’incite pas du tout le chrétien à se plier devant le pouvoir politique, devant les autorités de toute sortes, a fortiori lorsqu’elles prennent des décisions (qui nous paraissent) iniques.

De plus, Saint-Paul m’apparaît personnellement davantage comme un (heureux) perturbateur que comme un conformiste soumis aux pouvoirs de son temps dans le reste des Epîtres (y compris dans le reste de Rm). Si l’on retient la première interprétation de l’extrait, avec quels moyens exégétiques peut-on dénouer, de manière plus générale, une contradiction interne (apparente ou avérée) à un texte biblique ?

Je vous remercie pour votre réponse, et pour votre blog, que j’aime lire régulièrement.

Réponse d’un pasteur :

Cher Monsieur

Bravo de lire la Bible avec intelligence et en prenant au sérieux ce qu’elle dit.

Ce passage de l’apôtre Paul pose vraiment question depuis toujours :

« Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures; car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu.
C’est pourquoi celui qui s’oppose à l’autorité résiste à l’ordre que Dieu a établi, et ceux qui résistent attireront une condamnation sur eux-mêmes. »
(Romains 13:1-2)

Comme souvent, Pierre s’aligne sur Paul :

« Soyez soumis, à cause du Seigneur, à toute autorité établie parmi les hommes, soit au roi comme souverain, soit aux gouverneurs comme envoyés par lui pour punir les malfaiteurs et pour approuver les gens de bien. »
(1 Pierre 2:13)

C’est particulièrement choquant après le XXe siècle qui a connu des tyrans abominables avec Hitler, Léopold II, Staline, Mao, Tojo, Pol Pot… Comment peut-on même penser une seconde que ces autorités existent et ont été instituées par Dieu ? Rien que d’exprimer cela est une offense à chacune des millions de personnes torturées et massacrées par ces hommes, et une offense à celles et ceux qui ont lutté contre eux, ou se sont portés au secours des victimes, mettant en danger leur propre vie.

Personnellement, je trouve qu’il est important de refuser de faire une lecture de ces passages comme ayant une valeur de révélation divine. Et encore moins comme ayant une valeur universelle et intemporelle. C’est aussi le cas de quelques autres passages des lettres de Paul qui sont choquants, à côté d’une foule d’autres passages admirables, élevés et très féconds. C’est bien le problème : grâce à ce meilleur, ces écrits d’un immense penseur et croyant ont été rapidement recopiés, diffusés, étudiés et chéris par les églises chrétiennes du monde, depuis presque 2000 ans. avec leurs quelques scories dangereuses comme celle-ci divinisant les autorités judiciaires et politiques, comme les passages imposant ce que l’on a appelé longtemps le « devoir conjugal » (c’est-à-dire en réalité le viol conjugal), ou de légitimer l’esclavage.

Heureusement, dans la lecture de la Bible qui est faite dans nos églises catholiques comme protestante, nous ne divinisons pas la lettre de la Bible, nous replaçons ces écrits dans le contexte de leur époque, et cherchons la Parole de Dieu dans une interprétation inspirée par l’Esprit, une interprétation pour le présent de notre vie. Cela permet de ne pas être prisonnier de la lettre des textes. Heureusement car, comme le dit Paul lui-même « La lettre tue, mais l’Esprit vivifie. » (2 Corinthiens 3:6).

Nous pouvons donc essayer de replacer ces textes dans leur contexte, essayer de comprendre pourquoi ces apôtres ont écrit de telles paroles qui peuvent être si nocives dans d’autres contextes ? Une accusation a été vite portée contre les chrétiens dans l’Empire Romain : c’est de ne pas être de bons citoyens, car les chrétiens avaient tendance à ne rendre un culte qu’à Dieu seul, et donc à ne pas rendre de culte à César comme dieu. D’autant plus que le héros des chrétiens, Jésus de Nazareth a quand même été exécuté seulement quelques dizaines d’années avant, comme agitateur politique, acclamé comme roi dans son entrée à Jérusalem par la foule en liesse avec des rameaux. Paul pourrait avoir cherché ainsi à montrer que les chrétiens sont malgré tout des citoyens loyaux, attachés à l’ordre, à la justice, à la Cité, à l’empereur non en tant que dieu mais en tant qu’autorité voulue par Dieu, ce qui serait alors une concession stratégique.

Ensuite, qu’est-ce que ce message de Paul peut nous dire ? Car être conscient du danger de ce passage permet précisément de nous ouvrir à ce que Dieu pourrait nous dire sur cette question de notre relation personnelle aux pouvoirs dans la Cité, c’est de toute façon la vraie question, dont la réponse appartient alors au lecteur, dans sa sensibilité. Par exemple :

  • En toute personne, il existe du bien et du mal, un enfant de Dieu ET une personne méchante, même su nous ne sommes pas habilité à juger notre prochain, en ce qui concerne une personne dans l’exercice de ses fonctions de dirigeant, il peut être utile de faire la part des choses, de chercher à déterminer ce qui va dans le sens de la vie, de la justice, du bien que Dieu espère, et ce qui qui est nocif.
  • En cas d’élection, il est possible de demander à Dieu de nous éclairer. Que je ne vote pas seulement en fonction de mes intérêts et d’une idéologie, mais avec l’intelligence, le cœur et l’Esprit.
  • Nous pouvons nous demander quelle part nous pensons devoir avoir nous même pour contribuer à la vie de la Cité, par nos paroles et par nos actes, par nos engagements, par des services rendus.
  • Notre vie en ce monde demande de faire des compromis, car bien des situations sont complexes, jusqu’où aller dans ce compromis sans être dans la compromission ? Cette question se pose en particulier en cas d’engagement politique, entre fidélité au parti et fidélité à ce que je pense être juste, venant de Dieu ?
  • Et si je suis moi-même d’une certaine façon une autorité, est-ce que je me sentirais investi à cause de cela d’un pouvoir de droit divin sur mon prochain ? Ce serait évidemment dangereux.

Cela nous rappelle que la Bible est assez dangereuse quand elle est prise comme un livre de réponses, mais géniale quand nous la prenons comme un livre de questions à nous poser avec Dieu, devant Dieu…

C’est lui qui, encore et encore, nous bénit et nous accompagne sur notre chemin.

par : pasteur Marc Pernot

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3 Commentaires

  1. Michel dit :

    nous sommes nombreux à partager cet avis. Il faut faire une lecture sociologique des écrits pauliniens. Citoyen romain, façonné par l’élite dominante de tout l’arc méditerranéen, que pouvait-il écrire d’autre? Même chose pour le « femmes soyez soumises à vos maris ». La femme comptait moins qu’un animal, quelque soit le pays. C’est une réalité sociologique des premières années de la chrétienté. Il faut lire Paul avec un esprit critique et ne pas tout sanctuariser. On a déjà écrit des livres entiers sur Romains 13. Peu d’auteurs s’y risquent aujourd’hui car beaucoup ne savent pas quoi en faire, ou plutôt, n’osent pas quoi en faire.

  2. Jean-pierre Sternberger dit :

    La lettre aux Romains est écrite à un moment où règne une grande tension entre le monde juif et l’empire. Pour les juifs chrétiens comme pour beaucoup de leurs coreligionnaires, le pouvoir de Rome est l’incarnation du mal. À la fin du siècle l’auteur de l’apocalypse l’appellera Babylone, la grande prostituée… Mais aux chrétiens habitant dans la capitale, Paul conseille la soumission et recourt à l’argument selon lequel toute autorité vient de Dieu ou tout au moins est permise par lui. Cela lui permet déjà de rappeler que Dieu est plus grand que l’empereur et que ce dernier n’est rien sans lui. En cela il retrouve paradoxalement le message du livre de l’Exode ou Moïse tout en respectant l’autorité du Pharaon tueur d’enfants lui demande l’autorisation de quitter l’Égypte avant que le Seigneur ne frappe le pays de 10 coups qui arracheront au roi d’Égypte la permission demandée mais très vite reniée, et la mort de Pharaon parti à la poursuite des Hébreux. Pour en revenir à la lettre aux Romains, on sait que, sans doute à la suite des troubles liés à la présence parmi eux de chrétiens, les Juifs ont chassés de Rome à la fin des années 40. On ait aussi qu’au moment où Paul écrit sa lettre, les habitants de la ville protestent contre la hausse des impôts. Paul pourrait conseiller la prudence pour éviter une nouvelle expulsion. Il conseille la prudence au moment où avec Néron se profile la possibilité d’une violente persécution. Il s’agit de ne donner prise à aucune critique. Il s’agit aussi pour les chrétiens de tenir compte des réalités au sein desquelles ils sont appelés à vivre leur foi. Si rupture il y a entre le croyant et la société, ce n’est pas au premier d’en prendre l’initiative même si la seconde se trouve mise en danger par un pouvoir qui ne sert plus que lui-même et l’entraine à la ruine.

  3. Pascale dit :

    Peut-être qu’il arrive aussi qu’on oublie un peu le titre du livre, à savoir qu’il s’agit d’une lettre et donc, contrairement aux évangiles qui ont certainement été écrits pour donner un témoignage aux générations futures, il s’agit d’un message adressé à une communauté à un instant donné. Paul n’avait pas conscience qu’il écrivait le Nouveau Testament et je suppose que si ces lettres ont été choisies dans le canon biblique, c’est parce qu’elles contenaient des passages à caractère universel et dont la portée dépasse de loin le cadre d’une lettre, que les passages qui nous dérangent actuellement ne dérangeaient pas nécessairement à l’époque de la constitution du canon ; d’où la difficulté de faire maintenant le tri entre ce qui relève du contexte et ce qui a un caractère plus universel.
    Pour en revenir à une des interrogations suggérées ici à propos de notre lien avec les autorités : « En cas d’élection, il est possible de demander à Dieu de nous éclairer. Que je ne vote pas seulement en fonction de mes intérêts et d’une idéologie, mais avec l’intelligence, le cœur et l’Esprit. », j’ai beau réfléchir et prier pour rester en cohérence avec ce que je considère comme devant être au-dessus de tout le reste, je me sens rarement sereine après une décision prise concernant une élection, une prise de position ou une action à caractère politique. Je me demande alors si Dieu a vraiment quelque chose à nous « dire » dans ce domaine, à savoir les affaires de ce monde. D’un côté, l’action politique, le législatif me paraissent essentiels pour faire évoluer une société vers plus de justice, plus de respect mais, contrairement à d’autres domaines, j’ai un peu de mal à me situer dans tout cela, de distinguer concrètement ce que Dieu attend en quelque sorte de moi ou, pour le dire autrement, quelle attitude est la plus fidèle à l’Évangile.

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