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La Bible nous place de temps à autre face à des textes contradictoires, par exemple : juger un autre, ou pas ?

Par : pasteur Marc Pernot

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Question posée :

Monsieur le Pasteur,

La Bible nous place de temps à autre face à des textes (qui nous semblent) contradictoires. Je souhaiterais si vous le voulez bien votre éclairage sur celle qui m’apparaît une nouvelle fois avec la lecture de ce jour. Il s’agit de Lévitique 19.17 : « tu devras réprimander ton compatriote, et tu ne toléreras pas la faute qui est en lui ». Je suis immédiatement renvoyé à Matthieu 7.1-3 :  » Ne jugez pas, pour ne pas être jugés ; de la manière dont vous jugez, vous serez jugés ; de la mesure dont vous mesurez, on vous mesurera. Quoi ! tu regardes la paille dans l’œil de ton frère ; et la poutre qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ? ».

Comment donc me croire autorisé à juger que mon prochain mérite d’être réprimandé (sans tolérance : tu ne toléreras pas, sinon tu partages son péché), puisqu’il ne faut pas juger afin de ne pas être jugé ? Comment m’arroger le droit de faire remarquer à mon prochain qu’il agit mal (et que je ne saurais le tolérer) quand cette paille que je lui reproche de porter masque la poutre dont je m’aveugle ?

Jean XXIII (que je me permets de citer bien que sachant que les protestants ne reconnaissent pas l’autorité du pape) n’écrivait-il pas dans sa magnifique prière : « je ne critiquerai personne, je ne prétendrai corriger ou régenter qui que ce soit, excepté moi-même » ? Il est vrai qu’il en faisait commencer chaque verset par « Rien que pour aujourd’hui »… Serait-ce finalement la solution d’équilibriste à adopter : aujourd’hui je te juge et te réprimande, demain je ne te dirai rien ? (ce qui d’une certaine façon m’évoque la confession chère à la hiérarchie catholique : 1. En t’incitant à me dire le mal que tu as fait, je te dis sans te le dire que tu as mal agi ; 2. tu t’en excuses ; 3. on n’en parle plus).

Comment, donc, selon vous, s’arranger avec le voisinage de ces deux textes ?

Je vous remercie.

Réponse d’un pasteur :

Cher Monsieur

Bravo pour votre lecture attentive et intelligente de la Bible.

Il y a certes bien des textes contradictoires dans la Bible, et c’est fort intéressant. Il y a bien des façons de traiter cette question.

1) fondamentalement, je dirais que même s’il n’y a pas de contradictions, tout commandement de la Bible est à prendre comme une parole à interpréter. Nous ne sommes pas dans la soumission par rapport à ces textes. Le projet de Dieu n’est pas de nous transformer en robot en lui téléchargeant un programme ». C’est ainsi que Ézéchiel dit que la Parole nous est donnée ainsi : un livre nous est tendu, et cette parole : « Fils de l’homme, mange ce que tu trouves, mange ce rouleau, et va, tu parleras alors » (Ézéchiel 3:1). C’est ainsi qu’il faut manger l’écriture, la mâchouiller, le ruminer, la digérer, et qu’alors un sens émerge dans notre conscience sous l’impulsion de la parole vivante de Dieu, de ces écrits, de notre propre sensibilité, de notre intelligence, de notre conscience. C’est dans le même sens que Jésus nous dit de manger sa chair (son évangile) pour vivre, et que ce commandement est à suivre spirituellement, bien sûr.

C’est ainsi que bien des commandements de la Torah n’ont jamais été appliqués littéralement, d’après les rabbins, par exemple les horribles commandements consistant à éborgner quelqu’un qui a blessé l’œil d’un autre, ou ce très efficace commandement de lapider à la porte de la ville les enfants qui sont rebelles à leurs parents. Heureusement.

Et que ce commandement très clair de Jésus « Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. » (Matthieu 5:39) ne nous amène pas à laisser des personnes violer nos enfants, par exemple.

2) ensuite, il est bien heureux que des commandements contradictoires, cela montre clairement que nous devons regarder la situation, aimer, écouter, comprendre, analyser, prier, et décider quelle est le meilleur chemin, ou le moins mauvais possible à un moment donné, compte tenu des circonstances. C’est pourquoi il nous est souvent dit l’Esprit nous éclaire, afin de nous permettre de voir clairement par nous même les tenant et les aboutissants, et de pouvoir tracer une route nouvelle. Si Dieu mettait un rail devant nous, il n’y aurait pas besoin de voir clair, il suffirait de suivre la voie tracée.

Parfois il faudra choisir telle piste, parfois telle autre, parfois d’abord l’une puis la seconde, etc.

Concernant le jugement, il me semble qu’effectivement, c’est une question bien délicate. En tout cas, il y a un jugement qui appartient à Dieu et que nous ne devrions pas usurper, à mon avis, c’est celui de la dignité de la personne et donc de l’amour de Dieu pour cette personne, et don de son salut. C’est ainsi que je comprends ce radical « vous ne jugerez pas ». Et en conséquence, quand Jésus nous dit qu’entre nos mains sont les clefs du pardon de nos frères et sœurs, le comprends cela non comme l’autorisation à juger l’autre, mais qu’il nous est dit notre responsabilité si essentielle de dire à une personne qui nous est confiée le pardon de dieu, comme le fait Jésus, d’ailleurs, à toute personne sans lui demander préalablement la moindre contrition, confession, ou repentance. Mais préparant cette démarche : « Pour nous, nous l’aimons (Dieu), parce qu’il nous a aimés le premier. » (1 Jean 4:19).

Ensuite, si Dieu aime le pécheur (ouf !) il apprécie moyennement le péché, c’est peu de le dire. Il peut être utile, et juste de dénoncer les actes mauvais, qui font du mal, qui blessent, tuent, trompent. Donc peut-être réprimander un collègue ? Mais là aussi, cela demande du discernement et de la nuance. Par exemple, quand Jésus donne la parabole de la brebis perdue, il parle de 99 brebis en forme et qu’il laisse vivre leur vie et d’une seule brebis perdue qu’il appelle et part chercher. Cela pourrait vouloir dire qu’avant de « réprimander » mon prochain sur une chose il faudrait que je l’aie félicité sur 99 d’abord ? Et ensuite, il y a la question de ma vocation personnelle, suis-je appelé, moi, à être le redresseur de torts universel ? Il est plus probable que quelques personnes et situations me soient confiées en particulier pour que je fasse un petit peu quelque chose. Le grand, l’immense Saint Augustin discute de cela et dit qu’il sera parfois sage de se taire et parfois sage de réprimander, comment savoir ?
Saint Augustin propose :

« Une fois pour toutes, ce bref commandement t’est donné :
Aime et fais ce que tu veux.
Si tu te tais, tais-toi par amour
Si tu parles, parles par amour
Si tu corriges, corriges par amour
Si tu pardonnes, pardonne par amour.
Aie au fond du cœur la racine de l’amour, de cette racine, il ne peut sortir que du bien.
En cela consiste l’amour : Dieu a fait paraître son amour pour nous, en envoyant son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui.
Et voilà en quoi consiste cet amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés le premier. »
Saint-Augustin (Commentaire de la 1e lettre de Jean)

Enfin, il me semble que ce conseil de Jésus est excellent, dans la suite du passage que vous citez :

« Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’oeil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton oeil?
Ou comment peux-tu dire à ton frère: Laisse-moi ôter une paille de ton oeil, toi qui as une poutre dans le tien?
« Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton oeil, et alors tu verras comment ôter la paille de l’oeil de ton frère.
(Matthieu 7:3-5).

Plutôt que de nous appeler à jamais dénoncer un mauvais acte commis par mon prochain, il me semble que Jésus déconseille de prétendre transformer la personne de l’extérieur, avec nos grosses pattes et notre vue faible. Nous n’avons pas l’habileté, et c’est violer l’intimité de la personne.

Merci pour vos réflexions, vos recherches.
Dieu vous bénit et vous accompagne.

par : Marc Pernot, pasteur à Genève

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