En science et en théologie, on utilise des images pour expliquer, c’est utile et trompeur
Question posée :
Bonjour,
Lorsqu’on creuse à fond certains sujets, on se rend compte que les spécialistes dudit sujet, lorsqu’ils le vulgarisent, sont obligés d’utiliser des images qui forcément déforment la réalité, mais qu’il leur est difficile, voire impossible, de faire autrement pour rester accessibles au commun des mortels. Je vous donne 2 exemples (je résume, car c’est plus compliqué que cela) et vous verrez où je veux en venir.
- En sciences de l’infiniment petit, on trouve presque toujours l’explication sur la lumière consistant à dire que le photon est soit particule, soit onde, mais pas les deux en même temps. C’est ce qu’on vous explique dans 99% des cas. Mais si vous persévérez, vous trouverez au coin d’un livre ou d’une publication l’explication éclairante suivante: en fait, il s’agit d’un champ, qui se montre à nous sous forme de particule dans certains cas, et sous forme d’onde dans d’autres cas – cela dépend de la manière dont nous l’observons.
- En sciences de l’infiniment grand (comme cela il y en a pour tout le monde…), on nous explique qu’il y a 13.7 milliards d’années l’univers était un petit « truc » infiniment petit qui a explosé (big bang), et que c’est pour cela qu’il est actuellement en expansion. Quand vous rétorquez aux spécialistes de la question que si vous regardez TRES LOIN vous verrez des objets tels qu’ils étaient il y a 13 milliards d’années, donc censés être TRES PRES puisqu’au début de l’histoire de l’univers, vous vous entendez répondre qu’en fait le big bang s’est produit partout en même temps, et que le petit point qui explose est ce qu’on verrait de l’extérieur, alors que nous faisons partie de l’intérieur, et que de toute manière cet extérieur n’existe pas puisque c’est l’espace lui-même qui est en expansion, et non pas uniquement la matière qui le compose (à ce stade vous pouvez prendre une aspirine…).
En résumé, la science vulgarisée ne nous explique pas la réalité, mais l’effort des spécialistes pour nous expliquer ce qu’eux ont compris, et qui est très compliqué à expliquer (ce qui par extension pourrait vouloir dire qu’eux-mêmes ne voient pas la réalité, mais comment l’être humain, dans ses limites, peut l’appréhender).
Ne peut-on alors pas dire qu’il en est de même pour certains sujets théologiques, qui on fait couler beaucoup d’encre pour rien, car il suffirait de dire que ce sont des images qui nous sont données pour comprendre des réalités spirituelles ?
Quelques exemples:
- La trinité désignerait tout simplement différentes formes sous lesquelles Dieu se serait manifesté à nous, et non pas 3 personnes, car Dieu est UN (j’ai d’ailleurs lu quelque part que ce terme de « personne » utilisé pour définir les 3 composantes de la trinité viendrait du mot latin « persona » qui désigne un acteur de théâtre, et par extension un rôle: Dieu se montrerait à nous dans plusieurs rôles).
- Ce qu’on appelle communément « l’enlèvement » serait tout simplement ce que Paul a vu lorsqu’il fut emmené hors du temps (« au 3ème ciel »), et comme il était hors du temps il a vu tous les sauvés (ceux qui étaient déjà morts et ceux qui étaient encore vivants) arriver en même temps au ciel.
- Le début du livre de la Genèse raconterait en images ce qui se passe en l’être humain lorsqu’il prend conscience des réalités spirituelles. Par exemple « que la lumière soit » ferait référence à l’illumination consécutive à la révélation de Dieu dans notre esprit.
- Les combats et guerres de l’AT feraient référence à nos combats intérieurs contre « l’ennemi de nos âmes ». Les murailles de Jéricho qui tombent seraient nos murs intérieurs. etc.
- Le livre de l’Apocalypse serait tout simplement une révélation des réalités spirituelles, et non pas des événements à venir.
- etc.
Jésus lui-même parlait en paraboles, par images, allégories et métaphores.
Qu’en pensez-vous ?
Cordialement,
Réponse d’un pasteur :
Cher Monsieur
Je suis tout à fait en phase avec ce que vous dites ici, particulièrement sur vos 5 exemples.
En ce qui concerne la difficulté de joindre les deux modèles de la lumière, je pense que c’est un petit peu plus fondamental qu’une simple question d’images, c’est presque une incohérence physique entre les deux modèles. Les réconcilier a demandé un effort immense et des découvertes et des développements théoriques d’une complexité élevée (super gravité, théorie des cordes et autres choses joyeusement incompréhensibles pour le commun des mortels).
Effectivement, la physique, à des échelles qui ne sont pas les nôtres, est du même ordre que la métaphysique pour nous : tout cela sort de notre champ d’expérience, la logique de base et le vocabulaire usuel sont souvent mis en échec. Restent des images, qui elles-même peinent souvent à en rendre compte. Prendre conscience de cela est bien utile. C’est une sagesse.
Au delà des images et de leurs limites, il me semble utile aussi de saisir les limites de notre logique habituelle, souvent bien brutale, ignorant la nuance. Il est bon d’entrer dans des logiques floues et non-binaires. Par exemple, on dit souvent qu’une porte doit être ouverte ou fermée ? C’est parfois le cas mais il y a aussi des portes entrouvertes, des portes dont la moitié du bas est fermée et la moitié du haut ouverte, des portes en mouvement pour s’ouvrir, d’autres en mouvement pour se fermer, et pour certaines portes que nous ne voyons pas il peut y avoir un indice nous permettant de supposer qu’elles sont ouvertes sans en être certain (par exemple en sentant un léger courant d’air)… Si pour répondre à une question aussi simple que « la porte est-elle ouverte ? » nous devons envisager une réponse nuancée, il faut bien plus de nuances encore pour dire l’humain, Dieu, le salut, la bonté… En particulier pour dire si une personne est « sauvée » ? Si l’on pense pouvoir répondre à cette question par oui/non, c’est encore bien plus absurde que de penser que toutes les portes n’ont le droit que d’être ouvertes ou fermées. L’amour traverse toute personne pour garder le meilleur, l’amour sort du temps présent, voyant la personne en espérance avec tout ce qu’elle aurait pu devenir et ce qu’elle pourrait encore devenir, l’amour cherche à agir afin d’aider à sauver : chercher, soigner, appeler, accompagner…
Pour ce qui est d’une « paraboles », il s’agit de plus qu’une image : c’est un itinéraire qui mène à une surprise nécessitant de prendre de la distance par rapport à la logique élémentaire courante, cela invite à changer non seulement de point de vue mais de façon de voir. C’est une histoire, comment dire, en relief, une histoire à ressort interne. Cela demande une certaine maîtrise à composer (Jésus se débrouillait pas mal à cet exercice), et cela demande de l’intelligence pour s’ouvrir à cette énigme.
Je suis bien reconnaissant de vos messages et de vos idées & questions. C’est un enrichissement pour moi, et pour les visiteurs du blog de l’Eglise Protestante de Genève, je pense.
Avec mes amitiés respectueuses
Articles récents de la même catégorie
Articles récents avec des étiquettes similaires
Sur la partie « sciences de l’infiniment grand », voici quelques « images » bien réelles de l’espace très lointain, parmi les plus sensationnelles observées par le télescope spatial Hubble, restituées en couleurs artificielles et en 3 dimensions :
https://www.arte.tv/fr/videos/099620-000-A/l-histoire-du-telescope-hubble/
A noter que son successeur le James Webb Space Telescope devrait être lancé fin 2021.
Concernant le début de la Genèse sur la création, bien sûr une lecture allégorique est possible, mais je pense que les auteurs et les lecteurs y voyaient plutôt une double lecture : sur le plan de la création de l’Univers, et sur le plan allégorique. Avec la connaissance de ces images des télescopes contemporains, spatiaux comme Hubble, ou terrestres comme le Very Large Space Telescope… je pense qu’ils auraient écrit le texte différemment.
Je pense sincèrement que les représentations de l’Univers, de la science, influent sur notre théologie, philosophie, contemplation poétique…
C’est le cas pour moi en tout cas. En l’occurrence ici, ce sont des images issues de données mesurées puis retraitées numériquement, il y a quand même des questions d’interprétation selon une théorie là aussi, comme pour la lecture de la Bible.
Cordialement,