Giotto - Le baiser de Judas
Bible

Comment Jésus, dans son amour incommensurable, a pu laisser son disciple Judas se perdre ainsi ???

Par : pasteur Marc Pernot

Giotto - Le baiser de Judas

Question posée :

Bonjour,

Tout d’abord un grand merci pour ce site et la peine que vous prenez pour répondre de manière si vivante à nos questions.
Voici la mienne :
Dans Jean, chapitre 13, verset 27 je lis : « C’est à ce moment qu’il lui avait offert la bouchée que satan entra dans Juda. »
Pourquoi Jésus qui lui apporte la communion (signe de son amour inconditionnel et force pour grandir vers sa Vie), Jésus laisse-t-il le « Mauvais » entrer en Juda ?
Dans les évangiles, à plusieurs reprises (p. ex. Marc 5, 9 ou Matthieu 8), Jésus guérit celles et ceux qui se perdent ou « chasse les mauvais esprits » ?

Jésus ne peut dans son amour incommensurable laisser son disciple se perdre ainsi …
Ou – pardonnez-moi cette comparaison – fallait-il que Juda embrasse le rôle du méchant pour que la pièce soit jouée ?
Par moments dans notre existence – plus ou moins fort ou souvent selon les personnes – les ténèbres nous envahissent et nous ne sommes plus que des feuilles brûlées par notre détresse comme en automne dans le « vent mauvais ». Pourtant ce « feu » ou ces « braises » qui luisent encore tout au fond de nous peuvent nous guider à travers la prière et ce besoin d’humanité ?
Toutes celles et ceux qui se noient dans la dépression, l’angoisse, la solitude ou se retrouvent brisés, au bord du chemin, envahis par une violence qu’ils retournent contre eux, piégés par ce qui détruit, souvent détruisant alors l’autre/l’Autre, pourquoi ?
Ne m’en voulez pas (trop) pour ma naïveté ou mon manque de compréhension.
Avec toute ma reconnaissance pour votre réponse.
Bien cordialement.

Réponse d’un pasteur :

Bonsoir

Bravo pour cette belle réflexion, loin d’être naïve, et ces questions intéressantes. Belle idée de s’intéresser à Judas. C’est certainement une figure marquante des évangiles. Une figure troublante, certainement. La preuve c’est qu’elle a troublé les premiers chrétiens, avec au moins deux grandes lectures différentes selon les évangiles. Cela montre à mon avis qu’il y a bien eu un monsieur Judas historique, faisant partie des apôtres choisis par Jésus et qui a guidé les adversaires de Jésus vers lui à un moment propice à son arrestation, de nuit, en absence de grande foule. C’est choquant, ou pour le moins cela pose question, les évangiles rendent compte de diverses interprétations de cet événement qui avait sans doute fait parler.

En gros, il y a deux leçons possibles : soit Judas est un salaud qui a trahi et vendu Jésus, soit c’est un saint, un disciple particulièrement avancé de Jésus, qui s’est sacrifié.

 

Dans l’Évangile selon Jean.

C’est le plus négatif contre Judas. Loin d’être un héros, il a toujours été le type même de la personne pleine de haine contre les autres, Jean nous dit que Judas volait dans la caisse que Jésus avait pour aider les pauvres (Jean 12:4) et que Jésus savait très bien qu’il était méchant : “ Jésus dit aux apôtres : N’est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les douze ? Et l’un de vous est un diable ! Il parlait de Judas Iscariot, fils de Simon ; car c’était lui qui devait le livrer, lui, l’un des douze. ” (Jean 6:70-71)
Qu’est-ce que Jean nous dit à travers cette présentation de ce qui est arrivé avec Judas ? Cela veut dire, à mon avis, que personne, vraiment personne n’est rejeté par Dieu. Même si nous étions le pire des Judas qui soit, même si nous étions à 100% méchant, haineux, voleur, échangeant le Christ contre de l’argent… Cela n’empêcherait pas Dieu de s’intéresser à nous, de nous appeler, de chercher à nous enseigner, nous aider.

Que tirer pour nous de ce portrait fait de l’itinéraire de Judas ? Dieu sait bien que nous ne sommes pas parfaits. Judas est notre frère à tous, même le meilleur d’entre nous est un peu diabolique sur les bords ou de temps en temps, alors pas la peine non plus de se moquer des autres, nous sommes comme eux, nous agissons tous plus ou moins comme eux, et Christ s’est donné pour Judas comme pour chacun de nous afin que nous croyons en Dieu. Et il appelle Judas, comme il appelle chacun de nous pour que nous soyons des apôtres, allant dans le monde pour témoigner de la Parole éternelle de Dieu.
Jean nous dit, avec cette histoire de Judas, que Jésus assume le fait que le Royaume progresse par une humanité imparfaite, pécheresse, par nous, en fait.

 

Dans l’Évangile selon Luc.

Il est assez proche de l’Évangile selon Jean pour présenter Judas comme diabolique, sauf que dans Luc, il y a un moment où le mal entre dans le cœur de Judas et il se retourne contre Jésus, voulant le faire mourir. Il se dé-convertit car au début, il est (selon cet évangile) un apôtre comme les autres, ce qui est déjà assez extraordinaire comme foi, comme courage : ils ont tout laissé pour suivre Jésus pendant 3 ans dans les 4 coins du pays, avec les difficultés et la peur des autorités, avec la fatigue et la faim, parfois.

Luc insiste souvent, comme ici avec Judas, sur la liberté que Dieu nous donne. Dieu compte sur chacun, il appelle, mais n’oblige pas, nous pouvons aussi vivre en rejetant Dieu de sa vie, comme bien des gens. Mais nous pouvons aussi suivre Jésus et nous tourner vers Dieu, compter sur lui, nous convertir. Et à tout moment, nous dit ici l’exemple de Judas, nous pouvons aussi nous dé-convertir, même si nous avons été avant une personne aussi engagée qu’un apôtre, et laisser le mal nous envahir. C’est ce qu’inspire à Luc la trahison de Judas, et nous voyons ici deux exemples de raisons qui peuvent nous amener à trahir Dieu en tuant la présence du Christ en nous et autour de nous.

  1. La première raison c’est l’argent, comme Judas est tout content de vendre Jésus pour 30 petites pièces d’argent.
  2. La seconde raison qui conduit Judas à abandonner Jésus et à vouloir sa mort, selon Luc, c’est qu’il est déçu par Jésus. Judas espérait vraiment que Dieu sauverait Israël, mais il espérait un Christ qui chasserait les Romains, qui établirait la justice, la santé, la foi comme par un coup de baguette magique, alors que Jésus parle de se tourner vers Dieu, de le prier, d’aller vers les pécheurs et de témoigner de Dieu… Pour Judas, cela ne va pas, Jésus ne correspond pas à ses idées, et il perd foi en Jésus. Malheureusement, je connais des gens à qui cela arrive, et qui perdent la foi alors qu’ils étaient auparavant très engagés.

Finalement ces deux raisons reviennent au même. Judas aurait abandonné Jésus car il s’aimait lui-même plus que Dieu, aimer son argent plus que le Christ, c’est le tuer, aimer sa propre vision de la vérité plus que le Christ, c’est le tuer et c’est mourir soi-même d’une certaine façon, comme Judas meurt à la fin.

Jean et Luc ne font donc pas la même interprétation de la trahison de Judas, mais tous les deux nous donne une prédication essentielle à cette occasion. Jean nous dit la grâce de Dieu, Luc nous appelle à nous convertir et à continuer à veiller et prier par la suite, pour rester fidèle.

 

Dans les Évangiles selon Matthieu et Marc.

Ces livres ne disent pas vraiment de mal de Judas. Jésus appelle Judas « mon ami » et il lui dit : “ Mon ami, ce que tu es venu faire, fais-le ”, avant d’expliquer aux autres apôtres qu’il faut bien que ça se passe comme ça, afin que les prophéties de la Bible soient accomplies ”. (Matthieu 26:47-56)
Selon Matthieu, Judas se suicide à la fin, parce qu’il est catastrophé de voir Jésus condamné par les autorités. Judas ne regrette pas d’avoir aidé les soldats à mettre la main sur Jésus (il se sentait appelé à le faire par Jésus, pour le bien), mais ce qu’il regrette c’est que les choses tournent autrement que ce qu’il espérait.

Luc et Jean disent que Judas est le diable ou qu’il devient diabolique. Mais Matthieu ne dit pas cela, il dit que Judas est celui qui a « livré » Jésus. Ce verbe est très neutre, comme en français, il peut être compris en bien (il a transmis Jésus et sa Parole) ou en mal (il a vendu Jésus à ses ennemis). Rien n’empêche, selon cet Évangile, que Judas ait eu une bonne intention de conduire les autorités à Jésus. Il savait qu’ils voulaient le tuer, bien sûr, mais on pouvait espérer que quand Jésus serait entendu par les autorités, ils comprendraient enfin que Jésus est bien le Christ, le fils de Dieu. Et à la fin, Judas va prendre la défense de Jésus, seul contre tous.

Quelle prédication, quelle idée nous propose Matthieu ainsi à l’occasion de l’événement de la trahison de Judas ? Le tort de Judas, dans cette histoire, c’est de ne pas avoir compris que c’était inévitable que Jésus et son message soit haï, maltraité par les méchants, car le mal a horreur du bien. Avec Judas, avec Jésus lui-même, on peut au contraire se lancer avec courage, même si ce n’est pas facile, et annoncer à tous, quels qu’ils soient, l’Évangile, le Christ, la grâce de Dieu, tant pis si ça ne donne rien, de le donner même aux méchants ou à ceux qui n’en ont rien à faire, à ceux qui lui veulent du mal… de l’annoncer à tous ces gens, c’est ensuite à Dieu de voir ce qu’il pourra en faire. Dieu peut faire germer la vie sur les pires échecs. Après la mort du Christ, il y a eu la résurrection.

 

L’Évangile selon Judas

Car oui, il en existe un, et l’exemplaire le plus ancien est même à Genève à la l’institut Bodmer. Il y a 15 ans exactement, pour la fête de Pâques, je me souviens de l’annonce de la découverte de ce papyrus du IIIe siècle comportant des pages de l’Évangile de Judas. On avait déjà entendu parler de ce texte par Irénée de Lyon (IIe siècle) mais on avait perdu ce texte. Cet évangile s’approche de la version de Matthieu et de Marc, et l’amplifie : Judas serait un héros, et il aurait obéit à Jésus en le livrant aux autorités romaines, Judas serait le plus proche et le plus avancé des apôtres, Jésus lui aurait révélé plus de choses qu’aux autres, et il lui aurait finalement confié cette triste mission de le trahir, afin que Jésus puisse ainsi sauver humanité.

Ce texte a été écrit en Egypte dans des mouvements mélangeant la foi chrétienne avec une pensée gnostique qui existait auparavant (ce qui est bien le droit de ces gens, bien sûr). Mais cela introduit une différence essentielle entre cet évangile et les quatre qui ont été sélectionnés pour entrer dans cette bibliothèque qu’est la Bible :

  • Dans l’Évangile selon Judas, Jésus demande à Judas de l’aider à se faire tuer parce que selon ce texte, la vie sur terre ne serait pas une bonne chose, notre corps, notre vie sur terre serait comme une prison pour notre âme. Et c’est pour ça que Jésus compte sur Judas, pour qu’il le vende aux Romains, qu’il soit tué, et qu’il soit ainsi libéré de son corps. Cette philosophie de l’existence est aux antipodes de la pensée biblique et de celle de Jésus, annonçant que la vie sur terre est une bénédiction, faite pour le bonheur. Nos quatre évangiles montrent que Jésus ne veut pas mourir. Il préférerait continuer à vivre, bien sûr, mais il est prêt à aller jusqu’au bout pour montrer l’amour de Dieu pour l’humanité.
  • La seconde différence est que les gnostiques était dans logique d’enseignements secrets réservés aux disciples les plus avancés (à Judas, en l’occurrence, qui délivre cette gnose à quelques privilégiés). Cela non plus n’est pas du tout dans la logique de nos 4 évangiles où toute parole révélée par Jésus est faite pour être criée sur les toits, à la cantonade pour que tout le monde en profite (s’il le désire).

En tout cas, cela est une occasion de penser à ce formidable courage de Jésus, allant jusqu’au bout de sa mission de salut pour le monde et pour nous, par amour. Cela, c’est clair et très inspirant. Cela fait une joyeuse Pâques, mais toujours un peu mêlée de tristesse avec quand même ce tragique de l’exécution horrible de cet homme. Avec une pensée aussi pour tous les héros du quotidien qui donnent de la peine, du stress, de la souffrance, et même leur vie pour soutenir d’autres personnes. En notre période troublée il y a de quoi penser avec reconnaissance, avec gratitude. Il y a aussi de la joie dans cette gratitude, même si c’est aussi avec un pincement au cœur. Heureusement, il est souvent possible de servir sans mourir ! En général c’est une double joie de pouvoir apporter un peu de salut autour de soi.

On peut relever aussi qu’en donnant la communion à Judas de sa propre main (au lieu de passer le plat), Jésus ne laisse aucun doute sur le fait que toute personne, quelle qu’elle soit, est accueillie dans l’église, et à tous les sacrements. C’est là un signe de la grâce universelle de Dieu, de son amour qui va jusqu’à aimer ses ennemis. Et finalement, il y a là l’essentiel de l’Evangile qui est manifesté dans ce geste. C’est ce qui pourrait nous inspirer, ou au contraire, cela peut nous faire nous sentir libre de faire n’importe quoi, c’est vrai. Seulement Dieu est comme cela, il espère que nous ferons le bien parce que c’est bien, nous imposer d’aimer par la menace serait parfaitement incohérent.

Dieu vous bénit et vous accompagne.

par : Marc Pernot, pasteur à Genève

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