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Question

L’arianisme est considéré comme une hérésie par l’Eglise, pourquoi un tel rejet ?

Par : pasteur Marc Pernot

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Quand le débat théologique ressemble à cela, ce n’est plus la foi qui est en cause, mais une question de pouvoir, une question de territoire, d’instinct, de fureur.

Question posée :

Bonjour Pasteur,

l’arianisme est considéré comme une hérésie par l’Eglise et les confessions chrétiennes mais ce n’est qu’une interprétation différente de la personne de Jésus, Même si elle n’a pas été retenue dans le temps, qui dit finalement qu’elle n’est pas dans le vrai? ce n’est qu’une question théologique qui ne change rien au final à l’enseignement du Christ mais pourquoi un tel rejet?

A bientôt.

Réponse d’un pasteur :

Bonsoir

Notre église protestante ne rejetterait jamais quelqu’un qui aurait les mêmes idées qu’Arius. Nous ne pratiquons pas l’excommunication (sans condition, toute personne qui le désire peut participer à la communion). Et la seule chose demandée à une personne pour devenir membre de l’église est de reconnaître, à sa façon, que Jésus est Christ. C’est, je pense, un point sur lequel s’accordent absolument tous les chrétiens de toute sorte. L’intérêt commun pour cette personne suffit à faire une communauté de personnes très diverses (pour peu que chacun y mette un peu de bon esprit, et d’Esprit).

En ce qui concerne Arius. Un riche débat existait particulièrement aux IIIe-IVe siècle sur la nature du Christ. Il parait même qu’à cette époque quand les personnes faisaient la queue pour acheter leur pain à la boulangerie, elles discutaient de ce sujet avec enthousiasme et convictions.
L’ambiance a changé quand, pour des raisons principalement politique, l’empereur de Rome, Constantin, veuille imposer un recentrage : il convoqua en 325 pour la première fois un rassemblement des responsables de chaque province en un concile dit œcuménique qui devait prendre une position sur la nature du Christ, position qui serait alors officielle et imposée à tout l’univers habité (l’oikouménê).

  • Du coup, le mot « hérétique » va changer d’appréciation : il signifie littéralement « celui qui choisit », et c’était originellement très positif. A partir du moment où une doctrine officielle est imposée comem étant une vérité sacrée, oser avoir une opinion personnelle place la personne hors-jeu, disqualifiée, déclarée anathème, hors de la chrétienté. Et un « hérétique » est une horrible personne qui a osé avoir une option théologique personnelle, se démarquant de ce qui est imposé.
  • Du coup, le beau mot « œcuménique » change aussi de sens : toute personne de l’oikoumèné reconnaissant Jésus comme Christ (sauveur universel) était considérée comme chrétienne, ensuite, c’est le concile créant de la doctrine officielle qui devient « œcuménique » au sens où la position officielle prétend s’imposer comme une vérité universelle.

Arius a fait les frais de ce premier concile dit « oecuménique ». Contre lui et contre ceux qui pensent comme est lancé l’anathème ! Parce qu’il disait que Dieu, le Père, a engendré le Fils au lieu de professer que le Père et le Fils sont incréés. Son soucis est d’insister sur le fait qu’il y a bien un seul Dieu et non deux. Je ne pense pas que ce soit une option théologique épouvantable. C’est un point de théologie extrêmement raffinés, sans doute, et il semble fou que l’on puisse se déchirer là dessus dans le christianisme, alors que ceux qui sont intéressés par ces finesses théologiques pourraient en discuter fraternellement, ce qui a bien de quoi occuper de longues soirées d’hiver, ou le temps de faire la queue pour acheter du bon pain.

Arius était assez apprécié dans son église, il était spirituel et théologien, faisant participer les fidèles à la liturgie du culte. Je ne pense pas que ses fidèles diraient que leur religion est l’arianisme, mais le christianisme, ils sont disciples du Christ, par d’Arius. Ou alors, l’arianisme est à mettre en parallèle avec le « nicéisme » des chrétiens choisissant de suivre la théologie nicéenne (celle définie par le Concile de Nicée de 325).

En tout cas, je pense que Arius était sincère, comme l’était Athanase d’Alexandrie notoirement aussi un bon théologien. Donc l’un et l’autre sont dans le « vrai » au sens de l’intérêt pour le Christ, un profonde sincérité, une intelligence nourrie par leur foi, leur travail et leur prière, une volonté de transmettre l’Evangile du Christ. Ensuite, en ce qui concerne ces hauts degrés de raffinement dans la théologie spéculative… les mots et les concepts humains de toute façon touchent à leur limite. Et deux propositions contradictoires peuvent tout à fait être exactes simultanément et toutes les deux fausses en partie. L’apôtre Paul est plus prudent et il parle de son expérience spirituelle comme une élévation où il a entendu « des paroles ineffables qu’il n’est pas possible à un homme d’exprimer. » (2 Corinthiens 12:4).

Je pense qu’il est bon de méditer, quand on fait de la théologie, sur le Psaume 131 « Éternel ! je n’ai ni un cœur qui s’enfle, ni des regards hautains ; je ne m’occupe pas de choses trop grandes et trop relevées pour moi. Loin de là, j’ai l’âme calme et tranquille, comme un enfant sevré qui est auprès de sa mère ; j’ai l’âme comme un enfant sevré… », dans cette attitude spirituelle, il est bien possible que l’on devienne plus humble, et que l’on accepte que des options différentes sont possibles, et que tous, nous nous en remettons à l’amour de Dieu qui se chargera de nous aider, chacun, à avancer vers une compréhension plus élevée, plus ample, plus généreuse.

Ce n’est pas sans importance car la théologie n’est pas seulement un sport cérébral distrayant. Notre théologie (ou notre absence de théologie) nous façonne, influe sur notre conception de ce qui est juste. C’est loin d’être neutre sur notre existence et sur ceux qui nous entourent. La preuve, la théologie nicéenne a conduit à déclarer Arius comme anathème, comme non validement chrétien. Je ne pense pas que Jésus lui-même aurait osé, ni qu’il aurait pensé une seconde avoir ce type d’attitude. Pourtant il n’avait pas sa langue dans sa poche, quand Pierre dit n’importe quoi, il lui dit « arrière de moi satan », mais ne lui fait pas la tête pour autant, et ne l’exclut ni de son groupe de disciple ni même du cercle des 12 apôtres. De même pour bien d’autres apôtres qui disent souvent un peu n’importe quoi.

Car l’Evangile c’est d’abord et avant tout que Dieu ne rejette pas le pécheur, mais prend soin de lui. Même Judas est accueilli, nourri par Jésus de sa propre main à la Cène, alors que Jésus savait très bien que Judas avait déjà décidé de le trahir. C’est précisément cela qui fonde notre confiance, notre foi en Dieu, et nous autorise à penser et à prier en liberté, dans la confiance que Dieu pardonne et nous aidera à nous améliorer. C’est cette confiance qui permet la sincérité, l’enthousiasme de chercher notre Dieu à tous, sur ce chemin qu’est le Christ.
Dieu vous bénit et vous accompagne.

par : Marc Pernot, pasteur à Genève

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6 Commentaires

  1. Stroh dit :

    Merci pour ce riche commentaire. Qui m’apprends beaucoup.
    Les premiers chretiens n’etaient ils pas des martyrs ? Quand l’eglise a bascule du cote des puissants Constantin ou clovis ou charlemagne n. ‘est ce pas alors que la denomination heretique est devenue pejorative ?

    1. Marc Pernot dit :

      Il y a eu quelques martyrs, c’est vrai. Heureusement les périodes de dures persécutions ont été assez restreintes. Il existait dans l’empire romain une relative liberté de religion. La plupart des chrétiens ont vécu leur foi dans des églises de maison. Et ces églises étaient assez libres aussi au point de vue de leur sensibilité.

  2. Le Mecreant dit :

    « Et un « hérétique » est une horrible personne qui a osé avoir une option théologique personnelle,  »

    Quelle horreur !!!! Quelle abomination !!!!!

    Mais ça me convient tout a fait 🙂 « il y a plusieurs demeures dans la maison du Père, et donc plusieurs chemins pour accéder à cette maison. »

    Joyeuse paques a tous

  3. Sophie dit :

    Bonjour, merci pour cet article ouvert d’esprit, comme tous les autres.

    En tous cas, je pense qu’on peut tous gagner à mieux connaître l’histoire du christianisme, en particulier les premiers siècles : c’est un sujet passionnant en lui-même, et cela peut aider à vivre plus librement sa foi en voyant la diversité des courants et opinions avant les grands conciles. Surtout quand on a grandi dans un milieu non protestant, j’imagine.

    Je me permets au passage de signaler (si on peut le faire ici, et si ça peut être utile à quelqu’un ?) une série documentaire actuellement sur arte.tv : l’origine du christianisme, en 10 épisodes faisant intervenir des universitaires et théologiens de différents pays et de différentes sensibilités.

    1. Marc Pernot dit :

      Grand grand merci !
      C’est vrai que quand on place l’apparition des doctrines dans le cours de l’histoire, cela permet à la fois de comprendre leurs valeur et de relativiser leur caractère absolu. Avec aussi une admiration pour l’effort de comprendre et de mettre des mots sur des réalités spirituelles, ce qui est un petit peu une gageure.

  4. robert chaumeil dit :

    Pourquoi d’abord y aurait-il une doctrine dite « officielle » en ce qui concerne la nature de Jésus ou de Christ? Ces Messieurs les évêques de l’époque décidaient entre eux qui devait croire telle ou telle « vérité ». Mais comment la décision était-elle prise: par vote? Comme si les choses de Dieu « marchaient » à la majorité absolue ou non. De plus, à l’époque, les laïcs délégués aptes à débattre n’existaient pas encore!.. Les « conciles » de ce qui était devenue la « Grande Eglise » ne sont pas reconnus par les protestants, même si la Réforme n’est arrivée qu’au 16ème siècle. Et voilà l’origine de ce qui fait le « vrai chrétien » Cette Grande Eglise, est celle qui a été la source du protestantisme, qui lui, n’est pas allé assez loin dans la Réforme.

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