03 avril 2024

Une prison abandonnée, vide et en ruine - Photo de Lance Anderson sur https://unsplash.com/fr/photos/un-long-couloir-avec-de-nombreuses-portes-UDT5em_-lUk
Question

Je trouve très libérante la notion de salut universel, quand et avec qui est-elle apparue, se distinguant d’un salut élitiste ?

Question posée :

Bonjour Marc,

Je me permets de vous solliciter car j’aimerais beaucoup recevoir quelques éclairages et peut-être références théologiques de votre part. Il est une idée qui me plaît beaucoup dans la forme de protestantisme que vous défendez, c’est celle de la « grâce pour tous ». Celle de la grâce comme don inconditionnel de Dieu, offert à chacun·e, tel qu’il ou elle est, et quelles que soient ses performances individuelles — idée contre-culturelle s’il en est dans nos vies tissées de compétition, quel que soit le domaine (les études, la vie professionnelle, et même nos relations amicales et amoureuses). C’est une idée que je trouve incroyablement libératrice, et vous voir la répéter — la marteler, presque — à de nombreuses personnes qui vous écrivent l’a profondément marquée dans mon esprit.

Mais, à ce propos, j’aurais plusieurs questions :

1. Une question historique : à quelle époque, par quel auteur, ou quel courant, s’est faite la bascule vers cette conception universaliste de la grâce, par opposition à une conception élitiste qu’était celle des premiers réformateurs (en particulier Calvin) ? Je découvre en faisant quelques recherches rapides le débat entre arminiens et calvinistes au XVIIe siècle : s’agit-il là de la source de cette conception ? Ou bien en a-t-elle d’autres, y compris plus récentes ?

2. Jusqu’à quel point cette conception universaliste est-elle partagée au sein du protestantisme contemporain de manière générale, et de l’Église protestante unie de France en particulier ? Elle me semble plutôt répandue chez les protestants que je côtoie, mais peut-être suis-je dans une « bulle » peu représentative ?

Un grand merci d’avance pour vos éclairages et, encore et toujours, un merci encore plus grand pour le travail que vous accomplissez avec ce site !

Réponse d’un pasteur :

Bonsoir

La question du salut universel, ou non, est vielle comme le temps. Et elle traverse la Bible entière. Dès la création quand Dieu bénit l’humain qui est créé à l’image de Dieu mais sans la ressemblance à Dieu, dès l’alliance avec Noé et les animaux, Dieu assumant le fait que l’humain est toujours tourné vers la violence. Dès les Psaumes. Par exemple tous ces psaumes de confiance comme le 23 ou le Psaume 121 qui fait témoigner le psalmiste au lecteur, sans connaître sa foi ou sa vie, que l’Eternel garde sa vie dès maintenant et pour toujours. Et je vois dans l’Evangile du Christ des passages comme l’amour des ennemis qui affirme que Dieu fait du bien à ceux qui le haïssent, qu’il les bénit comme un Père son enfant, ou comme un berger pour la plus perdue des brebis perdues : Jésus n’envisage même pas que le berger ne la retrouverait pas, et même si cette brebis était incapable de quoi que ce soit : le berger la porte… Il y aurait enfin cette promesse de Jésus selon Jean :  » Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes  » (Jean, 12:32)

Il y a certes bien d’autres passages qui peuvent sembler menaçants dans la Bible, parlant d’enfer et de peines éternelles…  mais à la lumière de ce qu’incarne le Christ, on peut les lire comme un bon soin visant à éliminer en nous l’homme méchant, ce qui est étranger à Dieu, ce qui est malade ou prisonnier du péché… Personnellement, je refuse de considérer ces menace de nous envoyer en enfer comme étant une pédagogie de la peur, comme quand des parents disent à leur enfant « si tu n’es pas sage on t’abandonne sur le bord de la route« . C’est épouvantable, c’est traumatisant.

Dès les premiers siècles, la question du salut universel est adoptée par des théologiens :

  • L’immense Origène (IIe-IIIe s.) va enseigner l’apocatastase (relèvement universel) et va être critiqué pour cela, heureusement pour lui, la fâcheuse habitude de faire la police de la pensée n’était à son époque encore que locale, à la merci de l’évêque du coin, et Origène a pu ainsi continuer son œuvre. Les furieux censeurs de l’église ne critiqueront son œuvre que trois siècles plus tard. Mais il est vrai que sa vision du salut universel était fortement teintée de pensée grecque avec le cycle du retour à l’âge d’or des origines.
  • Le Père de l’église Grégoire de Nysse (IVe siècle) a lui aussi une pensée de l’apocatastase mais il était tellement respecté par la hiérarchie de l’église qu’elle ne s’attardera pas sur sa pensée sur l’apocatastase pour le chicaner là dessus, ni de son temps ni même après. En effet, Grégoire a été le pilier essentiel du concile de Constantinople contre Arius. Il est vrai que son idée du salut universel est plus centrée sur l’action efficace opérée par le Christ. Alors que la pensée d’Origène sur le salut universel était largement teinté de pensée néo-platonicienne : le meilleur de l’humain n’est pas un Adam créé parfait à l’origine, ayant été abîmé par le péché et restauré à cette perfection originelle par le Christ. Pour Grégoire, dans la suite de Paul : l’humain à l’image de Dieu n’est pas le premier Adam, qui est simplement vivant, c’est l’action du Christ qui apporte une étape décisive pour faire de l’humain la créature idéale espérée par Dieu de toute éternité. Christ n’est alors pas seulement vu comme un pompier venant sauver les blessés dans un accident de parcours (le péché), Christ est alors véritablement créateur de l’humain nouveau, l’humain enfin à l’image de Dieu. Comme le dit Paul : « Le premier homme, Adam, devint une âme vivante. Le dernier Adam est devenu un Esprit vivifiant. » (1 Corinthiens 15:45).

Il est vrai que le calvinisme s’est illustré par la pensée de la la double prédestination, avec certaines personnes choisies par Dieu pour être sauvées, et d’autres personnes choisies par Dieu pour être perdues. Cette doctrine est particulièrement inquiétante et morbide. Calvin la tient de Saint Augustin. Mais quand on regarde ce que disait Calvin de la prédestination : il considérait que c’était une doctrine joyeuse et libérante qui nous permettait d’être tranquille sur l’au-delà puisque nous n’y pouvons rien, et que nous sommes ainsi libérés pour chercher à vivre une belle vie présente : bonne pour elle-même, et non sous la pression mercantile de « faire son salut ». C’est vrai, reconnaît Calvin que cette théorie de la prédestination des personnes sauvées laisse supposer qu’il y aurait des personnes sélectionnées d’avance par Dieu pour être damnées, mais que lui, Calvin, personnellement, n’en avait jamais rencontrée aucune. On n’est pas loin du salut universel sauf que Calvin n’est pas allé jusque là.

Cette question du salut universel est restée délicate, car férocement poursuivie par les courants réactionnaires de chaque église chrétienne. Mais au XIXe et XXe siècle, la pensée s’est libérée, et des théologiens ayant pignon sur rue ont soutenu que l’enfer était vide (selon l’expression attribuée (à tort semble-t-il) à Urs von Balthasar) ou tout au moins qu’il étaient en droit de l’espérer. Même pour des théologiens du protestantisme comme Karl Barth (pas très libéral) et Emil Brunner (assez classique), Paul Tillich (qui pense que le salut universel est pour tout ce qui existe). Mais encore Romano Guardini, Jean Daniélou, Henri de Lubac, Edith Stein. Je pense que cette façon de voir est largement représentée parmi les chrétiens progressistes. Bien des chrétiens aussi ne se posent pas la question du salut futur, et c’est très bien ainsi, je pense. La véritable question pour nous étant d’aimer Dieu et notre prochain comme nous-même : c’est vivre la vie présente d’une belle façon. La recherche de son propre petit salut éternel est en fait un égoïsme qui ne nous élèverait pas tellement. Même si c’est pour penser au salut d’une personne que l’on aime, c’est encore très personnel. Je pense donc personnellement qu’il n’y a en vérité de salut qu’universel. Mais bien entendu, il y a une part de chaque personne qui est à sauver et une part de chaque personne qui est à purifier et à guérir. Même en dehors de toute faute, il y a les blessures anciennes qui font souffrir, qui aliènent la personne : cela est soigné comme on opère une tumeur. Le salut universel est un salut de chaque personne comme membre d’un corps, mais pas le salut de tout dans chaque personne. La mort est vaincue par l’amour, manifesté en Christ.

Mais que chacun vive sa foi à sa façon, et ce sera le mieux.

Dieu vous bénit et vous accompagne.

par : pasteur Marc Pernot

Réponse du visiteur :

Merci infiniment pour ces éclairages passionnants.

Je retiens votre commentaire : « Bien des chrétiens aussi ne se posent pas la question du salut futur, et c’est très bien ainsi, je pense. » C’est aussi mon cas. Si cette idée de grâce ou de salut universel m’intéresse et m’interpelle, ce n’est pas tant pour ce qu’elle nous promettrait dans une éventuelle vie future que pour ce qu’elle nous propose dans cette vie-ci, dans notre relation aux autres et au monde. L’égale valeur et la dignité radicale de chacun·e. L’exigence à agir non pas pour se sauver mais parce que nous sommes déjà sauvés (l’idée de grâce qui coûte ou qui oblige de Bonhoeffer marque beaucoup mon univers mental également !).

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2 Commentaires

  1. Charles dit :

    J’ai toujours pensé que, si salut il y a, il ne peut être que cosmique. Si, en Jésus, Dieu se donne à connaître comme Celui qui accueille les « plus petits » il est difficile de le penser comme ne voulant sauver que l’humain, sinon, il serait une divinité « espéciste ».
    C’est grâce à la Process Theology de Whitehead et des théologiens qui se sont inspirés de lui que j’ai pu ouvrir une brèche dans mon athéisme et demander à entrer au séminaire. Mes maîtres à penser, dont feu Adolphe Gesché, m’on toujours encouragé dans cette voie.

    1. Claude dit :

      Ouvrir, dites-vous, la brèche de son athéisme
      Pour laisser grand, entrer, le fruit de l’optimisme,
      C’est bien là le défi. Il nous faut tous œuvrer,
      A chaque instant des jours, en chaque mot prononcé,
      A rechercher le vrai, celui qui ne déçoit.
      Est-ce que c’est ça, l’amour, et, en Dieu, la pure foi?

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