Pieter Aertsen - Christ dans la maison de Marthe et Marie -1553 (Museum Boijmans) photo wikicommons
Question

Questions de théologie : le Christ, le prophète, le fils et l’Islam ?

Par : pasteur Marc Pernot

Pieter Aertsen - Christ dans la maison de Marthe et Marie -1553 (Museum Boijmans) photo wikicommons

Question posée :

Bonjour Marc,

J’espère que vous allez bien. J’ai quelques questions de théologie :

Je voulais savoir quelle était la différence entre le statut ou le terme de messie/christ et de prophète. Y a t il une différence entre prophète et messager? Si Jésus est considéré comme un prophète au même titre que les autres, et même d’ailleurs de christ (puisque vous disiez que Saul ou David avaient aussi reçu l’onction d’huile), pourquoi est-il particulier et au cœur de notre foi? (J’ai une réponse personnelle mais qui ne s’appuie que sur mon ressenti, sur ce que provoque en moi la vie et le message de Jésus mais en dehors de ça je n’ai pas de justification autre).

Pourriez-vous aussi définir la notion de « fils ». Je l’entends personnellement comme fils spirituel, ce qui nous permet d’être tous des enfants de Dieu en quelque sorte… mais je me trompe peut-être. Je sais que cela dérange beaucoup de personnes d’autres religions, et je me sens un peu décontenancée lorsque cette idée père/fils choque l’autre alors qu’elle me touche et me conforte.

Une autre question, qui vient de mon questionnement vis à vis de l’islam. Je me demande ce qui nous empêche de reconnaître le prophète de l’Islam, le fait qu’il ait lui aussi reçu un message divin. Cela ne nous oblige pas à être touché par la façon de pratiquer la religion (cela ne nous force pas à ne plus parler que cette langue pour reprendre votre image).
Je comprends qu’il soit difficile pour un musulman de se sentir « nié », et donc dans mon couple j’accepte la révélation de Mohammed (qui reprend énormément de choses des traditions juives et chrétiennes) mais je continue d’être chrétienne car c’est le message et la vie de Jésus qui me touchent et qui, j’espère, me font grandir. Je ne suis pas particulièrement touchée par le Coran et je préfère mettre mon effort quotidien dans autre chose que dans le suivi scrupuleux d’une règle ou de règles (prières à heures fixes , interdits alimentaires etc.)

Je me demande en fait exactement qui est Jésus
Je sais que c’est une question très vaste mais si vous aviez des pistes à me donner, ou des conseils de lecture à ce sujet…
Je me rends compte que je balance entre Jésus=Dieu en lisant le début de l’évangile de Jean par exemple et Jésus= prophète, messager de Dieu parfois aussi. Ou parfois Jésus= Parole de Dieu, incarnation de la Parole, mais alors qu’elle est la part d’humain et quelle est la part de divin en lui…
Je suis un peu perdue…

J’ai essayé d’être le plus clair possible, tout du moins autant que mes doutes et questionnements me le permettent.
J’ai déjà pu comprendre beaucoup grâce au blog (notamment sur ces questions en particulier) et je vous en remercie!

A bientôt,

Sophie

Réponse d’un pasteur :

Bonjour Sophie

Et bravo de vous poser des questions.

Quelle est la différence entre le statut ou le terme de messie/christ et de prophète.

J’ai mis en ligne une prédication (message biblique dit au cours du culte) à propos de cette notion de « christ ». Si vous aviez le temps, peut-être que cela répondra à cette question assez importante en théologie chrétienne, mais aussi dans la conception de l’humain. Il y a ainsi une différence radicale entre LE Christ et un prophète, dans la théologie biblique. Le Christ annoncé par les écritures fait de toute personne un ou une prophète, par l’Esprit. C’est ce que confirme les discours sur l’Esprit (appelé aussi consolateur, ou paraclet, en grec paracletos) de Jean 14 à 21. C’est aussi ce que confirme les Actes des apôtres avec la Pentecôte, et d’autres textes du nouveau testament disant que l’Esprit nous a été donné, que nous sommes le temple de l’Esprit. Cela revient à dire que nos sommes chacune et chacun prophète en notre genre, dans notre environnement.

Y a t il une différence entre prophète et messager?

Je pense qu’un prophète est un messager. Mais Dieu peut adresser un message de bien des façons à l’être humain. Et donc il peut y avoir différents messagers. Le mot « messager » est parfois traduit dans la Bible par « ange » pour décalquer le mot grec « angelos », cela ne veut pas dire qu’il existe des sortes de bêtes à plumes surnaturelles, « angelos » ou « maleach » ne désignant pas une nature mais une fonction, celle d’être porteur de quelque chose qui vient de Dieu. Comme porteur de l’Esprit nous avons la vocation d’être un ou une ange pour une ou des personnes qui nous sont confiées.

Jésus n’est donc pas, pour les chrétiens, un prophète au même titre que les autres. Jésus est certes également un prophète, mais il est surtout celui qui ouvre l’humanité au prophétisme, alors que c’était auparavant réservé à des champions. Il est ainsi l’origine d’une ère nouvelle, d’un nouveau type de rapport de la personne humaine avec Dieu et avec les autres.

Mais Jésus est également spécial car il révèle ce que c’est qu’un être humain accompli, selon l’espérance de Dieu, une personne libre et responsable, une personne en communion avec Dieu et au service de son prochain, une personne qui aime sans condition, incarnant la miséricorde de Dieu même pour le pécheur. Cette seconde fonction fait de lui le but ultime de notre évolution. Alors que la première fonction fait de lui une origine, il est ici la finalité. On dit ainsi, en théologie chrétienne qu’il est l’alpha et l’oméga (première et dernière lettre de l’alphabet grec), nous dirions que le Christ est pour nous le A et le Z.

Pourriez-vous aussi définir la notion de « fils »

Bien entendu, pour parler de Dieu, tout mot est impropre puisqu’il est seul de son espèce.Nous ne pouvons parler de lui que par des images et elles ont toutes leurs limites. C’est utile de se le rappeler quand on fait de la théologie, pour ne pas trop sacraliser, pas trop absolutiser nos affirmations théologiques.

  1. Nous pensons que Dieu est à l’origine de la vie, et en particulier de notre vie. En ce monde, ce sont le père et la mère qui donne vie. En ce sens, Dieu est déjà notre père et notre mère, et nous sommes ses fils et ses filles. Affirmer cela c’est déjà reconnaître que nous ne sommes pas propriétaire ni auteur de notre propre souffle de vie, mais qu’il vient d’ailleurs, de plus grand, de Dieu. Cela ne veut pas dire que nous sommes l’égal de Dieu, ou des demis-dieux au sens d’Hercule dans la mythologie grecque. Nous sommes fils et filles de Dieu mais nous sommes loin, loiiiiin d’avoir ses qualités et son infinité, sa transcendance.
  2. Nous sommes tous limités et imparfaits, pas finis, mais mais malgré cela, Dieu nous reconnaît comme son fils et sa fille. On dit dans la Bible qu’il nous adopte comme son enfant et c’est une belle image. Celle de ma miséricorde et de la grâce de Dieu qui fait que même quand nous sommes mauvais, Dieu nous considère et nous considérera toujours comme digne de vivre, digne qu’il reconnaisse en nous son enfant bien aimé !
  3. Le fils du patron, par exemple dans une entreprise de menuiserie charpente, n’a pas le même statut qu’un employé. Le fils n’est pas le père mais comme lui, il ne travaille pas pour un salaire, mais il se sent responsable de l’entreprise. Et c’est un peu comme cela que nous sommes en ce monde, selon la théologie chrétienne. Nous ne faisons pas le bien comme des employés, pour gagner des récompenses (des bénédictions, la vie future, ou pour mériter de vivre sans être viré comme si Dieu était un patron impitoyable), mais la responsabilité nous est donnée, comme au fils du patron, pour inventer, pour créer, pour travailler 70h par semaine s’il faut…nous ne serons pas plus fils pour autant, mais juste pour le bien. Nous ne sommes pas appelés à la soumission et à la crainte de Dieu, mais nous sommes sous la grâce et le bien que nous pouvons faire est aussi gratuitement.
  4. Enfin, par l’Esprit qui nous est donné, Dieu nous aide à évoluer en termes de vie, de mouvement et d’être. En termes de qualité. Et donc oui, l’ouverture à l’Esprit fait de nous chaque jour un peu plus réellement un fils ou une fille de Dieu, lui ressemblant un petit peu plus. Et dans la mesure où nous sommes un peu messager de son espérance, de sa Parole, de sa grâce, dan sla mesure où nous vivons en étant nous-mêmes un petit peu source de vie, de paix, de beauté, de bonté, de santé… nous sommes un peu à son image. Cela ne veut pas dire que nous serions des petits dieux, Dieu seul est dieu, mais nous pouvons ainsi, grâce à lui et par lui, avoir quelque chose de ses qualités. À notre mesure et à notre place.

C’est ainsi que nous disons que nous sommes fils ou fille de Dieu. Et que nous disons que Jésus est LE Fils, avec une majuscule, car il l’est d’une façon aboutie, lui. Et qu’il est ainsi le type de ce que veut dire être fils ou fille de Dieu. Et qu’en étant ainsi à l’image de Dieu, il nous permet de mieux connaître l’amour infini de Dieu pour nous.

Oui, personnellement, je préfère dire que Jésus est Fils de Dieu (comme il est dit parfois dans le Nouveau Testament), ou Fils de l’homme (comme Jésus se présente souvent lui-même, littéralement « fils d’Adam », c’est-à-dire un humain normal mais dans sa version aboutie), ou qu’il incarne la Parole de Dieu (comme le dit le prologue de l’évangile selon Jean). Mais je ne dirais pas que Jésus=Dieu.Cela me semble être une erreur et je comprends que quand certains chrétiens disent cela, ce soit très choquant pour les juifs et les musulmans.

Je me demande ce qui nous empêche de reconnaître le prophète de l’Islam, le fait qu’il ait lui aussi reçu un message divin.

Cela ne me choque pas de reconnaître en Mohamed un prophète puisque dans la théologie chrétienne, maintenant que le Christ a été donné en Jésus, toute personne est appelée à être prophète, recevant de Dieu son Esprit. Cela dit, chacun des prophètes que nous sommes est appelé à donner un message qui vient de Dieu pour des personnes qui lui sont confiées. On peut donc reconnaître Mohamed comme un vrai prophète sans pour autant se sentir particulièrement appelé à suivre la voie qu’il indique. Nous ne sommes pas tous et toutes de la même sensibilité, dans le même contexte. Et Dieu tient comte de ce qu’est chacun, chaque peuple, chaque époque. C’est donc à chacun de voir dans sa conscience et sa prière ce qu’il choisit de suivre. Et comme vous le dites, voir très simplement quel chemin est celui qui nous fait le mieux cheminer.

De toute façon, Dieu est la source. Et le propre d’une source est d’être au-delà de tout. Quand quelqu’un puisant de l’eau dans le bras d’une rivière dit « j’ai la source », il n’a pas complètement tort, car il a réellement puisé quelque chose qui vient de la source. Mais il se trompe s’il pensait alors détenir la source, car il prendrait alors pour Dieu le petit seau en plastic qui lui sert à puiser de l’eau dans le bras de la rivière. Et ça, ce n’est pas génial.

Merci pour votre belle et bonne démarche.

Amitiés

pasteur Marc Pernot, église protestante de Genève

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