un bébé dormant dans les bras de sa maman - Photo by Isaac Quesada on Unsplash
Développement

Dieu et le sentiment Océanique, l’expérience de la cessation de l’individu, de retour à l’unité de la vie ?

Par : pasteur Marc Pernot

un bébé dormant dans les bras de sa maman - Photo by Isaac Quesada on Unsplash

Bien tranquille, en paix.

Question posée :

Bonjour Marc.

Je m’adresse à vous au sujet d’une expérience dont j’ai été « témoin » et que j’ai découvert plus tard dans certains ouvrages : le sentiment Océanique, sentiment ou expérience rapportée par Romain Rolland qui est celle d’une sensation de cessation de l’individu, comme un retour à l’unité de la vie, la vie consciente d’elle même.
Cela ne dure que quelques instants et notre condition d’homme, toujours revient.
Romain Rolland a écrit à Freud sur ce sentiment et, pour Freud, il s’agirait plutôt d’une régression psychologique liée à l’enfance et du lien fusionnel avec la mère( pour faire simple et pas trop long).
En gros, soit un état de conscience supérieur, soit quelque chose dans le cerveau pour gérer une angoisse existentielle.
Les deux me paraissent possibles.

Dieu, dans cette expérience, du moins quand je  » reviens à moi », me paraît comme perdu, du moins comme si j’avais été avec Lui un instant, dans l’immensité du Tout et que j’avais dû le laisser.
Mais après cette expérience, la mémoire me rappelle ce que j’ai expérimenté, et donc je vis avec cette conscience ( ou croyance) du Tout auquel j’appartiens.
Difficile par contre de mener une vie normale hors de cette sensation d’éternité. Tout est plus fade.

Quelques questions :
– que pensez-vous de cela ?
– comment prier un Dieu plus qu’un autre quand on se sent relier à un grand Tout ?
– comment vivre normalement, avec joie et motivation, avec cette fadeur ressentie?

Je vous remercie Monsieur de m’avoir lu.
Je vous souhaite une bonne journée.

Réponse d’un pasteur :

Bonsoir

Merci pour ce magnifique questionnement.

Vous allez dire que j’abuse, que je suis gourmand, mais il me semble qu’il faut garder les deux : et la conscience de faire partie du tout, et le courage d’être soi, un individu personnel.

Il y a de la régression dans le refus de cette dimension individuelle, il me semble que Freud a raison. Il y a de la régression à vouloir retourner dans le vendre de notre mère, à refuser cette expulsion, cet isolement qu’est la naissance. Et cela se comprend, le ventre est si confortable, rassurant. Cela donne envie, au moins, de se blottir dans les bras de sa maman, de ne plus avoir à décider, de ne plus être responsable de rien ni de personne, de ne plus avoir à inventer et à créer. Il me semble que c’est une régression car en en restant là ou en retombant à ce stade, il n’y aurait jamais eu de partita de Bach, jamais eu de Sœur Emmanuelle partant à l’âge de la retraite dans une décharge d’Alexandrie s’occuper des enfants qui y vivent… Il y a comme une tentation de dépression dans ce désir de retourner dans le ventre de notre mère, en même temps, il me semble qu’il y a aussi de l’ubris à vouloir être ainsi le tout, à devenir la mère : dans un sens c’est le contraire de l’humilité, c’est une ambition folle, la tentation fondamentale d’être Dieu. Donc, oui, aussi bien dans notre origine que dans notre finalité, il y a ce désir de ne pas être, de ne plus être cet individu fragile et nu que nous sommes, un individu ayant la difficile vocation d’être responsable alors qu’il se sait ne pas comprendre grand chose à la complexité du monde. Cela demande donc vraiment du courage d’être. C’est vrai. Nous sommes toujours plus ou moins loin de la perfection , c’est vrai aussi. Pourtant, c’est magnifique. C’est tragique et magnifique. Paul Tillich a écrit un livre très marquant, pas si facile à lire néanmoins, « Le courage d’être », c’est bien de cela dont il est question. Cela demande du courage de partir à la découverte de ce que nous sommes en vérité, un effort de lucidité et de compréhension, de bienveillance, de pardon de soi par soi. Cela demande de la fierté d’être soi et de l’humilité car c’est impossible tout seul de relever ce défi. Cela demande du courage de se lever le matin pour faire quelque chose de cette journée qui s’ouvre alors qu’il serait si bon de ne rien faire du tout. En cédant à cette tentation, la vie peut passer sans qu’on la vive vraiment. Et c’est un désolant gâchis car de si belles choses auraient pu être vécues, et faites. De petites choses, souvent, mais la beauté et la bonté ne sont pas seulement dans les grandes choses mais tout autant dans les petites. C’est pourquoi, je pense, l’Évangile valorise tellement l’instant présent, chaque instant de notre courte existence sur terre, chaque instant de la vie de chaque individu, comme une merveille unique.

En même temps l’Évangile nous dit que nous sommes membre d’un corps, d’un tout. Il y a donc de la vérité à se sentir être ce corps, ce tout. Car nous le sommes. Mais nous le sommes comme un membre unique en son genre, certes, mais pas seulement. Car il y a de la compassion entre les membres, et il y a l’Esprit, ce souffle qui fait l’unité de ces membres. Et cela ne doit pas être négligé, cette dimension organique du tout, plutôt qu’océanique. Par réaction, peut-être, à des pensées orientales qui dévalorisent la valeur de l’individualité et de la vie en ce monde, des chrétiens ont peut-être un petit peu sur-valorisé, dans un sens, l’individu, son indépendance, sa liberté, ses droits, au point que cela tourne à l’individualisme, chaque individu se rêvant d’être un petit roi, un petit Louis XIV affirmant « l’état c’est moi », libre de n’en faire qu’à sa tête et n’ayant des rapports avec les autres que s’il l’emporte sur l’autre ou qu’il lui sert à quelque chose (de même avec le corps). Certes il y a dans l’Évangile une valorisation de l’individu mais pas comme cela, pas pour cela. C’est la valorisation de l’individu comme membre d’un corps, valorisation de l’individu et de belles relations de proche en proche et avec le tout.

L’idéal du corps avec des membres tous précieux n’a rien à voir avec le modèle océanique. Car dans la vision du corps, le tout ne s’oppose pas au chacun, bien au contraire, il y a la valorisation de chacun et des relations entre chacun ainsi qu’une harmonie d’ensemble par le souffle (l’Esprit rendant vivant). Donc oui pour la conscience du tout auquel nous appartenons. Mais pas au sens d’un tout océanique, si séduisant par son côté cocooning, mais comme une secte qui séduit pour mieux capturer et dépersonnaliser l’individu. Je trouve cette idée de tout océanique tout à fait effrayante, comme une digestion. Car dans une fusion, dans une dissolution de l’individualité, il n’y a plus d’amour mais une sorte d’égocentrisme global, une tyrannie du tout détruisant chaque individu, toute possibilité de créativité, tout possibilité même d’aimer. Bien sûr, tout cela est difficile et fatiguant : demandez à un artiste, chacune de ses créations est un accouchement, aimer est toujours délicat, risqué, blessant car on souffre des souffrances de l’autre en plus des siennes, sans compter les difficultés d’ajustement a l’autre et l’impossible compréhension absolue de l’autre… mais est-ce que ce ne sont pas précisément ces grandeurs-là qui sont les plus belles, les plus vivantes dans notre vie humaine ? Alors, personnellement, c’est décidé : demain matin, j’espère sortir de ma couette pour me lever, même si, me levant, je mettrai un pull car il fera un peu frisquet, et j’irai préparer du café pour ma femme et moi. Et une tartine pour prendre de l’énergie pour vivre cette journée, modestement, comme un acteur pensant, aimant et agissant. Un sujet de quelques verbes, grâce au souffle de vie.

Et pour cela, oui, fondamentalement, nous avons besoin de ce souffle de vie, de ce supplément de souffle de vie. Et c’est pourquoi, en amont, il eme semble essentiel d’voir une prise en compte de Dieu, en amont de l’individu que je suis et de ce corps que nous sommes ensemble, nous les humains (plus précisément : en espérance de devenir plus humains), le vivant et le non vivant. Dieu qui n’est pas ce corps, mais qui donne vie à ce corps en chacun de ses membres.

Dieu vous bénit et vous accompagne.

par : Marc Pernot, pasteur à Genève

Réponse du visiteur :

Marc.
Quelle réponse extraordinaire.
Vraiment, je n’ai rien d’autre à dire que merci.
Vous m’avez mis la vérité devant les yeux et j’ai bien l’impression que vous mettez fin à des années d’errance sans but avec ce texte.
Que dieu vous guide et me guide afin que j’assume mon individualité.
Avec responsabilité.

Réponse d’un pasteur :

Merci !
Vos encouragements me vont droit au cœur
Bonne route.
Et comme dit Dieu à Abraham, il vous dit : Va vers toi-même… je te bénirai, et tu seras une bénédiction pour de nombreuses personnes. (Genèse 12:1-2)

par : Marc Pernot, pasteur à Genève

Partagez cet article sur :
  • Icone de facebook
  • Icone de twitter
  • Icone d'email

Articles récents de la même catégorie

Articles récents avec des étiquettes similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *