31 octobre 2019

deux filles discutant - Photo by Andrea Tummons on Unsplash
Foi

Puis-je dire que c’est « pour moi » que le christianisme est la seule voie possible, non pas « pour tout le monde » ?

deux filles discutant - Photo by Andrea Tummons on Unsplash

Question posée :

Je sors d’une conversation avec une personne athée. Je lui citais au cours d’une conversation, sans vouloir m’arrêter dessus le titre du livre : « Le drame de l’humanisme athée » du cardinal Henri de Lubac. Le titre l’a choquée. Elle s’est dit « humaniste et athée » ; je lui ai dit que je savais que c’était possible effectivement, mais que pour moi, selon mon expérience personnelle, le christianisme et l’humanisme étaient fondamentalement liés. J’ai bien insisté sur ce « pour moi », mais je me suis débattue avec ce « pour moi », il me restait en travers de la gorge ; je peinais à dire que ce n’était pas quelque chose d’universel mais une expérience personnelle que ce Dieu d’amour, qui nous rend humanistes. La conversation s’est bien déroulée, il n’y a pas eu d’accroc et nous nous sommes quittées en très bons termes. Mais ce « pour moi » me gêne encore ; ma croyance en Dieu a une prétention à l’universel, je ne peux pas me satisfaire de ce relativisme.

Ai-je tort ? C’est la première fois que je me retrouve face à ce dilemme dans une conversation. Puis-je dire que c’est bien « pour moi » que le christianisme est la seule voie possible, non pas « pour tout le monde » ? Il me semble que ce serait mieux respecter l’autre d’accepter ce relativisme, mais il me semble aussi qu’il est de mon devoir de défendre mon Dieu ; et je suis tiraillée entre ces deux choses. Au fond de moi-même, je considère que les bons athées sont des chrétiens qui s’ignorent mais leur dire cela, ce n’est pas respecter leur altérité.

Qu’en pensez-vous ?

Réponse d’un pasteur :

Bonsoir

Je pense que vous avez tout à fait raison, que c’est exactement la bonne façon d’être que vous avez exprimée.

Par contre, je trouve un peu dur d’appeler cela du « relativisme » qui est souvent un qualificatif péjoratif utilisé par des personnes qualifiées elles-mêmes (ou craignant d’être qualifiées) péjorativement d’être intégristes. Or, votre attitude n’est pas du relativisme puisque pour vous-mêmes, vous avez de fermes convictions, tout n’est donc pas « relatif » dans vos choix de vie, de pensée, de cheminement, d’expérience. Vis à vis d’une autre personne, vous suspendez votre jugement au nom même de la sincérité, au nom-même de ce respect infini pour la personne que vous avez expérimentée et pensée dans la foi. Ce n’est pas du relativisme, c’est de la sagesse, de l’humilité, du respect, de la cohérence.

Ensuite, c’est vrai que le titre « Le drame de l’humanisme athée » pique un petit peu. Cela dit, il ne faut pas confondre « athéisme » et « agnosticisme », comme cela peut être le cas dans le langage courant où les deux termes sont souvent confondus. au sens propre, un « athée » est une personne qui lutte effectivement contre la foi et les croyances en une transcendance, contre la pensée d’un dieu ou de dieux, contre les religions et même contre la foi. Alors que l’agnosticisme est de reconnaître ne pas savoir, et donc par exemple de ne pas s’occuper de la question de dieu, ou de s’intéresser à la question mais sans arrêter son jugement. Je suppose (je ne l’ai pas lu) que Lubac vise effectivement les « athées » au sens technique du terme, d’un humanisme attaquant la foi, et il y avait à l’époque des attaques contre la foi d’une virulence que nous ne connaissons pas aujourd’hui, me semble-t-il. Il me semble même que l’expression « humanisme athée » est un oxymore car un humanisme me semble impliquer un respect pour la personne humaine, et donc aussi un respect pour les personnes qui vivent leur foi comme une dimension essentielle pour eux. Il serait possible par exemple de critiquer certaines pratiques religieuses si on les pensait nocives pour la personne ou pour la société, mais en attaquant l’existence même de la foi ou de la croyance dans du divin, ce n’est pas sur une façon de vivre la foi ou la religion qui est attaquée, c’est la personne elle-même, en tant que croyante, qui est attaquée. Ce qui me semble effectivement dramatique, au sens de respect de la personne humaine, mais encore en terme de conséquences très concrète sur l’avenir de la qualité de vie de la société humaine.

Je ne pense pas que l’on devrait penser le moindre mal d’un humanisme agnostique, c’est à dire d’un humanisme qui ne se fonde pas sur la foi comme motivation. Un humanisme agnostique devrait pouvoir par exemple prendre en compte que la foi est une dimension possible mais non obligatoire de la personne humaine. Ce que ne peut, ou ne veut pas, prendre en compte un « humanisme » athée. Qu’il faille respecter un humanisme agnostique on le voit par exemple quand Jésus encourage la « foi » d’un centurion romain venant en aide à un petit de ses nombreux serviteurs. Ce respect de l’humanisme sans condition de foi est également exprimé par Jean dans sa première lettre quand il dit que « L’amour est de Dieu, et quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu » (1 Jean 4:7). C’est exactement ce que vous dites, nous pensons qu’un bon agnostique bienveillant, bienfaisant, humaniste vit de ce quelque chose de divin que nous appelons dans notre patois « l’Esprit Saint » et qui fait que chaque personne a une créativité, une liberté, une personnalité unique. Reconnaître sans condition dans le personne que je rencontre un petit frère ou une petite sœur du Christ, c’est la base même de ce qu’est « aimer son prochain ».

Il y a ainsi deux façons de penser et de vivre le fait que Dieu est la source universelle.

  • La première est de reconnaître cette part divine (ou christique) dans toute personne,puisqu’elle est universelle. La manière dont elle choisit de travailler cette dimension, lui appartient.
  • La seconde est de dire que ma conception de Dieu, ma façon de lui rendre un culte est universelle, et donc qu’une personne qui ne suit pas cela se perd.

Cette seconde façon confond le moyen et le but, ou plutôt : sacralise le moyen au lieu de reconnaître le caractère sacré du but. A mon avis, c’est un petit peu dommage. Cela me semble hautement insupportable pour la personne qui subit cette pression, cette sorte de chantage.

Bravo pour votre foi vivante, ET pour votre juste façon de la vivre, avec cœur, humilité, sagesse, respect de la personne !

Dieu vous bénit et vous accompagne.

par : Marc Pernot, pasteur à Genève

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Un commentaire

  1. Emma dit :

    Merci beaucoup Marc pour cette réponse très éclairante et pleine d’humanisme ! 🙂

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