Mon questionnement porte sur l’évolution de l’homme et de sa conception de Dieu
Question posée :
Cher Marc,
Je ne sais pas si je peux me permettre cette familiarité car il est vrai que je ne vous connais pas personnellement. Mais la fréquentation régulière de votre site me donne une impression d’une certaine proximité. Cela est peut-être dû à votre engagement si personnel et si personnalisé qui donne à vos propos une vérité et une force particulières. En tous les cas, si vous trouviez cela déplacé, veuillez m’en excuser.
Votre ouverture, votre culture dans des domaines très variés, votre passion pour la théologie et la philosophie (du moins c’est mon impression) donnent l’envie de connaître votre point de vue sur bien des thèmes, un peu comme lorsqu’on lit un livre et qu’on aimerait bien pouvoir converser avec l’auteur. Les questions que je me pose sur Dieu ne ressemblent pour moi à aucune autre car elles concernent ce qu’il y a de plus profond en moi, ce n’est pas une simple curiosité intellectuelle mais une vraie soif. Elles sont aussi le signe d’une vraie évolution de ma pensée, certaines de mes interrogations, je les aurais qualifiées d’hérésie (avec son sens péjoratif) il n’y a pas si longtemps.
Ici mon questionnement porte sur l’évolution de l’homme et de sa conception de Dieu. Comme vous le dites par ailleurs, si l’homme est capable de Dieu c’est parce que Dieu le lui a donné en le créant. Cette capacité évolue-t-elle, non seulement chez un individu mais au cours de l’histoire ? Dans la Bible, à côté d’une certaine pluralité, on voit clairement une évolution des différentes conceptions de Dieu. Cette évolution vient-elle de Dieu lui-même comme une sorte de révélation progressive, ou de la réflexion et de l’expérience, ou de l’évolution des connaissances ? Les auteurs du Nouveau Testament ainsi que Jésus sont-ils, dans leur réflexion et dans leur perception, en grande partie tributaires des pensées ambiantes, des connaissances du moment, du contexte dans lequel ils vivent, … ? Depuis 2 000 ans a-t-on continué à mieux « cerner » Dieu ou bien tout a été définitivement révélé en Jésus (mais dans ce cas on aurait pu limiter le Nouveau Testament aux évangiles) ? Toute la réflexion théologique, philosophique, éthique, et autre, ainsi que les connaissances scientifiques permettent-elles à l’homme (pour peu qu’il accepte le principe d’une foi non figée) d’avancer vers une meilleure perception de Dieu, de la façon dont il agit dans le monde, dont il entre en relation ? Je ne pense pas que la Bible soit une sorte d’entité définie par Dieu. Si les auteurs des différents livres de la Bible étaient en quelque sorte inspirés, il m’est difficile d’imaginer que plus personne ne l’a été de la même manière depuis. Je suis peut-être un peu optimiste, mais j’ai l’impression que croire et espérer en Dieu, créateur, c’est aussi croire et espérer en l’homme, croire que l’homme (au sens collectif) peut réellement s’approcher de Dieu, mieux le connaître, sans que ce soit uniquement de vaines spéculations, qu’il en est plus proche que lorsqu’il réalisait des peintures sur les murs d’une grotte.
Je vous souhaite une excellente journée.
Amicalement,
Réponse d’un pasteur :
Bonsoir
Vous avez raison dans votre appel par le prénom, bien sûr, et c’est même un honneur car cela montre une confiance, une proximité. On parle trop souvent de contact « virtuel » par internet, c’est peut-être le cas quand c’est un algorithme qui répond mais en l’occurrence il s’agit d’une vraie personne qui pose une question ou post eun commentaire, une personne qui y met son cœur, son intelligence, sa foi, son espérance, sa douleur, ses tripes. Cela n’a rien de « virtuel ». Juste le média qui est numérique alors que quand on est en présence le média est analogique, par la vue et l’ouïe, ce qui est plus effectivement plus riche mais qui présente un certain nombre de difficultés également.
Donc merci pour ce contact si chaleureux, si encourageant.
Je trouve formidable également votre façon de parler de curiosité intellectuelle et aussi, et en plus d’une vraie soif.
D’accord pour abandonner le sens péjoratif du mot « hérésie » aux personnes qui sacralisent leur propre doctrine. Ce fonctionnement peut convenir à certaines personnes, qui s’assemblent en un club de personnes qui s’accordent sur un ensemble de dogmes, ce qui est bien leur droit (tant qu’elles ne persécutent pas les personnes qui pensent ou prient autrement, si possible).
Je pense qu’il y a effectivement une sorte de révolution copernicienne quand on se met à distinguer Dieu lui-même de notre pensée sur Dieu, quand on distingue l’action de Dieu pour nous et les rites religieux. Cette différence est du même ordre qu’entre un territoire et une carte thématique de ce territoire (je suis également cartographe), ou même qu’un carnet de voyage dans ce territoire. Quand on accepte, quand on ose distinguer les deux, il est alors possible d’évoluer dans notre conception de Dieu grâce à nos recherches par la pensée et par la prière. Je pense que c’est extrêmement fécond personnellement. Et c’est bien compréhensible, car il en est de même dans un couple, ou avec un ami, ou en famille, ou dan son métier : tout cela doit être vivant, évoluer sans se renier, mais affiner, approfondir, prendre de l’épaisseur dans un dialogue et des expériences et de nouvelles dimensions. Le simple fait même qu’il y aurait des dogmes intouchables est à mon avis une sorte de poison, comme la peur de marcher sur une mince couche de glace. Cette peur même du sacré tabou trouble la sincérité de notre vie de foi. Or, je pense que c’est comme en amitié, la sincérité est la qualité essentielle de la recherche de Dieu.
Notre conception de Dieu doit pouvoir évoluer avec nous au cours de notre vie, et nous évoluons à l’image de notre conception de Dieu.
Je ne pense pas que Dieu distille les informations sur lui comme un feuilleton dans un magazine. J’ai plutôt l’impression qu’il accompagne, il se projette dans le monde, avec des réalités plus ou moins réceptives. L’humain est réceptif, plus ou moins selon l’histoire et la sensibilité de chacune ou chacun, selon le moment de l’histoire des peuples. Le moyen orient est à un carrefour, entre la Mésopotamie et l’invention de l’écriture, l’Egypte, puis le monde grec.Avec des invasions successives, des influences et des croisements. Il semble qu’il y ait eu là une réceptivité particulièrement riche. Enrichie encore dans le dialogue et la tension féconde avec l’approche plus abstraite des philosophies grecques. Vous avez raison, la réflexion s’est poursuivie avec 2000 ans de débats autour de la Bible. Cela permet de penser Dieu (et la vie en ce monde) et de vivre l’expérience de Dieu (et de la vie en ce monde) de génération en génération. Cela peut être effectivement dans le sens d’un approfondissement et d’un raffinement, mais ce n’est pas certain. Chaque génération doit refaire toute l’évolution, physiquement mais aussi intellectuellement. Dans ce domaine, cela demande effectivement de monter sur les épaules de ceux qui nous ont précédés, c’est une démarche de respect (par l’étude), mais aussi de liberté par rapport à ces sources, une liberté bienveillante et critique. c’est ce qui est proposé dans le récit fondateur d’Abraham dans la Genèse (chapitre 12), quand Dieu lui dit « Va-t-en de ton pays, de ta patrie, et de la maison de ton père ». « Partir de » c’est effectivement prendre en compte et dépasser. Et ce « Va-t-en » est bien connu pour être littéralement « Va vers toi-même », « Va pour toi-même ». Et cela n’est pas possible si l’on sacralise les dogmes que l’on a reçus, au contraire, il est bon de les entendre avec reconnaissance, de vivre notre propre expérience spirituelle, de réfléchir, débattre de cela, croiser, mâcher, remâcher tout cela, de l’assimiler pour devenir ce que nous serons, penser ce que nous penserons.
Donc oui, je pense que Dieu participe à cette évolution… même si elle connaît ses hauts et ses bas, ses flux et reflux, ses errements et ses temps de progrès qualitatifs spectaculaires.
Spirituellement, comme vous le dites, je ne suis pas certain que l’humain soit plus développé qu’aux temps préhistoriques. Dans un sens oui car en affinant la pensée, en dépouillant la relation à Dieu de la pensée magique et de la superstition, je pense que nosu « ciblons » mieux ce que Dieu est et souffle. Seulement, dans un autre sens, la coupure avec la nature a privé l’humain d’une dimension importante de son être au monde, peut-être. Il est possible que notre humanité connaisse en ce moment une sorte de crise d’adolescence pas très facile, mais dont elle a bien des chances de sortir par le haut. C’est en général le cas. D’accord avec l’optimisme !
Merci pour ce beau mail et ce contact si chaleureux.
par : Marc Pernot, pasteur à Genève
Réponse du visiteur :
Merci à vous aussi pour votre réponse chaleureuse, d’avoir su en quelque sorte lire entre les lignes, d’avoir compris ce que j’entendais par proximité.
À travers votre réponse j’ai réalisé, que contrairement à la connaissance scientifique qui est avant tout une connaissance collective, la connaissance de Dieu est presqu’exclusivement une connaissance personnelle qui est à réinventer pour chaque individu en fonction de tout ce qui le définit ; ce pas la même marche en avant qui bénéficie à chacun. Bien entendu, cela n’empêche pas, dans sa recherche, de s’enrichir des découvertes des autres, de ceux qui nous entourent, comme de ceux qui nous ont précédés. En tout cas, ma quête personnelle bénéficie de vos réflexions. MERCI !
Amitiés,
Réponse d’un pasteur :
Oui, je pense effectivement que l’expérience de Dieu est fondamentalement individuelle. Cependant, le déplacement cers une assemblée prépare à recevoir quelque chose d’imprévu, et c’est important.
Quant à la réflexion théologique, elle, est à la fois individuelle mais aussi collective : dans le débat entre l’individu et les pensées contenues dans la littérature, ainsi que celles de nos collègues en humanité contemporains.
Amitiés
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