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Bible : L’Écriture seule (Sola scriptura)

Par : pasteur Marc Pernot

L’Écriture seule (Sola scriptura)

Principe protestant affirmant que la Bible est la seule autorité, sans être soumise à une tradition ou à un pouvoir humain

D’un premier abord, cette expression est étrange, car ce qui rassemble les chrétiens, par dessus tout, c’est avant tout Jésus-Christ. Une personne.

L’attachement et même l’autorité reconnue par les protestants à la Bible n’est donc que second par rapport à ce principe fondamental du « Christ seul » (Solus Christus).

Cependant, comment connaître ce Christ si essentiel pour nous ? Les premières générations de chrétiens a sélectionné certains textes comme les plus intéressants et les plus fiables, et cela constitue le « Nouveau Testament ». C’est donc par ces écritures que nous travaillons à connaître Jésus-Christ, et je dirais, à le vivre, chacune et chacun trouvant dans la méditation de ces textes, dans l’interprétation savante et priante de ces textes, une inspiration pour sa vie. La Parole de Dieu a été faite chair en Christ, comme le dit Jean au début de son évangile, il ne dit pas que la Parole de Dieu a été faite « livre ». Pour passer du livre au Christ, ce n’est pas immédiat, il faut un travail de l’Esprit Saint qui seul permet de faire que ces textes deviennent Parole vivante de Dieu pour son lecteur.

Je pense qu’un théologien catholique, ou orthodoxe dirait la même chose.

La différence réside plus, je pense, sur la question de savoir ce qui fait autorité dans un débat théologique. Quels arguments peuvent être, ou doivent être apportés pour soutenir que telle opinion est vraie et telle autre discutable ? Quand on dit « l’Ecriture seule », cela sous entend que c’est dans la Bible qu’il convient de chercher une inspiration pour notre recherche, et que ni l’église, ni une tradition autre que ce qui est contenu dans la Bible ne peut être imposée aux fidèles. Cette question a été à l’origine de l’exclusion de Martin Luther par le pape de son époque. Luther avait eu l’audace de remettre en cause publiquement le très lucratif commerce de l’église de Rome, prétendant vendre des années de paradis en plus pour ceux qui pouvaient donner de l’or. Le pape de l’époque avait trouvé cela inacceptable et avait excommunié Martin.

La question est donc de savoir ce qui fait autorité dans les débats théologiques ou éthiques ? Pour nous qui sommes disciples du Christ, nous sommes tous d’accord que si nous avions Jésus assis sur un tabouret dans la chambre haute à Jérusalem, nous pourrions lui demander ce qu’il pense de telle ou telle question débattue. Mais en l’absence de Jésus pour répondre directement, qu’avons nous ?

  • Les évangiles, et les autres textes du Nouveau Testament nous donnent des témoignages sur Jésus, ces textes ont été sélectionnés par les premières générations de chrétiens comme les plus fiables te les plus intéressants. Pour la plupart, ces textes faisaient consensus dans les églises et les courants divers qui existaient à l’époque. La Bible hébraïque reprise par Jésus lui-même comme étant une référence la devient donc pour nous, d’une certaine façon, avec une approche particulière donnée par la personne et les paroles de Jésus.
  • L’Esprit Saint, le souffle prophétique, prend la suite de Jésus après sa disparition. Cela aussi fait l’unanimité parmi les chrétiens.

Il y a donc deux « autorités », ou plutôt deux médias qui nous donnent accès au « Christ seul ». Je pense qu’à peu près tous les chrétiens sont bien d’accord là dessus. Mais pour ce qui est de l’application pratique c’est un peu plus délicat, en vérité. Chacune de ces deux réalités pose des difficultés si on désire lui donner le statut d’autorité irréfutable, infaillible.

En ce qui concerne le Saint-Esprit comme « autorité » ?

  • L’Esprit Saint ne laisse pas de signature authentifiée garantissant que c’est bien lui qui a inspiré la réponse que l’on prétend détenir de lui. Donc, en cas de désaccord théologique, prétendre que l’on tient sa réponse de Dieu directement n’apporte pas grand chose. Même si la personen qui le dit en est absolument persuadée elle-même, le fait qu’elle affirme que ce qu’elle dit vient de Dieu n’est pas bon signe sur sa santé mentale et spirituelle, car nous savons tous qu’au fond de nous, de chacun de nous, bien des voix s’expriment et ont toutes tendances à se faire passer pour la voix de Dieu s’exprimant en nous, y compris les voix les moins reluisantes.
  • Comment décider, donc, si telle ou telle affirmation vient ou non du Saint Esprit ? Dans les premiers siècles de l’église, comme dans le judaïsme du temps de Jésus, l’opinion était de dire qu’après tout Dieu seul le sait, et cela encourageait à accepter des réponses diverses et même contradictoires du moment qu’elles sont solidement argumentées. C’est ce que l’on voit dans le Talmud juif, et dans les premiers siècles du christianisme. Mais dès lors que l’on désire s’accorder sur une unique réponse à une question jugée essentielle, il faut néanmoins trancher cette question. A vrai dire je me demande si, précisément ce n’est pas une folie d’orgueil digne d’Adam et Eve croquant la pomme que de prétendre être capable de dire si oui ou non c’est le Saint Esprit qui s’est exprimé à tel ou tel moment.
  • C’est alors que l’on a commencé à affirmer que dès lors qu’il y avait une majorité de personnes d’un même avis c’est que le Saint Esprit les avait éclairé. Qu’il est possible que certains individus résistent à la volonté de Dieu, mais que Dieu ne permettrait pas qu’une majorité de personnes se trompent dans leur jugement sur une question importante lors d’un synode ou un concile. C’est ce que l’on appelle dans la tradition de l’église romaine « le sensus fidei » (une sorte de sixième sens de la communauté des fidèles, qui serait infaillible). Peut-être, mais à vrai dire il arrive bien des situation où la majorité est totalement dans l’erreur et où la vérité n’est portée que par un unique prophète, dans le meilleur des cas. Il n’y a qu’à voir comment Jésus a été condamné.
  • Cette conception du « census fidei » n’est pas totalement étrangère aux églises protestantes, particulièrement les églises « presbytériennes », où les décisions ne sont jamais (en théorie) prises par une personne seule mais par un collège de délégués élus, qui décident après avoir débattu et voté. On n’est pas loin du « sensus fidei », à cette différence essentielle près que ce système de délégations et de votations dans le protestantisme ne prétend absolument pas être infaillible, et la décision peut bien entendu être révisée par la suite. C’est simplement la moins mauvaise des façons de s’accorder quand une décision doit être prise, et au moins cela invite à débattre, à argumenter. Et rien que cela signifie que personne ne détient à lui seul la vérité, ni ne peut prétendre à lui tout seul de détenir le Saint-Esprit plus que d’autres.
  • Parfois le « sensus fidei » est considéré dans l’église catholique comme apparaissant quand il y a une tradition ancienne et constante remontant à des théologiens réputés. Quand c’est le cas, cela a certes un poids dans le protestantisme : les théologiens protestants ne manquent pas de citer tel ou tel auteur dans leurs recherches, mais ils n’iront pas jusqu’à dire que nous avons là une preuve que l’Esprit Saint se serait exprimé en ces termes de façon irréfutable. Ce sont seulement des éléments apportés dans une recherche. C’est en ce sens que le protestantisme ne considère pas non plus la tradition comme faisant autorité. Ce n’est pas parce qu’une tradition est ancienne qu’elle serait nécessairement juste, et comme Dieu fait toutes choses nouvelles, même si une opinion est ancienne cela ne veut pas dire qu’elle devrait rester éternellement valable partout. L’Esprit continue à souffler.

A défaut de pouvoir dire avec certitude si telle opinion est inspirée ou non par le Saint Esprit. On peut se dire qu’au moins la Bible, elle, est un élément tangible que l’on tient en main, et qui est la même pour tous, au plus près possible de Jésus lui-même. C’est vrai. Et c’est une force qui donne de l’autorité à ces textes dans toutes les églises chrétiennes. Il y a quelques différences mineures dans la liste des livres composant la Bible selon les églises, mais tous les chrétiens sont d’accord sur la liste des 66 livres principaux, et de considérer quelques autres livres comme étant dans une liste complémentaire. Ces livres « en plus », ne sont souvent pas dans les éditions protestantes depuis le XIXe siècle, uniquement pour rendre l’édition courante de la Bible moins chère et moins épaisse.

La Bible est donc une référence commune pour tous les chrétiens. C’est d’ailleurs comme cela et pour cela qu’elle a été constituée. Et malgré la diversité des interprétations possibles, cela fait au moins une base de discussion entre tous. Et cette diversité des commentaires et débats à partir des écritures à travers les siècles et les continents est un trésor, un patrimoine de l’humanité.

Ensuite, c’est vrai que c’est délicat de dire qu’une interprétation particulière de la Bible fait autorité. En effet :

  • Quand on parle en français de « la Bible », c’est une expression un peu impropre car elle est un singulier, c’est en réalité un pluriel en grec (ta biblia) « les écritures », reflétant une certaine diversité d’approches, de conceptions du salut, et de théologies. Même si évidemment il y a une cohérence globale, elle est assez large. Sur une question donnée, tel théologien pourra appuyer ses dires en interprétant tel et tel versets. Tel autre théologien prendra tel et tel autres versets et les interprétant dans un sens différent. Lequel des deux a raison ? Le premier ? Le second ? Un peu les deux ? Leur choix de versets et leur interprétation n’est valable que si elle est inspirée par le saint-Esprit. On en revient à cela : qui pourra dire si telle interprétation est ou non inspirée.
  • La Bible en elle même ne peut pas servir de code absolu de réponses toutes faites. Trop de passages seraient impossibles ou horribles si on la lisait comme cela. Par exemple quand Jésus dit qu’il est la lumière du monde, ce n’est pas vrai au sens littéral (Jésus n’est pas un champ électromagnétique), c’est donc lu par tous les chrétiens au sens figuré, allégorique. Pourquoi alors ne pas lire tous les autres passages au sens allégorique ? Certaines églises laissent leurs fidèles la liberté de libre chaque passage de la Bible selon sa propre inspiration, c’est le cas dans notre église protestante. D’autres églises ont leur propre tradition qui guide leurs fidèles dans leur lecture, déterminant que tel passage peut être lu au sens allégorique mais que tel autre passage doit être lu au sens matériel, factuel (par exemple la conception miraculeuse de Jésus ou la marche sur l’eau). Dans une telle église c’est encore une tradition qui est considérée comme étant divinement inspirée.
  • Bien des passages de l’Ancien Testament sont difficile à garder dans une lecture au premier degré, par exemple quand il est indiqué de lapider un enfant qui est rebelle à ses parents ! Même dans les évangiles, quand Jésus dit de ne pas résister au méchant (il n’est pas question de laisser violenter ses propres enfants sous ses yeux), ou quand Jésus dit « toi, quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret » (Matthieu 6:6), cela n’empêche en général pas les chrétiens de prier parfois aussi en groupe, par exemple lors du culte. Donc tous les chrétiens interprétent la Bible, même les plus « fondamentalistes ». La « sola scriptura » n’est donc pas un carcan mais au contraire une base commune à partir de laquelle chaque lecteur va chercher à écouter ce que Dieu a à lui dire à lui, personnellement. C’est pourquoi la réforme s’est attaché à apprendre à lire même les personnes les plus simples afin de leur donner accès direct à ses textes.
  • La Bible n’est pas non plus la seule chose que l’on lit, bien sûr. La Bible est passionnante quand elle vient rencontrer les sciences, la psychanalyse, l’art, l’histoire, la philosophie.

Pour ce qui est de l’étude de la Bible, les approches catholiques, protestantes et orthodoxes sont tout à fait en communion. Nous avons les mêmes références, nous mettons en débat les mêmes exégètes de la Bible, les mêmes bibliothèques et revues scientifiques. Souvent on ne sait même pas si tel ou tel auteur est protestant ou catholique. Dans un foisonnement d’approches d’étude de la Bible, avec aussi les fouilles archéologiques, la recherche a ainsi bien avancé au cours des trois ou quatre derniers siècles. Nous avons appris à distinguer « Parole de Dieu » et « texte biblique », nous cherchons à tenir compte du contexte dans lequel chaque texte a été écrit puis parfois repris.

Et à travers les prédications, les groupes bibliques, conférences, articles, nous cherchons à donner à chaque fidèle les moyens de lire par lui-même ce trésor des Écritures, afin que cela nourrisse sa propre réflexion, sa propre prière, sa confiance en Dieu, son éthique, son cheminement de vie…

Suite :
Liste des 'mots qui piquent' en théologie et sciences bibliques

 

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