Le Christ rédempteur de Rio de Janeiro - photo robert nyman trouvée sur unsplash
Prédication

De la prière à la vocation puis à l’action (Matthieu 11:28-30), par Kevin Buton-Maquet

Le Christ rédempteur de Rio de Janeiro - photo robert nyman trouvée sur unsplash

Christ Rédempteur

Par Kevin Buton-Maquet

 

Mt 11, 28-30 « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi je vous donnerai le repos. Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes. Oui, mon joug est facile à porter et mon fardeau léger. »

 

« Mon joug est facile à porter et vous trouverez le repos de vos âmes ». N’est-ce pas là une déclaration d’une ironie macabre ? En effet, quelques années après avoir entendu ces paroles et s’être mis à son école, plusieurs disciples de Jésus seront morts assassinés. Et les premières communautés chrétiennes écoutant ces textes savent ce qu’il en coûte d’être fidèle : « On vous livrera aux tribunaux et aux synagogues, vous serez roués de coups, vous comparaîtrez devant des gouverneurs et des rois à cause de moi […] Le frère livrera son frère à la mort, et le père son enfant […] Vous serez haïs de tous à cause de mon nom » (Mc 13,9-13). Loin d’alléger notre fardeau, la suivance du Christ ne nous charge-t-elle pas plutôt d’une responsabilité écrasante ?

Quant à moi, il me semble que toutes les fois où nous croyons prendre sur nous le fardeau du Christ, alors c’est bien d’un poids insupportable que nous nous chargeons. Car la religion est insupportable lorsque nous croyons que c’est nous, fut-ce avec l’aide du Christ, qui devons faire toutes ces choses : être bons chrétiens, se sacrifier pour les autres, endurer les épreuves avec joie. C’est ce qui se produit lorsque nous comprenons ces versets comme la transmission du fardeau d’une épaule à une autre : Jésus nous donne son fardeau, qui est léger. Et nous pensions alors avoir fait une bonne affaire à ce « joyeux échange » du pesant pour le creux. Après tout, notre propre joug n’est-il pas bien lourd, appesanti comme il l’est par nos diverses responsabilités familiales, sociales et professionnelles, tandis que celui que nous recevons des mains du Christ ne nous demande rien, ou si peu, que la légèreté d’une profession de foi ? Toutes nos responsabilités antérieures échangées contre une seule et unique responsabilité religieuse, qui ne serait séduit ? Pourtant, en signant ce pacte nous n’aurions en réalité fait qu’ajouter à nos nombreuses charges la charge d’avoir à être chrétien. Or si nous prenions sur nous cette charge de religion de même façon que tout le reste, ce joug serait-il plus léger que plume, il nous écraserait pourtant instantanément parce que ce serait le joug d’un Dieu.

La difficulté réside en une pente naturelle de la pensée, qui consiste à croire que c’est nous qui agissons pour son compte, avec son aide, pour faire sa volonté. Comme si, pour le dire en termes imagés, nous prenions le sac à dos d’un ami sur nos propres épaules, quitte à ce que lui-même nous pousse par derrière dans les montées. Nous sommes d’abord pleins d’enthousiasme, parce qu’un sac ne pèse jamais bien lourd au commencement d’une marche. Mais nous pourrions bien finir par nous apercevoir qu’au soleil de midi il nous larde atrocement les épaules, alors que nous ne sommes plus certains de sentir la main de l’ami derrière nous.

Il me semble que nous pourrions aborder le problème différemment. Prendre sur nous le joug du Christ, ce n’est pas assumer une tâche supplémentaire et pesante, pesante de tout le poids de la religion ; c’est jeter là notre fardeau comme on jette les armes aux pieds du vainqueur. Le joug que nous trouvons à sa place est léger, nous dit Jésus : je prends cela comme un euphémisme : il n’est pas simplement léger, il n’a en réalité aucun poids, pour la simple et bonne raison qu’il n’est pas notre fardeau, mais celui du Christ. Le joug dont nous croyons nous charger, c’est encore lui qui le porte. Nous sommes partis en marche ensemble, nous avons peiné ensemble et pourtant nous discutions si bien en chemin et nos cœurs brûlaient si bien dans notre poitrine que ce n’est qu’en arrivant que je réalise que c’était lui qui portait mon sac depuis le début. En suivant le Christ, nous laissons notre fardeau à ses pieds, quant au sien, c’est toujours le sien, et c’est toujours lui qui le porte sur ses épaules et nous n’y pouvons rien. Toute notre affaire, c’est d’accepter que nous n’y pouvons rien.

Pour mieux me faire comprendre, j’illustrerai brièvement cela à l’aide de trois situations de vie qui forment entre elles comme une progression : la prière, la vocation et l’action. La prière est une bonne école lorsqu’il s’agit d’apprendre à se faire le moins actif possible. La prière ne porte quelque fruit que dans la mesure exacte où nous n’y apportons que la plus pure placidité. Pourtant, on aborde souvent la prière comme un cours de Pilates ou de yoga, c’est-à-dire comme une nouvelle résolution qui s’ajoute aux autres, une activité qu’il faudrait se forcer à faire pour enfin aller mieux, et dont on se dit après coup qu’on était trop bête de ne pas l’avoir faite plus tôt. Un poids supplémentaire dont on se charge. Or la prière n’est pas chose que nous prenons à charge, mais ce que le Christ fait pendant et à travers nous.

Mon deuxième point est la vocation. Pour nous autres, étudiant‧e‧s en théologie, c’est incontestablement une grande chance d’avoir la liberté de choisir notre vocation. Néanmoins, cette liberté de choix peut également faire peser sur des épaules jeunes une lourde responsabilité. Lorsque j’ai devant moi un champ ouvert aux quatre vents, tout chemin que j’emprunte me ferme définitivement mille autre voies inexplorées. Vous me rétorquerez que s’entendre sermonner sur le caractère irrémédiable du choix par quelqu’un qui a été tour à tour commis, soldat, enseignant puis bientôt pasteur ne manque pas de piquant. Mais justement, croyez-moi lorsque je vous dis que je sais l’angoisse qu’on peut ressentir devant sa vocation, lorsqu’il s’agit de déceler la volonté de Dieu pour soi tandis qu’avec le temps qui passe on voit s’ouvrir puis se fermer les dernières portes. Ici encore, j’ai longtemps eu une conception trop active de la vocation, en m’inquiétant de ce que Dieu voulait que je fis de ce petit laps de temps qu’il m’avait donné. Mais Dieu ne veut rien. Il me donne cette vie pour rien, pour le plaisir. Et durant le temps qui nous est imparti, chacun peut bien s’essayer à quelques tours de piste, ou bien s’asseoir et regarder les danseurs. En me préparant pour devenir pasteur, je ne réponds pas là à une vocation qui serait plus sainte ou même plus signifiante que si j’étais demeuré enseignant chercheur, ou commis, ou soldat. Je ne fais rien pour le compte de personne : je m’essaye simplement à un tour de piste.

Mon dernier point est l’action, je veux dire l’action sociale et politique à laquelle la plupart des chrétien‧ne‧s se sentent appelé‧e‧s par le Christ ; ce que dans notre vieille théologie on nomme les œuvres de l’homme extérieur. Vous voyez pourquoi je parlais d’une progression de la prière à la vocation puis à l’action ; c’est qu’il faut que l’homme intérieur soit suffisamment en paix avec Dieu et avec soi-même pour qu’il puisse y avoir un homme extérieur. Et il faut être suffisamment au clair quant au rôle qu’on joue dans le drame pour pouvoir y tenir sa partie. J’entends autour de moi que plusieurs jeunes femmes, puisqu’il s’agit principalement de femmes, en Suisse et en France, commencent tout juste à se fédérer et à organiser les chrétien‧ne‧s de sensibilité sociale et progressiste, afin que ceux‧elles-ci reprennent pied dans l’espace public abandonné au christianisme identitaire et xénophobe. Plus étonnant encore, elles le font en réanimant un réseau qui a sa source dans la Résistance à l’Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale. Il y a dans l’action politique ― fût-ce au sens noble et civique de ce terme ― un chiffon rouge qui inquiète beaucoup de nos coreligionnaires. Et peut-être ont-ils raison d’être inquiets, toutes les fois où l’action est la nôtre et non pas celle du Christ. Mais il y a une action heureuse, et non pas acrimonieuse, lorsqu’elle est l’action du Christ qui passe en nous comme une prière. Mais il y a une action résolue, et non pas fanatique, lorsqu’elle s’est allégée en Christ du fardeau des hommes. Mais il y a une action sereine, et non pas détachement, lorsqu’elle est portée par celui qui était au commencement. Les premiers chrétiens nous ont écrit d’une grande joie et d’une grand paix au milieu des tribulations ― et les tribulations qui attendent cette génération ne sont pas moins grandes. C’est que si les tribulations sont des hommes, la joie et la paix sont de Dieu. Puissent-elles et puissions-nous en faire l’expérience.

Amen.

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3 Commentaires

  1. Pascale dit :

    J’ai bien aimé ce qui est dit à propos de la vocation, notamment cette belle image à propos des danseurs qui font des tours de piste.
    On voit souvent la vocation comme étant LA chose à accomplir et donc à découvrir absolument sous peine de rater sa vie. C’est un peu paralysant. Je le constate en particulier chez mes élèves de Terminale lorsqu’il s’agit pour eux de choisir une voie dans l’enseignement supérieur.
    Si cette prédication pouvait inciter quelques jeunes à tout simplement laisser Dieu accompagner leur choix, ce serait chouette.

    1. Marc Pernot dit :

      Merci pour ce chouette commentaire !

  2. ANDIRAN NATHAN dit :

    « Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde »- affirme le Christ à ses apôtres. Qu’est-ce à dire ? Sans doute que notre Seigneur veut nous dire que nous ne sommes pas seul dans la vie à supporter les épreuves qui affecte chaque homme et chaque chrétien: qu’il est là. De la nécessité d’une dimension mystique dans notre foi: il est là, je ne suis pas seul. De la nécessité de nous dire que le chemin est dur et long mais qu’il va à quelque part.. N’est-ce pas aussi cette dimension qui existe dans la prière ? Car nos prières vont vers l’invisible et nos demandes n’ont de chance d’être entendues que si nous croyons à sa présence surnaturelle.Et puis il y a le Saint-Esprit ? Le Consolateur: LA PAIX DE DIEU. Nous ne sommes que des ouvriers dans la vigne du Seigneur. Et qu’importe la tâche à y accomplir: le Seigneur ne sera pas ingrat. Soldat, commis, pasteur peuvent être embauchés par notre Seigneur au même prix: dans la maison du Seigneur il y a beaucoup de demeures.

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