Jésus est mort sur la croix pour racheter nos péchés ?
Question posée :
Bonjour Monsieur Pernot,
Je vous écris pour solliciter davantage d’éclairages quant à deux de vos messages.
J’entends presque chaque dimanche, dans l’église que je fréquente, que Jésus est mort sur la croix pour racheter nos péchés. Je préfère l’explication que vous donnez. Mais dans ce cas, comment comprendre les versets suivants :
- « En effet, si nous avons été réconciliés avec Dieu grâce à la mort de son Fils lorsque nous étions ses ennemis … » (Rm 5,10) ;
- « Il est lui même le victime expiatoire pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier. » (1 Jn 2,2) ;
- « … et donner sa vie en rançon pour beaucoup. » (Mc 10,45) ;
- « Le sang de l’alliance, qui est versé pour beaucoup pour le pardon des péchés » (Mt 26,28) ;
- « Vous qui étiez morts à cause de vos fautes et de l’incirconcision de votre chair, il vous a rendu à la vie avec lui. Il nous a pardonné toutes nos fautes, il a annulé l’acte rédigé contre nous qui nous condamnait par ses prescriptions, et il l’a annulé en le clouant à la croix. Il a ainsi dépouillé les dominations et les autorités et les a donné publiquement en spectacle en triomphant d’elles sur la croix » (Col 2, 13-15) ?
Fraternellement,
Réponse d’un pasteur :
Bonjour Monsieur et grand merci pour ces encouragements que cela représente d’entrer en débat. Cela montre que le but de ces prédications est dans une certaine mesure atteint car l’idée de la prédication n’est pas de prétendre donner le juste dogme, mais de témoigner d’un point de vue personnel, reconnaissant humblement que comme tout témoignage il est en partie subjectif, et donc partiel, discutable. l’espérance est que les participants se sentent appelés à s’interroger et autorisés à se faire leur propre opinion personnelle.
C’est exact que cela me semble absolument ahurissant que l’on imagine une seconde que le pardon de Dieu doive être acheté, ou que sa justice trouve en quelque manière que ce soit une satisfaction dans la souffrance. Quant à aller jusqu’à imaginer que la peine d’un innocent puisse être une chose en quoi que ce soit satisfaisant pour Dieu ! A mon avis c’est carrément vicieux. Et les conséquences sont d’une grande nocivité théologiques, spirituelle et éthique pour ceux qui croient sincèrement à cette théorie abracadabrante.
A la base, je pense que cette théorie n’est pas si biblique que cela, même si certains textes peuvent le laisser penser. Les paroles de Jésus, ses gestes, et même sa mort sur la croix montrent son amour pour le pécheur quel qu’il soit et son pardon (évidemment) sans que Jésus se sente obligé de donner ne serait-ce qu’une claque au coupable, et encore moins de coller une gifle à un enfant innocent qui passe par là pour que « justice » soit faite ? Quel justice ce serait ? Quel amour ? A mon avis cela suffit à forger un rejet horrifié de cette théorie épouvantable de la satisfaction vicaire. Même avant Jésus-Christ, j’ai en tête immédiatement de nombreux passages qui annoncent le pardon de Dieu sans contrepartie, effaçant les fautes, ne tenant pas compte des péchés anciens.
Cela dit, je veux bien tenter d’apporter mon éclairage sur ces versets que vous citez :
- « En effet, si nous avons été réconciliés avec Dieu grâce à la mort de son Fils lorsque nous étions ses ennemis … » (Rm 5,10) ;
Pour Paul, la mort du Christ révèle son amour, manifestant précisément l’amour de Dieu pour nous, pécheurs. Et cela nous réconcilie avec Dieu. Dans ce texte que vous citez, c’est bien nous qui sommes réconciliés avec Dieu. Alors que dans les adeptes de la rançon, c’est Dieu qui aurait eu besoin de se réconcilier avec nous, coincé dans son besoin que l’affront qu’il a subi soit payé par de la souffrance, fusse-t-elle la souffrance et la mort d’un innocent… C’est ainsi que la mort du Christ et la croix nous sauve : en nous révélant l’amour de Dieu, sa grâce (qui par définition n’a besoin de nul achat ou rachat), et la lettre aux Romains est spécialiste de cela, précisément dans ce passage que vous citez (5:8) mais encore le célèbre Romains 8:39 disant que rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur. - « Il est lui même le victime expiatoire pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier. » (1 Jn 2,2)
Je propose une autre traduction pour « victime expiatoire », c’est « signe de notre salut ». Le mot grec ilasmos est utilisé dans la bible des Septante (traduction en grec faisant autorité à l’époque de Jésus) pour traduire soit le kippour, soit le pardon comme dans le Psaume 130:4… on n’est donc pas du tout obligé pour comprendre cela au sens païen du terme : une offrande pour calmer la fureur de la divinité. Même les courants les plus légalistes de l’ancien testament n’en était plus à ce stade, je pense. - « … et donner sa vie en rançon pour beaucoup. » (Mc 10,45) ;
Là encore, c’est la traduction qui cherche simplement à promouvoir cette théorie moyenâgeuse de la satisfaction vicaire. Car le verbe lutroo en grec signifie effectivement affranchir un esclave, ce qui pouvait se faire par le payement d’un somme d’argent mais pas nécessairement. Par exemple c’est le verbe lutroo qui sert pour évoquer la libération des hébreux hors d’Egypte, où il n’y a eu nulle rançon pour avoir cette libération, c’est par la force. Les esclaves pouvaient aussi être affranchis selon à l’occasion d’un jubilé, là encore sans rançon versée. - « Le sang de l’alliance, qui est versé pour beaucoup pour le pardon des péchés » (Mt 26,28) ;
Oui, il est versé pour la multitude, en signe de l’amour de Dieu, et donc de notre pardon (aimer c’est précisément ne pas garder les fautes de l’autre), et afin de rendre possible que nous vivions de ce pardon de Dieu, et trouvions enfin la force de pardonner aux autres. - « Vous qui étiez morts à cause de vos fautes et de l’incirconcision de votre chair, il vous a rendu à la vie avec lui. Il nous a pardonné toutes nos fautes, il a annulé l’acte rédigé contre nous qui nous condamnait par ses prescriptions, et il l’a annulé en le clouant à la croix. Il a ainsi dépouillé les dominations et les autorités et les a donné publiquement en spectacle en triomphant d’elles sur la croix » (Col 2, 13-15) ?
il s’agit d’une libération de la source du mal en nous, d’une résurrection de notre vie, je ne vois pas ici de valeur de la souffrance comme satisfaisant la justice de Dieu, lui permettant alors de nous pardonner ?! - …Mais peut-être existe-t-il quelques passages dans un coin qui soutiendrait cette idée horrible. C’est tellement courant dans la pensée du monde depuis la nuit des temps dans le domaine du commerce que chaque marchandise ou service se paye. La Bible est un livre pluraliste, avec des voix diverses. Il revient à chacun par l’Esprit de discerner sa propre conception de Dieu, conception de ce qui est juste et bon.
Bien fraternellement
Dieu vous bénit et vous accompagne.
par : Marc Pernot, pasteur à Genève
PS. Pour un peu plus de détails sur cette question, voici ce que j’avais écrit il y a quelques années concernant cette question :
À quoi sert la mort du Christ ? En quoi est-ce que ces larmes, ce sang, cette souffrance, cette croix nous apporte quoi que ce soit d’important pour vivre ?
Des théories fumeuses, voire totalement perverses, ont fleuri. La pire est sans doute la thèse popularisée par Anselme de Cantorbery au XIe siècle, théorie encore soutenue aujourd’hui que par quelques extrémistes catholiques ou protestants. La thèse d’Anselme est appelée du doux nom de satisfaction vicaire. Selon cette théorie, Dieu ne pourrait pardonner une faute qu’à condition que quelqu’un paye. Selon cette théorie, comme nos péchés sont abominables et que nous sommes nombreux, la note est vraiment salée. Nous sommes surendettés de péchés à payer. Déjà, cela me semble exagéré, mais la suite du raisonnement est abominable : le Christ, en étant innocent et en souffrant terriblement, aurait payé la note, nous achetant ainsi notre pardon pour satisfaire la terrible justice de Dieu.
Cette théorie est une incroyable régression par rapport à l’évangile du Christ, elle est même en régression par rapport à la théologie d’Abraham (soit une régression niant presque 4000 ans d’efforts de Dieu pour se faire connaître depuis qu’il empêche Abraham de sacrifier son fils).
Cette théorie est épouvantable dans l’idée de Dieu qu’elle projette : un Dieu qui pourrait d’une certaine façon se satisfaire de la peine d’un homme. Un Dieu qui aurait besoin de cette peine, de cette souffrance, et même de la peine de son enfant bien aimé ! Mais cette théorie est épouvantable aussi par l’idée de justice qu’elle offre à la conscience humaine. Non, il n’est pas juste qu’un innocent souffre à la place des coupables. Le projet de Dieu n’est même pas que le coupable souffre, mais qu’il change et vive enfin. Et puis, non, le pardon et l’amour ne se monnayent pas, ni en faisant du bien, mais encore moins par de la souffrance, et certainement pas par du sang ou de la mort.
Certes, cette théorie du rachat de nos péchés par le Christ peut trouver une justification biblique. Mais les pires idées peuvent être aussi justifiées par des textes bibliques si l’on s’applique vraiment, par exemple certaines personnes sont arrivées à justifier le racisme de l’apartheid à partir de l’histoire des fils de Noé. On peut tirer le meilleur comme le pire de la Bible. On peut tirer aussi le meilleur comme le pire du Coran. On peut tirer des textes définissant la « laïcité à la française » aussi bien des idéaux de liberté et de respect, mais certains arrivent à en tirer une sorte de laïcisme plein de haine pour la foi des croyants,d ans une athéisme intégriste.
Une autre compréhension de la croix du Christ est non seulement possible, mais soutenue quasi unanimement pas les 4 évangiles et par des textes majeurs de l’apôtre Paul. Le cœur même de l’Évangile c’est que le premier à aimer (même ses ennemis) : c’est Dieu. Il n’y a pas de « péché originel », c’est une invention du Ve siècle, par contre il y a un amour originel, celui de Dieu. Il n’y a donc rien à racheter. Et l’amour de Dieu, comme tout amour véritable, ne s’achète pas.
Cet amour originel, Jésus en témoigne quand il dit, selon le témoignage de Jean : Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque ait foi grâce à lui ne meure pas, mais qu’il ait la vie éternelle.(Jean 3:16)
L’amour de Dieu est premier, et le Christ manifeste cet amour qui est à l’origine de tout ce qui est vivant et bon en ce monde, il le manifeste pour que nous vivions par lui.
Mais c’est l’apôtre Paul qui développera bien cette notion d’amour originel de Dieu, manifesté en Christ. Par exemple dans sa lettre aux Romains, l’apôtre Paul nous dit que :
Alors que nous étions encore sans force, Christ,
au temps marqué, est mort pour des impies.
À peine mourrait-on pour un juste,
quelqu’un peut-être mourrait pour un homme de bien.
Mais Dieu prouve son amour envers nous, en ce que,
lorsque nous étions encore des pécheurs,
Christ est mort pour nous.
(Romains 5:6-8)C’est clair. La croix est signe de l’amour de Dieu pour nous. Elle est signe du pardon de Dieu, elle n’achète pas ce pardon. Et comme Jésus dans le passage de l’Évangile selon Jean que je citais précédemment, Paul nous dit que cet amour manifesté sur la croix nous invite à aimer Dieu, à nous réconcilier avec lui.
Et Paul ajoute, un, peu plus loin que « Rien ne nous séparera de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni les choses présentes ni les choses à venir, ni les puissances, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature. » (Romains 8:38-39)
Parce que cet amour est donc sans chantage, nous ne sommes pas obligés d’aimer Dieu en retour. Nous l’aimerons si nous le voulons bien. Nous aimerons les autres si le cœur nous en dit. C’est la liberté et la joie de Dieu, si je puis dire, d’aimer l’humanité et d’aimer chaque être individuellement. C’est notre liberté de nous ouvrir ou non à cette dynamique, à cette qualité d’être, de cheminement et de vie qu’est Dieu. C’est notre liberté, et c’est vraiment aussi une joie…
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Merci beaucoup pasteur, encore une fois 🙂 C’est extrêmement rare de tomber sur une « compréhension de la Croix », autre que celle de la « satisfaction vicaire » inévitable. J’aime beaucoup celle que vous proposez ici…
Bonjour Pasteur,
Même lorsqu’on dit que Jesus Christ est mort pour nos pêchés, même si on dit que Jesus Christ est la victime expiatoire pour nos pêchés, même si on dit que Jesus Christ a crucifier le pêchés avec lui, il y a toujours un moyen d’interprétation pour beaucoup de personne .
Certaines personnes pensent qu’un seul pêché pourrait nous envoyer en Enfer, moi je pense que Dieu nous a sauvé du pêchés , et que maintenant ce qui compte c’est le don de soi aux autres …. et l’amour qu’on porte pour notre prochain …..
Si Jesus Christ est mort pour nos pêchés alors que faut il faire pour plaire a DIeu ? a moins que je n’ai pas bien compris
Soyez béni et merci de votre réponse
La base de l’Evangile du Christ est l’amour de Dieu pour sa créature, en particulier pour chaque personne humaine. Une mère oublierait-elle son petit ? En tout cas, Dieu, lui n’abandonne jamais aucune personne.
C’est ce que l’on appelle la grâce de Dieu.
Certains chrétiens disent que Dieu nous aime et nous pardonne à cause du sacrifice du Christ ? C’est une théorie. Discutable.
D’autres chrétiens pensent que Dieu nous aime et nous pardonne car Dieu est comme cela : amour et pardon, que c’est sa nature. Cela me semble juste. Et c’est ce que nous montre Jésus par sa vie, allant apporter ses bons soins et sa parole d’encouragement à toute personne, les justes comme les pécheurs (qui ont besoin de d’autant plus de soins).
Si Dieu nous aime de toute façon, et donc nous garde pour la vie éternelle, pourquoi essayer alors de le prier et de bien vivre ? D’abord par gratitude, comme une personne va voir ses chers grands parents ou un ami. Ensuite, c’est parce qu’en nous ouvrant au créateur nous recevons ses bons soins, et que cela est extraordinairement précieux pour avancer.
Ne craignez rien, Dieu vous bénit et vous accompagne.
Bonjour Monsieur Pernot, ayant lu les articles traitant de la question d’un rachat ou de sacrifice de Jésus, je m’interroge : si la croix est le signe de l’amour de Dieu pour nous, en quoi la souffrance de Jésus manifeste cet amour ou peut pousser à aimer Dieu en retour ?
Merci.
L’apôtre Paul explique (Romains 5:6-8) : déjà ce n’est pas drôle de donner sa vie pour des personnes justes, mais lui, Christ, a donné sa vie pour des pécheurs (nous tous), et pour cela, il faut vraiment être motivé par l’amour pour ces personnes, pour cette humanité, sinon ce n’est pas possible.
« Pour nous » s’entend parce qu’il a œuvré pour qu’il n’y ait pas de séparation entre Dieu et les Hommes, qu’il a témoigné de Dieu, montré l’amour de Dieu, alors il en a subi les conséquences (sa mise à mort) ? Donc il est mort sur la croix parce qu’il nous a aimé ?
Le Christ a travaillé à notre réconciliation avec Dieu. oui. Ce n’est pas que Dieu aurait eu besoin d’être réconcilié avec nous puisque Dieu a toujours été amour et pardon, il n’a donc jamais eu besoin d’être réconcilié avec nous. Par contre, le Christ a tout fait pour réconcilier l’humain avec son Dieu : l’humanité en général et chaque personne en particulier. Bien entendu cette œuvre est encore en cours et plus nécessaire que jamais. Il y a tant de personne qui ignorent Dieu ou qui s’en méfient. Effectivement, Jésus a manifesté que Dieu est prêt à tout donner pour que nous soyons en forme, rayonnant de bonne choses. Et à la suite du Christ, il nous est donné « le ministère de la réconciliation » pour appeler à nous réconcilier avec Dieu (2 Corinthiens 5:18 ).