Retable de Van Eyck : l
Prédication

« Voici l’agneau de Dieu qui ôte le péché du monde » (Jean 1:29), par Sandrine Landeau

Par : pasteure Sandrine Landeau

(Voir le texte biblique ci-dessous)

prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Genève, Office du soir à la cathédrale, le 23 février 2020

Retable de Van Eyck : l'agneau mystique
Si vous êtes croyant ou croyante, imaginez que vous essayez de parler à un ami cher, agnostique et non familier de l’église, de ce qu’est Jésus pour vous, de ce qu’il représente à vos yeux, de la place qu’il tient dans votre vie, simplement pour partager ce qui est important pour vous, comme vous lui partagez aussi votre amour pour vos enfants ou ce morceau de musique qui vous a bouleversé. C’est quelque chose de cet ordre là que tente Jean le Baptiste avec ces mots « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». L’exercice n’est certes pas facile. Je ne sais pas comment vous formuleriez, mais je ne crois pas m’avancer beaucoup en disant que vous choisiriez probablement d’autres mots que Jean. C’est que son langage, très codé déjà pour l’époque, est devenu assez hermétique aujourd’hui pour des non initiés au langage d’église, et peut-être même aussi pour les initiés !

Maintenant, imaginez-vous à la place de l’ami non-croyant qui reçoit ce témoignage : « tu vois, pour moi Jésus est hyper important… comment dirais-je… il est l’agneau de Dieu qui ôte le péché du monde. Tu vois ce que je veux dire ? » Je fais l’hypothèse que cela vous laisserait perplexe, mais comme c’est un ami, vous chercheriez peut-être à éclaircir, avec une question comme « Non, je ne vois pas vraiment. Est-ce que tu peux m’en dire plus ? ».

Jean le Baptiste ne peut plus nous en dire plus, mais je vais tenter de me faire son écho lointain. Car son étrange confession de foi, pour hermétique qu’elle puisse paraître, notamment quand – comme moi – on n’a pas baigné dans le symbolisme chrétien depuis tout petit, recèle de véritables trésors de vie, comme en témoigne le fait qu’après l’avoir entendue, deux disciples de Jean – pour qui le message n’est pas aussi codé qu’il l’est devenu pour nous – ont envie d’en savoir plus et se portent à la suite du Christ.

Commençons par l’agneau de Dieu. L’agneau, dans le monde juif, ce n’est pas l’animal qui est sacrifié dans le temple, mais celui qui rappelle et rend présent le récit de la sortie d’Egypte, de la sortie de l’esclavage vers la liberté. Juste avant cette sortie, Moïse transmet au peuple la consigne que chaque famille doit badigeonner la porte de sa maison avec le sang d’un agneau, comme signe d’appartenance au peuple. Dans les maisons qui seront ainsi marquées, les premiers-nés seront vivants, tandis que dans les autres les premiers-nés mourront. Récit assez affreux, qui vient dire de manière symbolique que ce qui est d’Israël, ce qui est force de vie, sera préservé, tandis que les forces de mort et d’esclavage seront, à défaut d’être complètement détruites, affaiblies. Le sang badigeonné sur la porte de la maison où repose ce qui est précieux dit ainsi que Dieu prendra soin de cela, le protégera. Pour prendre une analogie, j’aimerai vous raconter une petite histoire. Un ami violoniste a du récemment quitter précipitamment sa maison en feu. Dans les quelques secondes qu’il avait devant lui pour sortir, il a eu le réflexe d’emporter deux choses : son violon, et son natel. Ce qui relève de son talent particulier, de sa contribution à la beauté du monde, et ce qui le garde en lien avec celles et ceux qui lui sont chers. La marque de l’agneau, c’est la marque qui repère et identifie déjà ce plus précieux en chacun, pour qu’au moment du départ, il soit facile de le prendre avec.

Mais l’agneau est plus encore que cela. Il doit également être mangé par la famille, afin de prendre des forces pour le voyage à venir, qui sera long et difficile. Au moment de se mettre en route vers le pays de la liberté, le pays de la vie, le pays de lait et de miel, il importe donc de d’abord identifier, de protéger, mais aussi de nourrir ce qu’il faut emporter pour ce voyage : les élans de vie, les forces matérielles pour tenir debout et avancer – et aussi ce qu’il faut laisser, ou n’emporter qu’affaibli : la tentation de domination, de violence. C’est le rôle de l’agneau pascal.

La seconde partie de la confession de foi de Jean est tout aussi dense et symbolique. Cet agneau ôte, enlève, emporte le péché du monde. Vous savez peut-être que dans les langues bibliques, le mot péché, surtout au singulier comme ici, n’a pas de dimension morale. Pour le dire autrement, il ne désigne pas un comportement ou des comportements répréhensibles moralement. Il s’agit de mots qui soulignent le fait de manquer sa cible, de se tromper de chemin, de faire une erreur. Dans les mots de l’apôtre Paul, cela donne : « je ne fais pas le bien que je veux et je fais le mal que je ne veux pas. Et si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui le fait, c’est le péché en moi » (Ro 7,19-20). Il y a bien cette idée ici de viser quelque chose et de tomber à côté. Le péché serait, si on garde l’image de la cible, ce qui fait trembler le bras de l’archer, ou brouille sa vision. Si on veut tenter de le dire sans image, c’est le fait de vivre sans Dieu, replié sur moi-même, avec en soi cette fracture qui coupe de Dieu. Le péché, c’est l’absence de relation à Dieu. Cette absence de relation à Dieu, c’est la situation que l’on trouve au tout début de la Bible, au premier verset, c’est le tohu va bohu, l’informe et vide, le chaos. Le péché, ou le chaos, peut évidemment conduire à des comportements et des actions problématiques, et c’est souvent le cas. Mais ces comportements et ces actions sont des conséquences du péché pas le péché en lui-même. En cela le péché a un rapport avec le mal, tant subi que commis, mais il n’est pas le mal. Le contraire du péché, ce n’est pas la vertu, c’est la foi.

Le péché conduit à résister à Dieu, à avoir peur de son regard, peur de son jugement, peur de sa condamnation, et donc à le rejeter par tous les moyens, y compris par la mise à mort de celui qui manifeste un Dieu autre… Comment Jésus ôte-t-il le péché du monde ? En se laissant mettre à mort par ceux qui ont peur de ce qu’il dit, qui se sentent tellement remis en question par le Dieu qu’il manifeste, un Dieu dont le jugement est l’amour, qu’ils préfèrent le crucifier. Lorsque Jean nous présente Jésus comme celui qui ôte le péché du monde, il nous parle donc de Jésus comme de celui qui accepte de se faire la cible des peurs, des colères, des doutes jusqu’à en mourir… et en ressusciter. Car il ôte le péché du monde pour en faire quoi ? Pour que Dieu, de cette puissance de mort, de ce chaos, fasse une puissance de vie : c’est le matin de Pâques.

Le Dieu que nous raconte la Bible, c’est le Dieu qui s’oppose au péché, au chaos, en posant des distinctions (entre la lumière et la ténèbre, entre le ciel et la terre) et qui appelle à la vie, le Dieu qui s’adresse au chaos pour que la vie consciente et aimante puisse en émerger. En cela le récit de la création du monde n’est pas un récit qui concerne le passé, pas plus que le récit de la sortie d’Egypte, il est un récit qui nous concerne aujourd’hui. C’est aujourd’hui que Dieu pose des distinctions dans notre chaos intérieur, c’est aujourd’hui que Dieu cherche en nous ce qui est porteur d’une vie belle et féconde, et l’appelle, le suscite, voire le ressuscite.

Vous le voyez, la confession de foi de Jean le Baptiste est très dense. Mais comment dire pour aujourd’hui cette bonne nouvelle ? Si, après avoir écouté Jean le Baptiste désigner Jésus comme l’agneau de Dieu qui ôte le péché du monde, je devais dire, en dialogue avec lui, qui je vois dans Jésus qui passe, ma proposition serait, pour ce soir en tout cas : « voici celui qui, aujourd’hui comme hier et comme demain, nous voit tels que nous sommes, avec nos trésors et nos blessures. Il marque ce qui est porteur de vie, le nourrit, le conduit vers la liberté. Et il endosse notre peur, notre haine, notre doute, et les présente à Celui qui nous aime toujours le premier, malgré tout, afin que cette peur, cette haine, ce doute, n’aient pas pouvoir de mort sur nous, mais soient guéris, ou détruits si nécessaires. »

Amen.

Évangile selon Jean 1:35-39

35Le lendemain, Jean était encore là, avec deux de ses disciples ; 36il regarda Jésus qui passait et dit : Voici l’Agneau de Dieu. 37Les deux disciples entendirent ces paroles et suivirent Jésus. 38Jésus se retourna, vit qu’ils le suivaient et leur dit : Que cherchez-vous ? Ils lui dirent : Rabbi — ce qui se traduit : Maître — où demeures-tu ? 39Il leur dit : Venez et vous verrez. Il allèrent et virent où il demeurait ; ils demeurèrent auprès de lui ce jour-là. C’était environ la dixième heure.

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