15 septembre 2024

Marc Pernot le 15 septembre 2024
Prédication

Recevoir la plénitude & Vivre l’incomplétude (Éphésiens 3:14-19 ; Matthieu 18:1-3)

On peut voir un paradoxe entre deux notions essentielles de la Bible : l’aspiration à la plénitude, d’un côté, et de l’autre notre incomplétude qui nous appelle sans cesse à faire place à autre que soi : à Dieu, à notre prochain, à de nouvelles questions, à des découvertes, à de l’inattendu, à des bénédictions.

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pasteur Marc Pernot

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prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Genève, le dimanche 15 septembre 2024,
par : pasteur Marc Pernot

Prédication

On peut voir un paradoxe entre deux notions essentielles de la Bible : l’aspiration à la plénitude, d’un côté, et de l’autre notre incomplétude qui nous appelle sans cesse à faire place à autre que soi : à Dieu, à notre prochain, à de nouvelles questions, à des découvertes, à de l’inattendu, à des bénédictions.

Quelle est la plénitude de Dieu ?

« En Christ, nous avons tous reçu de sa plénitude, et même grâce sur grâce. »(Jean 1:16) nous dit Jean dans son introduction à son Évangile, et dans le texte que nous avons entendu, Paul a pour nous l’ambition que nous soyons « remplis jusqu’à toute la plénitude de Dieu ».

À quel niveau de plénitude divine êtes-vous ? Bien plus que nous le pensons. Tout dépend de ce que l’on entend par « plénitude ». Est-ce que ce serait être rempli de connaissances, de capacités totales, de bonheur et de paix sans ombres ? Cette idée de plénitude est à l’image d’une certaine idée de Dieu qui circule : un Dieu englobant toute chose, un Dieu tout puissant et omniscient, ayant toute chose dans sa main : la santé comme la maladie, le passé comme le présent, et ayant déjà écrit le futur, un Dieu qui serait immuable et qui se suffirait à lui-même, n’ayant besoin de rien ni de personne… Un Dieu plein comme un œuf. Sauf que tout bon œuf qui se respecte à une petite poche d’air, il n’y a que les œufs décoratifs en marbre qui sont entièrement pleins. Dieu n’est pas du tout comme cela dans la Bible. Sinon, il n’aurait pas voulu ni pu créer quoi que ce soit, explique la spiritualité juive. Selon la kabbale, Dieu choisit de se retirer un petit peu afin de faire place à sa création, c’est ce que l’on appelle le tsimtsoum originel, un geste que Dieu répète sans cesse pour poursuivre son œuvre : au pluriel des tsimtsoumim. C’est aussi ce geste de Dieu quand il fait alliance avec nous : il choisit de dépendre d’autres que lui, ce qui n’est jamais simple. Cela réserve des surprises inattendues, même pour Dieu, nous disent les récits bibliques. Dieu doit alors s’adapter et réagir, encore et encore afin de sauver.

La Bible raconte que Dieu désirait d’un grand désir une humanité qui serait juste et bonne, créatrice de vie à son image. Dieu est donc déçu du résultat quand il constate la violence de l’humanité. La Genèse dit qu’il regrette et même qu’il se repent d’avoir créé l’humanité. Mais en conclusion de cette histoire du déluge, Dieu choisit d’assumer que l’humanité soit loin d’être parfaite, il fait alliance avec elle telle qu’elle est, et Dieu se promet de maîtriser sa propre colère : plutôt bénir et que détruire. Nous avons là un Dieu qui est loin d’avoir tout prévu et maîtrisé, un Dieu qui fait place à d’autres et s’associe à eux. Telle est le genre de plénitude de Dieu dans ces textes, une plénitude ayant une part d’incomplétude.

La Genèse va encore plus loin : dès les premières lignes, elle nous montre que Dieu est face au vide du chaos primordial. Fondamentalement, cette plénitude du Dieu créateur s’inscrit donc dans un contexte d’incomplétude, et cela se poursuit : Dieu ouvre dans ce chaos un espace pour le vivable, et dans cet espace, il suscite d’autres sources de création que lui. Voilà ce que l’on peut appeler la plénitude de Dieu. Elle est en vis-à-vis, toujours positivement, mais en vis-à-vis. Or Dieu n’a pas seulement été créateur, au passé, il est créateur par nature, d’une création toujours en cours, sans cesse, puisque le créateur est éternel.

Ce n’est pas seulement dans sa fonction de créateur que Dieu n’est pas plein comme un œuf en marbre : dans la théologie biblique, le nom même de Dieu, YHWH en hébreu, est une curieuse déclinaison du verbe être que Jean traduit très précisément dans le livre de l’Apocalypse en appelant Dieu « celui qui est, qui était, et qui vient ». Dieu est en devenir. Sa plénitude comprend une part de déploiement. Comme tout ce qui est vivant, en réalité, et nous aussi. Donc, quand Jésus nous invite à nous reconnaître « comme un enfant ». Ce n’est pas une question d’humilité. Ce n’est pas temporaire, comme un pis-aller à notre manque de développement. C’est un modèle pour nous aujourd’hui et pour toujours. C’est prendre part à cette plénitude de Dieu qui consiste à être en déploiement, évoluant avec lucidité face à l’imprévu, en comptant sur d’autres que soi pour avancer… Cette plénitude est le propre du vivant.

Quelle serait en réalité notre rêve ? Peut-être que ce serait de pouvoir faire tout ce que notre cœur désire, que nous n’ayons pas d’obstacle, aucune contrariété ? Peut-être que ce serait d’être bien tranquille, que rien ne nous dérange ni autour de nous, ni en nous ? Certaines spiritualités ou philosophies ou méthodes de développement personnel nous le font miroiter. Cela corresponde en fait à l’idée de la plénitude de l’œuf en marbre, ou d’un caillou qui serait bien posé à plat dans un endroit sans intempéries ni passage, au fond d’une grotte obscure, peut-être. Ou une plénitude de Bouddha grassouillet avec son gentil sourire de marbre ou de bois doré. Une plénitude d’absence de désir, de calme et de sérénité ? Jésus n’était vraiment pas comme ça, il était enthousiaste, il était en mouvement, il était surprenant et ouvert à l’inattendu d’une rencontre et d’un geste ou d’une parole qui fait avancer, prenant encore le temps de prier en solitaire pour s’ouvrir à ce Dieu si surprenant.

Choisir la plénitude pleine de vie et de surprises

C’est moins confortable que l’encéphalogramme plat du caillou posé à plat. Mais la vie est comme cela. Ce qu’il y a de plus beau dans la vie est comme cela : aimer, s’émerveiller, créer, bouger, vibrer, faire des projets, espérer, grandir, apprendre de nouvelles choses…

C’est vrai que cela nous apparaissait intuitivement comme un paradoxe que la plénitude divine soit une incomplétude, un plein avec des trous. Comme pour un bon Emmenthal qui se respecte : il faut de jolis trous. Avec ce célèbre et troublant paradoxe, qui fait qu’avec l’Emmenthal : plus il y a de fromage et plus il y a de trous ; et aussi, plus il y a de trous et moins il y a de fromage. Notre idée de plénitude rencontre sans cesse ce genre de paradoxe : nous craignons intuitivement les trous dans notre vie, tout ce que nous ne maitrisons pas. Ce n’est pas très intuitif d’apprécier l’incomplétude, cela demande de réfléchir pour effectivement choisir la vie, une véritable vie vivante et source de vie. Pour assumer l’incertitude face à ce que nous ne maîtrisons pas, cela aide infiniment de savoir qu’envers et contre tout, Dieu nous garde et nous bénit sans cesse, encore et encore.

La Bible nous invite à choisir l’incomplétude à travers des récits, comme à son habitude.

Avec Abraham : pas de fécondité tout seul

D’abord, avec le récit du déluge, comme nous l’avons vu. La Genèse poursuit avec la figure d’Abraham. Comment va-t-il devenir fécond et une bénédiction pour la multitude ? Cela passe d’abord par l’écoute de cet autre qu’est Dieu. Écouter, c’est faire place à du neuf que nous ne connaissions pas, c’est libérer un espace pour évoluer. Alors que l’œuf en marbre stagne : même bien couvé, il ne donnera jamais la vie. Abraham, lui, écoute et se met en route, c’est la première incomplétude choisie. Ensuite, le signe de la circoncision l’invite à retrancher quelque chose de sa propre fécondité pour faire équipe avec cette autre source de fécondité qu’est Dieu. Bien entendu, la question n’est heureusement pas de commettre cette mutilation rituelle, mais d’intégrer que notre fécondité ne peut arriver qu’au prix du juste choix d’une incomplétude. Dans cette même logique, la fécondité d’Abraham ne sera possible que quand il renoncera à considérer que Sarah est « sa » chose pour la reconnaître comme ayant sa propre souveraineté (c’est ce que signifie le changement de nom de Saraï à Sarah). La plénitude d’Abraham est ainsi ouverte, elle est en veille, prête à accueillir des collaborations et des mouvements inattendus porteurs de vie et de bénédiction.

D’ailleurs, comme le dit Paul, le comble de la plénitude est Jésus. Lui non plus n’est absolument pas dans l’autosuffisance : il cherche à constituer une équipe pour l’associer à son œuvre et la prolonger après lui. C’est ainsi que nous sommes en église, et pas seulement dans notre cœur à cœur intime avec Dieu.

Avec Jacob : pas de fécondité sans scrupules

La Genèse nous propose ensuite la figure de Jacob qui combat avec Dieu. Jacob en sort béni et source de bénédiction, il avancera ainsi comme en boîtant nous dit le récit. C’est encore une nouvelle incomplétude : quand on aime, quand on se soucie de Dieu, du bien, et des autres, on n’avance pas aussi librement que celui qui est sans scrupules ni attaches. Mais c’est bien avec cette incomplétude qui handicape notre puissance que notre vie est source de vie et non de chaos.

Avec Jésus : assumer l’incomplétude de Gödel

Jésus est d’une liberté qui étonne son entourage. Sa liberté assume la complexité de notre monde, et cela dérange ceux qui assimilent la plénitude divine avec un plein de doctrines et de règles sacralisées. Au contraire, nous voyons Jésus oser enfreindre l’excellent commandement du Shabbat pour faire preuve de compassion pour un homme : c’est le type même de situation courante dans la vie réelle où nous n’avons le choix qu’entre des solutions qui ont toutes une part de bien et une part de mal. Même Jésus est soumis à cette réalité. Le mathématicien Gödel, ami d’Einstein, a démontré que dans tout système il existe des énoncés indécidables pour lesquels il n’est pas possible de dire d’une façon théorique qu’ils sont absolument vrais ou faux. Ce 1er théorème d’incomplétude de Gödel s’applique aussi dans le champ de la théologie et de l’éthique. Cela chagrine les religieux intégristes, mais c’est la vérité, car Dieu est une réalité complexe et la vie humaine est elle-même complexe : toute théologie est incomplète, toute éthique est incomplète. Il nous faut donc apprendre, comme Dieu, à surfer sur le chaos, c’est-à-dire à chercher à faire au mieux.

C’est ainsi qu’en étant comme un enfant, ayant soif d’apprendre, de grandir et d’explorer, confiant pour cela en d’autres qu’il aime : c’est ainsi que vous êtes déjà bien proche de la plénitude divine.

Amen

 

pasteur Marc Pernot

Textes de la Bible

Lettre de Paul aux Éphésiens 3:14-19

14Je fléchis les genoux devant le Père, 15de qui toute famille dans les cieux et sur la terre tient son nom, 16afin qu’il vous donne, selon la richesse de sa gloire, d’être puissamment fortifiés par son Esprit, dans votre être intérieur ; 17et aussi que le Christ habite dans votre cœur par la foi, ayant été enracinés et fondés dans l’amour, 18de sorte que vous ayez la force de comprendre, avec tous les saints, quelle est la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur, 19et au-delà de la connaissance que vous connaissiez l’amour du Christ, et que vous soyez ainsi remplis jusqu’à toute la plénitude de Dieu.

Évangile de Jésus-Christ selon Matthieu 18:1-3

À cette heure-là, les disciples s’approchèrent de Jésus en disant : Qui donc est le plus grand dans le royaume des cieux, 2Appelant un enfant Jésus le plaça au milieu d’eux 3et il dit : Amen, je vous le dis, dans la mesure où vous ne changez pas d’orientation et ne devenez pas comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux.

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7 Commentaires

  1. Christian dit :

    Très belle et très édifiante prédication. J’ai bien mangé; même les trous de l’emmental (le gruyère n’a pas de trou) m’ont nourri. Grand merci à vous.

    1. Marc Pernot dit :

      Cher Monsieur
      Grand grand merci pour cet encouragement, j’avais un peu peur d’avoir placé la barre trop haut avec cette prédication, avec un thème peu abordé, me semble-t-il, et donc pas si facilement accessible en première écoute. Donc bravo à vous d’avoir mangé cette pâte dure, sans oublier de déguster aussi les trous.
      Dieu vous bénit et vous accompagne

  2. Pascale dit :

    Chercher Dieu, n’être sûr de rien, avoir tant de questions sans réponse, mais tout en continuant à le désirer, c’est un vrai manque. Et pourtant cette forme d’incomplétude nous remplit en quelque sorte de Dieu, … avec quelques poches d’air bien sûr.
    Autre remarque : pour Gödel, l’existence de Dieu ne devait pas faire partie des indécidables puisqu’il en a proposé une démonstration par la logique. Avec comme définition de Dieu, ce qui contient toutes les perfections et rien d’autre. Une forme de plénitude ?

    1. Marc Pernot dit :

      Gödel a mis en forme mathématique ce que l’on appelle la « preuve ontologique de l’existence de Dieu » d’Anselme de Cantorbery. Et qui alimente les discussions philosophiques depuis près de mil ans. C’est bien intéressant, mais pas trop facile à comprendre, et repose sur des axiomes de base qui ne sont pas démontrés, eux, comme tout bon axiome qui se respecte.

      1. Pascale dit :

        Certes, par définition un axiome n’est pas démontrable, mais c’est un postulat considéré comme suffisamment évident pour construire une théorie. Personnellement cette démonstration me paraît un peu fumeuse, mais ce que je trouve étonnant qu’on puisse entreprendre une telle démarche. C’était le sens de ma remarque.

  3. Lili dit :

    C’était « un peu » haut, mais c’est cela qui est intéressant. Vraiment. On n’attend pas de tout comprendre pour apprécier, il me semble. C’est comme pour l’emmental, ne connaître ni la vache qui a donné le lait ni les pâturages où elle a gambadé n’empêche pas de le déguster.

    J’ai adoré votre question de départ : « A quel niveau de plénitude divine êtes-vous ? » car le paradoxe a amené l’intéressante distinction entre l’être et l’avoir que présente tout désir.

    En terme d’avoir cela n’a pas de sens de compléter ce qui est plein. C’est ce qu’on voit par exemple dans les garages des multi-milliardaires : des véhicules d’exception, de vraies splendeurs automobiles, mais avec 15 ou 30 km au compteur. Comme vous dites, c’est l’état du caillou ou d’une statue de marbre.

    Mais en terme d’être cela change tout. Nous semblons définis par ce changement constant. C’est ce que votre analyse du mot YHWH met en lumière, il nous faut « être en déploiement, évoluant avec lucidité face à l’imprévu, en comptant sur d’autres que soi pour avancer ». Ce mouvement, je suppose qu’on peut l’appeler amour : quelque chose qui se réalise ou s’actualise sans se perdre et qui, en même temps, se renouvelle.

    Je serais plutôt d’accord aussi pour penser le fond de l’être comme un flux, à la façon d’Héraclite et non comme une substance immobile mais je n’avais pas vraiment (pas du tout) saisi à quel point la Bible évoquait cela de part en part, de la Genèse aux Évangiles. C’est une lecture vraiment surprenante à laquelle vous engagez, une lecture en mouvement donc, une lecture incomplète façon Gödel (qui me semble toujours très obscur). Merci pour ce rappel minutieux.

  4. Marie-Dominique dit :

    Un theme fondamental qui résonne pour moi en lien avec la construction de la fraternité dans la diversité..toujours ce travail revient sur Aimer Dieu son prochain soi-même..

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