« Aujourd’hui, nous voyons d’une façon énigmatique » (1 Corinthiens 13:12)
Une méditation sur ce verset
↪ « Aujourd’hui nous voyons au moyen d’un miroir, d’une manière énigmatique, mais alors nous verrons face à face; aujourd’hui je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme j’ai été connu. » (1 Corinthiens 13:12).
C’est ce que dit Paul dans son fameux « hymne à l’amour ». Il y développe une conviction sur Dieu (une théologie), une façon d’approfondir notre existence (une religion), et une façon d’être (une éthique) toutes les trois cohérentes, centrées sur « l’amour » au sens d’attention à l’autre (ἀγάπη, agapè en grec).
Dans le cadre de ses explications, Paul dit que nous ne connaissons qu’imparfaitement. Alors qu’il vient d’atteindre des sommets avec cet hymne à l’amour. Cette remarque est précisément essentielle pour pouvoir aimer Dieu, aimer notre prochain, et nous aimer nous-même. En effet, il n’y a rien de pire que d’être persuadé de détenir la vérité ultime. Comment discuter avec une personne qui aurait la conviction définitive de détenir la vérité ? Comment Dieu lui-même pourrait aider cette personne à avancer dès lors qu’elle serait cramponnée à une doctrine, devenue pour cette personne un dogme éternel et sacré ?
Quelle est notre connaissance sur Dieu, sur la vie ?
Paul nous dit que nous voyons comme un enfant. C’est à la fois humble, encourageant et optimiste sur notre capacité à penser Dieu et notre existence.
- Nous naissons les yeux fermés, c’est normal, nous sommes ensuite comme un nourrisson voyant des formes.
- Déjà nous grandissons et voyons un peu plus clair, mais encore de façon indirecte, comme dans un miroir. C’est normal.
- Nous ne connaissons la vérité qu’à travers notre expérience de vie en ce monde : nous ne sommes pas Dieu, nous sommes « seulement » une créature à l’image de Dieu, ce qui est déjà immense.
Paul nous invite donc à considérer que notre regard sur Dieu et sur la vie est comme une « énigme », littéralement. Cela nous invite à observer par nous-même et à nous poser des questions, à chercher du sens, en nous creusant la tête (et le cœur). Grandissant dans notre lucidité, notre connaissance est aujourd’hui imparfaite, mais confiance : une chose est certaine c’est que Dieu, lui, nous connait en vérité, et qu’il nous aime.
par : pasteur Marc Pernot
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Cher Marc,
Merci pour ce beau verset et vos explications.
J’ai souvent cogité sur ce verset en me disant : ce que tu ne comprends pas maintenant, tu le comprendras dans la suite.
En attendant, je dis à Dieu : je ne comprends rien à rien de ce qui m’arrive, mais toi tu sais. Et cela me suffit. Aide-moi à ne pas douter de ton amour pour moi.
Bien cordialement
Excellent.
Ce que vous dites rejoint l’expérience de l’immense Saint-Augustin :
Un truc me dérange. Admettons qu’il soit possible qu’« alors », on ne sait pas quand, on connaîtra autrement, mais est-ce que Paul évoque une possibilité de connaître parfaitement – d’après lui – dès cette vie ? Ou pour lui c’est à la fin des temps que cela se produira ?
Si c’est pour la fin des temps, est-ce que cela nous intéressera de connaître une vérité qui ne nous intéressera plus – car c’est quand même pour maintenant que nous recherchons la vérité pas pour « demain » – et même « demain » la rechercherons-nous alors ? Le face à face avec le vrai éteint de facto le besoin de vérité. Dans ce sens-là, je ne sais pas si elle est si emballante que cela l’idée de Paul.
Et si c’est pour demain, vraiment demain dans 24h – le verset n’excluant pas que le « alors » puisse se produire soudainement – après tout pourquoi pas mais à moins d’être du genre mystique, cela ne va pas marcher tellement le face à face. En tout cas, pas avec tout le monde.
C’est vrai que nous ne connaissons qu’en partie, mais cela ne me semble ni un miroir ni une énigme, c’est plutôt platonicien cette idée. En quoi est-ce imparfait ? Parce que je ne vois pas les 6 faces d’un cube en même temps, c’est imparfait ? Parce que je ne vois pas Dieu en face c’est imparfait ? Non, je ne crois pas. C’est parfait au contraire puisque j’en vois tout ce que je peux en voir, même si pour Dieu il doit y avoir plus de marge que pour le cube. Ce que résume assez bien cette formule de Spinoza dans l’Ethique : « par réalité et perfection, j’entends la même chose ». Je rapproche ce point d’ailleurs de ce que vous aviez dit dans une prédication, il me semble, à propos de faire le mieux possible. Quand je fais vraiment tout mon possible – même si je rate lamentablement – ce que je fais est parfait. Vous me direz peut-être que j’exagère un peu mais je pense vraiment que certains échecs ou certaines erreurs peuvent relever de la perfection. Je ne dirais pas que nous voyons de façon imparfaite mais que notre rapport au monde relève de questions, de demandes de raison.
En plus, Paul n’évoque que la forme de la connaissance et pas son objet. On connaîtra comme on a été connu. Sous entendu « connu par Dieu », je suppose. Formule plutôt obscure puisqu’on ne sait pas comment Dieu connait, mais admettons. « Alors » on connaîtra quoi ? Il n’y a pas de complément à son verbe… est-ce que c’est nous, dans notre identité ? le monde ? notre relation à Dieu ? Dieu lui-même ? tout ça en même temps ? J’ai du mal avec cette idée, je ne la comprends pas je pense. Pourtant ce verset semble si clair pour d’autres.
Par contre, comme vous, je trouve aussi du positif à ne connaître qu’en partie car si nous en avons conscience – le contraire serait bien grave – cela nous oblige à éclairer les parties plus obscures par nos recherches personnelles, nos échanges avec les autres, et surtout par nos actions, ce qui consiste à nous « augmenter » les uns les autres, ce à quoi, il me semble, notre nature nous appelle. Finalement, la foi et l’espérance ne me parlant pas trop, je retiendrais, comme Paul, l’importance de la charité-agapé qui me semble davantage répondre à un mouvement d’évolution, à une sortie de soi plus conforme à un processus de connaissance, à répondre au monde par un mouvement et pas seulement par la contemplation.
Mais dans l’ensemble ce verset me laisse quand même perplexe. C’est vrai que j’ai bien du mal, en général, à m’entendre avec Paul. Encore une connaissance imparfaite sans doute…
J’ai lu votre commentaire avec jubilation, c’est comme ces fugues de Bach qui ajoutent des variations tout en revenant sur le thème. C’est beau et touchant.
Il me semble que
C’est précisément une belle chose que ce verset laisse perplexe, songeur et ébahi.
Su ce coup, il me semble que Paul a fait assez fort.
Un « passif théologique » ? ah, d’accord. Bon, je vais essayer de mieux comprendre ce « être connu » alors. Merci pour votre joyeux éclairage !
Bertrand Russell (qui est pour moi presque aussi intéressant que son (ex) copain Whitehead), n’est pas loin de Paul dans son appréciation du doute, ne pensez-vous pas ?
Vous osez des rapprochements auxquels je n’aurais pas même pensé, alors votre question est géniale ! Pour Russell, je dirais que le doute est une façon de se désengager des habitudes, de voir sous un jour nouveau. Il n’est pas provoqué par quelque chose qui ne colle pas en face de nous. Au contraire tout y est « normal » au départ, c’est là où cela ne va pas pour Russell.
Douter de ce qui pose question ou problème n’est pas très difficile, c’est ce que fait Descartes lorsqu’il doute pour découvrir une vérité : douter de ce en quoi je pourrais trouver la moindre « occasion » de douter. Russell retient cette leçon que le doute est un puissant éclairage du vrai, voire y peut mener directement, et cherche à questionner ce qui n’est absolument pas douteux. Comme aussi Descartes devant un morceau de cire (Méditations métaphysiques II). Pas besoin d’occasions, au contraire, il faut même le provoquer pour avancer.
C’est vrai que c’est plus compliqué de douter de ses certitudes en tant que certitudes, c’est-à-dire en tant qu’impensé, surtout si on aime ses certitudes, voire si on les adore et si cela fait longtemps qu’on les pense, c’est encore plus difficile. C’est une expérience commune. Le doute de Russell questionne ce qui ne pose pas question et provoque ainsi l’étonnement. Ce n’est plus l’étonnement qui provoque le doute. On pourrait aussi dire qu’il s’étonne de ce que rien n’étonne. Russell étend ce doute à toute expérience, ce n’est pas juste un principe de connaissance mais une façon d’envisager le monde, de le pratiquer de la façon la plus large possible et d’ouvrir le sens, dirais-je. Vous connaissez dans les « Problèmes de philosophie » la magistrale démonstration de l’inexistence de la « matière », devant une simple table. Tout le monde peut lire ces chapitres, c’est assez court et simple. Et c’est jubilatoire, finalement un peu déstabilisant. C’est le but aussi car en voulant rétablir l’équilibre que le doute met en jeu, on peut s’embarquer dans des perspectives surprenantes. Je crois que Russell appelle cela la philosophie.
Alors, est-ce qu’on pourrait rapprocher cela de la façon dont Paul doute ? Vous surestimez ma connaissance de Paul, mais pour ma part, je ne le vois pas tellement douter comme on doute au sens strict du terme, alors je ne sais pas comment vous l’entendez. Mais, par contre, dans la façon dont il renverse les certitudes, complètement, là oui. Par exemple dans la façon dont Paul renverse le sens de la Loi dans Romains 2 : « Quand des païens qui n’ont pas la Loi pratiquent spontanément ce que prescrit la Loi, eux qui n’ont pas la Loi sont à eux-mêmes leur propre loi », de la circoncision « ce n’est pas la marque visible dans la chair qui fait la circoncision » ou de Dieu en Romain 3 « Dieu serait-il seulement le Dieu des Juifs ? N’est-il pas aussi le Dieu des nations ? Les positionnements et questionnements de Paul invitent à dépasser les habitudes, à percevoir un monde plus riche, on pourrait dire à l’augmenter et non à le fragiliser. Il construit en déconstruisant et on peut se douter, qu’en face, chez ses interlocuteurs contemporains, ça devait parfois coincer. Et comme Russell, il ne part pas d’éléments problématiques mais de choses bien connues. Et même le renversement complet de la compréhension de la croix pourrait être mis au compte de ce « doute », ce qui fait qu’il inaugure une nouvelle théologie « révolutionnaire » peut-être.