Pieter Brueghel l
Prédication

Être un peuple et être un individu (Genèse 11 ; Actes 2 ; Apocalypse 21-22)

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(Voir le texte biblique ci-dessous)

prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Genève le dimanche 1er août 2021,
par : pasteur Marc Pernot

Pieter Bruegel - La tour de Babel
Qu’est-ce qui fait un peuple ? Un vrai peuple ?

Il me semble que la Suisse offre une belle façon d’être un peuple, d’être un pays tout en faisant place à l’individu, à la commune, au canton et à la fédération, à différents cultes, différents partis.

Comment nous-même faire partie d’un groupe tout en étant un individu ayant un point de vue personnel ? Et sans nous déchirer ? La question demande de la nuance car elle est complexe à penser et à vivre.

C’est ce que e je vous propose de creuser avec le célèbre mythe de Babel dans le livre de la Genèse. Ce récit est inspirant et il a inspiré la suite chrétienne de la Bible hébraïque, avec une relecture dans le livre des Actes des apôtres et dans l’Apocalypse de Jean.

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Faire un peuple : les bons projets de Babel

Comment faite un peuple, comment être un vrai peuple ? Le récit de Babel explore cette question. Il suit l’épisode du déluge dénonçant la violence terrible existant entre humains, dénonçant aussi les conceptions d’un Dieu qui pourrait faire preuve de violence contre l’humanité, proposant à la place une théologie où Dieu s’associe avec l’humain tel qu’il est, un être à la fois génial et en partie problématique. Le récit de Babel prend la suite de cette histoire. L’humanité semble avoir compris que la violence mène au chaos détruisant la vie, l’humanité semble avoir saisi cette façon d’être divine de faire alliance avec l’autre tel qu’il est, de s’associer, de faire corps ensemble. Jusqu’à quel point ? Telle est la question proposée par ce texte.

Au commencement de l’histoire nous avons une unité du groupe poussée à l’extrême : « Toute la terre eut une seule langue et les mêmes mots », ils parlent effectivement d’une seule voix pour foncer dans un même magnifique projet « Allons ! bâtissons-nous une ville et une tour. »

Une ville : cela permet d’être plus forts. Une façon de faire corps, de faire face ensemble. C’est la base même du Pacte fédéral de 1291.

Une tour : c’est chercher ensemble à donner du sens à ce qu’ils sont et à ce qu’ils font, ils cherchent une élévation vers le ciel, par l’intelligence, par la spiritualité, par les arts, les sciences, la culture, l’éducation… Le pacte fédéral, lui aussi, reprend cette dimension en commençant par une prière « Au nom du Seigneur, amen ! » et en ayant dans sa conclusion « si Dieu y consent. »

Le mythe de Babel dresse ainsi une façon de se constituer en peuple, et même en peuple éclairé : avec une façon de faire corps dans la solidarité et dans la recherche d’élévation. N’oubliant aucune de ces deux excellents dimensions.

Hélas, une interprétation moraliste très courante vient parasiter ce mythe inspirant. Dieu aurait pris ombrage de la grandeur que ce projet donne à l’humanité (ce serait un tout petit dieu pas très sympathique). La morale de l’histoire serait : baissez la tête, sinon gare à la sanction divine ! À mon avis, cette leçon arrangeait surtout les despotes humains voulant régner sur des sujets dociles, qu’ils ne s’unissent pas contre leur tyran, et qu’ils passent par son autorité pour penser et pour prier.

Rien de cela n’est dans le récit de Babel. Pas un mot du texte ne permet de supposer que ce double projet de solidarité et d’élévation serait mauvais ou désapprouvé par Dieu. Au contraire : Leur recherche d’élévation est approuvée par le fait que la tour continue à s’élever après que « L’Éternel descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les enfants de l’humain. » Le nom utilisé pour parler de Dieu est ici YHWH, signifiant que Dieu vient ainsi en ami, avec tendresse comme source de vie. Quant à leur projet de faire corps ensemble, ce projet est approuvé par ces paroles de Dieu « Voilà un peuple, parlant d’une voix : maintenant il n’y aura rien d’impossible dans ce qu’ils auront décidé de faire. » C’est bien. Dieu ne désire absolument pas que l’humain soit un misérable vermisseau, au contraire, Dieu crée l’humain à son image pour que nous soyons co-créateurs avec lui.

Le livre des Actes des apôtres propose une actualisation de ce mythe de Babel. C’est ainsi que nous sommes appelés à nous laisser inspirer par ces immenses mythes de la Bible, et s’ouvrir dans notre contexte au meilleur venant de Dieu. Le projet de Babel est repris par ces premiers chrétiens à la disparition de Jésus. Ils se rassemblent « tous ensemble en un même lieu » (2:2) : ils s’unissent en un corps pour faire face à l’adversité qui les frappe et les menace encore. Ils sont aussi dans une recherche d’élévation « ils montent dans la chambre haute… Tous, persévèrent d’un même cœur dans la prière. » (1:13-14) C’est leur tour de Babel et eux aussi vont recevoir la visite de Dieu.

Le livre de l’Apocalypse de Jean reprend lui aussi la vision d’une ville comme étant notre finalité ultime, une ville de paix avec la présence de Dieu comme source et comme lumière.

Ce projet de faire corps ensemble pour nos projets communs et pour rechercher une élévation est une piste inspirante. Avec cette façon de faire alliance entre nous, humains, tels que nous sommes, de faire corps face à l’adversité, sans négliger pour autant cette recherche de spiritualité, d’élévation.

Aller plus loin que Babel

Pourtant, il manque quelque chose à ce stade du projet « Babel ». Il manque même deux choses à ce peuple constitué à Babel et à ce groupe des proches de Jésus assemblés bien à l’abri dans leur chambre haute, pleine des souvenirs de leur Jésus et vibrante de prières communes.

C’est ce que montre le fait que Dieu, ou plutôt YHWH intervient, leur permettant de passer à l’étape suivante, à un palier supérieur dans leur genèse. Il ajoute deux choses au peuple de Babel :

  • Il donne à chaque personne une langue particulière, un point de vue unique.
  • Et il les envoie partout, sur la face de toute la terre.

Car l’excellente union du peuple ou de la communauté, en un même lieu, avec une seule langue, une même prière présentent deux risques fondamentaux, faisant manquer le but. Le premier est l’écrasement des individualités par le groupe, le second est le recroquevillement de la communauté sur elle-même.

Il en est ainsi, je pense, pour un peuple, et aussi pour une église, comme pour n’importe quel groupe. Il s’agit d’être un peuple sans que l’individu soit écrasé, au contraire. Être un peuple sans que la communauté se renferme, se durcisse, se prenne pour Dieu (sauf que lui, précisément, est ouvert).

L’action de Dieu à la Pentecôte va dans le même sens qu’à Babel, et d’une façon très intéressante. Les disciples de Jésus sont assemblés dans le même lieu, les murs de leur chambre haute sont comme les murailles de la ville. Leur élévation (leur tour commune) est la mémoire de Jésus et leur culte, leur prière. Dieu se rend présent, donnant son souffle de discernement et de créativité à chaque personne individuelle de leur communauté. De sorte que chacune de ces personnes va se sentir envoyée au-delà de la communauté elle-même.

Le projet annoncé par le Christ au début du livre des Actes se réalise « Vous recevrez une puissance, celle du Saint-Esprit survenant sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre. » (Actes 1:8)

Ce projet était ambigu. La communauté aurait pu recevoir collectivement l’Esprit Saint, et elle aurait pu ensuite s’activer comme un seul homme a réaliser ce projet d’action au quatre coins du monde. En réalité, et le texte insiste à plusieurs reprises là dessus : l’Esprit est donné individuellement à chaque personne et c’est chaque personne qui recevra une vocation qui dépasse les limites de la communauté.

Le rôle de la communauté n’est pas nié, ils reçoivent tous l’Esprit. Mais la communauté est seulement comme un tremplin pour que chaque individu puisse voler ensuite de ses propres ailes dans sa relation à Dieu et dans sa vocation personnelle.

C’est ce que développe Jean dans sa 1ère lettre : « Pour vous, vous avez reçu l’onction de la part de celui qui est saint, et vous avez tous la connaissance… demeurez en lui selon les enseignements qu’elle vous a donnés. » (1 Jean 2:20-27). Jean développe ainsi, pour chaque personne individuelle, la mission d’être fidèle à ce que Dieu lui a donné en propre. C’est un devoir de sincérité, de fidélité à sa propre conscience éclairée par l’Esprit.

Cette première communauté nous montre l’exemple d’une communauté modeste.

Dans son rôle, la Confédération fait de même avec le principe de subsidiarité, elle est là seulement pour rendre possible l’existence et l’épanouissement des diverses cantons, communes, communautés, individus, afin que chacun puisse avancer et faire avancer à sa façon.

L’Eglise est comme cela aussi. On entend parfois que l’objectif serait d’être une belle communauté vivante. Oui, mais comme celle de ces disciples de la Pentecôte, comme une étape préliminaire permettant à chacun de devenir lui-même. Permettant à chacun de recevoir directement de Dieu son souffle. Aidant chacun à se forger sa propre pensée théologique et morale, trouver sa propre vocation, s’envoler de ses propres ailes.

L’Église, comme l’état doivent être des communautés assumant leur rôle essentiel et restant modestes. C’est ainsi que je comprends cette phrase de Jésus vis à « le shabbat est fait pour l’humain et non l’humain pour le shabbat » (Marc 2:27). L’église, la communauté, toute communauté n’est pas une finalité, simplement un outil au service de l’humain, du meilleur développement possible de chaque individu.

La finalité ce n’est pas une église englobante pour le fidèle. Ou alors c’est juste pour un temps, comme un cocon pour le préparer à devenir papillon. C’est vrai que la communauté est indispensable. Nous n’aurions jamais entendu parler du Christ s’il n’y avait pas d’église. Nous ne pourrions pas nous rassembler en paix ce dimanche pour lire la Bible et prier s’il n’y avait pas d’État pour que nous puissions vivre en paix.

Dans un sens, c’est décevant pour l’église qui voudrait en faire plus, être plus. Être la main et la bouche de Dieu. Réaliser par ses talents l’unité du corps du Christ… la vocation de l’église est bien plus modeste, elle est d’aider chaque personne à faire place à son Dieu, la suite leur appartient, à la personne et à Dieu.

L’après Babel, l’après Pentecôte

Que devient alors la communauté quand chaque membre a reçu l’Esprit Saint et se sent investi d’une vocation personnelle dans le monde, hors les murs de la communauté ? La belle unité qui leur a permis de se préparer à recevoir l’Esprit, que devient-elle quand chacun parle sa propre langue, sa propre sensibilité théologique ou spirituelle, sa vocation ? Une communion. Nous serons, nous sommes bien plus unis encore qu’avant, par une union plus profonde. Nous sommes unis par une sincérité que permet l’amour de Dieu manifesté par Christ, unis par une façon d’aimer et de servir, unis par cette impulsion de vie que nous avons reçue de Dieu au fond de nous. Quand c’est véritablement par l’Esprit, chacun parle enfin sa propre langue, et nous pouvons nous comprendre viscéralement. C’est ainsi que nous faisons corps ensemble, par l’Esprit.

Notre vie est comme une respiration. Avant de repartir vers notre vocation particulière, il y a un temps où nous pouvons nous reposer encore à nouveau dans la communauté, dans la chambre haute, dans la mémoire de ce qu’a fait Jésus-Christ, dans nos Psaumes, dans nos frais vallons et leurs cimes blanches.

Chaque dimanche, jour de résurrection, la chambre haute des disciples est là, modeste, prête à nous recevoir pour un temps de repos avec d’autres personnes cherchant Dieu en Christ. Avant de nous laisser encore surprendre par Dieu.

pasteur Marc Pernot

Textes de la Bible

Genèse 11:1-9

Toute la terre eut une seule langue et les mêmes mots. Partis de l’Est, ils trouvèrent une vallée au pays de Chinéar, et ils y habitèrent.

Ils se dirent l’un à l’autre : Allons ! faisons des briques et cuisons-les au feu. La brique leur servit de pierre, et le goudron leur servit de ciment.

Ils dirent encore : Allons ! bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet soit au ciel, et nous nous ferons un nom, afin de ne pas nous disperser à la surface de toute la terre.

L’Éternel descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les enfants de l’humain. L’Éternel dit : Voilà un seul peuple, parlant d’une seule voix, et voilà ce qu’ils ont entrepris de faire ! Maintenant il n’y aura rien d’impossible dans ce qu’ils auront décidé de faire. Allons ! descendons : et là, mélangeons leur langage, afin qu’ils n’entendent plus le langage les uns des autres. L’Éternel les dispersa à partir de cet endroit sur toute la surface de la terre ; et ils arrêtèrent de bâtir la ville. C’est pourquoi on l’appela du nom de Babel, car c’est là que l’Éternel mélangea le langage de toute la terre, et c’est de là que l’Éternel les dispersa sur toute la surface de la terre.

 

Actes 1:13-14 ; 2:1-6 et 44

1:13Quand ils furent rentrés, ils montèrent dans la chambre haute où ils se tenaient d’ordinaire ; il y avait Pierre, Jean, Jacques et André, Philippe et Thomas, Barthélemy et Matthieu, Jacques, fils d’Alphée, Simon le Zélote et Judas, fils de Jacques. 14Tous, d’un commun accord, étaient assidus à la prière, avec des femmes, Marie, mère de Jésus, et les frères de celui-ci…

2:1Lorsque arriva le jour de la Pentecôte, ils étaient tous ensemble en un même lieu. 2Tout à coup, il vint du ciel un bruit comme celui d’un violent coup de vent, qui remplit toute la maison où ils étaient assis. 3Des langues leur apparurent, qui semblaient de feu et qui se séparaient les unes des autres ; il s’en posa sur chacun d’eux. 4 Et ils furent tous remplis du Saint-Esprit, et se mirent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer. Or, il y avait en séjour à Jérusalem des Juifs, hommes pieux, de toutes les nations qui sont sous le ciel. Au bruit qui eut lieu, la multitude accourut, et elle fut confondue parce qu’ils les entendaient parler chacun dans sa propre langue…

 

Apocalypse 21:10-14 et 22:15

10Un des sept anges me transporta, par l’Esprit, sur une grande et haute montagne, et il me montra la ville sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu. 11Elle avait la gloire de Dieu ; son éclat ressemblait à celui d’une pierre précieuse, une pierre de jaspe transparente comme du cristal. 12Elle avait une grande et haute muraille. Elle avait douze portes…

22:1Il me montra un fleuve d’eau de la vie, limpide comme du cristal, sortant du trône de Dieu et de l’agneau. 2Au milieu de la grande rue de la ville et sur les deux bords du fleuve, un arbre de vie produisant douze récoltes et donnant son fruit chaque mois. Les feuilles de l’arbre sont pour la guérison des nations païennes. 3Il n’y aura plus de malédiction. Le trône de Dieu et de l’agneau sera dans la ville. Ses enfants lui rendront un culte ; 4ils verront son visage, et son nom sera sur leur front. 5La nuit ne sera plus, et ils n’auront besoin ni de la lumière d’une lampe, ni de la lumière du soleil, car c’est le Seigneur Dieu qui les éclairera. Et ils régneront à tout jamais.

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2 Commentaires

  1. Andrée dit :

    Cher Monsieur,
    Une fois de plus merci pour votre « mise à jour » très intéressante des textes bibliques traités.
    Personnellement, il ne me reste plus qu’à trouver ma vocation ( que je cherche depuis 78 ans) !!! Et c’est épuisant de chercher un sens à la vie, pendant toute sa vie !
    Peut-être, ferez-vous un jour une prédication à ce sujet !
    Bonne fin d’été et merci pour vos sermons revigorants.
    Avec mes meilleures salutations.

    1. Marc Pernot dit :

      Chère Andrée
      Grand grand merci à vous pour ces encouragements.
      Bravo de chercher du sens. Et si le sens de la vie était précisément cette recherche.
      Cela me fait penser à ce petit essai de Camus qui médite sur le personnage de Sisyphe, et que Camus termine ainsi : « La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’humain. Il faut imaginer Sisyphe heureux« . Cela me semble rejoindre mon Psaume préféré, le Psaume 121 « Je lève les yeux vers les montagnes… »
      Dieu vous bénit et vous accompagne

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