Miniature du monastère de Dionysiou, sur le mont Athos, Grèce, vers 1059.
Prédication

Pardonne-nous comme nous pardonnons ? Ce n’est pas ce que Jésus demande. (Matthieu 6:5-15 ; Luc 7:2-10)

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(Voir le texte biblique ci-dessous)

prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Genève le dimanche 24 octobre 2021,
par : pasteur Marc Pernot

Miniature du monastère de Dyonysiou, Mont Athos, Grèce, vers 1059.
Notre Père qui es aux cieux… pardonne-nous nos offenses,
comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés…
mais si vous ne pardonnez pas, votre Père ne vous pardonnera pas non plus.

Ce passage de l’Évangile pose une difficulté considérable. Si on lit ce texte rapidement, on aboutit à une impasse théologique, ainsi qu’à une morale faisant de lourds dégâts : de souffrances et même de mort.

Commençons par l’impasse théologique. Ce texte tout simple pourrait nous faire penser, à tort, que notre performance à pardonner fixerait la mesure du pardon de Dieu pour nous. Cette lecture est absolument impossible dans le contexte de l’Évangile du Christ. Dieu est amour, et si nous aimons un peu c’est qu’il nous a aimé le premier, alors que nous étions pécheurs, et même parfois son ennemi. C’est lui qui tente d’apprendre les bonnes manières à l’humain, pas l’inverse. Il est impossible que nous ayons ici, au cœur de l’Évangile, un texte où Jésus dirait que Dieu ne pardonnerait que sous condition. C’est impensable. Et puis c’est illogique, car si Jésus disait que le juste pardonne, Dieu serait alors le premier à pardonner, et aussi à celui qui ne pardonnerait pas à ses semblables..

Ensuite, la leçon « il faut pardonner » parfois inspirée de ce texte , cette leçon fait parfois de lourds dégâts sur les personnes. Une victime est blessée dans sa chair et traumatisée. Lui enseigner que pardonner est pour elle un impératif catégorique, voire une condition à son propre pardon par Dieu : cette leçon de morale transforme la victime en coupable, coupable de peiner à pardonner, ce qui est tout à fait compréhensible. Cette morale ajoute de la peine à la peine, c’est lui faire craindre Dieu au moment précis où cette personne aurait le plus besoin de sentir sa compassion, le plus besoin de son secours pour être ressuscité à la vie heureuse. Quelle pitié ! Et ce n’est pas seulement cela : au cours de mon ministère j’ai entendu plusieurs femmes subissant des violences et j’ai entendu plusieurs jeunes abusés qui pensaient devoir supporter cela car on leur avait dit qu’un chrétien pardonne ! Non, madame, votre mari est violent ? quittez-le, vous êtes en danger de mort. Non, mademoiselle, ce n’est pas vous qui feriez du mal à votre famille en dénonçant un comportement inapproprié : au contraire, ce serait salutaire et cela irait dans le sens du « délivre-nous du mal » de Jésus.

Avant de juger trop vite cette 5ème demande de la prière de Jésus, regardons ce qui est réellement écrit. C’est la moindre des politesses. Il est marqué, littéralement :

« Remets-nous nos dettes,
comme nous aussi nous avons remis à nos débiteurs. »

Le terme de « dette » (ὀφείλημα) employé ici par Jésus appartient au vocabulaire technique financier, c’est « ce que l’on doit », que ce soit une dette que l’on doit rendre, ou que ce soit un dû comme une taxe.

La question essentielle au cœur de nos relations n’est pas celle de l’offense. La question centrale n’est pas celle de notre honneur froissé (même si c’est pénible, notre dignité de personne enfant de Dieu n’est pas atteinte). Dans nos relations avec Dieu et avec nos proches, la question qui est montrée ici comme essentielle est de nous libérer de la logique de la dette. Et cela afin d’évoluer vers une autre logique qui est celle de la gratuité. Bien entendu, on ne parle pas ici de prendre ou non un emprunt pour acheter sa maison, ni d’espérer avoir du pain gratuit à la boulangerie, la question est bien de chercher ce qui tisse de belles alliances entre nous et avec Dieu.

Dès notre naissance, nous avons une dette par rapport à la vie elle-même, car notre vie est un miracle qui dépasse tout entendement, elle a demandé jusqu’à présent tant de soins, à commencer par la mère qui nous a porté, les générations précédentes par milliers, et tout au long de notre vie. Si l’on pensait en terme de dette, elle serait insolvable, et cette logique ferait donc peser un poids infini de devoirs et de culpabilité.

Jésus nous propose de demander à Dieu de nous aider à nous libérer de ce sentiment de dette : c’est faire place à l’amour qui, lui, ne se monnaye jamais, c’est laisser place à la gratitude, c’est laisser place à l’affection, à la complicité, à la tendresse, au geste de libre bonne volonté. De même vis-à-vis de Dieu, il est en permanence l’origine de la vie, seulement : il la donne de bon cœur et en toute liberté, c’est sa joie, nous sommes bien content pour lui, et pour nous. Nous pouvons donc dire que Dieu nous a tout donné et nous ne lui devons rien. Simplement : la louange peut nous l’envie de vivre un peu à sa façon, avec des gestes de bonté gratuite. Au contraire, la logique du « après tout ce que j’ai fait pour toi » est une logique, une théologie perverse. Si on fait un cadeau à quelqu’un, c’est de bon cœur, ce n’est pas pour lui envoyer ensuite la note à la figure.

Quand nous avons été blessé par une personne, la logique de la dette nous suggère de régler les comptes par la vengeance, c’est-à-dire de faire payer la souffrance subie par une souffrance donnée. Cela augmente la souffrance du monde, et cela n’aide en réalité pas la victime. Elle était déjà blessée d’avoir souffert, la logique de la dette fait qu’elle est comme contaminée par le mal subi en devenant elle-même source de souffrance, ce qui n’est bon pour personne. Hélas, cette logique a été survendue avec cette épouvantable théorie du Christ qui aurait dû payer la note en rançon pour nos péchés afin de calmer un Dieu qui serait, lui aussi, soumis à la logique de la dette. Cette théorie épouvantable repose aussi sur des traductions fautives.

Au contraire, cette prière de Jésus pour nous libérer de la dette nous permet de comprendre ce qui semblait menaçant en première lecture : tant que nous pensons la justice en terme de dette exigeant que la faute soit payée, nous aurons du mal à saisir que Dieu nous aime malgré nos fautes et nos faiblesses. Ce n’est pas que Dieu cesserait de nous aimer pour autant, bien sûr, c’est seulement nous qui aurions du mal à lui faire confiance, et c’est bien dommage car c’est quand nous sommes faibles que nous avons le plus besoin de Dieu.

D’ailleurs, que signifie ce verbe « pardonner » que nous avons ici ? Ce verbe est en grec aphièmi qui vient de apo « loin de » et hièmi « envoyer ». La question n’est pas celle d’une amnistie, ni celle de payer quoi que ce soit pour solder le compte, la question est « d’envoyer au loin » ce qui est mauvais. Cela veut dire faire en sorte que la victime se porte mieux, d’abord. Cela veut dire aussi que le coupable soit guéri de son problème qui a été source du mal, et qu’il ne fasse pas de nouvelles victimes. Cet aphièmi est une logique de soins en vue du bien. Ce travail ne peut pas être fait si on est dans la logique de la dette à venger, ou dans celle du pardon comme une amnistie. Ce serait comme si un médecin disait à une personne : je vous pardonne votre appendicite, je vous pardonne votre Covid, allez en paix ! C’est bien sympa mais cette absolution ne va pas suffire à « nous délivrer du mal », au contraire.

Ce qui est donc demandé ici par Jésus dans sa prière c’est de nous aider à mettre fin à cette logique délétère de la dette, afin d’entrer dans la logique de la bonté gratuite, choisie librement, sans obligation, sans chantage ni menace, juste parce que c’est si bon d’arriver à être un petit peu bon. A l’image de Dieu, en fait.

C’est ce qu’illustre cet épisode de Jésus avec un centurion romain. La bonté gratuite est ici présente à tous les niveaux. C’est librement que le centurion décide d’aider son esclave. C’est librement que le centurion a construit une synagogue dont lui-même n’avait pas l’usage. Les Judéens répondent à la demande du centurion par gratitude. Jésus agit alors qu’il ne devait rien ni à ce centurion, à son serviteur, ni à ces notables.

Cette bonté créatrice gratuite c’est ce que l’on appelle parfois la grâce dans notre jargon théologique. On voit dans cette histoire ce qui peut donner envie de la vivre : c’est l’estime de l’autre, c’est la gratitude, c’est l’affection, la générosité, ou la simple envie de faire du bien. Cette capacité nous a été donnée avec ce souffle divin qui fait de nous un animal spirituel, sensible à la grâce. Et c’est à Dieu que nous pouvons demander d’en être toujours plus la source comme nous en sommes le récepteur.

Il n’y a de grâce que si l’on n’était pas obligé d’agir par devoir et que si l’on essaye que la personne que l’on aide ne se sente pas en dette vis à vis de nous (ce n’est pas facile, cela ne dépend pas que de nous).

Parfois même, comme ici, l’élan de la grâce prend des libertés par rapport aux droits et devoirs : Il n’est pas correct qu’un centurion se fasse serviteur de son esclave, il n’est pas correct qu’un responsable religieux aille supplier un libéral incontrôlable comme ce Jésus. Ce n’est pas correct que le Christ, l’Envoyé de Dieu, aide des hommes comme ces soldats romains rendant un culte à César. Ce n’est pas de la bonne théologie de la part de Jésus de célébrer à voix forte « la foi » de ce centurion, sous le seul prétexte qu’il a donné l’impulsion d’une grâce contagieuse, créant ainsi une improbable chaîne de personnes jusqu’à Jésus pour sauver quelqu’un.

Il y a de la hardiesse dans la grâce. Dieu en est l’exemple ultime. Il s’affranchit des tendances physiques de la nature en créant la vie. Dieu s’affranchit de l’équité quand il part à la recherche des brebis perdues qui ne s’excusent même pas de s’être perdues… C’est ce Dieu de la grâce que nous fait connaître Jésus-Christ par ses paroles et par sa vie.

Comme nous le voyons ici, la grâce fait des miracles, elle est puissante, elle est également une fragilité. En effet, puisque par la grâce nous ouvrons notre cœur, nous nous exposons à des coups cruels, d’autant plus que la grâce étant au-delà du droit, il ne sera souvent plus là pour nous défendre. Jésus est mort à cause de cela, rien ne l’obligeait à s’exposer ainsi. C’est ainsi que la grâce est venue dans le monde (Jean 1:17-18), et que nous en vivons.

Amen.

pasteur Marc Pernot

Textes de la Bible

Matthieu 6:5-15

5Lorsque vous priez, vous ne serez pas comme les hypocrites : ils aiment à prier debout dans les synagogues et au coins des rues afin de briller aux yeux des humains. Amen je vous le dit, ils reçoivent leur salaire. 6Mais toi, quand tu pries, entre dans ta chambre, et, fermant ta porte, prie ton Père qui est dans le secret, et ton Père, voyant dans le secret, te donnera en retour.

7Quand vous priez, ne rabâchez pas comme font les païens qui s’imaginent que par l’accumulation de paroles ils seront exaucés. 8Ne leur ressemblez pas : votre Père sait ce dont vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez.

9Vous donc priez ainsi:
Notre Père qui est dans les cieux ! Que ton nom soit sanctifié, 10Que ton règne vienne, Que ta volonté advienne, sur la terre comme au ciel.

11Donne-nous, aujourd’hui, notre pain pour ce jour,

12 Remets-nous nos dettes, comme nous aussi nous avons remis à nos débiteurs,

13Ne nous fais pas entrer dans l’épreuve mais délivre-nous du Mal.

14En effet, si vous écartez leurs fautes aux humains, votre Père céleste le fera aussi pour vous, 15mais si vous ne le faites pas aux humains, votre Père n’écartera pas non plus vos fautes.

 

Luc 7:2-10

2Un centurion avait un esclave malade, sur le point de mourir, qu’il appréciait beaucoup.

3Ayant entendu parler de Jésus, il envoya vers lui quelques autorités judéennes pour le prier de venir sauver son esclave.

4Arrivés auprès de Jésus, ceux-ci le priait ardemment en disant : « Il mérite que tu lui accordes cela 5car il aime notre nation et il a bâti notre synagogue. »

6Jésus faisait route avec eux et déjà il n’était plus très loin de la maison quand le centurion envoya des amis pour lui dire : « Seigneur, ne te donne pas cette peine, car je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit. 7C’est pour cela que je ne me suis pas moi-même considéré comme digne de venir jusqu’à toi ; mais dis une parole, et que mon serviteur soit guéri. 8Ainsi moi, je suis un homme placé sous une autorité et ayant sous mes ordres des soldats, je dis à l’un : “Va” et il va, à un autre : “Viens” et il vient, et à mon esclave : “Fais ceci” et il le fait. »

9En entendant ces mots, Jésus fut plein d’admiration pour lui ; il se tourna vers la foule qui le suivait et dit : « Je vous le déclare, même en Israël je n’ai pas trouvé une telle foi »

10Et de retour à la maison, les envoyés trouvèrent l’esclave en bonne santé.

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2 Commentaires

  1. Jacques dit :

    Une question / difficulté de compréhension:
    Bonjour Pasteur,
    J’ai trouvé votre prédication très enrichissante mais je ne comprends pas comment elle s’applique aux versets « Pardonne-nous nos offenses,
    comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés…mais si vous ne pardonnez pas, votre Père ne vous pardonnera pas non plus ».
    Les versets semble indiquer une réciprocité (marquée par les mots « comme » et « si ») et cette réciprocité semble devoir « fonctionner » seulement si l’homme fait « le premier pas ». On semble même percevoir une insistance sur cette réciprocité.
    Et même si l’on admet que l’on parle d’une « remise de dettes » ou d’une « logique pernicieuse de remise de dettes », il n’en reste pas moins que l’on semble d’abord attendre quelque chose de l’homme avant que Dieu agisse (du type : « Dieu sortira de la logique pernicieuse d’un système de dettes et de débiteur si et seulement si l’homme le fait auparavant »).
    Et je vous avoue que cela m’embête car, comme vous, je pars du principe la grâce ne dépend pas des oeuvres, qu’elle est dispensée sans condition.
    Comment analysez-vous la réciprocité qui est exprimée dans le texte ? comment expliquez-vous notamment que l’ordre de réciprocité exprimé semble reposer sur un premier pas de l’homme ? Comment reformuleriez-vous les versets en intégrant votre point de vue ?
    Et par ailleurs : y a t-il eu un point de vue particulier des Réformateurs sur ces versets (Luther ? Zwingli ? Calvin?) ?
    Merci par avance,
    Fraternellement

    1. Marc Pernot dit :

      Bravo pur cette interrogation.
      Une chose est certaine, à mon avis, c’est que le pardon de Dieu ne dépend pas de notre capacité à pardonner, ni à demander pardon, ni même à reconnaître notre faute, c’est ce que l’on voit dans l’attitude même de Jésus,tout particulièrement vis à vis des soldats romains qui viennent de le crucifier et qui continuent à se moquer de lui et à voler ses affaires. C’est ce que l’on voit aussi dans l’attitude de Jésus vis à vis de Pierre que Jésus est obligé de rabrouer d’un très sévère « arrière de moi Satan » (Mt 16:23), mais apparemment ne lui tient pas rancune par la suite, sans que l’Evangile nous dise un mot d’un éventuel regret de Pierre, quelques versets plus loin Jésus le prend avec deux autres parmi ses plus proches disciples pour un temps de méditation dans la montagne.

      De toute façon, il est inimaginable que ce soit notre capacité à pardonner qui serve de mesure à la volonté de Dieu de pardonner.

      Ensuite, ce passage nous dit que la pardon est une bonne chose, en qu’en conséquence nous espérons que Dieu nous pardonne et qu’il nous aide à pardonner. Nous lui demandons l’un comme l’autre. C’est ainsi que je comprend le « comme » dans la prière de Jésus.

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