Marc Pernot le 21 avril 2024 à Vandœuvres
Prédication

Des trois immortels : 2/3 Ressusciter l’espérance (1 Corinthiens 13 ; Jonas 2:2-8)

L’espérance ne consiste pas à penser que les choses vont s’arranger (elles ne s’arrangent pas toujours) ; l’espérance c’est être sensible à une autre dimension qui fait que notre vie est gardée que nous sommes digne d’exister quoi qu’il arrive.

Texte, vidéo et poscasts de la prédication. Ceci est un témoignage personnel. N’hésitez pas à donnez votre propre avis ci-dessous.

pasteur Marc Pernot

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prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Genève et en direct sur RTS religion, le dimanche 21 avril 2024,
par : pasteur Marc Pernot

Pâques est la découverte d’une dimension supplémentaire de notre vie. C’est ce dont parle l’apôtre Paul quand il affirme dans une de ses pages les plus célèbres que « Maintenant donc ces trois choses demeurent pour toujours : la foi, l’espérance et l’amour ». Nous aurions donc trois qualités divines qui sont plus fortes que la mort : La foi, l’espérance et l’amour.

Lors de cette deuxième prédication, je vous propose de nous pencher sur cette espérance dont il est question ici, et qui est plus forte que tout ce qui peut arriver. Or nous savons bien que les choses ne s’arrangent pas toujours, on m’a même dit que je devrais mourir un jour, ce qui ne m’amuse pas. Par conséquent, « l’espérance qui demeure pour toujours » c’est autre chose qu’avoir simplement de l’espoir de ne pas avoir de problèmes, c’est plus profond que cela. Qu’est-ce que cela peut vouloir dire ? Comment recevoir cet encouragement puissant pour en vivre concrètement ?

C’est ce que je vous propose de regarder avec l’histoire de Jonas. Cette une histoire importante pour Jésus qui la cite pour nous expliquer comment Dieu nous sauve. Cette histoire de Jonas est un conte théologique de la Bible : Jonas est avalé par un grand poisson qui l’entraîne au fond de la mer. Dans la Bible, la mer est une image du chaos, cela évoque les tempêtes qui peuvent frapper nos vies, quand nous nous sentons ballotés par les événements, plus ou moins submergés et buvant la tasse. L’image de ce monstre marin qui avale Jonas tout vivant est encore pire : c’est comme quand les tempêtes de notre existence nous avalent tout cru, nous emprisonnent et nous entraînent plus au fond encore. Ce langage imagé de la Bible nous permet de nous approprier ce récit quelle que soit la pire des situations dans laquelle nous nous trouverions. Avec compassion pour toute personne qui souffre et se sent comme au fond du fond du gouffre, pris à la gorge.

Même alors, quand notre être extérieur se détruit, nous dit Paul ailleurs, notre être intérieur se renouvelle de jour en jour(2 Cor. 4:16) : c’est l’espérance qui demeure, l’espérance peut ressusciter.

C’est ce que raconte cette histoire de Jonas quand il va prendre conscience que même là, au fond du fond de l’abîme : il est à la racine des montagnes. Même au plus bas, nous sommes porté par la racine de toutes grandeurs.

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Il nous arrive d’être déçus de nous-mêmes et de notre vie, c’est normal. Mais parfois ce sentiment de ne plus rien valoir peut devenir comme une solitude et une souffrance abominable, où l’on est comme Jonas dans ce Psaume saisissant : pris à la gorge, plus bas que terre, ne voyant plus aucune issue possible. Dans les paroles de ce texte, on sent le vécu d’une personne qui a traversé cela.

Pourtant, au cœur de ce Psaume de détresse, un léger frémissement, un étonnement, apparaît : Même au fond du fond, Jonas sent qu’il est porté par quelque chose d’immense. C’est la résurrection d’espérance. Il faut dire que Jonas est un peu prophète, et nous le sommes aussi.

Avez-vous perçu l’étincelle de résurrection au milieu de cette détresse abominable de Jonas ? C’est une intuition, une révélation, une découverte, un éclair de lucidité qui change tout, du fond même du gouffre. Cette étincelle est dans ces mots « Je suis descendu jusqu’aux racines des montagnes ». Cette image est géniale : alors que l’on au plus bas, sentir que nous sommes pourtant « aux racines des montagnes », à leurs fondations, là où les montagnes sont les plus fortes et les plus enracinées. Notre situation ne se résume pas à la somme de nos détresses. Il n’y a pas de désastre si profond qui puisse faire que nous ne soyons plus une personne portée par la racine de toute élévation, de toute grandeur et de toute beauté. C’est comme cela et nous n’y pouvons rien : nous sommes aimés et gardés. C’est immense et solide comme un Himalaya.

L’espérance, c’est cela : sentir notre dignité radicale, que cela aille bien dans notre vie ou que ça n’aille pas bien du tout. Se sentir soutenu, gardé. C’est sentir que notre vie, même dans les abîmes de tout ce que l’on pourrait craindre, est définitivement digne d’être vécue, elle est et restera toujours portée par les racines mêmes de toute grandeur.

Cette espérance permet alors de voir autrement la réalité. Avant, Jonas se sentait incapable d’apporter quoi que ce soit à personne. Avant, dans sa détresse, Jonas pensait que Dieu était responsable du mal qui l’accablait. Il saisit que c’est l’inverse : Dieu est source d’élévation, encore et toujours, même si nous étions entièrement responsable de nos malheurs, comme Jonas ici. Jonas peut alors renouer avec Dieu. Ce qui permet à Dieu de soigner Jonas de son abattement, de ce monstre qui le tenait dans sa gueule, au fond du fond, et il recrache Jonas sur la terre ferme. C’est comme l’accouchement d’un nouveau Jonas. Il revient autrement sur la terre des vivants, il est même un peu source de vie.

Alors comment cette résurrection de notre espérance peut nous arriver ? Cela se reçoit en partie, cela peut aussi se préparer et s’entraîner, grandir gentiment.

1) Par cette sensibilité qu’est la mystique

Je connais des personnes qui font l’expérience qu’un amour immense les garde. Cela peut venir progressivement, comme un bilan après quelque mois de prière régulière. Cela peut venir par surprise chez une personne qui n’a rien fait pour. Par exemple, je me souviens d’une femme qui est venue demander à être baptisée, c’était 5 ans après avoir vécu une expérience de la sorte, alors qu’elle était une personne athée, équilibrée et rationnelle, et qu’elle était en train de faire du tourisme avec sa famille athée. Elle n’en a parlé à personne, elle a cherché si elle était seule à avoir vécu ce genre de choses, s’est rendu compte que non et a fait le lien avec ce que l’on appelle Dieu. Elle n’avait rien fait pour bénéficier de la naissance de son espérance. Ce n’est pas que Dieu réserverait son amour à certains, c’est simplement une sensibilité plus grande chez certaines personnes.

Même si ce n’est pas toujours si spectaculaire, en se plaçant devant ce Dieu-Amour que révèle le Christ et que Paul nous présente ici, il est possible de progressivement avoir un autre regard sur nous (et sur les autres autour de nous). Le regard de Dieu qui nous connaît et qui reconnaît notre valeur infinie quoi qu’il arrive, alors que nous avons du mal à nous apprécier à notre juste valeur. Comme le dit Paul : « Aujourd’hui je connais partiellement, d’une façon confuse, mais alors je connaîtrai comme j’ai été connu. » (ou cette parole équivalente de Jean « Si notre cœur nous condamne, Dieu est plus grand que notre cœur, il connaît toutes choses. » (1 Jean 3:20) et il nous aime, nous estime, nous garde, car « Dieu est amour »).

Pour ceux qui n’auraient pas assez (ou pas du tout) senti qu’un tel amour nous gardera toujours, tout n’est pas perdu. Il y a encore des portes pour cette espérance :

2) Une personne peut nous dire son estime

Et cela peut tout changer dans notre façon de nous voir. Cette personne est alors pour nous comme un ou une ange venant nous dire la réelle valeur de notre personne et de notre vie. Cet ange là peut tout à fait être une personne athée, comme le dit Jean : « quiconque aime est né de Dieu » (1 Jean 4:7). Une parole d’estime dite avec sincérité est puissante pour ressusciter l’espérance. Vraiment. Cela élève notre regard sur ce qui compte le plus dans la vie, et cela peut sortir une personne du gouffre qui l’avait engloutie. C’est ce que propose ce Psaume 121 où une personne dit à une autre que, sans condition, « L’Éternel, te garde, il garde ton âme, il garde ton départ et ton arrivée, dès maintenant et pour toujours. » C’est à cela que sert le baptême donné à un enfant ou à un adulte. Les rites sont choses puissantes pour l’humain : cela vient dire solennellement que cette personne sera toujours une personne que Dieu aime, garde et bénit.

Mais même si l’on a pas eu la chance de sentir Dieu, ni la chance d’être au moins un petit peu aimé. Tout n’est pas perdu pour que naisse notre espérance.

3) On peut s’entraîner à l’émerveillement

Le philosophe et mathématicien Wittgenstein nous appelle à nous émerveiller et à nous étonner de l’existence du monde, que cela peut nous amener à sentir que rien ne peut nous atteindre dans ce que nous sommes de plus précieux. Pourquoi ? Le simple fait que l’univers existe, que la vie existe, et que nous soyons là, vivants : même s’il y a encore des progrès à faire, c’est déjà absolument époustouflant. Et l’univers est beau, en plus, de ses plus petites parties aux plus grandes. Or nous sommes une part de cet univers incroyable, tout élément participe à l’ensemble, ça forme un tout. J’ai personnellement saisi cela un jour où j’accompagnais un groupe de jeunes dans une randonnée d’une semaine en autonomie dans la montagne, nous étions dans un alpage complètement reculé où il n’y a même pas de sentier. Tout en marchant, un des jeunes s’est mis à s’amuser à décapiter une fleur par-ci une autre par-là d’un coup de bâton. Je lui ai fait remarquer que je trouvais cela dommage, il m’a répondu que de toute façon personne ne regarderait ces fleurs dans ce coin perdu et que cela l’amusait. Sur le moment, j’ai eu du mal à répondre. Mais cela m’a fait creuser l’intuition que j’avais eue : même quand ces fleurs ne sont pas regardées ni ne nourrissent un chamois, elles font partie de l’ensemble de l’univers. Elles sont précieuses. Si on les méprise c’est l’univers entier que l’on atteint.

Quand une personne n’a plus d’espérance en perdant l’estime d’elle-même et de sa propre vie, c’est une fleur d’alpage qui est atteinte, une magnifique fleur, en plus : celle d’une personne vivante malgré peut-être des conditions difficiles. Si cette vie n’était plus digne, c’est comme si du coup, plus rien n’avait de valeur ni de sens dans l’univers. C’est ce que nous dit Jésus : jamais nous ne serons moins précieux qu’un moineau, une herbe des champs ou une fleur d’alpage. (Matthieu 6:28-29) Dieu se soucie du moindre de nos cheveux, même de celui qui tombe.

La sagesse nous le dit, et Dieu nous le dit : en vérité nous sommes dignes, nous et notre vie, non seulement d’exister mais d’être admirés et aimés.

4) L’exercice joyeux et fécond de la louange

Cette conscience se travaille par l’émerveillement et la gratitude, par l’étonnement. Quand nous pratiquons cet exercice dans une ouverture à Dieu cela devient le bon exercice de la prière de louange pour les petites et grandes choses, et aussi pour le fait d’être la personne que nous sommes. Cela nous connecte à cette source de la vie qu’est Dieu (voir la prédication précédente sur la foi).

C’est donc bien que le Psaume nous suggère de prier ainsi : « Éternel, je te chante de ce que je suis une créature si merveilleuse »(Psaume 139:14). Car c’est vrai. Manquer d’humilité consisterait à se prendre pour un dieu (c’est une maladie), mais Dieu ne veut pas nous humilier, au contraire : il nous élève, il nous relève : c’est un Amour. Il nous fait saisir que nous sommes, en fait, une créature merveilleuse : c’est la racine d’une espérance vraie. Ça peut même nous donner l’idée de faire ce que nous pourrons de cette vie, en rayonnant un peu de quelque chose, ou en apportant une goutte d’estime à quelqu’un.

Notre espérance nous situe autrement face à la vie : dans la mesure où nous sommes gardés de toute façon, nous pouvons avoir moins peur de l’opinion des autres, moins peur de ce qui pourrait arriver. Une racine inébranlable nous porte. L’espérance ressuscitée.

Amen

pasteur Marc Pernot

Textes de la Bible

1 Corinthiens 13

4L’amour est patient, l’amour est bon, il n’a pas de passion jalouse ; l’amour ne se vante pas, il ne se gonfle pas d’orgueil, 5il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche pas son propre intérêt, il ne s’irrite pas, il ne compte pas le mal ; 6 L’amour ne se réjouit pas de l’injustice, mais il se réjouit de la fidélité ; 7 L’amour pardonne tout, il a confiance en tout, il espère tout, il supporte tout. 8L’amour ne meurt jamais.

Les messages de prophètes ? ils seront abolis ; les langues ? elles cesseront ; la connaissance ? elle sera abolie. 9Car c’est partiellement que nous connaissons, c’est partiellement que nous parlons en prophètes ; 10mais quand viendra l’accomplissement, ce qui est partiel sera aboli. 11Lorsque j’étais tout petit, je parlais comme un tout-petit, je pensais comme un tout-petit, je raisonnais comme un tout-petit ; lorsque je suis devenu un homme, j’ai aboli ce qui était propre au tout-petit. 12Aujourd’hui nous voyons comme de loin, d’une manière confuse, mais alors ce sera face à face. Aujourd’hui je connais partiellement, mais alors je connaîtrai comme je suis connu.

13Or maintenant trois choses demeurent : la foi, l’espérance, l’amour ; et c’est l’amour qui est le plus grand. Suivez l’amour.

Jonas 2:2-8

2Jonas, dans les entrailles du poisson,
pria l’Éternel, son Dieu :

3Dans ma détresse, j’ai crié vers l’Éternel,
et il m’a répondu ;
du sein du séjour des morts j’ai appelé au secours,
et tu as écouté ma voix.

4Tu m’as jeté dans les profondeurs au cœur des mers,
et les courants d’eau m’ont environné ;
toutes tes vagues et tous tes flots ont passé sur moi.

5Et moi je disais : je suis chassé loin de tes yeux !
mais je continuerai à regarder
vers le temple de ta sainteté.

6Les eaux m’ont couvert jusqu’à la gorge,
l’abîme m’enserre,
des algues sont noués autour de ma gorge.
7Je suis descendu jusqu’aux racines des montagnes,
les verrous de la terre m’enfermaient pour toujours ;
et tu as fait remonter ma vie
de la fosse qui me piégeait,
Éternel, mon Dieu !

8Quand mon être s’évanouissait au-dedans de moi,
je me suis souvenu de l’Éternel,
et ma prière est parvenue jusqu’à toi,
jusqu’à ton saint temple…

11L’Éternel parla au poisson qui recracha Jonas sur la terre ferme.

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6 Commentaires

  1. Pascale dit :

    Davantage que pour ressusciter sa foi, pour ressusciter son espérance on a fondamentalement besoin les uns des autres. Car même lorsqu’on a déjà ressenti cet amour de Dieu avec la mystique, comme évoqué ici, même lorsque dans la Bible nous pouvons lire toutes ces pages qui nous parlent de l’amour inconditionnel de Dieu pour chaque personne en particulier, rien ne remplace la parole d’un autre, soit effectivement une parole d’estime, soit tout simplement une parole qui nous rappelle l’amour de Dieu, c’est tellement puissant. Merci pour ce rappel, pour cet élan à être nous aussi, porteurs de ces paroles.

    1. Marc Pernot dit :

      Merci à vous d »insister là-dessus, c’est tellement simple, et tellement puissant, en effet.

  2. Pascale P. dit :

    Comme cet éclairage auquel je n’avais jamais pensé est à la fois lumineux et ouvre sur une dimension spirituelle ressourçante. Merci beaucoup 🙏

  3. Gaelle dit :

    « Quand une personne n’a plus d’espérance en perdant l’estime d’elle-même et de sa propre vie, c’est une fleur d’alpage qui est atteinte, une magnifique fleur, en plus : celle d’une personne vivante malgré peut-être des conditions difficiles. Si cette vie n’était plus digne, c’est comme si du coup, plus rien n’avait de valeur ni de sens dans l’univers. »

    Comme cette phrase-là, ces mots-là, m’ont touchée à la lecture… Peut-être parce que ce sentiment d’être une simple fleur des champs en robe gitane un peu abîmé à côté du véritable jardin si beau et si ordonné m’habite encore parfois, souvent. Peut-être parce que comme écrit en Mt 6-28, je m’efforce de vivre en lys des champs malgré les angoisses et la détresse qui souvent me paralysent. L’estime de soi-même est une chose difficile à reconquérir lorsqu’il a été foulé aux pieds par des personnes sachant frapper là où ça fait le plus mal, mais chaque dimanche au culte, à chaque lecture qui me traverse, chaque fois que je m’offre un moment privilégié face aux Écritures, je ressens cet amour, cet espérance inouïe, telle une bouffée d’air pour continuer. Je vais relire 1 Cor cet après-midi, avec foi espérance et amour.

    1. Marc Pernot dit :

      Grand merci pour ce témoignage touchant qui peut être un grand encouragement pour d’autres.

  4. Catherine dit :

    Bonjour cher Marc. Je tiens à vous remercier pour votre engagement à annoncer une bonne nouvelle. J’imagine tout le travail que cela vous demande et toute l’intelligence de votre cœur. Vous nous rejoignez pleinement et l’émerveillement grandit. L’Espérance aussi.

    Je pense que vous connaissez ce texte magnifique.
    Amitié

    Charles Péguy : la petite fille espérance

    Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance. Et je n’en reviens pas. Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout. Cette petite fille espérance. Immortelle.
    Car mes trois vertus, dit Dieu. Les trois vertus mes créatures. Mes filles mes enfants. Sont elles-mêmes comme mes autres créatures. De la race des hommes.

    • La Foi est une Épouse fidèle.
    • La Charité est une Mère. Une mère ardente, pleine de cœur. Ou une sœur aînée qui est comme une mère.
    • L’Espérance est une petite fille de rien du tout. Qui est venue au monde le jour de Noël de l’année dernière. Qui joue encore avec le bonhomme Janvier. Avec ses petits sapins en bois d’Allemagne couverts de givre peint. Et avec son bœuf et son âne en bois d’Allemagne. Peints. Et avec sa crèche pleine de paille que les bêtes ne mangent pas. Puisqu’elles sont en bois. C’est cette petite fille pourtant qui traversera les mondes. Cette petite fille de rien du tout. Elle seule, portant les autres, qui traversera les mondes révolus.[…]Mais l’espérance ne va pas de soi. L’espérance ne va pas toute seule. Pour espérer, mon enfant, il faut être bien heureux, il faut avoir obtenu, reçu une grande grâce.[…]

    La petite espérance s’avance entre ses deux grandes sœurs et on ne prend pas seulement garde à elle. Sur le chemin du salut, sur le chemin charnel, sur le chemin raboteux du salut, sur la route interminable, sur la route entre ses deux sœurs la petite espérance S’avance. Entre ses deux grandes sœurs. Celle qui est mariée. Et celle qui est mère. Et l’on n’a d’attention, le peuple chrétien n’a d’attention que pour les deux grandes sœurs. La première et la dernière. Qui vont au plus pressé. Au temps présent. À l’instant momentané qui passe. Le peuple chrétien ne voit que les deux grandes sœurs, n’a de regard que pour les deux grandes sœurs. Celle qui est à droite et celle qui est à gauche. Et il ne voit quasiment pas celle qui est au milieu. La petite, celle qui va encore à l’école. Et qui marche. Perdue entre les jupes de ses sœurs. Et il croit volontiers que ce sont les deux grandes qui traînent la petite par la main. Au milieu. Entre les deux. Pour lui faire faire ce chemin raboteux du salut.

    Les aveugles qui ne voient pas au contraire. Que c’est elle au milieu qui entraîne ses grandes sœurs. Et que sans elle elles ne seraient rien. Que deux femmes déjà âgées. Deux femmes d’un certain âge. Fripées par la vie. C’est elle, cette petite, qui entraîne tout. Car la Foi ne voit que ce qui est. Et elle elle voit ce qui sera.

    • La Charité n’aime que ce qui est. Et elle elle aime ce qui sera.
    • La Foi voit ce qui est. Dans le Temps et dans l’Éternité.
    • L’Espérance voit ce qui sera. Dans le temps et dans l’éternité. Pour ainsi dire le futur de l’éternité même.

    La Charité aime ce qui est. Dans le Temps et dans l’Éternité. Dieu et le prochain. Comme la Foi voit. Dieu et la création. Mais l’Espérance aime ce qui sera. Dans le temps et dans l’éternité. Pour ainsi dire dans le futur de l’éternité. L’Espérance voit ce qui n’est pas encore et qui sera. Elle aime ce qui n’est pas encore et qui sera. Dans le futur du temps et de l’éternité. Sur le chemin montant, sablonneux, malaisé. Sur la route montante. Traînée, pendue aux bras de ses deux grandes sœurs, Qui la tiennent pas la main, La petite espérance. S’avance. Et au milieu entre ses deux grandes sœurs elle a l’air de se laisser traîner. Comme une enfant qui n’aurait pas la force de marcher. Et qu’on traînerait sur cette route malgré elle. Et en réalité c’est elle qui fait marcher les deux autres. Et qui les traîne. Et qui fait marcher tout le monde. Et qui le traîne. Car on ne travaille jamais que pour les enfants. Et les deux grandes ne marchent que pour la petite.

    Charles Péguy, Le Porche du mystère de la deuxième vertu, 1912

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