Question de théologie : quel est le poids de Dieu ? (Exode 33-34)
(Voir le texte biblique ci-dessous)
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prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Genève le Dimanche 18 août 2019,
par : Marc Pernot, pasteur à Genève
IL est question dans la Bible de « la gloire de l’Éternel », en particulier dans la saga de Moïse et de l’exode des hébreux hors de l’esclavage, dans leur marche à travers le désert. Dans le passage que nous avons entendu, Moïse demande avec insistance à l’Éternel : « Fais-moi voir ta gloire ! »(33:19) et l’Éternel, bien serviable, va faire en sorte que cela se fasse.
La manière dont cette histoire est racontée est intéressante : la même réalité est présentée à la fois par l’expression « la gloire de YHWH (l’Éternel) »(33:18,22), ou par YHWH lui-même (33:22-23,34:6), ou par « toute sa bonté »(33:19) qui passera devant lui, et enfin par « la proclamation du nom de YHWH »(33:19, 34:6). C’est intéressant que ces quatre réalités soient ici présentées comme synonymes. La bonté n’est pas seulement une qualité de Dieu, c’est son être même, comme le dit Jean : « Dieu est amour » (1 Jean 4:8,16). C’est sa nature, sa substance si je puis dire, comme le bois est du bois, l’or est de l’or ou le feu du feu. Cela change vraiment : c’est du massif ! Il n’y a pas le risque que la bonté de Dieu s’écaille et laisse paraître une nature différente en dessous. Sa bonté, son amour, sa bienveillance, sa bienfaisance est massive. Dans les deux sens du terme :
- Dieu est massif au sens de taillé dans la masse : il est entièrement et par nature éternellement bon.
- Dieu est massif au sens d’avoir du poids : il ne nous pèse pas dessus, au contraire, il pèse sur le cours de notre histoire par sa bonté, uniquement par sa bonté.
Telle est « la gloire de YWHW ».
Si je puis dire : ce n’est même pas son choix libre et réfléchi d’être bon. C’est sa nature. Et sa nature est également d’exprimer ce qu’il est, en projetant sa bonté, en s’exprimant de façon entièrement positive. La réalité profonde de l’être même de Dieu est à l’image de cette proclamation, forte et tranquille, dans ces paroles solennelles, impressionnantes « JE SUIS : YHWH, Dieu compatissant et faisant grâce, lent à la colère et riche en bienveillance et en fidélité,… »
Cette tirade, digne d’une tragédie grecque, est unique dans la Bible. Parce qu’elle exprime une théologie, un discours sur Dieu. Les passages bibliques le faisant se comptent sur les doigts d’une main et nous avons ici le passage le plus développé avec plus d’une dizaine de notions exprimant une théorie sur l’être même de Dieu. Pourtant, toute la Bible ne parle que de Dieu même quand ce mot n’est pas prononcé. Seulement, les hébreux ne sont pas les grecs, leurs deux génies s’expriment différemment. Quand les grecs inventent la philosophie et donc la théologie, vers le VIIe siècle avant Jésus-Christ, les hébreux se mettent, eux, à écrire la Bible et préfèrent parler de Dieu à travers sa geste.
L’hébreu est réticent à exprimer une théologie spéculative. Ce serait comme une planche d’anatomie pour exprimer ce qu’est une personne humaine.
Et pourtant, nous avons ici deux versets d’une théologie puissante. Pour nous, dont la culture est nourrie aux deux mamelles de la philosophie grecque et de la Bible hébraïque, c’est une chance. C’est une chance et un risque, bien sûr : le risque de figer le Dieu vivant dans quelques formules, dans des particules d’encre sur un support. En deux dimensions, alors que pour parler de n’importe quel être vivant il faudrait au moins quatre dimensions, et pour Dieu infiniment plus. C’est le risque de se faire une image taillée de Dieu, sculptée en dogmes massifs. Car là, oui, nous risquons d’avoir quelque chose de pesant sur la conscience humaine. Tout l’inverse d’une source de vie.
C’est ce que répétait Frédéric Nietzsche (qui s’y connaissait en théologie) : « Les convictions sont des ennemis de la vérité bien plus dangereux que les mensonges. » (dans « humain trop humain », et dans « le crépuscule des idoles » : nous sommes en plein dans le sujet).
C’est à tout prix ce que veut éviter cette page de la Bible : que l’expression de quelques mots de théologie spéculative figent notre foi, aliènent notre conscience et nous paralysent. C’est pourquoi l’Éternel dit et répète en préambule que la vérité est dans le mouvement, qu’elle suscite une marche à notre rythme où Dieu marche devant nous et où il nous accompagne à la fois : « Je marcherai moi-même avec toi et je te donnerai du repos ». Dans ce texte tout cherche à exprimer l’idée de mouvement, jusque dans la façon dont sont dits ces quelques mots de théologie : l’Éternel les proclame dans un double mouvement : en descendant et passant devant Moïse (34:5), « passage de toute sa bonté devant son visage » (33:19). Dieu est mouvement et source de mouvement.
Pourquoi est-ce que le livre de l’Exode se résout ici à faire une incursion dans la théologie spéculative ?
Au chapitre précédent, Moïse s’est rendu compte que les hébreux avaient fabriqué une statue de veau avec de l’or et qu’ils lui chantaient des cantiques ! Ah qu’ils étaient heureux d’avoir enfin un dieu que l’on peut voir, toucher, et qui, de plus est inoxydable. Alors que ce Dieu dont leur parle Moïse, ils ne l’ont jamais vu, et Moïse lui-même était parti prier Dieu au sommet de la montagne depuis 40 jours ! Ils ont pris leurs bijoux pour s’en faire une idole. C’est exactement ce que dit Nietzsche à propos des convictions : même quand elles sont en or du point de vue de l’exactitude, le problème est quand elles deviennent des certitudes, ou pire : devenant intouchables, elles deviennent des idoles. Et que cela ne mène en rien à la vie, au contraire.
Ce récit nous dit à la fois le risque de faire de la théologie ; et le besoin de faire au moins un petit peu de théologie. Pourquoi ? Parce que la personne humaine n’est pas un pur esprit. L’humain est à la fois corps, esprit, sensibilité, intelligence, relations. Le fait d’avoir une certaine spiritualité, le fait que nous sentions comme ces hébreux que cette spiritualité nous fait avancer, nous nourrit et nous abreuve : cela ne nous suffit pas. Notre corps réclame sa part de cet essentiel. Il en a besoin et s’il ne la trouve pas, il se la fabriquera avec une bonne volonté un peu naïve, avec ce qu’il trouvera de plus précieux lui tombant sous la main. Une boucle d’oreille et deux bagues feront l’affaire, nous dit cette histoire du veau d’or. La présence de Dieu en nous, son action dans notre être et notre vie sont l’essentiel. C’est vrai, cependant notre nature humaine a besoin de tangible : d’avoir une certaine vision de Dieu, de pouvoir nous dire, à nous et entre nous, qui nous accompagne, qui nous met en mouvement.
Les maîtres de la Torah ont accepté de dire ici en deux versets quel est celui qui nous accompagne sur le chemin de la vie. Ils le disent avec toutes ces réserves, entre le récit du veau d’or (32) et le commandement de ne pas de faire d’image de Dieu (34:17).
Moïse, dans son peuple, est comme notre dimension spirituelle au cœur de notre être : elle fait ce qu’elle peut. Moïse reste longtemps au sommet de la montagne. Trop longtemps pour les hébreux qui perdent contact, perdent espoir. Il y a là un conseil à prendre pour notre vie spirituelle. Il est bon qu’il y ait des allers et retours entre notre prière et notre vie quotidienne. Notre être a aussi besoin de tangible. Ce sera juste ce qu’il faut de théologie. Une théologie reçue par Moïse sur la montagne, au creux du rocher, ce qui signifie que cette théologie est reçue dans la prière bien qu’elle s’incarne dans la pensée humaine. Les mots de cette théologie exprime ainsi une expérience humaine de Dieu. Lui, Dieu, étant Dieu et non cette expérience. Dais quand-même, c’est enfin du tangible, de l’incarné.
La figure de Moïse nous montre comment chacun de nous pourra se forger sa théologie, en quelques gestes simples (34:1-4) :
- Moïse prépare des tables de pierre pour que Dieu puisse écrire dessus. Cette préparation est une attente, une espérance, une soif de savoir venant de Dieu.
- Moïse monte ensuite avec ces tables sous le bras, il s’élève comme nous pouvons nous élever par la prière et par la réflexion dans l’attente de ce que Dieu a à nous dire. L’aube qui se lève évoque la confiance que la lumière vient.
- Moïse monte seul, il a laissé au pied de la montagne les autres, ses possessions et ses troupeaux. Nous, c’est par la prière et la réflexion que nous prenons de la distance, juste un temps, à l’écart des influences et des contingences, pour nous blottir dans le creux de ce rocher et de cette main qu’est la bonté fidèle de Dieu.
Cela prépare le Moïse ou la Moïsette qui est en nous à découvrir quelques petites choses sur la façon d’être de Dieu. C’est ce qu’exprime Moïse dans cette formidable tirade. Elle commence par un catalogue de tous les mots possibles en hébreu pour dire la bonté. Dieu est :
- rarhame, mot qui veut dire à la fois l’utérus et l’amour de la mère pour son bébé.
- rhanane, qui est la grâce du roi qui accorde une faveur imméritée à un de ses sujets.
- rhéssed, la bonté,
- émèt, la fidélité à un ami, même unilatérale.
Une bonté de Dieu multiforme, maternelle et royale, amicale et bienfaisante. Il est de plus prêt à supporter tout un catalogue de mauvaises attitudes que nous pouvons avoir : l’iniquité, la rébellion et le péché.
C’est parfait. Sauf que la fin du texte traditionnel est terrible : « L’Éternel Dieu ne tient pas le coupable pour innocent, il punit la faute des pères sur les enfants et sur les enfants de leurs enfants jusqu’à la 3e et à la 4e génération » ? C’est profondément choquant. L’idée même que Dieu punisse n’est pas cohérente avec sa bonté radicale, surtout qu’il est question de punir les descendants qui n’ont rien fait ! Heureusement qu’en regardant le texte hébreu on découvre que cette annonce épouvantable est une invention des traducteurs de la Bible ! Il n’est absolument pas marqué « punir » mais « rendre visite », « prendre en compte » (paquad dqp). Et c’est encore un amour bienfaisant.
La bonté de Dieu n’est pas de l’angélisme. Quand du mal a été commis, il y a de la souffrance et il y a un problème à la racine. Que fait Dieu, que doit faire une vraie bonté ? Bien sûr qu’il ne garde pas rancune, la question n’est pas là. Moïse dit que Dieu « supporte nos fautes », il les supporte au sens de porter le problème, de l’accompagner et de soigner ce qui peut l’être.
Dieu « ne tient pas le coupable pour innocent », heureusement ! Que dirait-on d’un médecin qui tiendrait la personne malade comme étant en bonne santé ? Au contraire, il va tout faire pour qu’elle se porte le mieux possible et cela demande de prendre au sérieux ce qui ne va pas chez elle pour le traiter dans le bon sens. La sagesse et les sciences humaines disent comme ce texte vieux de presque 3000 ans que les fautes d’aujourd’hui peuvent avoir des répercussions sur les descendants des personnes concernées, victimes et coupables, sur des générations. Donc heureusement, que Dieu ne fait pas mine de rien, et qu’il les « visite », eux, leurs enfants, et les enfants de leurs enfants sur 3 voire 4 générations. C’est une vraie source d’espérance, il y a tant de choses à restaurer : une estime de soi peut-être, une façon de voir la vie et de chercher Dieu, il y a la vie bonne à rendre possible.
C’est ainsi que Moïse témoignera de la « gloire de Dieu » dans cette théologie puissante et poétique, en deux versets seulement.
Dans la suite de l’histoire, nous voyons qu’étrangement Dieu n’écrira pas sur ces nouvelles tables de pierre montées par Moïse, qui les gravera, lui, avant de redescendre (34:28). Dieu avait pourtant promis au début de l’histoire qu’il écrirait sur les tables de pierre préparées par Moïse (34:1). Où Dieu écrit-t-il ? Sur les tables de notre cœur (Proverbes 7:3) c’est-dire dans notre conscience que Dieu pourrait tracer avec son doigt sa bonté et son alliance (Jérémie 31:33). Le prophète Ézéchiel nous dit que notre cœur de pierre devient un petit peu plus un cœur de chair (Ezéchiel 36:26). C’est pourquoi ce temps sur la montagne va prendre du temps, 40 jours. Le chiffre 40 dans la Bible sert toujours à qualifier une période pour dire que c’est un temps de gestation (c’est basé sur les 40 semaines d’aménorrhée de la gestation humaine). Ce temps est donc le temps de concevoir et d’accoucher un nouveau nous, plus libre et responsable, qui, à son tour, fera preuve d’une bonté puissante.
Avec le secours de l’Éternel.
Amen.
pasteur Marc Pernot, église protestante de Genève
PS. Voir si vous le désirez, la prédication de dimanche dernier qui évoque aussi ce concept de gloire au sens biblique :
Un excellent et légitime désir de gloire (Évangile selon Marc 10:35-45)
Textes de la Bible
Exode 33-34
33:12Moïse dit à l’Éternel : Vois, tu me dis : Fais monter ce peuple ! Et tu ne m’as pas fait connaître qui tu enverras avec moi. Cependant, tu as dit : Je te connais par ton nom, et même tu as obtenu ma faveur. 13Maintenant, si j’ai obtenu ta faveur, fais-moi connaître tes voies ; alors je te connaîtrai et j’obtiendrai ainsi ta faveur. Vois : cette nation est ton peuple.
14(L’Éternel) répondit : Je marcherai moi-même avec toi et je te donnerai du repos.
15(Moïse) lui dit : Si tu ne marches pas toi-même (avec nous), ne nous fais pas monter d’ici. 16À quoi donc reconnaîtra-t-on que j’ai obtenu ta faveur, moi et ton peuple ? Ne sera-ce pas au fait que tu marcheras avec nous, et que nous serons distingués, moi et ton peuple, de tous les peuples qui sont à la surface de la terre ?
17L’Éternel dit à Moïse : J’accomplirai aussi cette parole que tu as prononcée, car tu as obtenu ma faveur, et je te connais par ton nom.
18Moïse dit : Fais-moi voir ta gloire !
19(L’Éternel) répondit : Je ferai passer devant ta face toute ma bonté et je proclamerai devant toi le nom de l’Éternel ; je fais grâce à qui je fais grâce, et j’ai compassion de qui j’ai compassion. 20Il ajouta : Tu ne pourras pas voir ma face, car l’homme ne peut me voir et vivre. 21L’Éternel dit : Voici un endroit près de moi ; tu te tiendras sur le rocher. 22Quand ma gloire passera, je te mettrai dans un creux du rocher et je te couvrirai de ma main jusqu’à ce que j’aie passé. 23Puis je retirerai ma main, et tu me verras par derrière, mais ma face ne pourra pas être vue. 34:1L’Éternel dit à Moïse : Taille deux tables de pierre comme les premières, et j’écrirai sur ces tables les paroles qui étaient sur les premières tables que tu as brisées. 2Sois prêt de bon matin ; tu monteras dès le matin sur le mont Sinaï ; tu te tiendras là devant moi, sur le sommet de la montagne. 3Que personne ne monte avec toi, et qu’on ne voie personne sur toute la montagne ; et même, que ni petit ni gros bétail ne paisse aux environs de cette montagne.
4Moïse tailla deux tables de pierre comme les premières. Moïse se leva de bon matin et monta sur le mont Sinaï, comme l’Éternel le lui avait commandé, et il prit à la main les deux tables de pierre.
5L’Éternel descendit dans la nuée, se tint là auprès de lui et proclama le nom de l’Éternel. 6L’Éternel passa devant lui en proclamant :
- « L’Éternel, l’Éternel, (ou « Je suis : JE SUIS »)
- Dieu compatissant et qui fait grâce,
- lent à la colère et débordant de bienveillance et de fidélité,
- 7 gardant sa bienveillance sur des milliers de générations,
- supportant la faute, la révolte et le péché,
- et qui n’innocente pas, visitant la faute des pères sur les fils et sur les petits-fils jusqu’à la troisième et à la quatrième génération. »
8Moïse s’empressa de s’incliner à terre et de se prosterner.
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