Guiard des Moulins, Bible historiale Christ en majesté © Bibliothèque nationale de France
Prédication

Pour Noël 2/2 : Réconcilier Luc et Jean « Au commencement » (Luc 1-3 ; Jean 1,3,6,20)

Vidéo :

Podcast audio de la prédication / Podcast audio du culte

(Voir le texte biblique ci-dessous)

Dans cette série de deux prédications pour Noël :

prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Genève, le matin de Noël 2022,
par : pasteur Marc Pernot

Guiard des Moulins, Bible historiale Christ en majesté © Bibliothèque nationale de France

Symbole des quatre évangiles laissant apparaître le Christ au centre

Nous avons la chance d’avoir quatre témoignages datant du milieu du Ier siècle sur ce Jésus de Nazareth qui nous rassemble ce matin partout autour du monde. Quatre évangélistes avec chacun son point de vue et sa façon de l’exprimer, résumant en quelques dizaines de pages comment le Christ a changé la face du monde. La diversité de ces quatre témoignages est une grande chance pour nous : cela nous invite au respect des autres points de vue sur le Christ, et cela nous donne la liberté d’avoir notre propre rapport à Jésus.

Pour ce jour de Noël, je vous propose de chercher à réconcilier les évangélistes Luc et Jean. Apparemment, il n’y a rien de plus différent que leurs façons d’exprimer l’Évangile du Christ, et pourtant ; quand on regarde le sens profond au delà de la forme, ce qui fait vraiment vivre est bien là, comme un socle commun aux deux.

Luc est un médecin de culture grecque. Jean travaillait avec son frère et son père dans l’entreprise familiale de pêche. Manifestement, Jean est féru à la fois de théologie biblique et de philosophie grecque, faisant dialoguer les deux.

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Chapitre 1er. Une nouvelle Ève, un nouvel Adam.

Dans le récit fantastique que Luc donne dans son premier chapitre, avec des apparitions d’anges et des miracles de fécondité, le point clef de l’origine de Jésus Christ me semble être quand Marie dit à l’ange : « Je suis la servante du Seigneur. Que tout se passe pour moi comme tu me l’as dit ! » (Luc 1: 38) Cela semble tout simple, mais c’est manifestement une reprise du récit du chapitre 3 de la Genèse. Adam et Ève y remettent en cause la Parole de Dieu en écoutant le serpent de leur tentation disant « Dieu a-t-il réellement dit cette Parole ? » (Genèse 3:1) C’est l’attitude si humaine qui consiste à tout oublier afin de mieux adorer notre propre désir de l’instant. Mine de rien, Luc fait ici de la Marie la nouvelle Ève, mère d’une humanité qui marche enfin la main dans la main en ce monde avec Dieu.

Jean ouvre, lui, son Évangile avec un poème spirituel et théologique qui a marqué la littérature mondiale par son souffle et son élévation. Cela a valu à Jean d’être représenté par un aigle dans les arts, tellement il a un point de vue élevé. Jean écrit ce poème comme une reprise, lui aussi, de la Genèse avec ces premiers mots qui ouvrent la Bible, Jean commence son Évangile ainsi : « Au commencement était la Parole, la Parole était auprès de Dieu et la Parole était Dieu… à tous ceux qui l’ont reçue, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui mettent leur foi en son nom. » (Jean 1:1,12)

Jean fait ainsi de la venue du Christ la seconde étape de la création de l’univers, avec ce projet d’un humain véritablement enfant de Dieu, porteur de cette créativité bonne du créateur. En Christ ce projet se réalise, nous dit Jean, il est « la Parole de Dieu faite chair », et cela nous donne, à nous aussi, le pouvoir de devenir, progressivement, enfant de Dieu : fils ou fille de Dieu.

C’est exactement ce que nous dit Luc avec son récit de l’ange, porteur de la Parole de Dieu, donnant à Marie le pouvoir de concevoir en elle-même l’enfant de Dieu.

Luc et Jean ont deux façons d’exprimer cette même idée d’une nouvelle création en Christ, faisant naître enfin l’humain espéré par Dieu, par le moyen de notre foi. Luc le dit avec un récit, c’est vivant et imagé, cela nous invite à ce que cette nouvelle s’incarne effectivement dans la vie, dans la nôtre, et pas seulement dans de la haute théologie. Jean dit cette même idée dans son poème spirituel, avec virtuosité il écrit ce texte sublime et inspirant, en tissant des références bibliques et du langage emprunté à la philosophie stoïcienne. Jean réconcilie ces deux inspirations, il réconcilie les chrétiens juifs et les chrétiens grecs. Quel est le plus clair, le plus fécond ? Luc ou Jean ? Cela dépend des personnes.

Dans les deux cas il s’agit de nous laisser féconder par la Parole de Dieu (ou par l’Esprit de Dieu, ce qui revient au même). C’est ce que nous comprenons avec Marie. C’est ce que Jean dit dans les premiers mots de son Évangile et c’est ce qu’il reprend un peu plus loin dans son livre quand Jésus discute avec un homme venant à lui de nuit, Nicodème(Jean 3). Jésus dit alors que tout humain doit naître de nouveau, naître une seconde fois et naître d’en haut (de Dieu), naître de son amour et de son souffle.

Ensuite, Jean expliquera dans une de ses lettres que le fait d’être enfant de Dieu se reconnaît ainsi : « quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu, car Dieu est amour »( 1 Jean 4:7, 16). C’est une vision très ouverte des personnes qui sont « enfants de Dieu » et qui « connaissent Dieu ». Ce n’est pas seulement par la tête ou la religion, c’est par le cœur, les tripes, les actes. C’est très ouvert et c’est en même temps responsabilisant. Face à ce critère, nous reconnaissons que cette naissance du Christ en nous est une évolution progressive. Nulle personne n’aime à 100% et nulle ne pourrait vivre sans aimer au moins à 1%. C’est pourquoi nous ne cessons de fêter Noël chaque dimanche : afin qu’à l’image de Marie nous nous laissions chaque fois un peu plus féconder par la Parole de Dieu, et son souffle créateur.

 

Chapitre 2. Le Christ : pain de vie offert au monde

Au deuxième chapitre de son évangile, Luc rapporte ensuite la naissance de Jésus. Il est le seul à préciser que Jésus naît à Bethléhem et qu’il est déposé dans une mangeoire. Que ces détails soient historiques ou non importe peu. Qu’est-ce que cela pourrait nous faire que Jésus soit né à Bethléhem plutôt qu’à Nazareth, et qu’il soit déposé dans une mangeoire plutôt que dans un berceau ? En réalité ces détails sont passionnants en ce qui concerne notre vie. Car le nom de « Bethléhem », en hébreu, signifie « boulangerie », c’est là que Jésus est déposé dans une mangeoire : le récit de Luc nous dit littéralement que Jésus est comme un pain offert au monde pour que nous le mangions.

Cela peut sembler curieux, mais ce que Luc dit avec ce très court récit, nous le retrouvons dans un enseignement de Jésus que Jean trouve si important qu’il le rapporte sur un long chapitre de son évangile. Jésus tente d’y expliquer qu’il est « le pain de vie »(6 :35, 48) et qu’il nous offre sa chair à manger et son sang à boire (6:53). Devant ses auditeurs interloqués, à juste titre, Jésus explique qu’il faut bien sûr prendre ces paroles au sens figuré, au sens spirituel (6:63). Il n’est pas question de manger Jésus tout cru. Manger sa chair c’est assimiler son Évangile (en hébreu, le même mot -bsr- désigne la chair -bessar- et l’Évangile -bessorah-). Boire son sang c’est assimiler sa façon d’être, sa façon d’aimer ce Dieu qui nous aime, sa façon de se soucier de son prochain et de l’aider comme il le peut.

Ce que Jean développe dans ce chapitre, Luc le dit avec ce très court récit de l’enfant Jésus déposé dans une mangeoire de ce village appelé « Boulangerie ». Sous l’une ou l’autre forme, c’est assez essentiel pour nous, car cette curieuse image de « manger le Christ » nous donne en quelque sorte le mode d’emploi du salut qu’il nous offre : ce ne sont pas tant des rites à suivre (ce ne sont que des exercices), ce ne sont pas des dogmes (la théologie sert à nous aider à penser), ce ne sont pas des ordres auquel nous devrions nous soumettre : Christ est un cheminement (Jean 14:6), c’est une façon d’être à assimiler pour la vivre ensuite à notre façon toute personnelle, selon notre propre vocation.

 

Chapitre 3. L’Esprit nous engendre comme sauveur

Le chapitre trois de l’Évangile selon Luc nous raconte que le ciel s’ouvre et que l’Esprit de Dieu descend sur Jésus, la voix de Dieu se faisant entendre disant qu’il l’engendre à ce moment là. Aussitôt Jésus se lève et se entreprend sa mission de Christ pour le salut du monde. C’est également pour nous que cela est écrit, comme une promesse, comme une vocation.

Le don de l’Esprit est un thème très important dans l’Évangile selon Jean, particulièrement dans ses derniers chapitres où Jésus nous transmet ce qu’il a reçu de Dieu : « La paix soit avec vous ! Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. Après ces paroles, il souffla sur (nous), et dit : Recevez le Saint-Esprit. » (20:21).

À nous de prendre la suite du Christ : pour vivre et agir maintenant en fils ou fille de Dieu, en frère ou sœur de Jésus-Christ, en faisant avancer la paix autour de nous, annonçant partout l’amour dont Dieu nous aime.

Amen.

pasteur Marc Pernot

Textes de la Bible

Évangile selon Luc 1:28-38

L’ange entra auprès de Marie et lui dit : « Sois joyeuse, toi qui as la faveur de Dieu, le Seigneur est avec toi. »

29A ces mots, elle fut très troublée, et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation.

30L’ange lui dit : « Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. 31Voici que tu vas être enceinte, tu enfanteras un fils et tu lui donneras le nom de Jésus. 32Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; 33il régnera pour toujours sur la famille de Jacob, et son règne n’aura pas de fin. »

34Marie dit à l’ange : « Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais pas d’homme ? »

35L’ange lui répondit : « L’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint et sera appelé Fils de Dieu. 36Et voici que Elisabeth, ta parente, est elle aussi enceinte d’un fils dans sa vieillesse et elle en est à son sixième mois, elle qu’on appelait la stérile, 37car avec Dieu, aucune parole n’est impossible. »

38Marie dit alors : « Je suis la servante du Seigneur. Que tout se passe pour moi comme tu me l’as dit ! » Et l’ange s’éloigna.

Évangile selon Luc 2:6-14

Le jour où Marie devait accoucher arriva ; 7elle accoucha de son fils premier-né, l’emmaillota et le déposa dans une mangeoire, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle d’hôtes.

8Il y avait dans le même pays des bergers qui vivaient aux champs et montaient la garde pendant la nuit auprès de leur troupeau.

9Un ange du Seigneur se présenta devant eux, la gloire du Seigneur les enveloppa de lumière et ils furent saisis d’une grande crainte. 10L’ange leur dit : « Soyez sans crainte, car voici, je viens vous annoncer une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : 11Il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un Sauveur qui est le Christ Seigneur, 12et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. »

13Tout à coup il y eut avec l’ange l’armée céleste en masse qui chantait les louanges de Dieu et disait : 14« Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour ses bien-aimés. »

Évangile selon Luc 3:21-22

Comme tout le peuple était baptisé, Jésus, baptisé lui aussi, priait ; alors le ciel s’ouvrit, 22l’Esprit Saint descendit sur Jésus sous une apparence corporelle, comme une colombe, et une voix vint du ciel : « Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. »

(Traduction Œcuménique de la Bible)

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4 Commentaires

  1. la Cène comme nourriture d'Evangile et boisson de Révélation ? dit :

    Merci pour ces harmonies figuratives d’interprétation entre Matthieu 1,2 et Luc 1,2, et entre Luc 1,2,3 et Jean ! Et Joyeux Noël !

    Dans le prolongement de votre enseignement concernant la chair qui est synonyme d’Evangile en hébreu, est-ce que le sang serait synonyme de révélation au sens d’un dévoilement ? En effet, les consonnes du mot sang sont Beth-lamed-vav-mim (blwm), et celles du voile sont lamed-vav-mim (lwm), avec le beth ayant ici un rôle de préfixe négatif ? Ce qui se rapproche aussi de Bethlehem (Beth-lamed-heth-mim), la boulangerie, en remplaçant la lettre Beth par l’écriture de sa prononciation. Je n’ai pas mis la lecture des voyelles parce que je ne suis pas sûr.

    Le sang peut encore se dire : Daleth-mim, d’où Aleph-daleth-mim, la couleur rouge, celle du sang, ou Adam, l’humain, et le sang symbolise la vie.
    Le vin rouge (ou le jus de raisin) et le sang sont de la couleur de la vie humaine, symboliquement porteurs de la vie pour les humains au sens de l’Evangile.

    => Relecture de la Cène selon Matthieu 26:26-28, et Marc 14:22-24 :

    Pendant qu’ils mangeaient, Jésus prit du pain. Après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit et le donna aux disciples en disant :
    Prenez, ceci est mon Evangile, mangez-en tous.

    Il prit ensuite une coupe. Après avoir rendu grâce, il la leur donna en disant :

    Buvez-en tous, ceci est ma Révélation (de la couleur de la vie humaine), la révélation de l’alliance, qui est répandue en faveur d’une multitude, pour le pardon des péchés.

    Idem avec Luc 22:17-20, 1-Corinthiens 11:23-26, et Jean 6:47-58.

    => du coup, cela peut aller dans le sens d’une non-interprétation de la crucifixion de Jésus (à part que cela a permis la suppression de ce châtiment ultra-cruel et déshumanisant à partir du moment où le christianisme est devenu la religion de l’Empire romain plusieurs siècles plus tard, c’est déjà ça !). Cela était un accident, une contingence. Ce n’est pas le sang sacrificiel de Jésus qui est livré par la crucifixion en application de la prophétie du serviteur souffrant d’Esaïe 53, c’est une contingence, un accident de l’histoire due à la méchanceté des humains dotés du libre-arbitre devant un nouvel enseignement qui les dérange trop (certains sadducéens, certains pharisiens) et une menace pour leur pouvoir (certains sadducéens, hérodiens, romains) devant le risque d’interprétation populaire du messie comme roi politique (motif commun de la crucifixion de Jésus écrit sur la croix dans les 4 évangiles canoniques : roi des juifs). La prophétie de bonne nouvelle, c’est Esaïe 61, non Esaïe 53. D’ailleurs, l’enseignement des prophètes est déjà que Dieu ne s’intéresse pas aux sacrifices (d’animaux) en tant que tels, et donc, il paraît naturel d’en tirer la conséquence qu’il n’a pas voulu non plus le sacrifice de Jésus sur la croix en tant que tel, ni même à tire symbolique.

    Les synonymies de l’hébreu peuvent contribuer à argumenter en faveur d’une autre interprétation loin de ces mises à mort et autre anthropophagie symbolique de Jésus :

    Prenez ce pain, ceci est mon Evangile, mangez-en tous.
    Prenez ce vin rouge (ou de ce jus de raisin rouge), buvez-en tous, ceci est ma Révélation de la couleur de la vie humaine, la révélation de l’alliance, qui est répandue en faveur d’une multitude, pour le pardon des péchés.

    1. Marc Pernot dit :

      Je vais réfléchir.
      A priori, le mot usuel pour le sang en hébreu c’est effectivement « dam », en particulier le sang de l’alliance, ou le sang de l’agneau pascal, protégeant de la mort. Mais on ne buvait pas ce sang (car il représente la vie de l’autre). Par contre on mangeait l’agneau pascal. Le mot sang « dam » signifie aussi le silence, ce qui contraste pas mal avec l’idée d’annonce. Cela ouvre effectivement à des interprétations. Faire silence devant l’Eternel, est peut-être la prière fondamentale ?
      Donc bref, je verrais le sang comme évoquant la vie, en l’occurrence la vie du Christ, sa façon d’être, qu’il nous propose d’assimiler, d’y puiser des forces pour avancer.
      Hyper d’accord avec vous sur le sens de la croix. J’y vois une preuve d’amour de Jésus : amour pour Dieu en ne ménageant pas sa peine pour accomplir sa mission. Amour pour l’humanité en manifestant son intérêt pour l’humanité, même pécheresse, il manifeste l’amour de Dieu même pour les pécheurs, c’est donc la grâce qui se dit. Il y a là une façon d’être authentique, engagée, ardente.

      1. La Cène comme nourriture d'Evangile et boisson de Révélation ? 2/2 dit :

        Merci !

        Toujours à propos de Jésus comme nourriture (naissance dans la mangeoire…) : en fait j’ai fait une confusion entre yiddish et hébreu sur wikipedia, mais cela ne change peut-être pas le résultat : c’est en yiddish que selon wikipedia sang se traduit par בלוט. Puis en cherchant dans le lexique analytique « Analytical Hebrew and Chaldee lexicon (Hebrew Bible) » de Benjamin Davidson à לוט, on trouve loth, le voile. D’où un autre sens peut-être de בלוט, qui serait dévoilement, révélation. A voir cependant si le yiddish aurait conservé une forme ancienne de l’hébreu ou de l’araméen de l’époque du Nouveau Testament, c’est possible mais cela reste hypothétique.

        Avec l’autre homonymie en hébreu que vous avez signalé, la chair homonyme de « bonne nouvelle » (Evangile), cela donnerait une lecture renouvelée de Jean 6:53-56, qui contribue à donner la signification selon cet évangile de la Sainte Cène :
        53. Jésus leur dit : Amen, amen, je vous le dis, si vous ne mangez pas l’évangile du Fils de l’homme et si vous ne buvez pas sa révélation, vous n’avez pas de vie en vous. 54. Celui qui mange mon évangile et qui boit ma révélation a la vie éternelle, et moi, je le relèverai au dernier jour. 55. Car mon évangile est vraie nourriture, et ma révélation est vraie boisson. 56. Celui qui mange mon évangile et boit ma révélation demeure en moi, comme moi en lui. 57. Et comme le Père qui est vivant m’a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mangera vivra par moi (peut se comprendre
        au sens de vivra par mon enseignement, mon Evangile, ma révélation).

        Cette lecture avec le sens de boisson symbolique n’est pas offensante envers les interlocuteurs de Jésus, qui ont comme prescription Lévitique 17:10-12 : « 10. Si un homme de la maison d’Israël ou parmi les immigrés qui séjournent au milieu d’eux mange du sang, quel que soit ce sang, je me retournerai contre celui qui mange le sang et je le retrancherai du sein de son peuple. 11. Car la vie de la chair est dans le sang. C’est moi qui l’ai placé pour vous sur l’autel, afin de faire l’expiation sur vous, car c’est le sang qui, par la vie, fait l’expiation. 12. C’est pourquoi j’ai dit aux Israélites : Aucun d’entre vous ne mangera du sang. »

        A noter le midrash probable du Siracide 24:21 à propos de la Sagesse qui est mangée et bue : « Ceux qui me mangent (la Sagesse) auront encore faim, et ceux qui me boivent auront encore soif. »
        Selon le commentaire de la TOB, c’est une manière d’exalter l’excellence de ce qui est apporté par la Sagesse.
        En un sens opposé, mais également pour exalter l’excellence de ce qui est apporté, Jésus mentionne une eau qui étanche la soif en Jean 4:13-14: 13. Jésus lui répondit : Quiconque boit de cette eau aura encore soif ; 14. qui boira de l’eau que, moi, je lui donnerai n’aura jamais soif : l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau qui jaillira pour la vie éternelle ; et en Jean 6:35 Jésus mentionne une nourriture qui apaise faim et soif : 35. Jésus leur dit : « C’est moi qui suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, et celui qui met sa foi en moi n’aura jamais soif. » (au sens de mon enseignement).

        A noter encore Siracide 31:27 : Pour les humains, le vin est comme la vie, si on le boit avec modération. Et Genèse 49:11-12, la bénédiction de Juda par Jacob-Israël : 11. Il attache son âne à la vigne, le petit de son ânesse à un cep de qualité ; il lave son vêtement dans le vin, son habit dans le sang des raisins. 12. Ses yeux sont rouges de vin.
        Mais cela va plutôt dans le sens de l’utilisation du sens sang. Jean 15:1 [Jésus] « Je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron. » : peut-on l’entendre au sens de « Mon enseignement est la vraie vigne, et mon Père est le vigneron. » ?

        Il s’agit donc d’une théorie d’un enseignement de Jésus qui aurait été initialement une analogie-jeu de mot en hébreu ou en araméen, dont le double-sens aurait été perdu lors de la traduction en grec. Paul aurait reçu l’enseignement en grec, puisqu’en 1-Corinthiens 11, il donne une interprétation avec la Sainte Cène-Eucharistie comme annonçant la mort du Christ. Il fait donc plutôt une interprétation de destin sacrificiel de Jésus au sens de l’Ancien Testament en vue d’une fonction de rémission des péchés de l’humanité : théologie sacrificielle de type réalisation de « Esaïe 53 » (qui pose question par rapport au fait que ce soit bien un évangile, comme il paraît plus facile d’en extraire un à partir de Esaïe 61 par exemple).

        A noter que Luc et Paul font de la Sainte Cène – Eucharistie une interprétation centrale puisqu’ils font le lien avec la prophétie de l’Alliance nouvelle en Jérémie 31:31 et 33 : « 31. Les jours viennent — déclaration du SEIGNEUR — où je conclurai avec la maison d’Israël et la maison de Juda une alliance nouvelle. », 33 : « Je mettrai ma loi au dedans d’eux, je l’écrirai sur leur cœur ; je serai leur Dieu, et eux, ils seront mon peuple. » Cf Luc 21:20 et 1-Corinthiens 11:25 : « Cette coupe est l’alliance nouvelle en mon sang. » (en ma révélation du coup ?)

        Sinon, dans tous les cas, les positions d’Ulrich Zwingli et de Sébastien Castellion sur la Sainte-Cène – l’Eucharistie sont intéressantes en ce qu’elles proposent une interprétation symbolique de la Cène.

        Pour faire une conclusion théologiquement dialectique, l’autre interprétation majeure traditionnelle étant à l’opposé qu’il s’agit d’une christophagie symbolique : manger le Christ médiateur dans le but de créer un « axis mundi », un axe du monde reliant le fidèle à Dieu (de même qu’en astronomie, l’axe des pôles relie la Terre au Cosmos via le point fixe de l’étoiel polaire). Ceci peut correspondre à la théologie des versets de 1-Corinthiens 3:16 : « Ne savez-vous pas que vous êtes le sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? », et aussi de Jean 2:21 : « 21. Mais le sanctuaire dont il parlait, lui [Jésus], c’était son corps » : en mangeant le corps du Christ, le corps du fidèle incorpore le sanctuaire du corps du Christ. Ou, pris au sens symbolique, l’esprit du fidèle « incorpore » le sanctuaire du corps symbolique du Christ, nouveau moyen de se relier à Dieu selon cette voie johannico-paulinienne si j’interprète et restitue correctement.

  2. Pascale dit :

    Passionnant, ce parallèle entre deux façons bien différentes d’énoncer une idée similaire, de quoi inciter à être plus attentif aux moindres détails d’un récit. En particulier, j’ai souvent entendu la naissance dans une mangeoire comme le signe d’un dénuement extrême, sans doute en lien avec une église qui fait l’éloge d’une certaine pauvreté et qui, lorsqu’elle est choisie, la transforme en quelque sorte en une valeur morale ; le divin ne peut alors que se trouver dans le dénuement.
    Par ailleurs, les paroissiens de Cologny-Vandœuvres ont bien de la chance, outre de bénéficier de telles prédications, d’avoir des cultes musicalement si riches : encore une belle découverte avec ces extraits d’une œuvre de Benjamin Britten.

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