Extrait d
Prédication

Comment, par 3 fois, Jésus se convertit ? (Matthieu 4:12-23)

(Voir le texte biblique ci-dessous)

Écouter :Culte entier :

prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Genève le dimanche 26 janvier 2020,
par : Marc Pernot, pasteur à Genève

dessin de Tiepolo représentant Jésus avec les fils de Zébédée

dessin de Tiepolo représentant Jésus avec les fils de Zébédée

Par trois fois dans ce court texte de l’Évangile, Jésus change radicalement :

  1. Il quitte d’abord son pays (v. 12).
  2. Ensuite, il se lance dans sa vocation nouvelle (v. 17),
  3. Et enfin, Jésus change complètement sa façon de faire : au lieu de prêcher à l’impératif, il va vers les gens et entre à leur service, sans condition. Sa vie devient l’Évangile, la Bonne Nouvelle (v.23).

Le cœur de ce texte est à mon avis cette faculté qu’a Jésus d’évoluer dans sa façon d’être. En contrepoint, le texte évoque l’humain immobile : par deux fois le peuple est dit « être assis » dans les ténèbres, bien assis dans l’ombre de la mort ce qui est le comble de l’immobilisme.

Ce texte est à un moment charnière dans le cours du récit de Matthieu. C’est la fin de Jean-Baptiste et de son style ascétique, genre ermite du désert, appelant à faire un effort sur soi-même, à décaper, purifier son existence, avec son « Convertissez-vous (changez de mentalité), car le Règne de Dieu s’est approché ». Cela peut sonner comme une menace. En tout cas, c’est un ordre, un commandement, un devoir.

À ce moment du récit de Matthieu, Jean disparaît et Jésus se lève, prenant la suite de la prédication de Jean. Il la prend surtout pour lui-même puisqu’il va effectivement changer de mentalité au cours de ce récit, par étapes décisives. En particulier quant à la pédagogie développée par cette annonce de Jean Baptiste et son mode de vie. À la place de ses efforts héroïques de jeûnes et de maîtrise de soi, Jésus développera un programme de bonheur dans le chapitre suivant avec ses « béatitudes » (5:3-12), et le peuple le verra manger et boire à toutes les tables. Jésus va changer lui-même dans sa façon d’être avec les gens. Il commence au début comme Jean à prêcher à l’impératif, ordonnant aux gens de changer. Puis Jésus change, il va à la rencontre des personnes là où elles sont, là où elles en sont, et il se met à leur service. Au lieu de commander, il enseigne et il soigne : deux gestes qui visent à aider chacun à être en grande forme, étant enseigné pour comprendre et voir par soi-même ce qui est juste et bon, au lieu de vivre sous le joug d’une morale, de doctrines, de rites et de commandements. Quant dans la suite Jésus donnera des commandements, ils sont inapplicables, appelant à se poser des questions soi-même. Jésus soigne et guérit la foi, la dignité, l’assurance, la liberté, la forme physique, l’image de Dieu, la culpabilité, l’estime de soi… afin que chacun puisse vivre bien. Tout dans la façon d’être de Jésus avec la personne rencontrée est alors Évangile, Bonne Nouvelle, ses paroles et ses gestes montrant que Dieu ne s’adresse pas à nous à l’impératif mais s’exprime en nous faisant vivre plus haut.

Ce texte marque une transition dans le récit : entre la prédication de Jean et l’action de Jésus, certainement, et aussi une transition entre la Bible Hébraïque, reprise et transformée dans l’Évangile, pourrait-on dire. Le passage d’Ésaïe cité par Matthieu évoque l’histoire du peuple d’Israël qui n’a pas trop confiance en Dieu et qui préfère se défendre contre un envahisseur en faisant une alliance avec un autre ennemi, l’Assyrie qui va en profiter bien sûr pour envahir tout le nord du pays, à commencer par les terres de Zabulon et de Nephtali (en 733 avant Jésus-Christ). Cette invasion par Tiglath-Piléser III est vue comme une punition de Dieu qui durera jusqu’à ce que le peuple d’Israël se convertisse enfin, comme le résume le Psaume 107 :

10Certains habitaient les ténèbres et l’ombre de la mort, Prisonniers dans le malheur et dans les fers,
11Parce qu’ils s’étaient révoltés
contre les paroles de Dieu,
Parce qu’ils avaient dédaigné
le conseil du Très-Haut.
12Il humilia leur cœur par la peine ;
Ils trébuchèrent, et personne ne les secourut.
13Dans leur détresse, ils crièrent à l’Éternel,
alors, il les sauva de leurs angoisses.
14Il les fit sortir des ténèbres et de l’ombre de la mort,
il rompit leurs liens.

Il est vrai qu’en vivant n’importe comment, il est bien possible que nous fassions pas mal de dégâts dans notre vie et autour de nous, mais ce mal ne vient alors pas de Dieu. Avec l’Évangile, Jésus prend ses distances avec l’ancienne théologie de la menace de punitions de Dieu.

L’annonce de Jean baptiste aurait pu passer pour un commandement dans la ligne de cette théologie-là : « convertissez-vous, changez de mentalité », tournez votre confiance vers Dieu ; commandement assorti d’une menace « le Royaume de Dieu est tout proche », il vient bientôt, et s’il vous trouvait « non converti », vous seriez châtiés comme dans certains passages des Écritures anciennes.

Jésus commence par reprendre l’annonce de Jean. Mais finalement il va vivre lui-même ce texte différemment. Il sent que la venue de Dieu n’est pas seulement annoncée mais qu’il est bien là et que son action (son règne) n’est pas une menace mais une Bonne Nouvelle. Finalement Jésus ne va garder que cela dans son programme déroulé à la fin de ce texte : faire sentir, faire vivre cette action de Dieu comme une pure Bonne Nouvelle pour nous. L’expliquer par la bouche et le manifester par sa façon d’être.

L’espérance de Jésus n’est pas d’arriver à ce que les gens aient la force de se changer eux-mêmes quitte à les menacer pour les motiver. La stratégie de Jésus pour sauver les gens devient comme dans le Psaume 34:9 « Goûtez et voyez combien l’Éternel est bon, combien est heureuse la personne qui se confie en lui. » Effectivement : l’essayer, c’est l’adopter. La prédication de la menace n’est pas fidèle. Elle est sans doute très performante, mais elle n’est pas fidèle à Dieu. Elle n’est pas l’Évangile.

Comment Jésus a-t-il pu ainsi évoluer, comme il le fait donc à trois reprises dans ce texte ?

1er changement : son déménagement

Matthieu nous dit seulement que c’est « quand Jésus appris que Jean avait été livré ». La première explication possible est qu’après l’arrestation de Jean par Hérode Jésus se serait senti menacé et aurait pris le large. Cela lui arrive à plusieurs reprises, et cela nous encourage à ne pas négliger notre sens pratique pour vivre en ce monde sans trop prêter le flanc à ce qui pourrait nous détruire (qui veut aller loin ménage sa monture).

La première explication de la décision de Jésus concerne le corps, la seconde est spirituelle, avec une autre lecture possible de cette phrase « quand Jésus appris que Jean avait été livré », elle peut être entendue comme disant : quand Jésus eut assimilé ce qui avait été donné par Dieu en Jean : Jésus se mit en route, il changea pour aller à Capernaüm, littéralement « le village de la consolation », village où l’humeur triste et désespérée est changée en joie, où l’égoïsme est changé en bonté peut-être, la passivité en enthousiasme pour le service ?

Dans la Bible, quand plusieurs lectures sont possibles, elles sont souvent toutes à conjuguer.

2e changement : se lancer dans sa vocation

C’est bien entendu un changement radical, marqué par un « À partir de ce moment là ».

À partir de quel moment ? Quel événement décisif, quelle expérience lui permet de se saisir ainsi de sa vocation pour commencer à la vivre ? Le texte insiste d’une façon surprenante sur « cette terre de Zabulon et terre de Nephtali », répétée deux fois, et comme personnifiée : « Ô toi, terre de Zabulon et terre de Nephtali, route de la mer, au-delà du Jourdain, Galilée des païens… »

Du texte d’Ésaïe, Matthieu ne garde que ces indications géographiques et l’annonce de la lumière qui se lève sur le peuple dans les ténèbres de l’ombre de la mort. Cela montre que cette référence à Zabulon et Nephtali a une importance capitale. La situation de Capernaüm où Jésus a historiquement stationné ne suffit pas à l’expliquer puisqu’elle se situe seulement en terre de Nephtali. Ce n’est pas dû non plus à l’histoire de leur invasion par l’Assyrie huit siècle avant qui rappellerait l’occupation Romaine, car Jésus ne s’occupe vraiment pas de cela, la preuve, c’est que quand il est acclamé comme roi par la foule de Jérusalem, au lieu d’aller envahir le palais du gouverneur romain, il se dirige droit vers le temple afin d’appeler à remettre au centre la prière plutôt que les rites.

L’importance de cette référence à Zabulon et à Nephtali est à chercher ailleurs. Quand un texte biblique cite un autre texte biblique, il ne se préoccupe en pas du contexte historique du passage cité comme nous le faisons maintenant. L’auteur rend ce passage actuel, dans son époque à lui, en convoquant le jeu de sens autour de ces mots dans le reste de la Bible, de façon tout à fait anachronique. Les lecteurs de Matthieu connaissaient la Bible. Comme d’ailleurs Charlély qui vient de demander le baptême et qui, en ingénieur qu’il est, a lu et étudié la Bible du début jusqu’à la fin.

Qu’évoquent donc Zabulon et Nephtali ? Ce sont deux des douze tribus d’Israël, et elles ont évoquées par les bénédictions données par Jacob :

  • « Zabulon demeurera sur la côte des mers, il sera sur la côte des navires, et sa limite s’étendra du côté de Sidon. » (Genèse 49:13).
  • Et la bénédiction donnée par Moïse : « Réjouis-toi, Zabulon, dans tes courses. » (Deutéronome 33:18)

Zabulon évoque ainsi des déplacements dans les confins, les bordures, les côtes, les crêtes élevées, de confins. D’ailleurs Matthieu parle à au moins trois reprises ici de bord de mer, il parle de traversée, et de cette Gallilée qui est comme un carrefour des nations.

Nephtali reçoit aussi des bénédictions :

  • De Jacob : « Nephthali est une biche en liberté; Il profère de belles paroles créatrices. » (Genèse 49:21)C’est ainsi que combat Nephtali.
  • Et de Moïse : « Nephthali, comblée de faveurs et des bénédictions de l’Éternel, hérite de l’ouest et du sud » (Deutéronome 33:23).

Qu’évoque donc cette insistance sur ces territoires où demeure Jésus et qui font que « à partir de ce moment là il se mit à commencer » à se saisir de sa vocation personnelle ? Il me semble que ce qui a permis à Jésus d’évoluer ainsi, de changer de mentalité, de trouver son chemin : Ce sont ces pérégrinations, ces divagations, ces explorations en liberté des marges et des confins. Ce n’est pas tant un voyage géographique mais intellectuel et spirituel, jusqu’à ce que la lumière se lève. En effet, bien des théories, bien des préjugés ne résistent pas à l’épreuve des faits, en particulier aux limites des modèles, aux marges. Cela permet de chercher des lignes de crêtes entre des versants opposés.

C’est ainsi que cherchent les scientifiques, qu’ils éprouvent, affinent leurs modèles, découvrent. C’est comme cela que des artistes trouvent leur style. C’est encore comme cela que nous pouvons explorer nos peurs, nos détresses, et voir qu’aucune ténèbres n’est si profonde qu’elle ne soit en définitive vaincue par la lumière. Et saisir combien nous sommes bourrés de talents et comblé de grâce de Dieu. Et comment une belle parole créatrice donnée ou reçue nous donne d’avancer dans la possession de notre être dans son entier, du nord au sud et d’est en ouest, dans sa profondeur et sa hauteur.

Les ténèbres, et l’ombre de la mort sont du côté de l’immobilisme, quand on s’y installe.

Jésus ne va pas cesser de se déplacer. En testament, il nous dit cette profonde et lumineuse vérité : l’être est cheminement, il est vie, et il est fidélité. Il est chemin vers le Père(Jean 14:6).

Le 3e changement est le contenu de sa mission

Comment est-ce que Jésus change complètement, passant d’une prédication à l’impératif à de bons services et des paroles créatrices ?

Qu’est-ce qui a provoqué chez lui cette révolution copernicienne ? plaçant la personne au centre, et son service, plus que l’éternelle et pure vérité de doctrine ?

C’est encore ses pérégrinations mais cette fois-ci, dans la rencontre avec des personnes. Ça vous change une personne d’en rencontrer d’autres, quand on les voit vraiment, qu’on les connaît et qu’on les aime.

Avant, Jésus faisait de la théologie et de la morale, il énonce une vérité qui s’impose à tous. Quitte à peser, écraser.

Après, Jésus est centré sur l’humain, sur la personne, sur son service afin qu’elle se porte le mieux possible, dans sa vie en ce monde et dans la confiance en Dieu. Être centré sur le service de la personne devrait être le cœur même de notre façon de vivre notre vocation auprès de ceux qui nous sont confiés (ça vaut pour l’église).

Simon et André étaient pêcheurs de poisson, il leur propose de devenir pêcheurs d’humains avec lui. Pêcher un humain, c’est chercher à le sauver de la noyade, le sortir du chaos. Jacques et Jean étaient réparateurs de filets et fils de Zébédée, Jésus leur montrera comment être réparateur d’humain, tisserand de vrais liens, en bons fils de Dieu.

Amen.

pasteur Marc Pernot

Textes de la Bible

Évangile selon Matthieu 4:12-23

Lorsqu’il eut appris que Jean avait été livré, Jésus se retira en Galilée. 13Il quitta Nazareth et vint demeurer à Capharnaüm, près de la mer, dans le territoire de Zabulon et de Nephtali, 14afin que s’accomplisse la parole du prophète Esaïe :

15Terre de Zabulon et terre de Nephtali, route de la mer, au-delà du Jourdain, Galilée des païens, 16le peuple qui est assis dans les ténèbres a vu une grande lumière, et pour ceux qui sont assis dans le pays et dans l’ombre de la mort, une lumière s’est levée.

17À partir de ce moment-là, Jésus commença à proclamer et à dire : Changez de mentalité, car le règne des cieux s’est approché !

18Marchant au bord de la mer de Galilée, Jésus vit deux frères, Simon celui qu’on appelle Pierre, et André, son frère, qui jetaient un filet dans la mer — car ils étaient pêcheurs. 19Il leur dit : Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs d’humains. 20Aussitôt ils laissèrent les filets et le suivirent. 21En allant plus loin, il vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée, et Jean, son frère, qui étaient dans leur bateau avec Zébédée, leur père, réparant leurs filets. Il les appela : 22aussitôt ils laissèrent le bateau et leur père, et ils le suivirent.

23Jésus parcourait toute la Galilée, enseignant dans leurs synagogues, proclamant la bonne nouvelle du Règne et guérissant toute maladie et toute infirmité parmi le peuple.

 

Psaume 23

L’Éternel est mon berger : je ne manque de rien.

Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer,
il me mène près des eaux paisibles.
Il restaure mon âme,
il me conduit par le juste chemin.

Quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort,
je ne crains aucun mal, car tu es avec moi :
ta houlette et ton bâton me guident et renforcent.

Tu dresses devant moi une table de réconciliation,
tu oins d’huile ma tête, et ma coupe déborde.

Oui, le bonheur et la grâce m’accompagnent tous les jours de ma vie,

Je reviens et je demeure en présence de l’Éternel
Jusqu’à la fin de mes jours.

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