30 janvier 2024

Une bibliothèque ancienne (à Dublin) avec des bustes de philosophes - Photo de Giammarco Boscaro sur https://unsplash.com/fr/photos/lot-de-livres-sur-etagere-en-bois-noir-zeH-ljawHtg
Question

Questions sur la liberté en religion, sur les théologiens du moyen-âge, sur la valeur des animaux et l’art


Question posée :

Bonjour M. le pasteur,

Tout d’abord, je voudrais vous remercier pour votre site internet et vos réponses aux questions des visiteurs. J’en ai lu un grand nombre, par curiosité ou pour progresser sur certaines de mes interrogations. J’apprécie particulièrement votre ouverture d’esprit et la sagesse de vos réponses. Dans la « vraie vie », je fais de la philosophie, et bien qu’initialement athée, j’ai toujours été intéressé par la culture religieuse, et je sens une foi timide naître en moi et se fortifier. Ma lecture de la Bible et d’auteurs chrétiens m’aide beaucoup. C’est du protestantisme que je me sens le plus proche depuis quelques années, pour son esprit de tolérance et de liberté.

Je me pose quelques questions, qui sont peut-être étranges ou naïves. Je vous remercie par avance de m’éclairer.

Sur votre site, j’ai été intéressé sur les pistes que vous donnez sur notre rapport à la religion (de mémoire : intégrisme, traditionalisme, classicisme, progressisme, syncrétisme). Est-ce que la différence entre le progressisme dont vous vous réclamez et le syncrétisme est bien nette ? Je veux dire, n’est-ce pas faire de la foi et de la religion quelque chose qui engage assez peu au final si la liberté y est trop élevée ?

Ensuite, je voudrais dire que j’aime énormément les théologiens du Moyen Âge. Je me demande si le protestantisme ne les a pas rejetés de façon un peu trop violente. Par exemple quand Luther, Kierkegaard, Karl Barth et d’autres grands noms du protestantisme reprochent à d’autres théologiens et philosophes comme Aristote et Thomas d’Aquin d’être trop rationalistes. Je crois que Luther disait que « la raison, c’est la plus grande putain du diable ». Le protestantisme n’a-t-il pas une forte tendance irrationaliste ? Ne refuse-t-il pas toute idée de système rationnel et philosophique ?

D’autre part, je suis sensible à la cause animale, et je me demande : est-ce qu’il est contraire au christianisme de penser que les animaux ont une âme, que leur vie devrait être protégée comme celle des êtres humains ?

Enfin, je me pose une question qui peut sembler idiote. J’aime beaucoup l’art et la poésie. Mais je me demande s’il n’y a pas une contradiction entre la foi chrétienne et certains goûts artistiques. Si nous sommes chrétiens, peut-on réellement aimer des œuvres d’art qui magnifient la violence, la sexualité ou le langage vulgaire, comme certains films ou bien des poèmes comme l’Iliade ou les Fleurs du Mal ? Je précise que je suis féru d’Homère et de Baudelaire.

Je vous prie de m’excuser pour la longueur du mail. Bien cordialement

Réponse d’un pasteur :

Bonsoir

Et mil mercis pour les encouragements ! C’est bien sympa.

La place de la philosophie par rapport à la foi ?

Nous aimons bien la philosophie dans notre église, donc avec joie d’avoir un pro de la philosophie au bout du mail.

Bien sûr, la typologie que je propose est schématique, c’est plus pour donner une idée. Mais je vois une différence essentielle entre le modèle purement syncrétique et le modèle progressiste. C’est que ce dernier a un centre, un point focal. Ce qui unit alors les membres est un ensemble de deux choses : ce centre (par exemple pour nous  : Jésus-Christ) ; et un rapport avec ce centre (le fait que, d’une certaine façon, le Christ change quelque chose pour son disciple). Alors qu’un club syncrétiste n’a pas de centre ce qui unit les membres est le seul fait de chercher, c’est un club de personnes ayant chacune une visée, même si ces visées sont différentes. C’est légitime, bien sûr, mais ce n’est pas la même chose sans une visée commune.

Mais avoir un centre n’empêche pas de respecter ceux qui n’en auraient pas ou ceux qui auraient un centre différent. Mais ils ont en quelque sorte une autre langue (ce que nous savons respecter, en Suisse).

Une vision libre et ouverte de la foi et de la religion engagerait assez peu ?

Je pense que c’est au contraire exigeant. Bien plus exigeant que dans le modèle avec une frontière car dans ce cas on se considère comme à l’intérieur, bien au chaud. Alors que si la vérité est limitée à un point, chacun est à l’extérieur de ce point central, il y a une énergie, une tension cherchant à avancer vers cette visée, cela donne la responsabilité de chercher et de cheminer. On ne peut pas se reposer sur ses petits lauriers, mais en même temps on a la chance d’aller de découverte en découverte, en approfondissement. La liberté ajoute encore de la charge à ce défi, car si l’on a cette visée ultime, il est permis et même encouragé d’ouvrir les yeux autour de soi et donc possiblement de donner une épaisseur à cette visée, et l’incarner personnellement à notre façon. Ce n’est pas de tout repos : ce n’est pas très sécurisant, et cela demande un certain investissement.

« Le protestantisme n’a-t-il pas une forte tendance irrationaliste » ?

Je ne pense vraiment pas que le protestantisme soit contre la raison ! Sauf certains fondamentalistes qui sont nos intégristes à nous, si je puis dire. D’ailleurs jamais dans notre église nous n’utilisons ce scandaleux joker que sont des réponses du type « c’est le grand mystère de la foi… » pour interdire au fidèle de poser des questions face à une théologie incohérente ou ne reposant sur pas grand chose. Nous n’utilisons pas non plus des arguments d’autorité pour dire que tel collège d’experts en a décidé ainsi, que c’est donc la vérité pour toujours, et excommunier une personne pensant différemment, ou ne pensant pas un point jugé essentiel. Voir peut-être cette prédication sur cette parole où Jésus nous encourage à user de notre intelligence.

Au contraire, le protestantisme a été pleinement pionnier dans l’émancipation de la pensée par rapport au carcan du dogme et de l’église. Bien des philosophes des lumières étaient protestants (Bayle, d’Alembert, Rousseau…), les philosophes protestants sont innombrables : Kant, Kierkegaard, et même Nietzsche qui était fils de pasteur Paul Ricœur… Par ailleurs, Aristote, Augustin, Thomas d’Aquin sont dans ma bibliothèque bien plus que ne le sont les œuvres de Luther et Calvin. Seulement nous sommes libres vis à vis d’eux tous. Nous sommes disciples de Jésus-Christ, pas d’Augustin, Thomas, Luther ou Calvin…

Donc non, franchement, je ne pense pas que les protestants refuseraient la rationalité et la philosophie. Au contraire. La seule chose, c’est que sans cesse nous disons que Dieu dépasse ce qui peut être dit et pensé. La sagesse mais aussi les dogmes sont ainsi relativisé (désacralisés) comme n’étant qu’un modèle théorique sur une vérité qui la dépasse. Un modèle toujours à perfectionner. Mais cela n’est en rien un refus de la rationalité. Au contraire, c’est la libérer du caractère sacré que l’on donne parfois abusivement aux dogmes, c’est à dire au produit de la raison humaine, si précieuse mais relative. Et cette liberté pousse à chercher à reformuler, à avancer, à réformer sans cesse notre propre pensée théologique, et donc, dans le protestantisme nous faisons beaucoup de théologie et de philosophie, l’articulant avec la science et la foi. Nous cherchons même à donner à chaque fidèle des outils pour penser par lui-même, interpréter par lui-même la Bible, et se sentir autorisé à ne pas être d’accord avec ce qu’affirme son pasteur ou son église si sa conscience le lui dit. Mais le résultat de cette recherche théologique n’a pas le statut de vérité ultime qu’il peut avoir dans une religion qui aurait une frontière.

Cela dit, nous ne sommes pas non plus rationalistes (même si un rationaliste s’intéressant à la Bible et à Jésus-Christ est tout à fait accepté dans notre église, s’il respecte les autres). En effet, nous associons la raison à la prière, l’ouverture à ce monde à l’expérience de Dieu. Cela n’a rien de contradictoire. Au contraire. C’est précisément en associant ces deux dimensions que l’on assume la beauté de la vie humaine : à la fois fait de poussière du son et du souffle de Dieu.

« Les animaux ont-ils une âme » ?

Il n’est pas contraire au christianisme de considérer que les animaux auraient une vie éternelle, si c’est ce que vous voulez dire. Car dans la foi chrétienne, c’est l’amour qui est plus fort que la mort, et je pense que Dieu, comme nous, pouvons aimer en vérité un animal pour ce qu’il est. D’ailleurs, l’alliance de Dieu après le déluge est faite avec les humains et les animaux, pas seulement avec les humains (Ge 9:8-12). Et le Psaume 36 dit bien « Tu sauves, Éternel, l’homme et tous les animaux ». Par contre, le concept d’âme n’est pas dans la pensée biblique, il serait plutôt grec. Ce serait plutôt de dire que l’humain à une âme qui ne serait pas chrétien.

La valeur de l’art et de la poésie.

Je ne vois pas l’ombre d’une contradiction entre la foi chrétienne et l’art, l’esthétique. En effet, la théologie chrétienne est une théologie de l’incarnation, la vie en ce monde, la joie en ce monde la beauté de ce monde font partie des bénédictions de Dieu et font partie de notre vocation. L’art est tout à fait propre à nous élever l’âme, à éveiller le meilleur en nous, à susciter la louange, à partager avec d’autres personnes une émotion. Nos sens font parties des bénédictions de Dieu. D’autres spiritualité relativisent la vie en ce monde, mais pas la pensée biblique et donc théoriquement pas le christianisme. Mais la pensée de certains philosophes grecs comme Plotin ont influencé certaines branches de la théologie chrétienne.

Peut-on aimer telle sorte d’art en étant chrétien ? Pour toutes ces questions d’éthique, c’est là que je suis bien bien content de ne pas être un adepte du moralisme. Je trouve que ce verset de Paul est excellent « tout est permis mais tout n’est pas utile… tout est permis mais tout ne construit pas et je ne me laisserai asservir par rien ». C’est à chacun de voir si sa relation à tel type de musique ou de poésie le tire vers le bas ou l’aide à s’élever. Il n’y a pas de règle absolue valable pour tous et pour toute sa vie. C’est à chacun de mesurer l’effet de ce qu’il lit, écoute ou regarde sur sa propre personne. Est-ce que cette pratique le rend meilleur ? ou non ? Telle personne pourra être rendue énervée et violente par tel type de musique ; alors que telle autre personne sera au contraire détendue par un rock métal hurlant ? Tel film présentant des scènes violentes peut rendre violent tel jeunes pas en forme, mais en même temps ces scènes représentent une violence qui hélas existe dans la vraie vie, et cela peut nous permettre d’en parler, de réfléchir, de travailler sur notre propre violence ?

En tout cas, Dieu n’est pas une sorte de père fouettard qui serait fâché par ce que nous regardons ou écoutons. Ce qui importe c’est notre cœur, notre cheminement, nos actes.

Dieu vous bénit et vous accompagne.

par : pasteur Marc Pernot

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4 Commentaires

  1. Nicolas dit :

    Je suis toujours très interrogé par cette observation : dans la Nature et à l’état sauvage, l’animal n’a rien de personnel, n’est pas une personne, juste un « individu » de son espèce, identifiable parmi d’autres. Mais à l’état domestiqué, ou apprivoisé, l’animal devient une véritable personne, pas juste un individu de son espèce. Y aurait-il comme une sorte « d’élévation » par rapport à son état initial (sauvage) ?

  2. Nicolas dit :

    « Ce qui importe c’est notre cœur, notre cheminement, nos actes » ; et j’aurais ajouté : « et les fruits que tout cela engendre, produit, fait croître et mûrir. »

  3. Anne-Marie dit :

    Certain philosophe, et non des moindres, a pensé que les animaux étaient de machines et donc ne souffraient pas. Il n’a jamais dû regarder les yeux d’un chien pour qui son maître est toute sa vie ni lire celui qui disait  » mes frères les oiseaux… »Nous arrivons à un moment où nous savons reconnaître la sensibilité des êtres vivants, surtout de ceux qui vivent près de nous. Et comment vivre sans cette magnifique expression qu’est l’art? Je ne vois pas comment l’oeuvre de Dieu serait absente de ces sujets.

    1. Pascal dit :

      il n’y a pas si longtemps on pensait aussi que les nouveaux nés ne souffraient pas . J’ai été opéré à la naissance sans anesthésie !

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