Question d’une philosophe athée bienveillante, cherchant à comprendre : « c’est quoi l’amour de Dieu ? »
La philosophe Simone Weil (1909-1943)
Question posée :
Monsieur,
Tout d’abord, je vous redis toute mon admiration pour le travail réalisé sur le site, les réponses aux questions toujours bienveillantes, lucides et ouvertes et pour cette somme considérable de connaissances que vous partagez et qui fait réfléchir, y compris des non-croyants. Vous rendez la théologie accessible, c’est passionnant.
Alors, à l’occasion d’un cours, j’ai étudié un extrait de La Pesanteur et la Grâce de Simone Weil, dans lequel elle écrit « l’organe en nous par lequel nous voyons Dieu est l’amour ». J’avoue que j’ai rencontré des difficultés à expliquer cette proposition. J’ai bien une petite idée (réellement petite, sommaire, sans prétention) de ce que c’est que l’amour ou Dieu, même si je suis athée. Mais « l’amour de Dieu », je dois bien reconnaître que je ne vois pas vraiment ce que recouvre cette idée. Je m’aperçois que je ne m’étais jamais posé de questions là-dessus, simplement parce que cela ne faisait pas problème pour moi. Néanmoins, cela n’empêche pas de réfléchir quand le problème se pose plutôt que de l’évacuer. En tout cas, présenté ainsi par Simone Weil, cela m’a interpellée. Et j’aimerais comprendre pour l’expliquer plus clairement une autre fois. Comme j’ai pu constater que vous ne donniez pas de réponses en kit, j’ose vous poser cette question, même si elle pourra sembler incongrue à quelques croyant s :
c’est quoi l’amour de Dieu ?
Je vous remercie si, par aventure, vous me répondiez sur la façon dont vous le comprenez. Je reste à l’écoute de vos idées de lecture pour approfondir ce sujet. Ce sera avec plaisir.
Bien cordialement,
Lili
Je vous joins ensuite quelques réflexions qui me sont venues. Une question en entraînant une autre, je ne sais où cela va mener.
1) Dans un premier temps, je distingue l’amour que Dieu a pour les hommes, et l’amour que les hommes ont pour Dieu, mais est-ce que je ne fais pas fausse route ? Ou est-ce la même chose ? Aimer Dieu, pour un homme, est-ce participer à l’amour qu’Il nous porte ? Est-ce cet « amour surnaturel » dont parle Simone Weil ? On pourrait ainsi postuler que l’amour que les hommes portent à Dieu et l’amour que Dieu porte aux hommes sont comme les deux facettes d’un même « objet ». Ou est-ce l’aimer d’une façon humaine, un peu boiteuse somme toute ? Comme tout ce que nous aimons avec des haut et des bas, des émerveillements, des éloignements voire des abandons ? Comment voyez-vous les choses ?
2) La connaissance de Dieu, d’après S. Weil, relèverait d’une dimension affective (comme chez Pascal et comme il est traditionnel de le concevoir) et l’amour de l’homme pour Dieu par lequel on le connaitrait relèverait d’une expérience que certains font, mais d’autres non. Néanmoins, qu’est-ce que c’est ? Est-ce qu’on aime Dieu comme on aime ses enfants, ses amis ? Est-ce que c’est la même qualité d’amour avec juste l’envergure de l’objet qui change ? Ou est-ce que l’envergure de l’objet changeant, la qualité de l’amour change aussi ? L’amour de Dieu est-il d’une autre nature que l’amour des hommes ?
Est-ce que cela existe vraiment d’ailleurs l’amour de Dieu ? L’amour du prochain, de la nature, est-ce de l’amour de Dieu ?
Par ailleurs, que certains hommes n’aiment pas Dieu (ce qui ne signifie pas qu’il le détestent même si certains y parviennent), ou s’en désintéressent, les expose-t-il à ignorer définitivement ce qu’est l’amour de Dieu ? Peut-on conceptualiser cet amour sans le vivre de l’intérieur ? Est-ce que ce n’est pas juste un concept empirique ? A moins qu’on puisse aimer Dieu sans le savoir – Simone Weil parle bien de « foi implicite » – ce dont je doute, la moindre des choses, c’est d’être averti quand on aime. Je crois que le principe de l’amour, c’est d’impressionner, dans le sens de faire impression, marquer. Il y a des gens que je n’aime pas (sans les détester), eh bien ils ne me font justement aucune impression. Il est vrai qu’on peut aussi s’illusionner en matière d’amour. La Princesse de Clèves en fourmille d’exemples et je ne parle pas de Freud.
3) Et qu’en est-il ensuite de l’amour de Dieu, cette fois dans le sens de l’amour que Dieu aurait pour nous ?
D’ailleurs est-ce qu’on peut en dire positivement quelque chose qui ne relève pas de l’invention ? Ou en donner une définition, une conception autre que négative ?
Que Dieu aime tous les hommes en général et en particulier, voilà qui semble difficile à comprendre (surtout pour les pires des criminels sauf si on postule que l’amour de Dieu est infini et absolu – ça énerve un peu mais bon si c’est le principe…). Parce que, que l’homme puisse être un projet divin est une idée qui semble bien étrange. Les agissements des hommes ne parlent pas en leur faveur et leur destin n’est-il pas de disparaître, comme toutes les espèces biologiques, tôt ou tard ? Alors oui, les hommes réalisent aussi de belles choses, heureusement ! – mais cela peut-il contrebalancer des holocaustes, des guerres de religions (terrible oxymore), l’esclavage, la torture, les sauvageries en tout genre ? Cela donne une bien petite idée de Dieu si l’homme est au bout de son projet ou au moins une des ses visées. Vous me direz qu’on ne peut pas savoir ce que tout cela va donner. Oui, mais on voit bien pour le moment que ça ne donne pas grand chose : il y a eu quelques génies humains, des vies exemplaires (je veux bien même y ranger Jésus) mais ça ne fait pas toute l’humanité.
Je ne dirais pas pour autant que Dieu soit responsable de tout ce mal puisqu’à mon sens le mal est une condition de l’existence humaine. Nous ne pouvons pas échapper à cette forme de relation avec autrui, même si je crois que nous pouvons travailler à y participer le moins possible.
Alors, franchement, je préfèrerais croire, s’il y a un principe au monde, que ce principe soit inconscient. Et l’homme, un malheureux accident. L’histoire est si terrible et singulièrement l’histoire du Christianisme qui s’est longtemps ingénier à produire des actions dont la valeur vient heurter les messages promulgués dans ses Livres (ce que vous soulignez à plusieurs endroits). Une amie, catholique convaincue, pensant bien faire, m’a déjà expliqué que c’était « parce que les chrétiens des temps anciens n’avaient pas bien compris les Ecritures… ». Mais que je sache, « Aimez-vous les uns les autres » et « Tu ne tueras point » par exemple, ne souffrent pas d’ambiguïtés et ne demandent pas un effort surhumain de l’entendement pour être compris, même au Moyen-Âge. Le message s’est donc bien brouillé en cours de route…
Vous me direz que la qualité du message est sans rapport avec la qualité des messagers qui le portent, c’est bien vrai, mais cela sème forcément le doute. C’est déroutant.
Par ailleurs, Jésus demande de croire en ses œuvres, si on ne croit pas en lui. Je suppose qu’il ne parle pas que de ce qu’il accomplit mais qu’il s’agit d’une métaphore pour désigner la création, susceptible de délivrer la trace de l’horloger – cette analyse peut être fausse, ma lecture des Evangiles n’est pas forcément précise.
Mais ce qu’on peut voir dans ces œuvres, c’est bien autre chose que Dieu. Devant l’univers et son immensité, on peut peut-être trouver Dieu, du moins certains le prétendent-ils et il n’y a pas à remettre en doute leur impression mais on peut aussi trouver que nous sommes complètement perdus, isolés quelque part dans l’être avec pas grand chose à quoi nous raccrocher sinon au sentiment de l’absurde. Avec comme seule et unique certitude notre existence. Cette position n’est guère satisfaisante, j’en conviens.
4) A priori, il me semblait qu’on pouvait voir une piste de réponse à la question « qu’est-ce que l’amour de Dieu ? » en envisageant ce que doit ressentir un croyant quand il prie, quand il s’adresse à Dieu. Du moins je l’imagine, je ne peux pas en parler d’expérience. J’en reste au niveau conceptuel. Mais en naviguant sur votre site, je m’aperçois qu’une partie des croyant s n’expérimente pas vraiment la présence de Dieu. Comment alors pouvez-vous parler de l’ « amour de Dieu » sans qu’il ne s’agisse là d’autre chose que de mots ? (pardon si la formule est un peu directe). Est-ce qu’on peut croire à l’existence de quelque chose sans avoir au moins l’impression de son existence (une marque en nous d’une façon ou d’une autre, sans forcément passer par une grande expérience mystique) ?
Parce que justement, à mon sens, la foi c’est l’expérience de la présence de Dieu – je crois que c’est aussi l’idée de Simone Weil – et l’athéisme c’est l’expérience de l’absence de Dieu. En effet, personnellement, je n’ai pas l’impression que Dieu existe, je n’y pense que rarement. Je me dis : il y a des personnes qui y croient, c’est bien, tant mieux pour elles, ça peut être d’un grand secours sans doute. Je peux même trouver ça très beau parce qu’il y a une confiance touchante dans quelque chose qu’on ne connaît pas vraiment. Mais bon.
C’est vrai qu’on peut lire dans des pages magnifiques de la Seconde épître aux Corinthiens que l’absence de Dieu, c’est justement sa présence et chez Jean-Luc Marion que « la mort de Dieu » tant annoncée par Nietzsche est la plus géniale façon pour Lui d’être Vivant. Mais est-ce que M. Marion n’abuse pas trop du jeu de mots ou du romantisme ? Même remarque pour Nietzsche.
Donc quand Dieu nous aime, qu’est-ce que c’est ? Existe-t-il d’ailleurs une réponse à cette question ou est-ce hors de portée pour l’esprit humain ?
Est-ce que Dieu aime comme les hommes aiment et il y a de multiples façons d’aimer (éros, agapè, philia avec leurs déclinaisons) mais je doute que Dieu puisse aimer de ces façons ou alors il faudrait accorder à Dieu des qualités humaines, ce qui n’a guère de sens. Pourtant, vous prenez souvent, dans vos réponses ou prédications, comme image de l’amour divin l’image de l’amour maternel qui ne réclame rien, ne juge pas, autrement dit aime sans raison, ce qui est une autre façon de dire qu’Il aime infiniment et absolument. Ce n’est qu’une comparaison, j’en ai bien conscience. Néanmoins, quel genre d’analogie faites-vous entre amour humain et amour divin ?
Pour finir, est-ce qu’on ne peut pas concevoir la recherche d’un tel amour comme un désir naturel, consubstantiel à l’homme donc est-ce que ce n’est pas naturel aussi de forger une image/un concept qui lui corresponde ? Car qui ne voudrait pas être aimé éternellement et ne pas mourir complètement ? Les épopées les plus anciennes de l’humanité ne portent-t-elles pas déjà la trace de ce désir qui atteint un très haut degré dans le Nouveau Testament ? L’amour de Dieu n’est-il pas finalement qu’une idée qui sert à « vivre » sans trop d’angoisses et à « vivre avec » : avec ses coreligionnaires, mais aussi avec les autres hommes si on n’est pas trop dogmatique, sans qu’il y ait rien de « réel » là-dessous ? Un sentiment sans objet en somme ou une « impression vide » ? Bref, un amour de Dieu sans Dieu mais qui nous amènerait à aimer l’homme, amour nécessaire à sa survie biologique et au vivre-ensemble ?
Réponse d’un pasteur :
Bonsoir
Grand merci pour les encouragements !!!
Et merci de partager ces réflexions passionnantes. D’avoir un attitude si respectueuse, avec un vrai respect qui s’intéresse.
Je traduirais la notion de « amour de Dieu », ou de « grâce de Dieu » en français courant par « dignité radicale et inconditionnelle ».
C’est, je pense, très précieux. Car la question de la perception de notre propre valeur, ainsi que l’idée que nous nous faisons de la valeur d’une autre personne est absolument cruciale pour vivre, pour avancer, pour être lucide et libre. Comme je tentais de l’expliquer récemment dans une prédication récente : une personne sans domicile négligée par tous, dont personne ne connaît le nom, et pas très en forme physiquement, qu’est-ce qui fait la dignité de la personne ? Affirmer la grâce de Dieu nous permet de dire que cette personne et sa vie sont tout aussi dignes que celle d’un prix Nobel de la Paix. Cet amour de Dieu n’est donc pas seulement amour de l’humanité, mais amour de la personne individuelle de toute l’humanité. Et sans doute l’amour des autres membres de l’univers, mais c’est une autre question.
Ce n’est pas une idée si abstraite et si étrange. Je suis certain que les amies de Juliette se demandaient, en chuchotant, mais qu’est-ce que Roméo lui trouve ? Ou pour saisir comment pour des parents qui ont un enfant handicapé mental profond, et peut-être difficile, cet enfant est tout autant leur enfant bien aimé que les autres. Et pour avoir été des années aumônier de détenus en longue peine, j’ai toujours senti, et sans me forcer, que même si ces hommes avaient commis des actes inhumains, une personne humaine, indubitablement, était néanmoins encore là. C’est ce que l’on pourrait appeler l’enfant que Dieu aime, dans notre jargon. Ou dans des personnes en extrême fin de vie. C’est alors très concret, cette dignité radicale. Et dans un sens, je vois là les traces de ce que j’appelle Dieu, au moins en gestation, parfois plus ou moins cabossé et blessé, ce qui rend cette personne aimable malgré tout, ce qui parfois lui a permis de se dépasser un petit peu, ma rendant elle-même capable d’aimer un peu ?
L’amour de Dieu est infini et absolu, oui, mais cela ne veut pas dire pour autant que Dieu aime tout dans la personne, et encore moins dans ses actes. On dit que dieu aime le pécheur mais pas le péché, on peut aimer une personne malade sans aimer la maladie, une personne ayant un comportement passablement méchant sans aimer ni sa méchanceté ni la méchanceté et général. Ce n’est pas cela aimer une personne.
Cet amour de Dieu peut se vivre ensuite pour certains comme une conviction et/ou comme un sentiment religieux. Cela dépend des personnes, de leur sensibilité. Ce n’est donc pas toujours, pas nécessairement un ressenti. Cela peut l’être.
- Comme vous le dites avec Simone Weil. Cette expérience d’un amour transcendant pour soi est une expérience parfois vive parfois plus diffuse, avec ses hauts et ses bas même chez les plus grands mystiques. Cette expérience est alors fondatrice pour la personne, la conduisant en général à en faire quelque chose, cela devient une conviction théologique, qui se décline, comme toujours en christianisme, dans le domaine éthique et existentiel.Ce type d’expérience n’est pas si rare, bien des personnes n’osent pas en parler, même à leurs proches de peur de passer pour folles (alors que 99% des personnes qui me disent avoir vécu cela ne l’étaient vraiment pas).
- Bien des chrétiens disent qu’ils n’ont jamais connu quelque chose de cette sorte. C’est le cas de la moitié des chrétiens que je connais. Et cela n’empêche aucunement d’arriver à se fonder sur l’amour de Dieu au sens où je le développais plus haut. Par la théologie, la pensée, la conviction. C’est une forme d’expérience comme une autre, une certaine joie aussi, et une façon d’avancer grâce à cela qui est à peu de chose près la même que pour ceux qui ont une sensibilité plus mystique. Peut-être avec un peu moins de glamour, un côté plus cérébral, ce qui a aussi ses avantages, celui ne moins dépendre de nos humeurs et de la météo.
Cet « amour de Dieu pour nous » est ensuite assez important existentiellement pour bien des croyant s. Cela ouvre la possibilité de commencer à se regarder soi-même, soi et sa vie, avec un petit peu plus de sincérité et de lucidité, sachant ne pas y jouer sa propre droit à être. Cela ouvre la possibilité de l’examen de conscience, dans la prière, se sentant accepté de toute façon, tout en répondant de nos actes. Cela permet d’avoir un idéal infini sans pour autant être culpabilisé de ne pouvoir l’atteindre. Cela prépare, ou peut préparer à être une personne consciente de sa propre valeur, et appelée à faire quelque chose de cette valeur. Ensuite, découvrant que l’on est accepté au delà de toute raison objective, cela donne à penser que l’amour de Dieu est pour chaque personne individuelle sans condition, cela ouvre, comme vous le dites, à l’amour de notre « prochain », ce prochain étant, par définition, celui avec qui je partage le fait d’être aimé par Dieu. Une personne qui m’est totalement étrangère du point de vue humain est donc un prochain pour moi. La pensée de l’amour de Dieu n’est donc pas sans rapport avec un appel à aimer notre prochain.
Il est possible de concevoir la dignité radicale de chaque personne sans la théologie et sans la mystique. Même si cela me semble encore plus abstrait que de penser Dieu.Il est possible d’avoir des exercices spirituels proche de ce que nous vivons dans la prière. Il y a donc, je pense, un continuum entre les « croyants » et les « athées ». Cela dit, je pense que c’est intelligent pour un athée de s’ouvrir et d’essayer de comprendre ce dont parle le croyant quand il parle de Dieu, ce qui est en jeu. Car c’est un champ immense d’expériences, de recherches et de débats millénaires.
La question de l’existence du mal en cohérence avec l’existence d’un Dieu bon (la question de la théodicée) est intéressante. Je propose quelques réflexions ici (https://jecherchedieu.ch/dictionnaire-de-theologie/mal-existence-du-mal-de-la-souffrance/). Mais de toute façon, le but même de la théologie est de dire en quel Dieu on croit, c’est fondamentalement se donner une visée, ce qui est un travail fort utile et qui est en fait de la philosophie, de la philosophie conceptuelle et expérimentale, nourrie par la prière et l’action. C’est à mon avis fécond. Mais ce n’est pas magique, c’est vrai. Chaque personne humaine doit revivre des millions d’années d’évolution, nous naissons bébé dans un égocentrisme massif, dans un monde dont les ressources sont limitées, nous plaçant en concurrence… le fait même d’être inachevé et en évolution étant peu sécurisant. Mais bon, effectivement, se placer devant l’amour de Dieu par la méditation et la prière authentique conduit non seulement à l’étrange « tu ne tueras pas » et à la plus étrange encore idée que tout prochain serait à aimer. Cela ne fait certes qu’infléchir notre course, cela suspend quelques instants notre première réaction impulsive. C’est peu, certes, mais c’est immense.
Je suis du même avis que vous de distinguer l’amour de Dieu pour nous, de l’amour de la personne pour Dieu. L’amour de la personne pour Dieu est une réponse, celle de la foi. Le théologien Paul Tillich définit la foi comme le courage d’accepter d’être accepté, en dépit du fait que l’on se sente inacceptable. Cela signifie consentir à ce que l’amour dont Dieu nous aime soit plus grand et plus profond que notre refus de nous-mêmes. Aimer Dieu, dans un sens, c’est avoir une vision où le sujet humain reconnaît qu’il a quelque chose, ou quelqu’un qui le dépasse et qui nous dépasse tous. Quelque chose ou quelqu’un qui me reconnaît comme existant, et qui m’appelle au sens de donner un nom et d’appeler pour entendre ma réponse. Je ne mettrais donc pas l’amour de Dieu (transcendant, originel) pour la personne sur le même plan que l’amour de la personne pour son Dieu.
De toute façon, quand on parle ici d’amour de Dieu, ou pour Dieu de la notion d’ « agapè » en grec biblique, qui n’est pas un sentiment (comme le sont l’amitié ou l’amour des amoureux, l’amour en famille). L’agapè en grec biblique serait plus, me semble-t-il, une attention à l’autre, le prendre en compte comme digne d’être et de s’épanouir dans sa vie et sa vocation personnelle. L’agapè peut tout à fait se conjuguer, ou non, à la passion qui existe entre deux amoureux. Il me semble préférable qu’en plus d’une certaine passion, d’un désir, du bonheur que l’amoureux ressent à profiter de ce que l’autre lui apporte s’ajoute un amour agapè pour l’autre, cherchant donc à se donner soi-même pour que l’autre vive et s’épanouisse. Les deux amours se complètent, s’interpellent et se corrigent mutuellement, peut-être ? De même en ce qui concerne l’agapè et l’amour viscéral pour la chair de sa chair ou pour une personne avec qui on s’est senti une certaine affinité : c’est autre chose, en plus.
Je ne suis pas certain que se soit si rassurant le fait de croire en Dieu, de chercher à le penser, de se placer face à « cela » dans l’introspection. Il est probablement bien bien plus tranquille et reposant de ne pas se poser de question, de ne pas reconnaître quoi que ce soit auquel je devrais répondre, de se voir peut-être comme un fétu de paille ballotté par les vagues du chaos, suivre ce flot. Alors que se sentir être aimé, se sentir appelé à aimer un peu des prochains parfois souffrants et parfois pas très aimables, est-ce rassurant ? Je ne le pense pas. Ce dont je peux témoigner c’est que cela intensifie ma vie. C’est ce que je dirais que produit la foi dans mon existence. Mais me rassurer, je ne pense vraiment pas. De la mort, je ne sais rien et m’en fiche un peu, je ne l’ai jamais vécue, et je ne suis pas certain que les quelques instants où l’on meurt soient si importants par rapports à l’ensemble d’une vie. Ensuite, penser la transcendance n’a jamais rassuré ni consolé de notre finitude, de nos échecs. Par contre : ne pas penser, se distraire (comme le dit Pascal), vivre en n’aimant pas trop : ça c’est une bien plus efficace façon de vivre sans trop d’angoisses, je pense. Donc j’assume ma foi, je la choisis, je la goûte, mais sans sentiment de supériorité vis à vis de ceux qui vivent autrement. Chacun vit sa vie.
Donc d’accord avec la sublime, et un peu pompeuse, expression de Simone « l’organe en nous par lequel nous voyons Dieu est l’amour », je dirais même que c’est un muscle, l’amour est un muscle que l’on découvre avoir et que l’on peut choisir de travailler, et qui nous mène loin. Parfois même à « voir Dieu » ? Avec d’énormes guillemets autour de cette expression métaphorique.
Bien fraternellement
par : pasteur Marc Pernot
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Rassurez vous tout le monde en est là concernant Spinoza, je crois. Je n’ai pas tout saisi non plus, loin s’en faut. Il vous remet à votre place régulièrement. Même quand on a compris l’Ethique, on lit un peu plus loin et on se dit : « ah non ce n’est pas ça et on recommence…. » une vraie histoire sans fin de séries de paires de claques (conceptuelles j’entends). C’est le problème avec les génies. Certaines œuvres restent accessibles toutefois comme le Traité de la réforme de l’entendement et le Traité théologico-politique. Dès qu’un texte est riche, il y a un effort à réaliser. C’est pareil pour La Bible. Ca n’a rien d’évident sorti du premier degré.
Pierre-François Moreau (un professeur de l’université de Lyon, spécialiste de Spinoza) est d’un éclairage puissant sur cet auteur. Avec lui, ça passe beaucoup mieux. Une intelligence remarquable.
Il a des cours en ligne https://www.canal-u.tv/chaines/ens-de-lyon/spinoza et tout un tas de vidéos très accessibles un peu partout sur le web, même pour débutants me semble-t-il. Et de très bons livres, entre autres : « Spinoza. L’expérience et l’éternité ».
Il faut avoir le temps mais on peut s’y mettre petit à petit. L’hiver n’est-il pas plus long en Suisse ? Si ça peut intéresser les uns ou les autres.
Spinoza a beaucoup réfléchi sur la Bible Hébraïque et sur la question de Dieu, même si sa réflexion reste originale. Il peut y avoir des liens à faire, c’est pourquoi je me permets cette indication.
Et en plus, oui, une vie de philosophe que la vérité a obligé. C’est fascinant.
Eh oui, nous ne naissons pas vierges de toute idée – ou si peu de temps – nous baignons déjà dans une tradition…qui malgré toute la bonne volonté du monde a le droit de vous embrouiller l’esprit. Tout le travail de la philosophie est pourtant d’en faire quelque chose. Mais ces présentations traditionnelles de la théologie chrétienne (au moins de certaines) ne m’ont jamais convaincue, cela n’a rien d’original évidemment (pourtant on était convaincu autour de moi) et je suis vite allée voir ailleurs, comme beaucoup, dans d’autres directions. J’ai un peu jeté le bébé avec l’eau du bain aussi. Cette première démarche est presque inexplicable. C’est comme ça. Néanmoins, vos définitions me rassurent, il y avait autre chose à comprendre…Il est vrai que vos connaissances en hébreu et grec biblique vous ouvrent des perspectives : merci de les partager !
Nocif, oui, au vu des questions angoissées qui reprennent cette thématique sur le site et ailleurs, on peut dire que ce concept a réalisé pas mal de dégâts et opéré des départs sans retour.
Par ailleurs, les échos de vos définitions avec la philosophie de Spinoza sont énormes, la phrase de l’Ethique la plus décisive à mon sens « nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels » (Ethique V, proposition 23, scolie), ce n’est pas très loin de vos explication concernant « ressusciter’ et « vie éternelle ». Je n’ai pas étudié la question (je vais regarder de plus près) mais il y a bien des similitudes entre sa philosophie et la religion réformée ? Au moins l’idée de regarder le texte biblique et d’en saisir le sens en dehors de tout dogme mais je suppose que ça va au-delà. C’est bien, il y a encore du travail, dès fois qu’on s’ennuierait….
Dans son T.T.P, (Traité théologico-politique) Spinoza écrit quand même en se demandant quel est l’objet des Ecritures : « la parole révélée de Dieu « … »ne consiste » qu’à « obéir à Dieu d’un pur élan, en pratiquant la justice et la charité » (trad. R. Misraoui). C’est fort quand même. Comment être en désaccord avec une telle proposition ?
Chacun ses lectures, mais c’est toujours intéressant de voir qu’on peut se rejoindre sur certains points.
Spinoza est une magnifique personne, je trouve, et un formidable philosophe. Souvent un peu (beaucoup) au dessus de mon niveau, dois-je reconnaître à ma grande désolation.
Merci pour cette référence.