Le carême n’est pas « obligatoire » mais doit être fait par conviction ? Quel rapport avec Jésus et Pâques ?
Question posée :
Bonsoir Marc,
Je voulais tout d’abord vous remerciez de prendre le temps de répondre aux questions posées par mails.
Merci pour vos réponses qui m’apportent beaucoup de choses.
Donc en fait si j’ai bien compris le carême n’est pas « obligatoire » mais doit être fait par conviction (si je peux dire ça ainsi) de la personne, tout en bien sur de pas jeûné à s’en rendre malade.
Je voulais vous demander autre chose, le carême correspond bien au jeûne fait pas Jésus Christ lors des 40 jours où il a été tenté par le diable dans le désert? Pourquoi le carême se situe donc après Pâques?
Merci encore une fois de votre patience et de votre gentillesse.
Avec mes amitiés les plus sincère.
Réponse d’un pasteur :
Bonjour,
Certains chrétiens entrent en carême, pas tous.
Oui, pour le carême, il y a des chrétiens qui jeûnent, et c’est bien leur droit si cela leur convient (tant que c’est fait raisonnablement, comme vous le dites).
Et comme vous le dits cela n’a surtout rien d’obligatoire !
Il est donc faux de dire, comme on le voit dans certains médias grand public ces jours-ci, que « les chrétiens entrent en temps de carême » : il faudrait dire que certains chrétiens, de certaines églises, entrent dans une période qu’ils appellent « temps de carême et à cette occasion pratiquent une forme de jeûne, de sobriété, de privations volontaire… ou ce que l’on veut.
Cette pratique du carême est une invention tardive, du IVe siècle, elle est donc inconnue par les dix premières générations de chrétiens !
Jésus et la pratique du jeûne
Les évangiles nous disent même que le fait de ne pas jeûner est une spécificité des disciples de Jésus alors que c’était une pratique assez courantes dans d’autres milieux, par exemple les disciples e Jean-Baptiste ou les juifs rigoristes :
« Les disciples de Jean-Baptiste vinrent auprès de Jésus, et lui dirent: Pourquoi nous et les pharisiens jeûnons-nous, tandis que tes disciples ne jeûnent pas ?
Jésus leur répondit: Les amis de l’époux peuvent-ils s’affliger pendant que l’époux est avec eux? Les jours viendront où l’époux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront. »
(Matthieu 9:14-15)
Cela veut dire que c’était sans doute une volonté délibérée de Jésus ne ne pas jeûner et que ses disciples ne le fassent pas non plus, il fait dire qu’on les voit souvent manger dans des grands repas partagés, invité par des personnes très diverses, des très religieux, des personnes à la vie moralement douteuse, ou chez des amies. Au point que Jésus est souvent critiqué pour cette attitude (Matthieu 11:18-19). Dans la réponse de Jésus : il dit que ses disciples sont dans la joie car ils ont « l’époux avec eux » et qu’ils jeûneront quand il leur sera ôté. Qu’est-ce que cela voudrait dire ? Parfois « l’époux » est une figure de Dieu qui fait alliance avec nous, ou du Christ qui vient porter une alliance nouvelle avec Dieu. Quand alors « l’époux nous serait enlevé » ? Peut-être après la mort du Christ sur la croix et avant sa résurrection, pendant trois jours, selon le récit de Pâques. Mais maintenant nous sommes au bénéfice de cette promesse du Christ qui est la conclusion de l’Evangile : Jésus dit « Voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. » (Matthieu 28:20). Et pour cela, Jésus nous invite à la joie, à la louange, pas au jeûne, qui est une forme de deuil.
C’est pourquoi les 300 premières années du christianisme le carême était inconnu, plus de jeûnes rituels imposés comme dans d’autres religions.
Mais cela n’empêchait pas le jeûne comme exercice spirituel privé et personnel. C’est comme cela que je comprendrais cette phrase de Jésus de jeûner « quand l’époux nous est enlevé », c’est à dire quand nous sentons que notre foi est affaiblie, et que nous aimerions renforcer la présence du Christ dans notre vie. C’est alors une saine démarche : elle part d’un examen de sa propre bonne forme spirituelle, comme nous le faisons pour notre corps, et éventuellement de réagir en se remettant à faire un peu d’exercice pour redynamiser son corps, sa foi, son intellect, son moral…
C’est comme cela que Jésus présente le jeûne quand il parle des exercices spirituels que sont la prière, le fait d’aider les autres, et donc le fait de jeûner. Il insiste fortement sur le fait que ces exercices ne peuvent porter de bénéfice spirituel que sous certaines conditions :
« Gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes, pour en être vus; autrement, vous n’aurez point de récompense auprès de votre Père qui est dans les cieux…
Lorsque vous jeûnez, ne prenez pas un air triste, comme les hypocrites, qui se rendent le visage tout défait, pour montrer aux hommes qu’ils jeûnent. Je vous le dis en vérité, ils ont leur récompense.
Mais quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage, afin de ne pas montrer aux hommes que tu jeûnes, mais à ton Père qui est là dans le lieu secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. »
(Matthieu 6:1-18).
L’apôtre Paul et la pratique du jeûne
Nous donner pour nous même des exercices spirituels est donc une bonne idée, selon Jésus, mais pour que ça porte un bénéfice qui vienne de Dieu, il est nécessaire que nous fassions cela vraiment d’une manière intime, personnelle, sincère, et discrète. On sait que Paul s’est retiré pour un temps de retraite assez long après sa conversion sur le chemin de Damas et le moment où il se lève pour évangéliser le monde. De même on voit Paul et Barnabas « prié et jeûné » au moment de quitter une église qu’ils ont créée pour aller vers une nouvelle étape (Actes 14:23), je dirais que c’est encore un exercice authentiquement choisi par leur petite équipe afin de discerner la vocation particulière de leur équipe à ce moment là et de faire mieux place à l’aide de Dieu dans ce travail. Et c’était bien la même démarche qui conduit Jésus à jeûner au moment où il hésite, après son baptême, et où finalement il décide de se lancer dans une vie publique de prédicateur itinérant. C’est là aussi une démarche tout à fait intime et privée, seul à seul avec Dieu.
C’est bien le problème de cette pratique d’une sorte de jeûne relatif du « carême » qui a été inventé 300 ans après Jésus, à une époque où la foi chrétienne se transforme en une religion d’empire.
Ce genre d’obligations religieuses où tout le monde serait obligé de suivre n’est finalement pas tellement, à mon avis, dans le style de Jésus.
Les protestants et le carême
C’est pourquoi les Bâlois, très protestants, ont commencé à organiser leur carnaval (joyeux et gourmand) en plein temps de carême catholique (le carnaval de Bâle (Morgenstreich) vaut vraiment d’être vécu, c’est lundi prochain 19 février 2024 dès 4h du matin, voir aussi cet article). On connaît aussi la très sérieuse « affaire des saucisses » qui marque le début de la Réformation en 1522 à Zurich quand Ulrich Zwingli, curé de la Grossmünster donne un sermon enflammé pour défendre des chrétiens ayant mangé de la saucisse fumée en plein carême : Zwingli défend la liberté de jeûner mais que cela n’autorise pas à vouloir imposer à une autre personne de jeûner non plus. Cette question va s’enflammer au point qu’en janvier 1523 ce sera le début de la Réformation en Suisse.
Le Carême n’est donc pas obligatoire pour les disciples du Christ, et encore moins pour les protestants.
Donc je suis tout à fait du même avis que vous : ce n’est absolument pas obligatoire pour un disciple de Jésus-Christ de faire le carême, il ne faut surtout pas se sentir obligée. Et encore moins si vous êtes protestante. Comme le dit Jésus, cela doit rester très personnel, et c’est ce que soutien aussi Zwingli à propos des saucisses. On peut manger un délicieux « papet vaudois » (ou de longeole), c’est encore meilleur quand on le fait dans la louange et dans le partage, bien sûr.
Exercices spirituels : toute l’année
Mais bon, ensuite, si cette invention et la communication qui est faite autour de cela vous donne l’idée et l’envie de prendre un temps pour vous, à votre façon, pour espérer un nouvel élan de foi : et bien c’est génial. Pourquoi pas alors dans ces semaines avant Pâques, en effet ? Mais pourquoi pas pendant une semaine de vacances que vous orienteriez en partie à ce « travail » en faveur de votre foi ? Pourquoi pas, alors, un jeûne : tant que cela reste bon aussi pour votre corps, et bon pour votre moral, et bon pour votre recherche de Dieu. Et choisi personnellement, sans publicité. Le jeûne n’est qu’un moyen parmi d’autres, pour accompagner la prière et la réflexion. On peut aussi aller une petite semaine dans un monastère, on peut choisir de relire telle partie de la bible à tel rythme, ou comme le propose Jésus avoir un projet d’entraide (Matthieu 6:2-4)
A propos des 40 jours de Carême, vous avez tout à fait raison, les 40 jours de carême sont un rappel des 40 jours de Jésus dans le désert. C’est vrai que ça n’a à priori aucun rapport avec la période avant Pâques (où cette pratique du carême a été mise mise en place). Puisque c’était après son baptême et non avant Pâques que Jésus aurait jeûné. Mais ce chiffre de 40 (40 ans, ou 40 jours) évoque une période de temps de gestation, un temps de préparation pour accoucher d’un nouveau nous-même. C’est ainsi pour les 40 ans dans le désert des hébreux, avec une nouvelle génération qui entre en terre promise « à travers les eaux ». C’est aussi le cas de Jésus pour ces « 40 jours » de jeûne où il va se saisir de sa vocation personnelle. Ce chiffre de 40 est donc purement symbolique, il indique le sens de cette période, et non nécessairement une quantité physique de temps. « 40 jours », cela signifie : le temps qu’il faut pour entrer dans une nouvelle façon d’être, de vivre, d’agir, d’espérer. ‘est à vivre soi-même, et c’est à chacun à se donner les moyens pour cela, et s’ouvrir ainsi à l’aide de Dieu.
Les 40 jours de l’Ascension
A propos de Pâques, il y a effectivement une période 40 jours dont il est question dans la Bible, ce n’est pas pour une période de « Carême » mais c’est après Pâques (Actes 1:3) : il nous est raconté que Jésus apparaît aux disciples pendant 40 jours après sa résurrection, le temps qu’il faut à ces disciples pour saisir que le corps de Jésus n’est plus là (c’est ce qui est commémoré à l’Ascension), il faut ensuite encore 10 jours avant la Pentecôte (où ils reçoivent l’Esprit). Si on a envie de nous inspirer des récits bibliques pour notre propre édification, ce serait donc plutôt après Pâques que nous pourrions veiller et prier (et pourquoi pas jeûner si on veut), vraiment personnellement pour s’ouvrir à l’Esprit Saint, en mémoire de la promesse du Christ de nous l’envoyer.
Dieu vous bénit et vous accompagne.
par : pasteur Marc Pernot
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« C’est pourquoi les 300 premières années du christianisme le carême était inconnu, plus de jeûnes rituels imposés comme dans d’autres religions. »
Il faut nuancer ces propos. Certes, le carême était inconnu de l’Eglise des premier siècles mais pas le jeûne communautaire ni le jeûne ritualisé :
La Didachê est un texte assez court, écrit vers la fin du Ier siècle. Il contient un chapitre sur le jeûne, dont voici un extrait :
« Que votre jeûne ne soit pas comme celui des hypocrites, qui jeûnent le lundi et le jeudi. Quant à vous, jeûnez le mercredi et le vendredi ». L’Église primitive a jeûné en certaines occasions, comme il est mentionné dans les Ecritures (Actes 13: 1-3 ; 14: 23 ; II Corinthiens 6: 5 ; 11: 27).
Le carême n’est évidement pas « obligatoire » : rien ne l’est par ailleurs dans l’Eglise : l’Eglise propose, invite mais n’oblige personne. D’autant plus qu’elle ne peut rien vérifier de ce qui se passe dans l’intimité des personnes car tel n’est pas son rôle ni sa mission ni sa volonté.
Je trouve un peu étrange que vous réduisiez le carême au jeûne. C’est en tous cas une caricature par rapport à ce qui se vit dans le monde catholique que vous devez quand même un peu connaître, où c’est un temps important, tout comme l’avent: depuis ma lointaine enfance, le cheminement du carême y est structuré par trois axes: la prière, le partage ( il y a chaque année une grosse « campagne de solidarité » appelée « carême de partage »), enfin la libération des faux besoins – ce dernier est ce qui correspond à ce que vous appelez « jeûne », ou aux pratiques de « pénitence ». Mais cet effort de sobriété est décliné de multiples façons: par exemple, libération de l’addiction à l’alcool, ou aux réseaux sociaux qui vous enferment dans une bulle… Depuis quelques années, l’exemple du ramadan suscite un intérêt pour l’expérience du jeune proprement dit – qui n’a jamais été prescrit pour les catholiques, sauf le mercredi des cendres ( premier jour du carême) et le vendredi-saint.
Bonjour et merci pour cet utile complément.
Seulement la question était celle du jeûne.