22 février 2023

Représentation du Morgenstreich en 1843 par Hieronymus Hess (wikicommons)
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Après tout… pourquoi pas un temps de carême s’il est si beau, profond et inspirant que ça

Par : pasteur Marc Pernot

Représentation du Morgenstreich en 1843 par Hieronymus Hess (wikicommons)

Du joyeux morgenstreich de Bâle au poignant « O Mensch, bewein dein’ Sünde gross » de Bach

Les protestants réformés ne sont pas très portés sur le carême. C’est une façon, encore et toujours de se méfier de la religion religieuse, où il faudrait avoir telle attitude sur commande au carême, être triste sur commande à vendredi saint, puis que tout le monde éclate de joie sur commande le dimanche de Pâques. La sincérité, l’authenticité est une composante essentielle de la foi, puisqu’en Dieu nous sommes en totale confiance qu’il nous aime et nous garde de façon inconditionnelle. Il est donc utile de se méfier de ce qui pourrait mettre la personne en porte à faux, d’où une certaine méfiance pour les temps liturgiques qui impriment sur notre vie personnelle des cycles abstraits. Dans un sens, chaque dimanche, et aussi les autres jours de la semaine sont un moment parfait pour méditer sur le Christ, sur la naissance de Jésus et l’incarnation, sur sa mort sur la croix et l’amour qu’il manifeste ainsi, sur l’expérience que les disciples ont de sa résurrection et de la vie plus forte que la mort … selon notre inspiration du moment.

C’est pour dire cette liberté que dès les origines de la Réforme, les protestants de la ville de Bâle ont créé un joyeux, très joyeux carnaval en plein carême (le lundi suivant le Mercredi des Cendres (lundi prochain 27 février 2023) : à 4h du matin, les lumières de la ville s’éteignent et des lanternes pleines de sens et d’humour s’allument, les fifres et tambours résonnent, la population se réjouit. C’est une autre façon que les jeûnes et les privations de chercher la vie, de s’ouvrir à la vie. Sympa (voir les détails sur cette fête ici)

Mais quand même. On a aussi bien le droit de suivre les « temps liturgiques » et autres fêtes chrétiennes (pour ceux qui seraient sensibles à cette pédagogie religieuse). C’est ainsi que Jean-Sébastien Bach était amené à illustrer l’Evangile du Christ suivant cet usage dans l’église protestante luthérienne. En particulier avec ses « Passions » dont nous n’avons plus, hélas, que deux sur les cinq qu’il avait composées pour illustrer le récit de la mort de Jésus sur la croix. Ces « passions » sont pleines de perles, celle que je vous propose est tirée de la passion selon Saint Matthieu. C’est ce choral harmonisé par Jean-Sébastien Bach « O Mensch, bewein dein’ Sünde gross » (Ô homme pleure tes grands péchés), qui permet de passer du temps de Noël au temps de la passion, un peu comme Marie à qui le prophète Siméon révèle entre les joie set les larmes l’avenir douloureux de Jésus encore bébé (Luc 2:25-35) :

Ô homme, pleure tes grands péchés,
pour lesquels le Christ, du sein de son Père,
est sorti et est venu sur terre
d’une Vierge pure et délicate,
il est né pour nous, il a voulu être le Médiateur,
aux morts il a donné la vie, il a éloigné toute maladie,
jusqu’au temps fixé par lui où il a été offert pour nous.
Il a porté le lourd fardeau de nos péchés,
est resté un si long moment sur la croix.

Une incroyable harmonisation d’une beauté et d’une tristesse profonde… Très inspirant (enfin, pour moi, je vous laisse ajouter en commentaire si vous avez d’autres manifestations qui élèveraient votre âme à la vie profonde).

La mélodie que Bach harmonise dans ce choral et paraphrase est à l’origine un Psaume de Genève, et quel Psaume, LE Psaume des batailles qui invite à une tout autre foi que celle du carême, de

Psaume 68
Que Dieu se montre seulement, Et l’on verra soudainement Abandonner la place.
Le camp des ennemis épars, Épouvanté de toutes parts, Fuira devant sa face.
On les verra soudain s’enfuir Comme l’on voit s’évanouir Une épaisse fumée ;
Comme la cire fond au feu, Ainsi des méchants devant Dieu La force est consumée.
Mais, en présence du Seigneur, Les justes chantent sa grandeur Et sa gloire immortelle ;
Car sur la nue il est porté, Son nom est plein de majesté, Le Seigneur il s’appelle.
Réjouissez-vous devant lui : Il est de la veuve l’appui, Des orphelins le père ;
Aux captifs il porte secours Et de l’affligé tous les jours Il entend la prière.

La suite du Psaume évoque la gloire de Dieu seul qui guide Moïse les hébreux dans le désert par sa force, sa Parole, sa nourriture et sa présence. Un chemin vers la vie promise. Le livret que suit Jean-Sébastien Bach reprend cette idée de la marche des hébreux dans le désert, les 40 ans devenant les 40 jours du carême.

Quarante jours, quarante années, ce genre de périodes évoque dans la Bible le temps d’une gestation de soi-même (la gestation humaine étant de 40 semaines d’aménorrhées). Peu importe l’exercice que nous nous donnons pour nous ouvrir à ce salut de Dieu, cette résurrection à vivre aujourd’hui et aussi demain, c’est le but de Dieu de nous engendrer un peu plus, de nous faire naître à une version toujours un petit peu plus vivante, bienfaisante, heureuse, pacifiée, épanouie de nous-même.

Voici une version de ce choral de Jean-Sébastien Bach :

Vidéo :

 

PS. Sur le carême, le jeûne, vous trouverez pas mal d’articles sur ce site, par exemple :

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6 Commentaires

  1. Gabriel Wild dit :

    J ‘ai eu la chance de vivre 7 ans à Karlsruhe et à chanter dans une très bonne chorale (Kantorei) qui chantait chaque année une des Passion du compositeur musicien strasbourgeois Mathias Greiter en 1526 (cantique « Es sind doch selig alle, die…), et a dû être importé par Calvin à Genève (avec une note d’écart).

  2. Richard dit :

    Cher Pasteur Marc,
    pour ma part qui suis pourtant plutôt très libéral, j’aime faire le carême en jeûnant ! Et ce serait un peu dogmatique de me dire que ça ne se fait pas non ?
    Alors oui je jeune pendant 40 jours, week end compris car je ne pense pas que Jesus sortait du désert tous les dimanches. J’ai choisi de me priver de viande et de sucre (les sucres ajoutés, pas les pâtes !), cela me semble intéressant pour plusieurs raisons:
    1) pour la planète, sachant maintenant que manger de la viande c’est pas terrible
    2) pour ma santé physique, parce que ni la viande ni le sucre ne sont très bons
    3) pour me défier mentalement, l’occasion de me dépasser un peu
    4) spirituellement parce que ça me fait un peu plus penser à Dieu par cette privation au long de la journée
    5) par solidarité avec ceux qui ne mange pas à leur faim, et en profiter pour comprendre un tout petit peu ce que ça peut produire (juste un peu j’avoue)
    6) par communion avec d’autres chrétiens qui le pratiquent !
    7) pour mes amis les animaux 🙂

    mais bien sûr c’est également l’occasion de réfléchir, et voir comment on peut s’améliorer, ça n’enlève rien.

    bien amicalement
    Richard

    1. Marc Pernot dit :

      Cher Richard,
      C’est excellent !
      Loin de moi l’idée de dire « que cela ne se fait pas » de « faire carême en jeûnant ». Chacun son truc : voilà en résumé ma pensée, précisément non dogmatique, sur le sujet.

  3. Chrétien Aujourd'hui dit :

    Historiquement, les Eglises protestante et catholiques se sont construites en opposition absolue et, à vrai-dire, d’une manière qui frise parfois le ridicule. Dans le canton de Berne, les protestants n’ont rien trouvé de mieux que d’organiser leur Carnaval le premier jour du Carême… Avec le regain actuel des christianismes identitaires, le refus de prendre chez les autres ce qui pourrait aussi nourrir ma spiritualité peut parfois être fort. Et la belle Campagne oecuménique de Carême, héritée de la sagesse oecuménique des Suisses des années 1960, est carrément ignorée chez ce type de chrétiens enfermés dans leurs traditions confessionnelles.

    1. Marc Pernot dit :

      Parfois oui. Cela peut être identitaire. Avoir un certain attachement à quelques éléments d’identité est assez normal, et favorable tant que cela ne met pas trop de division dans les familles…

      Il y a aussi des personnes qui ne sont pas du tout sensible au carême pour d’autres raisons plus profondes, spirituelles et théologiques. En particulier celle de la liberté personnelle en ce qui concerne les exercices spirituels, ou préférant faire l’effort d’une activité supplémentaire, plutôt qu’une privation du corps.

      L’opposition, oui, est vraiment regrettable. Il y a heureusement des paroisses protestantes et catholiques qui s’entendent bien, et s’entendent de façon visible, ce qui est une source de paix dans les familles et dans les quartiers. In beau témoignage du Christ.

  4. Pascale dit :

    Personnellement, je ne suis pas le carême, ni quoique ce soit qui pourrait de près ou de loin s’apparenter à un jeûne. Et ce n’est ni par réaction, ni encore moins par réflexe identitaire, mais tout simplement je ne vois aucun lien entre ce type de pratique et un enrichissement spirituel (en ce qui me concerne, bien entendu). Par ailleurs, je me méfie de vivre des temps forts au niveau spirituel car je les ai trop souvent fait suivre de temps faibles, voire très très faibles et cela ne me paraissait globalement pas profitable. Je préfère actuellement m’astreindre à consacrer de vrais temps quotidiens pour la réflexion et la prière, ce qui n’est déjà pas facile et il m’a fallu pour cela rayer définitivement de la carte des activités plutôt chronophages.

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