24 juillet 2018
Questionner la Bible & se laisser questionner par la Bible
La Bible n’est pas un livre, comme pourrait le faire penser le singulier de son nom en français transcrivant le grec « ta biblia », les livres. Il s’agit d’une bibliothèque de livres sélectionnés comme les meilleurs, de la même façon qu’un éditeur de disques créerait une compilation des plus belles pièces d’orgues à travers les siècles. C’est l’usage des églises qui a fixé la liste dans les premiers siècles de notre ère. À part quelques livres discutés comme devant ou ne devant pas faire partie de cette fameuse liste (« le canon » de l’écriture), le consensus sur cette liste a été très large, y compris entre juifs et chrétiens (pour la première partie de la Bible).
Ces livres de la Bible se révèlent être excellents pour certains usages, pour nourrir la recherche de Dieu sur les traces de Jésus-Christ et de grands témoins juifs et chrétiens. Ils sont excellents pour réfléchir au sens de la vie humaine et à la dignité de la personne. Mais la Bible peut ne pas avoir d’intérêt dans d’autres domaines, ou un intérêt différent. Par exemple, ce n’est pas dans la Bible que l’on va apprendre l’astronomie ou la cosmologie car les auteurs de la Bible pensaient que la terre était plate comme presque tout le monde à leur époque. Et du point de vue littéraire ou philosophique, il y a d’autres textes d’une extrême valeur qui n’ont pas été retenus dans la bibliothèque essentielle qu’est la Bible, ce n’est pas cela qui a été le critère permettant de considérer les livres retenus dans la Bible comme étant les meilleurs. L’excellence des livres de la Bible se révèle quand on lui pose certaines questions qui touchent de près chaque être humain. Ou plutôt l’excellence de la Bible est de nous faire nous poser des questions, à condition que nous acceptions, précisément, de nous remettre nous- mêmes en question.
Nourris par la Parole et par la Manne
Nous avons une illustration de cela dans le livre de l’Exode. Dans son chemin à travers le désert vers la terre promise, le peuple hébreu reçoit la manne comme nourriture. Le texte insiste pour nous donner le sens de ce nom qui est donné à ce pain providentiel, le mot manne en hébreu signifie “ qu’est-ce que c’est que ça ? ”. En effet, quand ils ont vu tomber du ciel cette nourriture que Dieu leur donnait, les hébreux se sont demandés “ qu’est-ce que c’est que ça ? ”, et comme personne ne pouvait répondre à leur question, ils ont appelé cette chose du “ qu’est-ce que c’est que ça ? ”, en hébreu, manne.
Comme Dieu donne la manne pour nourrir les hébreux, Dieu nous nourrit en nous aidant à nous poser des questions. Parce que c’est quand on se pose des questions que l’on avance. Il y a des réponses fondamentales dans la Bible, comme un socle de base, en particulier le Décalogue de la Loi de Moïse, mais il y a aussi un questionnement fondamental qui nous est proposé. La Bible est formidable pour nous aider à nous poser des questions sur ce que nous sommes et sur ce que nous voulons être, sur ce que nous voulons vivre, sur ce que nous estimons être juste… des questions sur Dieu, sur sa façon unique d’exister et d’être en relation avec nous.
Bien sûr cela nous fatigue un peu et cela nous dérange de nous poser des questions, mais c’est ainsi que nous pouvons avancer. Et personne ne peut lire la Bible à notre place, ce formidable outil qu’est la Bible n’est utile que si on l’utilise soi-même pour soi-même.
À mon avis, c’est un principe essentiel dans la lecture de la Bible que de la lire en se posant de bonnes questions et en comptant sur cette lecture pour nous poser nous-mêmes de justes questions. Cette démarche demande ainsi à la fois de l’intelligence et de l’humilité. C’est ce dont témoigne Saint Augustin, qui était un brillant professeur de rhétorique, mais qui a mis du temps à avoir une lecture de la Bible qui porte du fruit, comme il l’explique dans Les Confessions (III, 5) : “ La Bible, mon orgueil alors répudiait sa simplicité, et mon regard ne pénétrait pas ses profondeurs. Et c’était pourtant cette Écriture qui est faite pour grandir avec les petits : mais je dédaignais d’être petit, et enflé de vaine gloire, je me croyais grand… ”
Quelles bonnes questions peut-on donc poser au texte biblique, et comment se laisser poser des questions par lui ?
La lecture priante
On peut lire tout simplement la Bible dans un esprit de prière et laisser le texte travailler en nous. Cette lecture humble a une grande efficacité dans les passages les plus directement accessibles comme certains psaumes ou dans les évangiles. Mais bien des textes de la Bible ne nous parlent pas en première lecture, ils ne nous disent rien et ils peuvent nous choquer. Une première démarche plus analytique est alors nécessaire pour bénéficier de leur excellent questionnement.
Même si dans un premier temps nous nous plaçons ainsi comme au-dessus du texte pour analyser ce qui est vraiment dit, c’est pour ensuite pouvoir retrouver une juste humilité devant ce texte et nous laisser enrichir par lui. Tour à tour, nous poserons des questions au texte et il nous aidera à nous poser des questions. Il n’y a donc pas contradiction entre une lecture priante et l’analyse du texte, mais complémentarité. L’humilité et l’intelligence face aux textes pourront s’exercer, sinon simultanément, au moins tour à tour.
Interroger le texte
Cette recherche se révèle indispensable face aux textes difficiles ou choquants qui peuvent alors souvent devenir pour nous de bons textes pour avancer. Cette démarche est également féconde avec les textes « faciles » qui révèlent alors leur incroyable richesse, au-delà de la première lecture que nous avons pu faire.
Cette démarche peut être schématisée en quatre questions, à la suite des sages juifs des premiers siècles (Talmud, Philon) suivis par des générations de théologiens chrétiens (Origène, Hilaire, Ambroise, Jérôme, Saint Augustin, Thomas d’Aquin…).
Sens premier
La première question est une question que l’on pose au texte, le plus honnêtement possible, pour le découvrir : Qu’est-ce qui est raconté ? Une traduction nouvelle peut nous aider à avoir un regard neuf, les notes aussi peuvent être utiles quand elles indiquent ce qui est littéralement écrit dans le texte original (elles sont gênantes quand elles proposent leur propre interprétation du texte). Souvent, le fait même de faire attention au mot à mot de ce que nous lisons, à ce qui est réellement écrit (et non pas à ce que nous pensions être écrit) nous aide à aller plus loin. On peut éventuellement se demander alors ce qui est réellement arrivé (s’il s’agit d’un récit), mais cela n’a en réalité que peu d’importance concrète pour notre croissance spirituelle et existentielle.
Cette étape est utile car le contexte de l’époque est parfois assez loin du nôtre, du point de vue moral (par exemple avec la polygamie de l’époque d’Abraham), théologique (avec les sacrifices rituels, voire les sacrifices humains des peuples environnants), mais aussi avec les références symboliques de ce milieu (par exemple le mot cœur dans la Bible n’évoque pas les sentiments, mais la faculté de décision).
Sens moral
Le deuxième questionnement part du texte et de ses différents personnages pour s’interroger sur la manière dont nous vivons : Comment vivre avec les autres ? Qu’est-ce qu’aimer réellement son prochain ? Qui est mon prochain ? Cette recherche s’appuie sur la première étape pour interroger notre situation personnelle présente. Bien souvent nous pouvons nous mettre dans la peau des différents personnages, puisque nous sommes tous à la fois le méchant et le juste, l’hébreu et le Philistin, nous sommes Adam mais aussi Ève, Ésaü et Jacob, le fils prodigue, son père et l’autre fils…
Sens spirituel
Le troisième axe questionne notre relation à Dieu : Qu’est-ce qu’aimer Dieu ? Qu’est-ce qu’il veut apporter à l’homme, et donc m’apporter à moi, et aux autres à travers moi ? Là encore, il est utile de voir en quoi les différents personnages nous concernent tous en particulier. Par exemple quand la Bible nous dit que Dieu fait élimine le méchant (Psaume 1), cela nous dit que par son Esprit, Dieu peut nous libérer (progressivement) de notre méchanceté, de l’homme ou de la femme méchante qui est en nous.
Sens théologique
Le quatrième groupe de questions interroge notre théologie : Qu’est-ce que ce passage m’apprend sur Dieu ? Qu’est-ce qu’il m’apprend sur le Christ et sur l’Humain véritable ?
Liberté et repères
Ces quatre questionnements ne peuvent être réduits à des articles de catéchisme, car ils mettent en relation la Bible et une personne à un moment donné de sa vie. L’excellence de la Bible ne se révèle que si l’on pratique soi-même sa lecture. C’est comme pour le sport, on peut apprécier en entendre parler ou le regarder à la télévision, mais seul celui qui en fait un peu entretiendra sa forme. Ces questionnements sont très ouverts dans les lectures possibles, en fonction de ce que chacun de nous est aujourd’hui. Mais quand même toutes les lectures ne sont pas possibles. Comme pour une multiplication faite à la main il existait une vérification, notre lecture morale, spirituelle et théologique doit pouvoir rejoindre une affirmation forte de l’Évangile du Christ. En particulier, aucune lecture ne peut contredire ce principe fondamental qu’est la grâce de Dieu, son amour éternel pour chaque être humain, sans condition.
Cette façon de lire le texte biblique permet de retrouver la richesse de textes qui peuvent paraître horribles en première lecture. Par exemple quand le livre de la Genèse nous dit que Dieu noie la surface de la terre sous les eaux du déluge, au sens premier, Dieu aurait ainsi tué l’humanité entière à l’exception de la famille de Noé et il aurait tué tous les animaux à l’exception de quelques couples. Ce genre de massacres n’est pas compatible avec l’Évangile, avec son amour pour chacun, même le pécheur, ni avec le respect qu’à Dieu pour la création. Mais si l’on creuse un peu ce texte selon les questionnements proposés, on peut en faire une lecture enrichissante et qui illustre l’Évangile. C’est ce que propose la première lettre de Pierre qui compare le déluge au baptême de repentance. Ce qui est alors noyé par le déluge, c’est notre péché, pour nous libérer de l’homme méchant et coupé de Dieu qui existe en chacun de nous, même du meilleur (1 Pierre 3:18-21).
Au sens moral, nous pouvons alors comprendre ce que c’est qu’aimer l’autre, c’est savoir reconnaître le Noé, l’être juste, l’être parfait qui est au plus profond de cette personne individuelle que je rencontre, et l’appeler à surnager. Au sens spirituel, nous pouvons recevoir cette promesse qu’avec l’aide de Dieu ce qui est bon en moi pourra être libéré et gardé. Au sens théologique je sais alors comment Dieu peut aimer ses ennemis (comme l’affirme Jésus), et quel est son jugement : un jugement qui aime, qui libère, qui purifie chacun, un jugement qui nous justifie, qui nous rend juste.
Cet exemple nous montre que cette lecture du texte biblique appartient à la Bible elle-même. C’est même presque systématiquement le cas quand un passage de la Bible cite un autre passage de la Bible. C’est ainsi que Jésus utilise l’Écriture et l’applique à la situation des personnes à qui il s’adresse. C’est même ainsi qu’il explique ses propres paraboles, quand nous avons la chance qu’il le fasse.
Origène (Des principes, Philocalie), puis Thomas d’Aquin (Somme Théologique) ont théorisé ce questionnement multiple à partir de l’Écriture. Mais le plus important est de pratiquer sa propre lecture de la Bible et un questionnement humble et intelligent de ces textes et de sa propre existence.
Ce questionnement est quelque chose de profondément individuel et intime. Mais cela n’empêche pas de sans cesse enrichir notre démarche en confrontant notre lecture à celle d’autres personnes. C’est ce que permet le culte du dimanche, les catéchismes et les groupes bibliques. Nous sommes ravis de bénéficier de ce que nous apporte la participation de chacun.
Bref : La Bible est géniale quand on la prend comme un recueil de questions à se poser
Cette question appartient au chapitre « Réfléchir avec la Bible » de ce blog
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