01 août 2020

Jésus et Pierre marchant sur l'eau - François Boucher (1766) - Cathédrale Saint-Louis de Versailles
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De la sagesse et des miracles dans la Bible

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Jésus et Pierre marchant sur l’eau – François Boucher (1766)

Psaume 77:12-16

Je me rappellerai des actes de l’Éternel
Oui je me rappellerai tes prodiges depuis l’antiquité.

13Je méditerai sur toute ton action.
Je réfléchirai sur tes actes surpuissants.

14Dieu ! ton chemin est dans la sainteté ;
Quel dieu est grand comme Dieu ?

15C’est toi le Dieu qui opère le prodige ;
Tu fais connaître ta force parmi les peuples.

16Par ton bras tu as libéré ton peuple,
Les enfants de Jacob et de Joseph.

Matthieu 13:54-58

Jésus se rendit dans son pays d’origine et se mit à enseigner dans leur synagogue, de telle sorte qu’ils étaient étonnés et disaient : D’où lui viennent cette sagesse et ces miracles ? 55N’est-ce pas le fils du charpentier ? Sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie ? Et ses frères, Jacques, Joseph, Simon et Jude ? 56Et ses sœurs ne sont-elles pas toutes parmi nous ? D’où lui vient donc tout cela ? 57Et il était pour eux une occasion de chute. Mais Jésus leur dit : Un prophète n’est méprisé que dans sa patrie et dans sa maison.58Et il ne fit pas, là, beaucoup de miracles, à cause de leur incrédulité.

 

Il y a des trésors extraordinaires de sagesse à puiser dans la Bible et à méditer. Particulièrement dans les Évangiles.

Mais cela ne représente qu’une part des textes de la Bible. Dans un texte comme l’Évangile selon Matthieu, par exemple, il y a plus de 25 récits de miracle. Il y en a autant dans les livres de Marc et Luc, et s’il y en a moins dans l’Évangile selon Jean, leur place n’en n’est pas moindre car ce livre est bâti en deux parties, la première partie est complètement bâtie autour de sept récits de miracles (chapitres 2 à 12 sur 21), la seconde partie rapporte de formidables discours donnant en quelque sorte le testament spirituel de Jésus.

Le récit de miracle est donc quelque chose de massif, d’incontournable pour dire ce que Dieu nous apporte en Christ.

Mais le récit de miracle est embarrassant.

Qu’en faire ?

Dans notre église, il y a une diversité de pensée à ce sujet, et cela nous encourage à avoir notre propre rapport à ces textes. Pour ne pas citer des paroissiens que cela pourrait gêner, on peut évoquer Augustin qui aurait dit, selon Pascal « Je ne serais pas chrétien sans les miracles ». A l’opposé, Rousseau, bien investi lui aussi dans la foi chrétienne, rejetait les miracles, et il était fort choqué que certains censeurs le traitent haineusement de non-chrétien à cause de cela. Pour lui, ces récits de miracles sont un véritable obstacle à la foi. Il affirme : « ôtez les miracles de l’Évangile, & toute la terre est aux pieds de Jésus-Christ. », et il explique que ce n’est pas seulement à l’époque moderne que les récits de miracle posent problème car quand l’apôtre Paul prêche aux Athéniens, c’est quand il commence à parler du miracle de la résurrection du Christ que ses auditeurs se mettent à décrocher. Le récit de miracle n’attirait donc pas non plus tellement les foules. Et même pour ceux qui y assistent, les opposants y voient des actes de sorcellerie, d’autres ne pensent qu’à demander de petits avantages au lieu d’aimer Dieu pour ce qu’il est, non seulement pour en profiter.

Que faire donc de ces récits de miracles ?

Ils sont gênant pour plusieurs raisons, d’abord parce que, comme les amis d’enfance de Jésus (Matthieu 13:58), comme les Athéniens (Actes 17:32), comme Rousseau : nous avons de la peine à y croire, à ces histoires de vierges enceintes, de morts vivants, d’ouragans qui se calment sur commande, de multiplication de la matière de pains….

Ensuite parce que le « miracle » est le fond de commerce des sectes, des sorciers et des charlatans, comme le font remarquer les sages du Talmud, les pharisiens du temps de Jésus. Rien de tel pour remplir son église et dompter ses fidèles que de leur promettre la fortune, et de leur dire que si elle n’arrive pas c’est qu’ils n’ont pas assez bien prié, pas assez cru, et pas assez donné (bien sûr).

Il y a aussi un vrai problème théologique à dire que Dieu serait tout-puissant et qu’il pourrait faire tout ce qu’il veut comme un magicien. Car avec cette théologie là, quand une personne est frappée par le malheur elle a bien le risque de se demander si Dieu ne l’aimerait pas ? Ou qu’elle est un peu responsable de ce qui lui arrive parce qu’elle n’a pas assez ouvert son cœur et sa vie à l’action prodigieuse de Dieu. Avec cette théologie, la personne frappée par le malheur est en plus de son malheur affligée d’être culpabilisée et fragilisée dans sa relation à Dieu, précisément au moment où elle aurait le plus besoin de l’aide de Dieu pour faire face.

Face à ces difficultés et ce danger d’une interprétation du miracle comme un acte magique d’un Dieu tout puissant, des chrétiens libéraux ont développé au XIXe siècle une lecture rationaliste de la Bible, ce gardant que les enseignements et écartant tout ce qui est de l’ordre du récit de miracle comme des contes pour enfants, ajoutés à une époque où la science n’avait pas encore tellement éclairé l’humanité. Chacun fait ce qu’il veut, et mieux vaut ne lire dans la Bible que les passages qui nous parlent que de ne pas la lire du tout. Mais c’est à mon avis assez réducteur, et c’est un petit peu prendre les auteurs des évangiles pour des niais.

Une troisième voie d’interprétation de la Bible, et en particulier des évangiles, est la lecture allégorique de ces miracles. Cette lecture est facilitée par le fait qu’elle s’appuie sur des méthodes d’interprétation qui sont multimillénaires, présentes même dans la Bible elle même quand elle interprète d’autres passages de la Bible, à commencer par Jésus quand il cite le premier testament ou qu’il interprète ses propres miracles, par exemple la guérison de l’aveugle de naissance (Jean 9:40) ou de la multiplication des pains (Marc 8:14-21). Cette lecture allégorique fait partie du sens littéral de ces textes même si pour Paul, par exemple, les miracles racontés dans la Biblede sont à la fois une réalité physique et une réalité spirituelle « Ces choses sont arrivées pour nous servir d’allégorie » dit-il (1 Corinthiens 10:6). Jean également, quand il explique personnellement comment lire son évangile explique que chaque récit de miracle est à lire comme un signe nous invitant à avoir foi en Jésus comme Sauveur ultime de l’humanité, et qu’ainsi nous-mêmes puissions recevoir la vie (Jean 20:30-31).

Ce double sens des Écritures est pratiqué largement chez les juifs comme les chrétiens à travers les siècles, avec les Pères de l’Église, avec même les Réformateurs, contrairement à ce qui est parfois dit (Luther, par exemple, reconnaît le Christ dans tous les passages de la Bible de la Genèse à l’Apocalypse, sauf, peut-être dans l’Épître de Jacques :-).

Un esprit plutôt rationaliste peut ainsi tirer un immense bénéfice de ces récits de miracles en gardant le sens spirituel sans s’arrêter à la réalité physique ou non du miracle. Ce récit n’est de toute façon pas un mensonge, il exprime réellement une vérité théologique et spirituelle. Mais avec une forme qui invite à ce que ces vérités s’incarnent concrètement dans notre existence et ne restent pas seulement un intellectualisme.

Par exemple :

  • Le récit de la fécondation miraculeuse de Marie dans l’Évangile selon Luc nous invite à nous laisser féconder dans notre vie en ce monde par Dieu, de sorte qu’en nous naisse une dimension christique. Et ensuite à féconder notre monde par la foi, l’espérance et l’amour.
  • La guérison d’un paralytique nous dit que par la foi Dieu peut nous rendre capable de cheminements inouïs. Que quand nous sommes aveugles de dogmatisme Dieu nous donne en Christ de pouvoir exercer notre propre clairvoyance. Et libérer à notre tour le regard d’autres.
  • La marche sur les eux et la tempête calmée nous annonce que par la foi Dieu nous donne de ne pas être englouti par le chaos du monde et des difficultés.
  • La multiplication des pains nous invite à vivre en recevant et en donnant la bénédiction de Dieu, multipliant la bonne nouvelle pour toutes et tous… Jusqu’à la résurrection qui parle effectivement de cette vie plus forte que la mort que Dieu donne et gardera en chacun de ses enfants…

Ce type d’interprétations spirituelles de la Bible demande seulement à être fait de façon rigoureuse, argumentée, solide. Elles sont alors très fécondes.

Mais cette lecture encore limitée. Elle aplati le sens de ces textes pour tout ramener à une sagesse, à un discours théologique et éthique, aussi bien quand le texte a la forme d’un enseignement que quand il lui a été donné la forme d’un récit de miracle.

Or l’Évangile insiste bien sur la double dimension de l’Évangile : l’enseignement, certes, mais aussi le miracle, cohérent avec le premier mais qui apporte aussi autre chose, comme le 2nd chapitre d’un livre. C’est ce que l’on voit dans les deux parties de l’Évangile selon Jean, mais encore quand Jésus se rend à Nazareth : le récit de Matthieu nous dit qu’ils sont « étonnés et disent : d’où lui viennent cette sagesse et ces miracles (actes surpuissants) ? » (Matthieu 13:54). Les foules ne sont pas seulement « étonnées » par la sagesse des paroles de Jésus mais par sa sagesse et par ses actes surpuissants. L’une (la sagesse) comme les autres (les actes prodigieux) sont des merveilles inattendues. C’est aussi ce que répond Jésus à son cousin Jean-Baptiste qui s’interroge sur le projet de Jésus : celui-ci répond en évoquant à la fois les guérisons opérées et l’enseignement apporté (Matthieu 11:2-5).

Pourquoi les deux ? Les enseignements nous invitent à progresser comme si nous ne pouvions ne compter que sur nous-mêmes. Les récits de miracles nous disent que nous ne sommes pas seuls, que Dieu y travaille à sa façon. Cela nous donne à la fois une stimulation et une confiance. À la fois une fierté et une humilité. Cela noue une association avec Dieu.

Le récit de miracle nous invite à nous attendre à de bonnes surprises inconnues, inatteignables, venant de la source ultime de la vie. Car c’est cela, le miracle dans l’hébreu et le grec de la Bible. Par exemple dans le Psaume 77, il est question de l’action de Dieu sous trois formes :

  • paal en hébreu : l’action tout court, normale (si je puis dire) où Dieu fait son boulot quotidien de Dieu, ce qui est déjà vital : tout ce qu’il fait sans cesse pour que la vie soit vivante et bonne.
  • Mais il est aussi question ici deux fois de pala en hébreu) : l’action étonnante, teras en grec, le prodige qui sort de ce que nous connaissons.
  • Il est enfin question de aliylah en hébreu : les « hauts faits » surpuissants de Dieu, dunamis en grec.

Le miracle comprend les deux derniers types d’action : tout ce qui sort de l’ordinaire soit par la nouveauté soit par le niveau de puissance qui a été nécessaire pour que cela se réalise. On retrouve en conclusion du Psaume cette confession de foi de la personne qui prie : « 15C’est toi le Dieu qui opère le prodige, Tu fais connaître ta force parmi les peuples. »

Il y a là plus et autre chose qu’une sagesse pouvant être transmise par de l’enseignement.

Un peu plus de sagesse, permet déjà de se mieux porter. Cela peut nous conduire par exemple à faire de l’exercice chaque jour et d’être grâce à cela en meilleure santé. Il n’y a là rien de magique ou de miraculeux. C’est dans l’ordre des choses. Cette sagesse se construit progressivement en déterminant des corrélations où un certain nombre de causes réunies rendent plus probable l’effet escompté. C’est vrai dans le domaine physique, mais dans le domaine de la sagesse aussi. Car nous sommes, nous et notre vie, façonnés par ce que nous avons comme idéal ou par notre absence d’idéal, par notre théologie, notre foi, notre prière…

Une meilleure théologie permet réellement de se porter mieux. Une mauvaise théologie par contre est assez nocive, par exemple quand on pense Dieu comme un juge gardant les personnes les plus performantes et abandonnant à la mort les moins bons éléments cela a des conséquences sur notre relation à Dieu, troublant notre confiance en lui, cela trouble aussi notre conception de la juste manière de traiter les autres. Cela changera tout si l’on pense que Dieu cherche à aider chacun de toutes ses forces, notre prière et notre regard sur les autres.

Il me semble également essentiel d’abandonner une conception d’un Dieu qui serait tout puissant et qui nous aiderait de sa magie quand il y pense, ou quand nous prions assez fort. Cette théologie est nocive. Mais dire que Dieu n’est pas tout puissant ne veut pas dire que Dieu ne serait pas puissant quand même. Il faut de la nuance, même en théologie, surtout en théologie. Dieu n’est ni tout puissant ni impuissant. Ce n’est pas un magicien mais il est source de prodiges dans nos vies. Les récits de miracle nous disent que cette puissance, cette nouveauté de Dieu nous concernent, nous et notre corps, notre bonheur, noter espérance, notre vie et notre monde.

Dans chacun de ces récits de miracle par Jésus, il y a un homme, une femme, un enfant, ou une barque pleine de disciples qui sont dans une situation sans issue humaine possible. Le miracle est comme une manifestation de Dieu, littéralement une théophanie qui provoque un changement radical dans cette histoire, un acte venu d’ailleurs comme une main qui briserait le verrou qui nous retient, comme une graine semée dans un champ, ou comme la naissance d’une force que nous n’avions pas juste avant. Ce n’est pas seulement une sagesse comme si le paralytique était un imbécile qui avait oublié qu’il avait des jambes. Mais c’est effectivement une puissance extraordinaire qui peut faire se lever un cul-de-jatte. Ou une lumière qui se fait dans les ténèbres du premier jour de l’univers.

Comme nous y invite le Psaume 77 nous avons droit aux miracles de Dieu dans notre vie, nous en sommes dignes puisque Dieu nous l’a promis en faisant des miracles dans le passé, révélant ainsi le Dieu qu’il est. Ce ne sera pas le même miracle, mais il y aura du miracle, un spécial, comme toujours.

Le Psalmiste est à la fois impatient du miracle de Dieu qui le sauvera de sa misère, mais il est également patient avec Dieu, dans la louange. Car Dieu fait ce qu’il peut, à son rythme, en fonction des circonstances.

Notre difficulté qui est aussi celle des Athéniens, de Rousseau ou de la famille de Jésus à saisir cela est tout à fait normale car le propre du miracle est de sortir du cadre de ce que nous avons toujours connu jusque là, il excède notre sagesse sans la contredire, il est en supplément.

Comment alors aiguiser cette attente de l’inattendu alors même que par définition il sort de ce que nous pouvons penser ? Comme le fait la Psalmiste : en méditant dans la prière de louange les prodiges anciens, ceux que nous avons vécus, vus ou qui nous ont été racontés.

C’est pourquoi le miracle est dans la Bible souvent appelé « un signe » twa (otte en hébreu) ou même tpwm (mophet « un signe éclatant »), semeion (semeion en grec). C’est pour nous inviter à saisir tous ces petits et grands miracles en ce monde. Ils sont les signes qu’avec Dieu, nous pouvons nous attendre à tout (mais pas à n’importe quoi).

Bien sûr, dans cette méditation des miracles de la Bible, il faut aller au delà de la lettre de ce qui est raconté et c’est là que l’intelligence de la lecture est utile sinon en lisant que Jésus est la lumière du monde nous pourrions nous précipiter (tellement notre foi est grande) et jeter immédiatement à la poubelle toutes nos lampes et bougies. Bien sûr que non, et pourtant, nous pouvons entendre dans ces récits de miracles la promesse d’une bonne surprise qui nous dépassent infiniment. Et mieux la saisir quand elle sera mûre.

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