Extrait d'une peinture de Delacroix - Christ sur la mer de Galilée- 1854
Prédication

« Passons maintenant sur l’autre rive », celle de la vie plus forte que la mort. (Marc 4:35-41)

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prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Genève le dimanche 20 juin 2021,
par : Marc Pernot, pasteur à Genève

Extrait d'une peinture de Delacroix - Christ sur la mer de Galilée- 1854
Jésus dit : « passons sur l’autre rive ». Ce texte est souvent lu au cours des services funèbres, comme si Jésus parlait ici du passage à travers la mort. C’est tout à fait légitime de se laisser librement inspirer par le texte biblique et de l’entendre nous rejoindre dans ce que nous sommes en train de vivre. Seulement, en l’occurrence, Jésus parle à des disciples qui sont bien vivants, encore pour un bout de temps. D’où vient donc l’idée que ce « passage sur l’autre rive » concernerait la traversée de la mort vers la vie future ? Cela ne vient pas ne nulle part. Notre culture, comme toute culture, est enracinée dans des mythes millénaires qui nourrissent notre façon de comprendre la vie. C’est le cas en ce qui concerne le passage à travers la mort, grande question s’il en est. Dans ce domaine, il existe des mythes très puissants qui étaient déjà anciens à l’époque de Jésus : ce sont des mythes grecs et égyptiens qui racontent le passage vers la vie future comme une barque menée par un passeur divin nous permettant de traverser au-delà des eaux terribles.

Dans la culture greco-latine, très répendue dans tout l’empire à l’époque de Jésus, le passeur est Charon, fils de l’obscurité et de la nuit, qui fait passer qui il veut et qui en est digne : il faut que les rites funéraires aient été faits, il faut payer le prix du passage, et en plus il faut être choisi par Charon qui prend alors le défunt dans sa barque et lui permet de traverser les eaux du Styx.

Dans la culture égyptienne, c’est le dieu Rê qui permet à l’élu de passer pour rejoindre le chaos originel d’où tout a été créé afin d’y vivre une renaissance. Des rites funéraires devaient être accomplis, puis le mort subissait une pesée de son âme pour juger si elle était assez pure pour passer sur l’autre rive. Cette croyance égyptienne avait déjà 2600 ans à l’époque de Jésus et elle était alors aussi connue que la pyramide de Khéops, 1ère sur la liste des 7 merveilles du monde de l’époque. Au pied de cette pyramide, une magnifique barque en cèdre du Liban de 45 tonnes a été retrouvée, Khéops l’ayant préparée pour sa traversée dans l’au-delà.

Quant aux hébreux, ils avaient délibérément choisi de ne pas parler dans leurs livres de ces questions concernant la vie future, afin de se concentrer sur la qualité de la vie présente grâce à Dieu. La Bible Hébraïque n’offre donc pas de récits pour irriguer ce questionnement très humain sur la vie future.

C’est dans ce contexte que Jésus dit « Passons sur l’autre rive ». Plus précisément, il ne dit pas : passons de l’autre côté de ce lac, il dit littéralement « passons au-delà », tout court, ce qui ouvre à bien des interprétations spirituelles. Vient ensuite ce récit de barque, de passage, de domination du chaos avec une puissance divine, le Christ les faisant ainsi « passer au-delà ».

Comment pouvait être compris ce récit dans le contexte culturel de l’époque ? Certains commentateurs y voient une allusion au passage de la mer rouge par Moïse, c’est effectivement une résonnance intéressante, mais lointaine car dans l’histoire de la Pâque il n’y a ni barque, ni passeur, ni victoire sur le chaos. Par contre, chaque élément du récit de Marc se retrouve dans les récits de passage vers l’au-delà des grands mythes antiques du passage dans l’au-delà.

Les mêmes éléments sont présents, avec des différences qui, par contraste, permettent à Jésus et en tout cas à Marc de dire l’Évangile à ses contemporains.

La première affirmation essentielle est que ce passage vers l’au-delà a lieu dès maintenant, dans cette vie, sans attendre notre mort.

Jésus aurait pu faire un joli discours pour expliquer que ceux qui ont bien la foi, qui ont accompli les bons rites, qui ont une vie bien morale et les bonnes croyances, qui ont fait de belles offrandes et qui ont été choisis par Dieu… seront sûrs d’être reçus à leur mort par le divin passeur qu’est le Christ qui les prendra dans sa barque et les conduira dans le paradis de la vie éternelle. Ce récit aurait été reçu 5 sur 5 par les contemporains de Jésus car cela correspond tout à fait aux mythes grecs et égyptiens. C’est d’ailleurs ce qui a été repris par bien des piétés populaires, même dans le christianisme.

C’est pourquoi il est intéressant de lire la Bible avec l’esprit curieux et ouvert, afin de retrouver ce que Jésus apporte vraiment, c’est singulièrement original et tellement vivifiant. Là aussi, nous devons « passer au-delà » de bien des idées reçues d’on ne sait où.

Tout dans ce récit de l’Évangile évoque ainsi le passage dans la vie future. Sauf que, et ce n’est pas un détail, il s’adresse à des personnes pour les faire passer maintenant, de leur vivant. En effet, le moment du passage est précisé par un « ce jour-là », c’est donc le jour présent qu’il est temps de passer sur l’autre rive. Or, par définition, nous sommes le jour présent, c’est donc aujourd’hui, sans lien aucun avec notre mort biologique, que le temps est venu de traverser le Styx, d’entrer dans la vie éternelle.

La vie éternelle n’est donc pas seulement la vie future, c’est déjà une qualité supplémentaire de notre vie présente, une vie augmentée, passant au-delà de notre survie biologique, sans la nier pour autant. Contrairement aux mythes anciens où la vie future annule et remplace la vie présente.

Si vous avez la chance d’avoir des vacances d’été et que vous en profitiez pour relire les évangiles (ce n’est pas très long), vous pourriez relever bien des versets qui évoquent ce passage vers la vie éternelle ou le Royaume de Dieu aujourd’hui et maintenant. Par exemple ce passage où Jésus nous dit : « celui qui écoute ma parole et qui a confiance en celui qui m’a envoyé, a (maintenant) la vie éternelle, il ne vient pas en jugement mais il est (déjà) passé de la mort à la vie. » (Jean 5:24). Là aussi, il est question de passer maintenant de la mort à la vie. Avec une qualité de vie si profonde et si vraie qu’elle est plus forte que tout ce qui peut nous frapper, et même la mort.

Ce que Jean nous dit ici de l’Évangile du Christ sous forme d’un d’enseignement (un logos), Marc choisit de le dire sous forme d’un récit (un mythos), transformant un mythe ancien. La forme du récit a une singulière puissance, car ce passage vers la vie supérieur que Jésus propose n’est pas seulement une connaissance : elle est une naissance à vivre (Jean 3), elle est une nouvelle dimension de notre façon d’être, de notre espérance, de notre foi, de notre cheminement, de nos priorités.

Seconde transformation par rapport aux mythes anciens : c’est la qualité des personnes embarquées.

Dans les mythes anciens, pour être sélectionné par le passeur, il fallait remplir bien des conditions. Dans l’Évangile, par contre, Jésus invite la foule entière à « passer ». Il n’y a pas d’exigence à être baptisé ou de s’être bien repenti, pas d’examen de moralité ou de croyances, pas d’argent à verser. Quant à la foi des passagers de la barque, Jésus leur fait remarquer qu’ils « n’ont pas encore la foi » et on les voit vertement sermonner Jésus de ne pas bien les servir. Ce récit nous dit que le passage vers la vie éternelle est en entrée libre. La croyance dans une sélection des individus par une élection ou par un jugement de Dieu tient donc plus des mythes grecs ou égyptiens que de l’Évangile du Christ.

Ce récit de Marc nous invite à entrer dans ce mouvement de traversée avec Jésus avec les personnes de la barque. Que font-elles ?

Elles ont entendu cette proposition de Jésus à « passer » vers un autrement. Ce n’est pas évident. Cela leur demande en premier lieu de s’arracher à « la foule ». S’élancer dans une traversée vers un au-delà est un acte de courage et de liberté.

Ensuite, ces personnes ne se disent pas : bonne idée, je vais y travailler de mon côté (ce qui serait déjà pas mal). Ces personnes savent qu’elles ont besoin d’un peu plus que de nos petites forces humaines pour passer vraiment au-delà. Bien sûr. Les mythes anciens l’avaient déjà remarqué.

Seulement, il ne suffit pas d’être accompagné par le Christ comme s’il était un porte-bonheur. Il y a pour nos voyageurs une conversion spirituelle et théologique à vivre, passant d’une foi magique à une confiance dans la puissance créatrice de Dieu, comme une puissance de transformation. Pour que ça marche, il faut réveiller le Christ en nous et le confronter à ce qui est de l’ordre du chaos dans notre existence. Mettre les deux en regard.

Troisième transformation de l’Évangile par rapport aux mythes d’origine, c’est l’état des ressuscités.

De quelle vie sont animés ces vivants de la vie éternelle ? Dans la piété populaire, suivant les mythes anciens, les ressuscités seraient comme ce qui est figuré sur les tympans des cathédrales : bien sages, souriant modestement, et ayant l’air de s’ennuyer un peu. Les ressuscités de notre récit de l’Évangile sont au contraire vivants de s’interroger de multiples façons. Un ressuscité n’est pas plein de certitudes, au contraire : parce qu’il est sauvé il peut enfin ouvrir les yeux et s’interroger en vérité. À commencer par cette question :

  1. « Pourquoi sommes-nous si effrayés dans la vie? Par quoi ? » C’est une interrogation essentielle qui conduit à chercher ce qui demeure vraiment (Jean 1:38), ce qui fait que la vie est, ou pourrait être, plus que de la survie. Ce n’est pas seulement une question philosophique, c’est aussi une recherche spirituelle très intime. Elle ouvre sur cette deuxième question :
  2. « N’avez-vous par encore la foi ?» : si le Christ nous dit cela c’est qu’en regardant bien au fond du fond de nous-même, nous avons déjà une petite foi, bien plus que nous le pensons, une étincelle, un regard, un souffle. Qui ne demande qu’à être réveillé, secoué, interpelé.
  3. « Qui donc est celui-ci, même le vent et la mer lui obéissent ?» est la troisième interrogation. Elle porte sur cette puissance créatrice étonnante, sur cette compassion que les disciples savaient pouvoir attendre de Jésus, sur cette parole capable d’écarter les tempêtes pour ouvrir un espace de vie.

Un ressuscité, un vivant est ainsi : il se pose plein de questions sur lui-même, sur son rapport au chaos du monde, sur ce qu’il cherche en vérité, sur ce rend la vie vivable et procure la paix. C’est cette expérience à laquelle nous invite le Christ avec son « passons sur l’autre rive » :

  • C’est un changement de logique : au lieu de chercher à faire notre salut, vivre maintenant en confiance.
  • C’est un élan pour aller au-delà de ce que la foule a toujours pensé, au-delà de nos craintes viscérales, pour oser nous interroger, quitte à interpeller jusqu’à Dieu lui-même.
  • C’est un éveil : voyant des traces de chaos en ce monde, réveiller l’enfant de Dieu assoupi au fond de notre humanité, il fera des miracles.
  • C’est un processus de croissance de notre être dans sa foi. Elle est comme une bonne semence, nous dit ailleurs Marc, dès lors qu’elle est semée « qu’on dorme ou qu’on veille, nuit et jour, la semence germe et croît sans qu’on sache comment. » (Marc 4:27). Confiance.

Ensuite, c’est vrai que nous avons mil raisons d’avoir peur en ce monde où quelque chose du chaos primordial demeure, menaçant notre petite traversée bien tranquille de la vie en ce monde. C’est vrai, nous dit l’apôtre Paul seulement : « nous ne perdons pas courage. Car même si notre être extérieur se détruit, notre être intérieur se renouvelle de jour en jour… les choses visibles sont provisoires, les invisibles sont éternelles. » (2 Cor 4:16-18)

Avec le Christ pour nautonier dans ce processus continu de passage vers la vie, de naissance, de conversion.

Amen.

pasteur Marc Pernot

Textes de la Bible

Évangile selon Marc 4:35-41

35Jésus leur dit, en ce jour là, le soir étant venu : Passons sur l’autre rive.

36Après avoir laissé la foule, ils prirent Jésus « comme » dans la barque, d’autres barques étaient avec lui.

37Il survient un tourbillon de grand vent et les vagues se jetaient dans la barque jusqu’à commencer à la remplir. 38Lui (Jésus) était à l’arrière dormant sur le coussin.

Ils le réveillent et lui disent : Maître, ce n’est pas un souci pour toi que nous soyons perdus ?

39Réveillé, il rabroua le vent et dit à la mer : Silence, tais-toi ! Le vent tomba et un grand calme se fit.

40Puis il leur dit : Pourquoi êtes-vous effrayés ? N’avez-vous pas encore de foi ?

41Ils furent saisis d’une grande crainte ; ils se disaient les uns aux autres : Qui est-il donc, celui-ci ? Car même le vent et la mer lui obéissent.

 

Jean 3:3-7

3Jésus lui dit à Nicodème : Amen, amen, je te le dis, si quelqu’un ne naît pas de nouveau (d’en haut), il ne peut voir le règne de Dieu.

4Nicodème lui demanda : Comment un humain peut-il naître, quand il est vieux ? Peut-il entrer une seconde fois dans le ventre de sa mère pour naître ?

5Jésus lui répondit : Amen, amen, je te le dis, si quelqu’un ne naît pas d’eau et d’Esprit, il ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. 6Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est Esprit. 7Ne t’étonne pas que je t’aie dit : Il faut que vous naissiez de nouveau (d’en haut).

 

2 Corinthiens 4:16-18

16Nous ne perdons pas courage. Car même si notre être extérieur se détruit, notre être intérieur se renouvelle de jour en jour. 17De sorte que nos détresses du moment présent nous sont légères et produisent pour nous, au-delà de toute mesure, 18un poids éternel de gloire. C’est pourquoi nous regardons, non pas aux choses visibles, mais à celles qui sont invisibles ; car les choses visibles sont provisoires, et les invisibles sont éternelles.

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2 Commentaires

  1. Pascale dit :

    1) Merci pour l’étude de ce parallèle. Combien de fois ai-je lu ce passage sans penser une seule seconde à ces mythes antiques pourtant bien connus ? Cela est peut-être dû à un manque d’attention aux détails ou à la difficulté à poser un regard neuf. Pouvoir lire les évangiles sans avoir le cerveau parasité par des idées préconçues, sans avoir l’impression d’être en terrain connu permettrait de découvrir bien des choses.
    2) Il est certainement important de concevoir ce 《 passons sur l’autre rive 》(alias nouvelle naissance) comme un processus continu et non comme un acquis, contrairement à ce que l’on entend souvent. Cela donne une autre perspective.
    3) J’ai découvert un nouveau mot : nautonier 🙂

    1. Marc Pernot dit :

      Merci pour les encouragements !
      Et mil fois oui pour le processus continu de naissance. J’aurais dû le préciser, c’est très important (+ je vais l’ajouter en conclusion dans le texte 🙂

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