deux amis se parlent, assis sur le bord de la mer - Image par Free-Photos de Pixabay
Foi

Je n’arrive plus à « imaginer » Dieu comme une entité extérieure à moi, à lui dire « tu », à dialoguer.

Par : pasteur Marc Pernot

deux amis se parlent, assis sur le bord de la mer - Image par Free-Photos de Pixabay

Question posée :

Cher Monsieur Pernot,

Lecteur irrégulier mais très intéressé de votre blog, je me permets de vous contacter car une question spirituelle me taraude depuis quelques années.

Pendant longtemps j’ai prié Dieu comme s’il s’agissait d’une entité (je n’ose dire une personne bien sûr) extérieure à moi: je l’appelais Seigneur ou Père ou Dieu. Et depuis quelques années et un cheminement spirituel passé du catholicisme au protestantisme via une période zen et maintenant tourné vers le mouvement Quaker, je n’arrive plus à « imaginer » Dieu ou ce que je peux appeler ainsi comme une entité extérieure à moi, à lui dire « tu », à le/la considérer comme une possibilité de dialogue. Je ne sais si il ou elle me parle: il me semble que dans des moments de réconciliation avec moi-même cela soit le cas, mais il est vrai que le silence, que je trouvais troublant au départ, me semble notre meilleur lien, notre meilleure prière commune.

Cette foi qui se renouvelle chaque jour aussi dans la création artistique est extrêmement éloignée de celle que j’avais à douze ans et qui s’exprimait dans un attachement aux rituels. J’ai parfois l’impression d’être « nu », sans consistance, ce qui me gêne lorsque je regarde la manière dont mes proches chrétien.ne.s (dont mon mari) vivent le culte, la prière, leur spiritualité. Et j’en viens à me demander : suis-je encore chrétien, croyant, protestant?

Merci de votre douce sagesse.

Réponse d’un pasteur :

Cher Monsieur

Chacun a bien le droit de s’ouvrir à la transcendance de la façon qui l’inspire, et je n’ai évidemment rien à redire contre votre façon de la vivre, d’autant plus que manifestement votre spiritualité porte des fruits. De bons fruits révèlent la qualité de l’arbre, faisait remarquer Jésus.

Il est clair que Dieu n’est pas une personne au sens que ce mot a pour nous de part notre expérience de vie quotidienne. Je comprends donc votre réserve.
Cependant, à cause de notre expérience de ce qu’est une belle relation, je pense, j’observe, nous observons qu’il est pas mal de faire comme si Dieu était un ami que l’on tutoie, avec qui l’on est en dialogue. Sans être dupe pour autant que Dieu n’est pas en réalité d’un même ordre que nous, clairement. Il semble que pour bien des personnes, c’est en tenant ces deux pôles en même temps on a une relation optimum. C’est un petit peu ce que dit le « notre Père qui est aux cieux de Jésus » : à la fois la proximité de nature, de gènes, de métier, de foyer, de vie quotidienne partagée dans les moments simples d’un papa. Et en même temps le « qui est aux cieux » assume lucidement qu’il n’est pas de notre monde, là où nous ne pouvons pas nous élever. Il est clair que Dieu ne répond pas (en général) en parlant avec une voix comme dans un dialogue. Je comprends donc votre réserve. Cependant, il me semble qu’il y a un amour, un intérêt qui prend en compte mon être, mon ressenti, ma parole, et cela est sain, cela m’aide de m’exprimer face à « ça ». La réponse n’est pas formulée mais il n’empêche qu’il y a quelque chose qui me semble (et à quelques autres) qui bouge à partir de cela, qu’il y a une prise en compte, un travail qui dépasse la simple mise au point personnelle intérieure (ce que je sais faire aussi).

Et il est vrai que la relation à la transcendance nous apparaît parfois comme intérieure. Elle m’apparaît parfois aussi, et à bien des titres, comme extérieure. Par exemple dans la nature. Mais aussi dans l’humanité. Cela dit, je comprends ce que vous dites. Là encore, il me semble plus riche de tenir les deux. Quelque chose qui nous dépasse, qui déborde, qui vient de loin à l’intérieur de nous, et aussi quelque chose qui dépasse infiniment l’ensemble du réel, qui fait de tout une communauté (qu’on le veuille ou non), et qui pourtant prend en compte ce que je suis, espère, ressent et aime.

J’ai pratiqué les rassemblements quakers assez régulièrement, un temps. J’y ai aimé le silence. Moins les paroles des frères et sœurs (pas toujours très nourrissantes même si sympathiques) mais surtout intempestives à mon goût (ce n’est pas un jugement, c’est juste que je n’aime pas être interrompu et encore moins me sentir menacé d’être interrompu pendant ma prière). Je partage donc votre attachement au silence pour la prière en groupe. Franchement. Cela permet aussi une grande sincérité. Du coup, c’est dans les monastères cisterciens que je suis allé chercher cette prière silencieuse, au cours des offices dépouillés dont un en pleine nuit (ruminant les psaumes millénaires), les repas en silence, les promenades dans la nature.

Je reconnais que tout le monde n’est pas sensible au rite, on n’est évidemment pas obligé. Certes, Dieu n’est pas plus présent là qu’ailleurs, bien entendu. Cependant, l’humain est ainsi fait que pour bien d’entre nous (et pour moi) le rite a une puissance qui passe par le corps, par l’inconscient, par le décentrement qui est engendré par le fait de sortir de chez soi pour aller dans cette ambiance surréaliste, extraterrestre, hors de notre vie quotidienne. Ensuite, pour peu que le collègue ait travaillé, ce qu’il raconte m’apporte toujours quelque chose, même si c’est une sainte indignation. Pour la messe, c’est autre chose, c’est le côté exotique et le sens du sacré de la messe catholique quand elle est bien faite (comme à Saint Eustache à Paris) : avec la fumée de l’encens, le grégorien, les tenues chamarrées, les 50 mètres de plafond et les murs ruisselants de mil ans de prière…

Alors pour répondre à votre question suis-je encore… ?

  • Vous êtes chrétien pour peu que vous vous revendiquez tel, ne serait-ce que cela, serait déjà un enracinement, d’une certaine façon, qui vous relie au Christ. Ensuite, cette liberté, cette ligne directe de la prière du Christ, cette impertinence de Jésus de Nazareth : fait de lui un drôle de chrétien vu depuis les institutions et ses autorités. Sa façon d’être permet de ne pas de définir des critères qui feraient interdire à une personne d’être digne de se dire chrétienne. A moins de se prendre soi même pour Jésus. Et encore, je ne suis pas certain que Jésus serait comme ça (mais je ne peux l’affirmer au risque de lui voler moi-même sa place 🙂
  • Croyant ? Certes, car le concept derrière cette qualité n’est pas celui d’une croyance mais une foi, un inspiration qui ouvre, qui prend en compte la transcendance. A sa façon. Jésus a bien félicité à haute voix la foi du centurion romain et Jean dit que « quiconque aime est né de dieu et connaît Dieu ».
  • Protestant ? S’il fallait une étiquette parmi les chrétiens, cela peut coller, avec cette liberté, cette ligne directe avec la transcendance.

Ma « douce sagesse » vous remercie de votre bienveillance. Car si elle existe en moi, elle doit se faufiler entre bien des choses qui ne sont pas si sages, et bien âpres.

Avec mes amitiés à votre mari

Et tous mes vœux de bénédiction pour vous deux.

Dieu vous bénit et vous accompagne.

par : Marc Pernot, pasteur à Genève

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