La prophétie et la sagesse (André Dumas)
Notre Dieu, tu as bien mis dans ta Bible la prophétie pour nous secouer, nous réveiller, nous révolter, nous relever, nous qui toujours baissons la tête et les bras, et qui mettons le cœur en berne. Tu es comme le photographe qui nous ordonne de crier, de rire et de vivre, car sans lui, sans toi, nous resterions moroses, comme les enfants assis sur la place, pour lesquels on joue de la flûte et ils ne dansent pas, auprès desquels on entonne un chant funèbre et ils ne pleurent pas (Luc 7, 32).
Oui, ô Dieu, sans la prophétie nous resterions assis, comme si rien ne se passait, ni en arrière, ni au milieu, ni en avant. Sans la prophétie la vie est grise, l’histoire est plate, la terre est creuse, nos vies sont des feuilles mortes que n’aspire aucun vent.
Mais tu veux bien que j’ajoute aussi, ô notre Dieu : quand il n’y a que la prophétie, la parole frôle le délire, les annonces messianiques titubent entre le fanatisme et la puérilité. Il y a des jours où il suffit que j’entende : c’est prophétique, pour savoir que c’est menteur, bluffeur, meurtrier et raté.
Heureusement, mon Dieu, que tu as aussi mis dans ta Bible la sagesse et tous ces proverbes qui sont si peu prophétiques et tellement terre à terre que nos pieds s’y retrouvent et que nos mains les tâtent comme des bons fruits dans le temps présent.
Oui, ô Dieu, sans la sagesse nous resterions debout à toujours gesticuler, comme ces agités qui croient qu’à force de prédire ils vont produire et qu’en criant ils se feront mieux croire. Sans la sagesse la vie est bouffie, enflée comme une baudruche.
Nous te remercions, notre Dieu, que dans ta Bible, dans nos vies, dans nos amours, il y ait la prophétie et la sagesse, un temps pour s’enflammer et un autre temps pour s’éteindre, mais pour durer, un temps pour Esaïe, pour Jérémie, pour Ezéchiel, et un temps pour Salomon, pour l’Ecclésiaste, pour le Siracide, un temps pour que je me lève et un temps pour que je m’assoie, un temps pour la hâte et un temps pour la halte.
Ô Dieu, je te remercie d’avoir autant de temps différents que j’en ai besoin pour vivre toute ma vie.
André Dumas
dans « Cent prières possibles », Ed. Cana, 1991.
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