16 février 2023

une ou deux personnes en train de lire un programme dans une église vide - Photo de Katie Treadway sur https://unsplash.com/fr/photos/mUsvve8GbHo
Théologie

Perspective : L’Église et le monde ont-il à voir ensemble ? par Alexandre Winter

une ou deux personnes en train de lire un programme dans une église vide - Photo de Katie Treadway sur https://unsplash.com/fr/photos/mUsvve8GbHo

N°30 d’Une perspective à la foi
Eglise Protestante de Genève.
Un encouragement à réfléchir, discuter :
par exemple dans les commentaires ci-dessous.

par le pasteur Alexandre Winter

Longue et difficile histoire que celle des rapports entre cette institution que nous désignons sous le nom d’Eglise – qui est aussi beaucoup plus, et aussi autre chose qu’une institution – et la société civile, ce que nous nommons Etat ou Cité, ce que la Bible dans l’Evangile de Jean nomme « monde », bien qu’ici l’usage du terme demanderait à être précisé.

Dans son origine grecque d’ailleurs tirée du langage politique, sous le nom d’ekklèsia, l’église désigne une assemblée réunie régulièrement, composée de ceux et celles qui ont été littéralement « appelés hors » de la communauté sociale pour y prendre part. Cette tendance originaire, que l’on pourrait désigner d’extraction, connaîtra une longue postérité dans l’histoire chrétienne, légitimant notamment les ecclésiologies de type sectaire, au sein desquelles les notions d’élection des croyants et de rupture avec la réalité mondaine joueront un grand rôle. Mais elle s’est trouvée de tout temps opposée à une tendance d’orientation absolument contraire, faite d’un mouvement résolu à s’inscrire dans la nature la plus concrète, la plus immédiate de la matière du monde.

Il semble que l’Église se trouve, de par son essence même, obligée de se tenir à l’exacte jonction de ces deux pressions de sens contraire. Si l’Église est le lieu où se partage une présence et où se proclame une annonce, qui sont toutes deux reliées à une action entièrement dépendante de Dieu, alors il y a nécessité de laisser toujours demeurer dans ce que nous comprenons de l’Église une « étrangeté », une « extraneité » irréductible qui rejaillit sur ceux et celles qui s’en disent membres. Mais résistant au risque de se retirer alors dans les seules sphères célestes, la voilà rappelée à l’ordre des choses : si elle connaît quelque chose de Dieu, c’est par la révélation d’un « Royaume » ou d’un « Règne », dont Jésus-Christ s’est fait le messager et le modèle, qui s’immisce dans les fibres du monde que nous habitons.

C’est peut-être dans les fameuses paroles du chapitre 17 de l’Evangile de Jean, où le problème de la double relation des disciples au monde et au Père que prie Jésus est répété comme en spirale, que cette tension que nous cherchons à comprendre est exprimée dans sa plus grande force. Elles décrivent les destinataires de cet Evangile, placés en premier lieu dans la prière de Jésus au Père, comme à la fois situés « dans le monde » et « hors du monde ». Sans entrer ici dans les grandes complexités de la compréhension du monde chez Jean, cette tension se montre comme insurmontable et indispensable à la vérité du témoignage. D’un côté, être au cœur du monde, vibrer à ses moindres palpitations, assumer d’une certaine façon tout ce qu’il est. De l’autre, s’en tenir le plus éloigné possible, c’est-à-dire libéré de son poids et de son joug. Jacques Ellul emploie, pour décrire la place et la légitimité de l’Église dans le monde, la dynamique d’un « dégagement » préalable à tout « engagement » dans les affaires de la Cité, une manière d’éprouver et d’attester une appartenance première à Dieu en Jésus-Christ pour, ensuite, « s’enfouir » sans se perdre dans les problèmes qui peuplent le monde, dans le problème qu’est le monde en lui-même. Revenant à la prière sacerdotale de Jésus dans l’Evangile de Jean, peut-être que c’est à cet endroit, insérés dans le monde comme le sont les mots ou les soupirs d’une prière, qui visent le centre de toute réalité et sont pourtant comme entièrement libres de cette réalité, que notre juste place est à trouver, portés par un Autre et porteurs en son nom de tout et de tous.

Par Alexandre Winter, pasteur

Référence : Jacques Ellul, Éthique de la liberté (1975), Genève, Labor et Fides, 2019.
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3 Commentaires

  1. Marc Pernot dit :

    Afin d’amorcer le débat :
    Personnellement, il me semble que le mot « église » a été choisi de préférence au mot « synagoque » par les chrétiens, précisément pour insister plus sur l’appel de Dieu que sur l’idée d’assemblée réunie. Cela me semble assez essentiel, et c’est même une révolution à 180°. Est-ce que l’église comprend les personnes que Dieu appelle (parce ce que Dieu aime et s’intéresse à cette personne) ? Ou est-ce que l’église comprend les personnes qui se rassemblent, suite à cet appel ?

    1. effectivement le mot église, ekklesia (« appel à sortir ») existait dans le langage politique grec, seulement la notion est pour nous plus tirée de la Bible hébraïque, la qahalah ce qui signifie plus « la convoquée » qui a pour conséquence visible une « assemblée » ne réunissant a priori qu’une partie de ceux qui sont convoqués, plus quelques uns qui se sont joints sans répondre à l’appel mais pour d’autres raisons diverses.
    2. Alors que le mot « synagogue », lui, signifie explicitement « ceux qui avancent ensemble », et signifie bien « assemblée », ceux qui se sont assemblés (c’est le « syn » de synagogue).

    C’est ainsi que :

    1. L’église au sens de « la convoquée » a Dieu pour référentiel, et l’église est alors comprise comme étant l’ensemble des humains (pour le moins), du fait de la grâce universelle de Dieu.
    2. L’église au sens de « l’assemblée à l’appel de Dieu » a l’humain comme référentiel avec la foi comme réponse à la grâce, et l’église est alors comprise comme se limitant à ceux qui ont la foi et la volonté de la vivre au moins en partie dans une assemblée. C’est tout autre chose.

    La première définition me semble plus fidèle à l’Esprit qui animait Jésus, ses paroles et son action.

    Par exemple quand Jésus parle de chercher la plus perdue des brebis perdue (Luc 15), cette brebis, précisément, n’est pas dans l’assemblée des brebis, et le berger la compte évidemment parmi ses brebis, et c’est pour cela qu’il ne cessera de l’appeler, de la chercher, et il y arrivera sans doute.

    C’est ainsi qu’à mon sens, l’Église (avec un grand É) est le monde entier. Notre « église protestante de Genève » en tant qu’institution, mais aussi les personnes qui s’y assemblent plus ou moins, ont pour vocation à crier dans le monde cet appel de Dieu (c’est à dire l’amour de Dieu), précisément parce que nous savons que notre assemblée ne se prend pas pour complète.

    Voir, si vous le désirez, cette page de réflexion sur le « crédo » : « Je crois l’église universelle ».

    1. Nicolas dit :

      Par rapport à l’Eglise, le début de l’exposé me renvoie à cette phrase, que cite souvent : « L’Eglise n’est pas une institution ; elle est la vie par et dans le Christ mue par le Saint Esprit » (Serge Boulgakov, « l’Orthodoxie », L’Âge d’Homme, 2001, 208 p.)

  2. La partie terrestre du royaume des cieux serait-elle du monde ? dit :

    Je ne suis pas sûr d’être d’accord avec l’expression « ne pas être du monde ».

    Selon moi, tous les humains sont du monde. Si l’on ne base pas sa démarche sur la mentalité ambiante supposée, alors, ce n’est pas que l’on n’est pas du monde, c’est que l’on a sa démarche propre. Les Églises sont des institutions, donc sont du monde, un peu comme des associations (mais bien sûr avec des spécificités), et ont chacune une démarche propre, car elles ne fondent pas leur démarche sur par exemple le consumérisme ou la promotion de l’image de soi auprès des autres dans l’espoir d’un retour positif comme sur les réseaux sociaux. Selon moi, Jésus était du monde comme toute personne, et ses disciples aussi. Même un anachorète ou un ermite reste du monde.

    Après relecture je ne suis pas spécialement convaincu par ce que dit le Jésus johannique dans le chapitre 17 de l’Évangile de Jean, c’est peut-être ce chapitre qui est une des sources de malentendus.

    Selon moi, bien sûr, l’Église doit permettre à ceux qui le souhaitent de s’occuper au moins un peu du monde au sein de l’espace de discussion de l’Église, ou dans le cadre des prédications. Même si c’est seulement sur le plan théorique, afin de rechercher ce qu’il est possible et raisonnable de faire ou d’entreprendre, dans le but de la recherche concrète du mieux. Afin au minimum de permettre une discussion sur des sujets majeurs, religieux ou non, qui traversent les différentes époques. Discussion qui par contre, pourra être et gagnera certainement à être nourrie d’une réflexion théologique.

    Quant au royaume des cieux, royaume de Dieu, cela peut avoir
    – une interprétation personnelle : qui se manifesterait peut-être par de la joie, de la sérénité…,
    – et/ou interprétation sociale : comme par exemple l’ambiance ressentie en visitant un hôtel pour pèlerins en terre sainte un soir de Noël ?

    Mais je trouve que cela se surajoute au fait d’être dans le monde. Comme une sorte de dimension supplémentaire qui s’active de temps en temps.

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