Dans la dynamique du règne de Dieu (Bernard Rordorf)
N°28 d’Une perspective à la foi
Eglise Protestante de Genève.
Un encouragement à réfléchir, discuter :
par exemple dans les commentaires ci-dessous.
par Bernard Rordorf,
professeur honoraire de théologie systématique.
Pour exprimer ce qu’est la vie chrétienne, me vient à l’esprit le titre d’un petit livre de Hans Urs von Balthasar, grand théologien catholique et ami de Karl Barth : « In Gottes Einsatz leben ». C’est-à-dire vivre dans l’engagement de Dieu, dans son mouvement de s’impliquer dans notre histoire, autrement dit dans la dynamique de son règne. Or c’est précisément ce qui définit la vie de Jésus de Nazareth, son propre engagement, son activité et son combat. Comme on le sait, l’annonce du règne de Dieu est au cœur de sa prédication. L’évangile de Marc formule dès les premières lignes (1, 15) ce qui va constituer l’axe de toute l’activité de Jésus : « Le règne de Dieu s’est approché, convertissez-vous et croyez-en l’Evangile ». L’Evangile n’est rien d’autre que cette annonce de l’approche du règne de Dieu.Une précision est ici nécessaire. Il est essentiel, dans tous les textes où il en est question, de traduire le terme grec par règne, et non pas, comme trop souvent, par royaume. En effet, le mot royaume, qui est un substantif et non un verbe, ne nous fait pas directement entendre le fait que Dieu règne et que ce règne s’exerce ici et maintenant. Le règne de Dieu n’est pas quelque chose dont Jésus parle, comme de l’objet d’un discours, mais ce à partir de quoi il parle, la réalité qui le porte et qu’il actualise dans son enseignement et son activité. Or cette réalité, qui n’est rien de moins que la présence active et transformatrice de Dieu lui-même, ne se manifeste pas parmi nous comme un objet, mais comme un événement. Une parole de Jésus, adressée à ceux qui contestent son ministère, le fait comprendre : « Si c’est par le doigt de Dieu que je chasse les démons, alors le règne de Dieu vient de vous atteindre » (Luc 11, 20). A travers les guérisons qu’il accomplit, le pardon qu’il annonce, c’est le règne de Dieu qui est à l’œuvre.
La traduction de la première Béatitude peut fournir une contre-épreuve : « Heureux les pauvres, car le royaume de Dieu est à eux ». Cette traduction, qui est habituelle, donne à penser (et c’est bien ainsi qu’a longtemps été comprise la Béatitude) que les pauvres recevront plus tard une compensation, dans le royaume céleste. Ici-bas il leur est donc demandé de se résigner à leur condition ! Toute autre est la portée de la Béatitude si on la comprend à partir de la dynamique du règne : « Heureux les pauvres, car Dieu règne en leur faveur ». Ainsi comprise, la Béatitude est une bénédiction pour les pauvres parce qu’elle est d’abord une provocation pour tous ceux qui l’entendent.
Par là-même devient clair l’appel que l’Evangile nous adresse, à nous convertir et à croire. Or cela ne signifie pas simplement adhérer à un enseignement, car ce dont il s’agit c’est d’entrer dans le mouvement concret du règne, tel qu’il est présent parmi nous. D’ailleurs tout l’enseignement de Jésus, et son enjeu essentiel se concentrent sur la nature de ce règne : comment Dieu règne-t-il, que se passe-t-il quand il règne, quel est son programme et ses objectifs ? En paroles et en actes, à travers ses paraboles et ses guérisons, il veut démontrer que la logique de ce règne ne va pas dans le sens de la domination, mais du service : « Comme vous le savez, ceux qu’on regarde comme les chefs des nations les tiennent sous leur pouvoir et les grands sous leur domination. Il n’en est pas ainsi parmi vous. Mais si quelqu’un veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur » (Marc 10, 42). Ainsi, nous ne pouvons pas devenir serviteurs du règne de Dieu, autrement qu’en nous mettons au service de tous les gestes d’accueil, de guérison, de réhabilitation, de réconciliation, de libération dont l’Esprit de ce règne nous fait discerner la possibilité et l’urgence dans la diversité des situations auxquelles nous sommes confrontés.
Pour la vie chrétienne, en tant qu’elle est une vie dans l’Esprit du règne de Dieu, il en résulte deux conséquences absolument fondamentales. Tout d’abord, elle est une vie dans l’espérance. Si Dieu règne, il y a toujours, quelques soient les situations et quelques soient les perspectives de réussite, quelque chose à faire. A cet égard, il nous faut reconnaître clairement que nous vivons dans un monde sans espérance. « Après nous le déluge », telle est la parole par laquelle s’exprime cette absence d’espérance. Nous vivons dans des sociétés où le règne de l’argent et la confiance dans la puissance des moyens techniques nous rendent incapables de répondre à ce qui constitue les défis majeurs de notre époque : la séparation croissante entre les riches et les pauvres qui déchire les liens sociaux, l’exploitation sans limites et le saccage de notre milieu naturel qui compromet les conditions de la vie sur la terre. Souvenons-nous de Luther et de sa réponse à la question sur ce qu’il ferait si on annonçait la fin du monde : « Je planterais un pommier ». Une initiative qui garde tout son sens aujourd’hui !
Par ailleurs, la vie chrétienne se déploie sous le signe de la liberté, elle n’est pas soumise à une morale toute faite. Dans la mesure où elle relève du don de l’Esprit saint, de l’Esprit par lequel Dieu exerce son règne, elle participe de la créativité de cet Esprit. Et en ce sens, la seconde vertu chrétienne, qui fait alliance avec l’espérance, est l’imagination. Nous le savons par nous-mêmes, comment il nous arrive de nous trouver souvent dans des situations où, pour les meilleures raisons, nous ne voyons pas qu’il y aurait quelque chose à faire, parce que nous n’imaginons pas ce que nous pourrions faire. La question que nous adresse l’Evangile n’a pas pour but de nous mettre en accords avec les normes de la morale et de la société, elle veut que nous nous demandions quelle parole, quel geste, quelle initiative pourrait correspondre concrètement, dans la situation où nous nous trouvons, à la dynamique du règne de Dieu. A cette question il n’y a jamais de réponse toute faite, c’est à nous qu’il appartient de l’inventer. Mais si nous en sommes capables, c’est que l’Esprit de Dieu nous aura remis en mémoire la manière dont Jésus dans sa vie a manifesté la logique de ce règne, pour nous entraîner dans cette même logique et ce même combat, face aux défis qui lui sont opposés.
Bernard Rordorf
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