Rembrandt : deux hommes discutant (Paul et Pierre ?) - National Gallery of Victoria, Melbourne
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À quoi peut bien servir l’église ? (Galates 1:11 à 2:10)

Écouter :

prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Genève le dimanche 10 mars 2019,
par : Marc Pernot, pasteur à Genève

Rembrandt : deux hommes discutant (Paul et Pierre ?) - National Gallery of Victoria, Melbourne
À quoi peut bien servir l’église ? Sur quoi repose son service, son efficacité ?

Paul, en tout cas, et il insiste sur ce point, n’a eu besoin de personne d’autre que de Dieu pour avancer dans la foi :

  • « ce n’est pas par un homme que cet Évangile m’a été transmis ni enseigné » (1:12)
  • Mais par Dieu lui-même.
  • « aussitôt, loin de recourir à aucun conseil humain ou de monter à Jérusalem auprès de ceux qui étaient apôtres avant moi, je suis parti » (1:16-17)
  • Et sa formation, il va la recevoir dans la solitude, trois ans de réflexion et de prière avant de se lancer, en franc-tireur dans son projet d’annonce de l’Évangile.

Le cœur de la foi vivante de Paul se développe dans l’intimité d’une relation seul à seul avec Dieu. Pourtant, de cela-même Paul va recevoir un élan qui fera de lui un héroïque bâtisseur de communautés chrétiennes aux quatre coins de l’Empire romain. Dans sa lettre aux Galates Paul explique cette transition de l’expérience personnelle et intime avec Dieu à la construction de communautés chrétiennes : passage du Paul solitaire au Paul solidaire.

Pourquoi donc vient-il à cette dimension collective si l’essentiel se reçoit de Dieu dans le secret de notre être, de notre prière et de notre réflexion ? À quoi bon le collectif dans le domaine de la foi ? À quoi bon l’église ?

L’expérience que Paul a eu de la religion dans la première partie de sa vie a été mitigée, il nous révèle ici qu’il y a vécu du positif et du négatif. Du côté positif il évoque son zèle ardent et les progrès qu’il reconnaît y avoir fait grâce à l’étude. Il va garder ces qualités. Comment avancer et comment apporter quelque chose au monde sans ardeur, sans investir de l’énergie ? En ce qui concerne ses progrès, Paul rend hommage à ce qu’il a reçu des traditions de ses pères ; « traditions » et « pères » au pluriel : pères dans l’étude des textes bibliques et pères dans la philosophie grecque, Paul ayant ce double cursus. Jésus aussi, vraisemblablement, mais pour Paul c’est certain. Dans chacune de ces deux traditions, une grande diversité d’écoles. Dans chacune : des millénaires de débats où chaque génération a apporté des richesses incroyables. Oui, dans ces deux traditions, Paul reconnaît avoir des pères : des personnes qui lui ont donné de la vie.

La religion a donc eu du positif dans cette première partie de sa vie, à garder pour la suite. Il y a eu aussi du négatif, un gros gros négatif que souligne Paul : la tentation dans la communauté de se comparer aux autres et de détruire les concurrents : « je surpassais la plupart de ceux de mon âge » et « je cherchais frénétiquement à détruire l’église » (1:13-14) c’est à dire une autre sensibilité religieuse que la sienne. Comment se délivrer de ces côtés négatifs, comment les éradiquer dans sa façon de vivre ? Paul va arriver à s’en détacher, ou plutôt il va être guéri de cette maladie par Dieu lui-même. En effet, entre son ancienne façon de faire et sa nouvelle façon d’être il y a cette expérience mystique qu’il va mûrir ensuite pendant trois années. Ce qu’il en retire annule l’esprit de rivalité contre les autres par un zèle pour d’autres.

Entre les deux Paul : une expérience mystique et existentielle. Dieu le fait se sentir « spécial », il se sent « appelé sans mérite ni raison (par grâce) », « lui révélant qu’il y a en lui du Fils de Dieu ». Quand on a cette expérience, ce sentiment, comment pourrait-on vouloir dépasser, vouloir écraser les collègues ? Se sentir spécial, se sentir choisi, envoyé, sentir que l’on a en soi-même une dimension divine, créatrice et capable d’aimer, capable de Dieu. Trois ans pour mûrir cela, pour le laisser s’enraciner en lui. Trois ans pour articuler cela avec la pensée de ses pères Abraham et Moïse, David et Ésaïe, Aristote, Platon et Epictète, Shammaï et Hillel, et bien d’autres qui l’avaient enrichi de leur sagesse et de leur foi.

Paul témoigne à travers son propre parcours qu’il est donc possible d’avancer sans la religion, sans l’église. Quand une personne prie seule dans sa chambre, porte fermée, comme Jésus nous invite à prier, cette personne n’est alors pas seule puisqu’elle est avec Dieu. Dieu en elle, Dieu infiniment aussi au dessus de cette personne. Dieu dans le meilleur de nous-même et Dieu infiniment autre, différent, Dieu comme source de ce qui existe et qui n’existait pas avant. Et la personne qui se saisit de l’extraordinaire trésor de foi et de sagesse que les générations précédentes nous ont légué, cette personne n’est pas seule non plus, elle peut mettre en dialogue sa propre inspiration et réflexion avec celles d’une multitude d’autres. Paul, en plus, a la hardiesse de faire dialoguer le meilleur de sa tradition religieuse avec le meilleur de la pensée de son époque. Qui est-il pour oser ajouter sa propre réflexion à celle de Moïse et Aristote ? Il s’en sait rendu digne par Dieu, il s’en sait autorisé, et même appelé par Dieu. Nous le sommes aussi.

Mais alors aurions nous tout sans l’église ? Sans doute non, si l’on suit ce texte de Paul, puisque la première chose qu’il fait est d’aller rencontrer Pierre et Jaques, de l’église de Jérusalem, et que la seconde chose qu’il fait est de développer des églises, sans s’arrêter une seconde pendant 14 années. Alors pourquoi ajouter cette dimension collective à son élévation puisée dans le retrait du monde ?

Pourquoi fonde-t-il des églises ? Car ce qui lui a permis d’avancer, tout le monde n’a pas la chance de l’avoir reçu. Paul se sent appelé à apporter l’Évangile aux païens, à ceux qui sont peut-être nourris de philosophie mais pas de la Bible, à ceux qui ne connaissent peut-être pas cet Évangile que, lui, Paul a reçu de Dieu : celui de se sentir exceptionnel aux yeux de Dieu, celui d’être appelé, et celui de discerner l’enfant de Dieu en soi-même. Paul a reçu cet Évangile directement, nous sommes bien content pour lui, seulement tout le monde n’est pas un grand mystique. Paul reconnaît que c’est une grâce spéciale, même si lui, Paul était bien préparé par l’enseignement de ses pères lecteurs de la Bible au mille récits d’intervention de Dieu dans l’histoire humaine. Tant de personne n’y sont pas préparées, tant de personnes craignent encore des dieux imaginaires ou ont eu une mauvaise image de la religion (Paul se reconnaît fautif), ou des personnes qui laissent en friche cette dimension de l’être. Comment Paul abandonnerait-ils ceux qui n’ont pas reçu comme lui cette riche éducation et sa sensibilité spirituelle ?

C’est le premier rôle de l’Église : dire à chacun sa dignité radicale, infinie, sans mérite de leur part. Le leur dire au nom de Dieu, leur dire que Dieu voudrait le leur révéler directement. Pour Paul, le premier rôle de l’Église, et donc si vous le voulez : notre rôle est d’être en quelque sorte un ange ou une ange offrant ce que nous avons reçu de magnifique de la Bible et directement de Dieu. Offrir ce message et aussi l’ouverture à ce temps de Dieu, ce « lorsque » Dieu a (aura) jugé bon ou aura enfin réussi à te révéler directement ce que, moi, je ne peux te dire qu’avec ma bouche, qu’avec un peu de mon attention à toi, avec un peu de compassion, avec ce petit geste par lequel je reconnais ta dignité.

Voilà le projet de Paul après son expérience de Dieu et le long murissement dans la solitude. Voilà pourquoi il courra partout pour annoncer l’Évangile, formant des communautés chrétiennes.

Mais avant de se lancer, Paul a d’abord un premier geste d’église. Il va rencontrer Pierre et aussi « Jacques, le frère du Seigneur ». Plus loin, Paul les nomme dans la liste des personnes considérées comme les « colonnes de l’église » (2:9) avec en plus Jean en 3ème colonne, Paul étant la 4ème avec son équipe.

Qu’est-ce que cela peut nous apporter sur le rôle, la place, l’usage de l’église pour nous aujourd’hui ?

Les colonnes servent à maintenir l’écart entre le plafond et le plancher, c’est indispensable car c’est là, dans l’entre deux, qu’est l’espace vital, la maison où l’on vit. Pierre, Jacques, Jean et Paul sont donc reconnus comme des colonnes, quel plafond tiennent-ils afin de dégager un espace vital ? Il s’agit de maintenir l’écart entre la terre et le ciel, entre nous et Dieu.

C’est le second intérêt de l’église est là, à mon avis, en tout cas quand l’église comporte une grande diversité de sensibilités, de pratiques et de théologies comme dans l’église de Jérusalem à l’époque des apôtres. Ils ont tous comme référence Jésus-Christ mais grâce à leur grande diversité de sensibilités, aucun ne devrait pouvoir s’en sentir propriétaire. De même pour Dieu qui devient alors si proche, si intime pour le croyant, chacun à sa façon. C’est le sens même de ces premiers mots de la prière que Jésus nous a apprise « Notre Père qui est aux cieux » : il est à la fois « notre Père » si proche, si ressemblant à nous, et « qui est aux cieux » alors que nous sommes sur terre. Nous : nous existons ; Dieu, lui, est au-delà même de l’existence, il est. Il est la source de l’existence.

C’est ce que voulait aussi rappeler à tous les pèlerins arrivant au temple de Jérusalem les deux colonnes dressées devant la façade du temple. Ces deux colonnes ne soutenaient pas d’autre plafond que le ciel, elles marquaient cet écart, cette distance entre la terre et le ciel pour nous inviter à ne pas confondre, ce qui est particulièrement utile devant ce temple qui marquait symboliquement la présence de l’Éternel a milieu de nous et même en nous par son souffle, sa Parole. Les 2 colonnes du temple suggéraient à la fois l’écart entre Dieu et nous, et le lien fondamental que Dieu désire établir entre lui et nous, ici.

Paul sait ce que c’est que l’intégrisme, il en sort. Il en sort par le spirituel et par la réflexion. C’est heureux mais ce n’est pas si évident que de tels progrès aident à être moins intégriste. Il a senti Dieu lui parler, il a commencé à comprendre un petit peu quelque chose sur Dieu, il est alors temps de se rappeler que Dieu est bien au-delà de ce qu’il a pu sentir et penser. L’urgence c’est d’aller rencontrer d’autres croyants différents de lui, avec un autre parcours : Pierre ayant suivi Jésus, Jacques qui a été élevé avec Jésus. Cette diversité est aussi une façon de faire colonne, en lien avec Dieu sans se prendre pour Dieu.

Les colonnes du temple avaient chacune un nom : la 1ère colonne s’appellait Yakin, ce qui veut dire : « Il a établi » : Dieu nous enracine solidement. La 2nde colonne s’appellait Boaz « la force ». Paul avait reçu les deux : l’enracinement et une force, par la grâce de Dieu et par son travail personnel sur ses traditions bibliuqes et philosophiques. Mais il a la sagesse de ne pas se sentir être à lui seul Yakin et Boaz, mais de comprendre que c’est ensemble dans notre diversité que nous pourrons être ces colonnes.

Le premier intérêt, la première mission de l’église était donc d’annoncer l’Évangile. C’est ce que Paul va faire ardemment pendant 14 années. Il ressent ensuite le besoin d’aller rencontrer à nouveau les autres colonnes. Voyez comme c’est libre : nous avons ici une part de religion intime et personnelle, une part de travail sur notre héritage de pensée, une part de pratique dans une assemblée locale, et une part de pratique de l’église dans un ensemble plus vaste.

Nous avons comme colonnes : Jacques, Pierre et Jean, et Paul est reconnu avec son équipe comme 4ème colonne quand ils lui donnent la main en signe de communion dans leur diversité de parcours, de sensibilité et de vocation. Chacun de ces quatre est à sa façon Yakin et Boaz en se tenant la main.

C’est fondamental. Les colonnes maintiennent la relation et la distance entre le ciel et la terre, entre le monde et Dieu. Il est bon également de maintenir une distance entre les colonnes, en reconnaissant l’existence des autres, sans fusionner avec eux, en communion et en complémentarité. À Antioche, ce que Paul reprochera à Pierre, c’est de ne pas avoir le courage d’être lui-même (Galates 2 :11-14) quand par crainte de Jacques Pierre se fond hypocritement dans son point de vue, Pierre ne joue plus son rôle en tant que colonne ce qui met tout l’édifice en danger. Une colonne joue son rôle quand elle est sincère, droite, fidèle à elle même, et tenant la main des autres. C’est comme cela en église.

Avec leurs personnalités propres, Jacques, Pierre, Jean et Paul sont 4 colonnes utiles.

Jacques représente la dimension concrète de l’organisation de l’église et de la solidarité avec les autres. C’est une de nos missions fondamentales, afin que personne ne soit oublié. Mais il y a trois autres colonnes.

Pierre est chargé ici de s’occuper des juifs qui suivent les rites du judaïsme, il incarne ici la pratique de la religion. C’est aussi une colonne utile, un lien entre Dieu et le monde, une mise en relation et en tension entre ces deux réalités. C’est la 2e colonne.

Jean est le disciple bien aimé de Jésus, le plus proche témoin, celui qui peut poser à Jésus les questions les plus délicates dans le creux de l’oreille (Jean 13:25). Cette colonne, c’est celle de la mystique, celle de la communion avec Dieu en Christ, elle est aussi une colonne essentielle.

Paul est ici la 4e colonne, il est reconnu comme ayant la mission d’annoncer le Christ aux païens hors des rites de la religion, par la théologie. C’est aussi une colonne utile.

Aucune des 4 colonnes ne se suffit à elle-même, chacune est un simple outil pour nous au service de l’essentiel : vivre et avancer en Christ.

Amen.

pasteur Marc Pernot, église protestante de Genève

Textes de la Bible

Lettre de Paul aux Galates 1:11 2:10

 

Je vous le déclare, frères (et sœurs) : cet Évangile que je vous ai annoncé n’est pas de l’homme ; 12 et d’ailleurs, ce n’est pas par un homme que cet Évangile m’a été transmis ni enseigné, mais par une révélation de Jésus Christ.

13 Car vous avez entendu parler de mon comportement naguère dans le judaïsme : avec quelle frénésie je persécutais l’Église de Dieu et je cherchais à la détruire ; 14 je faisais des progrès dans le judaïsme, surpassant la plupart de ceux de mon âge et de ma race par mon zèle débordant pour les traditions de mes pères. 15 Mais, lorsque celui qui m’a mis à part depuis le sein de ma mère et m’a appelé par sa grâce a jugé bon 16 de révéler en moi son Fils afin que je l’annonce parmi les païens, aussitôt, loin de recourir à aucun conseil humain 17 ou de monter à Jérusalem auprès de ceux qui étaient apôtres avant moi, je suis parti pour l’Arabie, puis je suis revenu à Damas.

18 Ensuite, trois ans après, je suis monté à Jérusalem pour faire la connaissance de Pierre et je suis resté quinze jours auprès de lui, 19 sans voir cependant aucun autre apôtre, mais seulement Jacques, le frère du Seigneur. 20 Ce que je vous écris, je le dis devant Dieu, ce n’est pas un mensonge.

21 Ensuite, je me suis rendu dans les régions de Syrie et de Cilicie. 22 Mais mon visage était inconnu aux Églises du Christ en Judée ; 23 simplement, elles avaient entendu dire : « celui qui nous persécutait naguère annonce maintenant la foi qu’il détruisait alors », 24 et elles glorifiaient Dieu à mon sujet.

Ensuite, au bout de quatorze ans, je suis monté de nouveau à Jérusalem avec Barnabas ; j’emmenai aussi Tite avec moi. Or, j’y montai à la suite d’une révélation et je leur exposai l’Evangile que je prêche parmi les païens ; je l’exposai aussi dans un entretien particulier aux personnes les plus considérées, de peur de courir ou d’avoir couru en vain. Mais on ne contraignit même pas Tite, mon compagnon, un Grec, à la circoncision ; ç’aurait été à cause des faux frères, intrus qui, s’étant insinués, épiaient notre liberté, celle qui nous vient de Jésus Christ, afin de nous réduire en servitude. A ces gens-là nous ne nous sommes pas soumis, même pour une concession momentanée, afin que la vérité de l’Évangile fût maintenue pour vous. Mais, en ce qui concerne les personnalités – ce qu’ils étaient alors, peu m’importe : Dieu ne regarde pas à la situation des hommes – ces personnages ne m’ont rien imposé de plus. Au contraire, ils virent que l’évangélisation des incirconcis m’avait été confiée, comme à Pierre celle des circoncis, – car celui qui avait agi en Pierre pour l’apostolat des circoncis avait aussi agi en moi en faveur des païens – et, reconnaissant la grâce qui m’a été donnée, Jacques, Pierre et Jean, considérés comme des colonnes, nous donnèrent la main, à moi et à Barnabas, en signe de communion, afin que nous allions, nous vers les païens, eux vers les circoncis. 10 Simplement, nous aurions à nous souvenir des pauvres, ce que j’ai eu bien soin de faire.

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