Couverture du livre majeur de Sébastien Castellion "De l'art de douter et de croire, d'ignorer et de savoir" - Photo éditions La Cause
Témoignages

Pourquoi lire Sébastien Castellion ? Ce n’est pas pour l’histoire, mais pour apprendre un ou deux gestes fort utiles.

Préface à la nouvelle édition du livre majeur de Sébastien Castellion
 » De l’art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir  »
éditions La Cause, 2024

Sébastien Castellion (1515-1563) est célèbre pour cette formule percutante « Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme... » (dans son Contre le libelle de Calvin après la mort de Michel Servet, 1555) et il ajoute : « Servet a combattu avec des arguments et des écrits : il fallait le combattre par des arguments et des écrits. ». La plume de Castellion est comme cela : simple et incisive, comme frappée au coin du bon sens, pleine d’humanité.

gravure de Sébastien Castellion Castellion a développé une pensée en faveur de la liberté de conscience à une époque où tenir des opinions personnelles dans le domaine de la foi était considéré avec épouvante : l’hérétique (littéralement en grec : « celui qui fait un choix propre ») était considéré comme sapant les fondations mêmes de la société. Aujourd’hui, nous pouvons parler de liberté de conscience sans que ce soit choquant : le temps a rattrapé Castellion, la pensée de Castellion a participé à cette évolution en intéressant des philosophes comme Michel de Montaigne, Baruch Spinoza, John Locke, Pierre Bayle et Voltaire… Le combat serait-il gagné ? Pourquoi alors lire encore Castellion ? Réconcilier la société comme cherche à le faire Castellion ne sera jamais un dossier clos, tant s’en faut, nous pouvons donc encore avec lui réfléchir sur l’art et la manière d’élaborer notre propre pensée plus authentiquement et comment ne pas être d’accord entre nous d’une belle façon… Cela reste fortement d’actualité. Il me semble que l’homme Castellion et sa démarche sont encore plus intéressants. Comment a-t-il pu arriver à être en avance de cette façon prodigieuse par rapport à ses contemporains ? De quelles qualités a-t-il fait preuve pour cela, quels gestes lui ont permis d’avancer avec tant de clairvoyance et de liberté ? C’est à un enrichissement personnel que nous pouvons nous attendre en regardant avancer cet homme. Son livre De l’art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir est particulièrement précieux pour cette recherche, car il est pour Sébastien Castellion son testament spirituel auquel il était en train de mettre la dernière main quand il meurt de maladie à 48 ans à Bâle, en Suisse. Le titre de ce livre si personnel montre que son intention n’est pas de faire de la théologie ou de la philosophie pour le plaisir d’agiter des idées. Il cherche à nous former à un « art », au sens où on parlerait d’art de la lutherie, par exemple, décrivant les gestes et les méthodes d’un artisan afin d’apprendre son métier. Ce livre de Castellion est plus un manuel ayant pour but de nous aider concrètement à penser et à croire de façon plus authentique, plus libre, en bonne entente avec les autres.

Castellion est un homme qui aime chercher, qui aime transmettre, un homme sensible aux autres. Avec le bon sens, un bon sens paysan dans toute la noblesse du terme. Ce sont des traits permanents de sa méthode, me semble-t-il. Dieu est pour lui le premier « agriculteur de notre âme », dit-il en reprenant une image agricole chère à Jésus, Dieu est aussi le médecin de nos folies : de notre obstination qui nous empêche d’évoluer dans notre façon de voir, de notre difficulté à accepter que l’autre ait un point de vue différent. Or ce sont bien souvent ceux qui ont une opinion différente qui nous ouvrirons les yeux et nous aideront à avancer. Vers 25 ans, Castellion était étudiant à Lyon, il est horrifié par un bûcher exécutant des protestants. Ce sera un déclencheur. La compassion qu’il ressent sera un moteur pour sa recherche de Dieu, de la Réforme, d’une façon d’être différente. Il restera toujours révolté par ce qu’il appelle « le forcement des consciences », le viol de la conscience d’autrui par la violence physique ou morale, par l’autocensure de sa propre pensée. Quand bien même nous ne sommes pas d’accord avec l’opinion de l’autre, que la charité l’emporte, tempête Castellion.

De l’art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir, ce titre magnifique annonce le programme avec ces quatre verbes puissants, intrigants. Ils font entrevoir une pensée pratique qui s’attache à ne pas tout confondre. En particulier la foi et les croyances : ce qui est de l’ordre du croire (la confiance en Dieu) et du savoir (les croyances). C’est essentiel. Tant de misères, d’anathèmes, de brouilles et de bûchers ont été dressés en confondant les deux. Tant de folie aussi quand l’humain pense avoir saisi ce qui le dépasse. Castellion explique : « un des péchés les plus opiniâtres où il arrive aux hommes de tomber, c’est de croire où il faut douer, et de douter où il faut croire. » Il montre que certaines choses « qui sont au dessus de tous le doutes et qu’il faut croire. De même il en est, je ne dis pas qu’il faut ignorer, mais qu’il est permis, et qu’il est même parfois inévitable d’ignorer… Il y a une certaine espèce d’hommes qui veulent ne douter de rien, ne rien ignorer, qui affirment tout avec audace : si vous n’êtes pas de votre avis, nul doute à leurs yeux qu’il ne vous faille condamner ». Il ajoute avec bon sens que dans la vie courante aussi il est dangereux de tenir l’incertain pour certain (demandez à un montagnard ou à un marin). Or, dans le domaine des idées il y a manifestement des choses qui sont incertaines, relève-t-il « cela ressort assez clairement de ces livres innombrables, de ces discussions et de ces querelles quotidiennes et perpétuelles entre les hommes les plus distingués et les plus doctes. Car il est clair qu’ils ne disputent pas de choses certaines et éprouvées, à moins que d’avoir perdu l’esprit. »

Il montre, textes en main, que dans Bible se trouvent différentes catégories de textes, certaines contiennent des vérités essentielles, d’autres des éléments dépendant du contexte de l’époque, d’autres encore sont des réflexions ou des prières personnelles de l’auteur du livre. Il y a donc des textes de différents statuts et là encore, il ne faut pas tout confondre. Ensuite, Castellion montre qu’il est essentiel de reconnaître que si certains passages de la Bible sont limpides comme du cristal et font consensus, d’autres sont obscurs, se prêtent à diverses interprétations et doctrines. C’est respecter Dieu que de l’accepter ainsi : si Dieu a permis que cela soit discutable à partir des textes, c’est afin de nous exercer à réfléchir par nous même, laissant chacun libre d’avoir son avis sur ce point. Avec un peu de cette charité que nous commande le Christ (très clairement), cela devrait nous permettre d’avancer dans la paix. Là encore, la démonstration de Castellion est pleine de bon sens, il ose ensuite montrer comment cet art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir s’applique aux sujets les plus sensibles où ses contemporains se sont hélas montrés féroces au nom de leurs certitudes absolues : « Qu’il y ait un Dieu, qu’il soit bon et juste, qu’on doive l’aimer et l’honorer, et qu’il faille fuir les péchés et pratiquer les vertus et toutes autres vérités de ce genre, voilà chose dont personne ne doute. Par contre, le baptême, la cène, la justification, la prédestination, beaucoup d’autres points suscitent les discussions les plus sérieuses. Pourquoi? Parce que ces choses nous sont communiquées d’une manière obscure par les Écritures saintes. »

Castellion réhabilite ainsi une part de doute et d’ignorance justes et fidèles. Il n’est pas pour autant un sceptique qui douterait de tout ou qui dirait que toutes les opinions se valent. Au contraire, c’est pour mieux mettre en valeur ce qui est essentiel qu’il ne le confond pas avec ce qui est une opinion. C’est ainsi que dans son introduction, après en avoir appelé à Dieu pour nous aider à penser, il nous apostrophe : « Quant à toi, lecteur, n’apporte pas ici une âme malveillante ou prévenue de soupçon hostiles : nous dirons notre avis comme dans une assemblée, nous ne rendons pas un oracle qu’il serait impie de ne pas accepter ». Un appel à la bienveillance, un appel à nous réunir pour discuter des avis de chacun. Un appel à ne pas sacraliser nos avis respectifs. Ce qui est sacré, c’est Dieu, c’est la conscience de chacun, c’est la charité. Les derniers mots de son livre sont « Assez de raisons, mettons un terme au combat. » Là encore, en conclusion, Castellion fait appel au bon sens, à ce bon sens qu’est la charité.

par : pasteur Marc Pernot

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3 Commentaires

  1. Morgane dit :

    Bonsoir,

    Je vous remercie pour votre partage de cette préface. Je me souviens très bien de vos prédications sur ce monsieur. Elles m’avaient personnellement beaucoup touchées et éclairées.
    Je m’étais demandé pourquoi on ne m’en avait pas parlé, probablement était-il plus discret que Calvin et Luther ? Et trop chrétien pour les philosophes qui lui préfèrent Baruch Spinoza ? Il semble avoir réussi à lier dans sa vie l’intelligence (au sens de la réflexion philosophique ou scientifique) à l’amour fraternel vécu.

    Quelle difficulté pour moi de ne pas s’offusquer quand on a pris le temps de bien réfléchir à un sujet et qu’on discute avec une personne avec un avis contraire. Surtout quand il y a un peu de peur et de crise identitaire sous-jacente. Certainement, cela empêche d’autres de s’exprimer (ou de réfléchir) car ils ne veulent tout simplement pas de querelles.
    J’ai des craintes actuellement quand à la tournure que prend certains débats ou positions sur l’écologie – amenant de la stérilité au lieu de la fécondité (spirituelle) recherchée dans la Bible. Je suis moi-même souvent trop tranchée, mais « grâce à Dieu » je chemine !

    Vraiment, que Dieu vous bénisse et vous garde cher pasteur.

  2. andiran nathan dit :

    Voila choses dites ! Castellion est un « honnête homme », s’intéressant à toute chose. Erudit et pieux : sa traduction en langue vernaculaire de la Bible pour les « idiots » montre la combinaison des deux qualités. Il est un personnage courageux : sa défense de Servet et son « libelle » contre Calvin lui valurent exil et pauvreté . Son intelligence étant toujours au service de causes nobles ! On sait trouver des ombres fâcheuses à plusieurs figures de la Réforme sans à y devoir se donner grande peine. Chez Castellion , même en y vouant toute la peine du monde, ces ombres n’apparaissent guère à la vue .
    Lui qui prêcha au Temple de Vendoeuvres , doit nous inspirer par son exemple .

  3. Anne dit :

    Un disciple qui a dépassé son maître, un discernement et un courage remarquable, une grande figure du protestantisme

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