Prédication

Dieu nous allaite (1 Pierre 1:13 à 2:3 ; Marc 7:14-23)

(Voir les textes bibliques ci-dessous)

Écouter :

prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Genève le 1er dimanche après Pâques (19 avril 2020),
par : Marc Pernot, pasteur à Genève


Pâques nous invite à naître d’une vie plus éveillée, plus dressée, plus en forme grâce au Christ. Mettons que ce soit fait et bien fait. Maintenant, il convient de nourrir ce petit enfant, cette petite vie nouvelle en nous. C’est ce thème qui anime le premier dimanche après Pâques, depuis l’antiquité. Il est appelé le dimanche de Quasimodo, ce nom vient d’un passage de la 1ère lettre de Pierre : « Quasi modo geniti… » (comme des enfants nouveau-nés). Magnifique image, à mon avis, très biblique de Dieu qui est comme une maman qui nous prend dans ses bras et nous allaite d’un lait très spécial.

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Pierre, nous l’avons entendu, nous invite à nourrir notre être spirituellement. Jésus et l’apôtre Paul nous invitent aussi, chacun à leur façon, à nourrir notre être, notre foi et notre croissance. Car nous avons encore tant à devenir, à découvrir et à être. C’est frappé au coin du bon sens : un enfant mal nourri ou mal aimé ne peut pas bien se développer. Il en est de même pour notre intelligence, notre foi, notre façon d’espérer, notre façon d’être en relation. Ça, c’est clair pour tout le monde, je pense. La question de savoir comment bien nous nourrir dans ce domaine est plus délicate. Elle est débattue, même entre Jésus, Pierre et Paul.

La question de la nourriture était une question de mil soins méticuleux chez les pharisiens. Les règles alimentaires juives étaient à l’origine une pédagogie, je pense, afin d’inspirer par cette attention matérielle une belle façon de nourrir l’être intérieur. Par exemple, quand il était interdit de manger du porc, ce n’était pas pour des questions d’hygiène alimentaire (pour cela il aurait suffit de bien cuire les aliments), cela invite à ne pas vivre comme un porc en mangeant n’importe quoi avec des grognements de gourmandise. Et puis ces règles religieuses donnaient une identité distincte de celle des autres peuples.

Les courants intégristes se sont précipités pour faire de ces pratiques religieuses une fin en soi : le salut devient la pratique elle même des bons rites, les bons jours, avec les bonnes formules, les bons aliments ou les bons jeûnes comme il faut.

Dans le passage que nous avons entendu, Jésus inaugure une révolution. Comme à son habitude, il relativise les commandements religieux pour se concentrer sur la personne elle même. Notre identité est d’être aimé par Dieu comme son enfant, elle n’est pas à conquérir. Et pour que notre être intérieur soit nourri de bonnes choses il suffit d’avoir une bonne digestion qui va nous permettre de garder le meilleur et de rejeter le reste aux toilettes. Nous pouvons donc fréquenter des personnes de tout bord, lire des livres, voir des films ou des tableaux, écouter de la musique et faire notre miel, gardant ce que nous trouvons de bon et abandonnant ce qui ne l’est pas pour nous. La question, dit Jésus, est d’avoir une bonne digestion.

Ce qui compte, c’est ce que nous en faisons, ce que nous devenons, et ce donc ce que nous exprimerons ensuite. Là est le pur et l’impur.

Si nous mangeons une bonne côte de porc avec un athée en écoutant du hard-rock, ce peut être avec un excellent état d’esprit, nous faisant du bien au corps et à l’esprit, à nous même et peut-être aussi à la personne avec qui nous mangeons. Nous ne sommes pas obligés avec ce repas de devenir comme un cochon, de perdre notre foi en Dieu, ni de devenir sataniste. L’important, c’est d’avoir une bonne digestion. D’aller jusque là où nous permettent nos forces et notre capacité à digérer.

Les intégristes de l’époque s’indignent : Jésus respecte mal le shabbat et il rencontre des gens de mauvaise vie, et même des païens, des centurions ! Les disciples de Jésus s’insurgent : une bonne prédication devrait être pratique et guider les gens, leur dire le bien et dénoncer le mal. Leur faire la morale, enfin ! Jésus « travaille » autrement. Alors qu’il n’a pas « fait la morale » à la foule, pour rassurer ses plus proches disciples qui s’inquiètent il leur récite le catéchisme : oui « la prostitution, le vol, le meurtre, l’adultère, la cupidité, la méchanceté… » sont effectivement de bien mauvaises choses. Il est bien d’accord, mais lui, il « travaille » en amont de cela. Il vient créer, développer, grandir l’humain.

Jésus explique : il travaille à rendre chacun capable d’une bonne digestion, d’avoir des oreilles pour entendre par soi-même, d’avoir de l’intelligence et d’être capable de saisir les véritables enjeux. C’est là-dessus que Jésus nous propose d’avancer. Et effectivement, il donne à ses invités des paroles mettant à rude épreuve leur écoute, et faisant sacrément travailler leurs méninges. Il ne passe pas au moulin la nourriture qu’il leur sert, ses paroles nous résistent, demandant d’y revenir encore et encore avec toute notre intelligence et notre prière.

Paul, lui, fait parfois la morale aux destinataires de ses lettres. Et cela ne lui plaît pas d’avoir à faire cela. Il s’en excuse : « Pour moi (contrairement à Christ), ce n’est pas comme à des humains spirituels que j’ai pu vous parler, mais comme à des humains charnels, comme à des bébés en Christ. Je vous ai donné du lait et non de la nourriture solide car vous ne pouviez pas la supporter ; et vous ne le pouvez même pas à présent, parce que vous êtes encore charnels. » (1 Corinthiens 3:1-2).

Dans les cas graves et urgents, comme la désastreuse situation de l’église de Corinthe, l’apôtre Paul trouve nécessaire de taper le poing sur la table en disant : on ne se comporte pas comme ça ! Cependant, il sait, il reconnaît qu’à terme le projet du Christ est en amont de cela. Le dressage qu’est la leçon de morale est pour le stade animal, charnel de l’humain. D’accord pour empêcher quelqu’un en train de lever la main pour frapper un autre, mais l’œuvre de salut c’est autre chose. C’est une naissance à une autre façon d’être, spirituelle. C’est une croissance qui vient de l’intérieur et qui fera que les méchants comportements ne nous viendront même plus à l’esprit. La morale est comme du lait, c’est le niveau zéro de l’enseignement. Au lieu de développer l’écoute et l’intelligence de la personne, elle l’infantilise. Paul reconnaît qu’il faudrait passer à des aliments solides, afin que les Corinthiens puisse avoir leur propre système de digestion, leur propre discernement interne comme des adultes responsables.

Jésus, lui, trace la route en donnant des aliments solides, complets, roboratifs et vitaminés, avec de la mâche et un goût corsé. Il travaille ainsi à nous faire grandir, devenir adulte, avec de bonnes oreilles, une bonne intelligence, une bonne digestion.

Pierre a entendu cet enseignement de Jésus, il l’a réfléchi, digéré, assimilé. Il cherche ici à nous le transmettre avec cette image du nourrisson allaité par Dieu d’un lait spécial. Un lait si spécial qu’il n’infantilise pas, qu’il fait grandir et accéder à l’âge de raison, nous dit Pierre.

La première chose qui va dans ce sens, c’est que Pierre nous dit que nous sommes assez grand, tel que nous sommes pour aller directement recevoir cet aliment de Dieu lui-même.

Ce lait, ce n’est pas l’enseignement de l’Église, ce n’est pas sa parole d’apôtre, ce n’est même pas les Écritures Saintes. Tous ces bons enseignements ne servent qu’à nous encourager et nous dire que nous sommes appelés à ce banquet royal, à ce contact direct avec Dieu, si nourrissant, si vivifiant.

« Si vous avez goûté que le Seigneur est bon » : Pierre nous invite à tenter une première gorgée de ce lait avec cette citation du Psaume 34 : c’est Dieu lui-même que nous goûtons du bout des lèvres, il a un goût et un bienfait uniques. L’essayer, c’est l’adopter.

La prédication de l’apôtre n’est même pas un avant goût, elle est un témoignage sur ce goût du Seigneur. Comment expliquerions nous le goût de la fraise à une personne qui n’en a jamais goûté ? Avec des images, et en disant : j’ai aimé et cela m’a fait du bien.

Dieu serait donc comme une maman qui nous allaite personnellement. Cela dit notre dignité aux yeux de Dieu. Une reine n’allaitait que son propre enfant, un prince ou une princesse. C’est ce que nous sommes donc pour Dieu. Une reine aurait pu facilement trouver une nourrice pour allaiter à sa place, cela ne se faisait pas trop dans le monde romain et grec. En effet, l’idée générale était que les nobles qualités de la mère se transmettaient à l’enfant par son lait. Et qu’il était bon que l’enfant s’attache ainsi à ses parents plus qu’à une nourrice.

Ce lait divin est un lait tout à fait spécial. Pierre lui attribue deux caractéristiques qui ont beaucoup troublé les théologiens depuis 2000 ans.

La première caractéristique de ce lait est d’être (attention je vais parler grec mais vous connaissez le mot français) : ce lait est « λογικός ». La petite difficulté est que ce mot n’est pas un mot de la culture biblique, il est par contre très courant dans la philosophie grecque et en particulier dans le vocabulaire des stoïciens. Cela fait que les destinataires de la lettre de Pierre n’avaient aucun mal à le comprendre avec leur culture gréco-biblique. En grec, est λογικός ce qui se fonde sur la logique, le raisonnement plus que sur l’émotion et les sens. Nous retrouvons cela au début de l’exhortation de Pierre que je vous ai lue, il nous appelle à « rassembler les forces de notre intelligence et à être posé spirituellement (à ne pas être comme ivre) ». C’est exactement cela la « λογική », qui s’oppose à la « μουσική », qui est une forme de persuasion qui s’empare du sujet par l’émotion, par les sens, par l’ambiance.

Pierre nous prépare ainsi à avoir une bonne vraie digestion. À ne pas être dupe des manipulations des idéologues et des bonimenteurs. Ce n’est pas parce qu’un discours est joli, que cela remue nos bons sentiments, fait vibrer en nous quelque chose que cela est vrai, que cela est juste et bon, et encore moins que cela vient de Dieu ou nous conduit à Dieu. Blanche-Neige ne se serait jamais fait avoir si ce n’était pas une aussi jolie pomme que la sorcière lui avait offerte.

Comment avoir cette intelligence et cette supériorité par rapport à nos propres emballements ? C’est précisément cela que nous apporte le lait que nous buvons directement au sein de Dieu lui-même. Ce lait nous transmet ces deux qualités divines.

C’est un cercle vertueux dans lequel nous pouvons entrer : rassemblant déjà ce que nous avons de forces d’intelligence, nous conseille Pierre, essayant de nous poser, nous pouvons alors concentrer notre espérance vers la grâce de Dieu manifestée en Christ, sur cet amour total de Dieu comme celui d’une mère idéale pour son bébé. Et nous pourrons boire une gorgée supplémentaire de ce « lait logique et pur ».

Cela a beaucoup gêné certains théologiens que ce lait de Dieu soit appelé du lait logique, le lait de la raison raisonnable. Des traducteurs ont tout essayé. Ils ont dit que oui, λογικός veut partout dire « raisonnable » mais qu’ici cela ne peut pas vouloir dire autre chose que « spirituel ». D’autres traducteurs avancent que λογικός est proche de λόγος la parole, et donc que Pierre parle du lait de la Parole de Dieu », ce qui a aussi du sens, sauf que ce n’est pas ce qui est écrit. Pierre, comme Jésus avant lui, envisage pour nous une capacité de discernement, une capacité à digérer. Ce lait est plus qu’un aliment, c’est l’aliment permettant d’assimiler les aliments : nous permettant de tout rencontrer, écouter, manger, en gardant le meilleur sans être empoisonné par les venins (c’est d’ailleurs la promesse qui nous est donnée à la fin de l’Évangile selon Marc, promesse à lire au sens spirituel, bien entendu).

Dans la première partie de ce texte, Pierre parle de cette libération qu’est cette qualité de façon très classique en la comparant à la Pâque des hébreux libérés de l’esclavage comme une naissance. Il parle ensuite d’une nourriture qui nous est donnée pour avoir la force du chemin à travers mers, déserts et fleuves vers la vie en abondance. Cette nourriture c’est l’agneau pascal qu’est pour nous le Christ. Voici une seconde nourriture à manger, le lait devient la chair et le sang du Christ, devient le pain de vie, devient son Évangile à manger, à mâcher et ruminer, à digérer pour l’assimiler et qu’il devienne en nous une vigueur, une dynamique, une hauteur de vue.

La seconde caractéristique de ce lait est qu’il est « non trafiqué », il est pur, sincère, franc et vrai. C’est ce que permet la pleine confiance dans l’amour de notre Mère qui est aux cieux. Nous pouvons être nous même devant elle, devant lui, notre Dieu. Et nous pouvons être sincère et vrai parce que libre et des idéologies et de nos emballements. Dans la seconde partie de son exhortation, Pierre développe cette qualité de sincérité que nous donne le salut en Christ :

« Vous vous êtes purifiés par l’écoute de la fidélité », c’est ainsi que maintenant vous pouvez avoir « une affection fraternelle sans hypocrisie : aimez-vous ainsi les uns les autres ardemment et d’un cœur pur. »

Il ajoute : « vous avez été engendrés d’une semence impérissable, par la parole vivante et permanente de Dieu. » Dieu est ainsi notre Père. Maintenant, Dieu est notre mère, au jour le jour, pour nous prendre dans ses bras et nous allaiter, pour nous amener à l’âge de raison, l’âge où l’on commence à devenir capable de logique, de maîtrise de soi, et de sincérité.

Grâces soient rendues à Dieu

Amen.

pasteur Marc Pernot

Textes de la Bible

1 Pierre 1:13 à 2:3

Ayant rassemblé les forces de votre intelligence, étant posés spirituellement, ayez une espérance totale dans la grâce manifestée par Jésus-Christ. 14Comme des enfants sages, ne vous conformez pas aux convoitises que vous aviez auparavant, dans votre ignorance ; 15mais, de même que celui qui vous a appelés est saint, vous aussi devenez saints dans toute votre conduite, 16puisqu’il est écrit : Vous serez saints, car, moi, je suis saint.

17Et si vous invoquez comme Père celui qui, impartialement, juge chacun selon ses œuvres, conduisez-vous avec crainte pendant le temps de votre exil. 18Vous savez en effet que ce n’est pas par des choses périssables — argent ou or — que vous avez été libérés de votre conduite futile héritée de vos pères, 19mais par le sang précieux du Christ, comme celui d’un agneau sans défaut et sans tache. 20Il a été connu d’avance, avant la fondation du monde, et a été manifesté à la fin des temps, à cause de vous 21qui, par lui, avez foi en Dieu, celui qui l’a réveillé d’entre les morts et lui a donné la gloire — de sorte que votre foi et votre espérance sont en Dieu.

22Comme vous vous êtes purifiés par l’écoute de la fidélité, en vue d’une affection fraternelle sans hypocrisie, aimez-vous les uns les autres ardemment et d’un cœur pur. 23En effet, vous avez été engendrés de nouveau, non pas d’une semence périssable, mais d’une semence impérissable, par la parole vivante et permanente de Dieu ; 24car tout être est comme l’herbe, toute sa gloire comme la fleur de l’herbe ; l’herbe sèche et la fleur tombe, 25mais la parole du Seigneur demeure pour l’éternité. Cette parole, c’est la bonne nouvelle qui vous a été annoncée.

2:1Rejetez donc toute méchanceté et toute ruse, les hypocrisies, les envies, et toutes les médisances. 2Comme des enfants nouveau-nés, désirez le lait « logique » et non trafiqué, afin que, par lui, vous grandissiez pour le salut, 3si vous avez goûté que le Seigneur est bon.

 

Évangile selon Marc 7:14-23

Jésus appela de nouveau la foule et lui dit : Écoutez-moi tous et comprenez. 15Il n’est rien qui du dehors entre dans l’homme qui puisse le rendre impur ; mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui le rend impur. 16Si quelqu’un a des oreilles pour entendre, qu’il entende.

17Lorsqu’il fut entré dans la maison, loin de la foule, ses disciples l’interrogèrent sur cette parabole.

18Il leur dit : Vous aussi, êtes-vous donc sans intelligence ? Ne saisissez-vous pas que rien de ce qui, du dehors, entre dans l’homme ne peut le rendre impur ? 19Car cela n’entre pas dans son cœur, mais dans son ventre, puis est évacué aux toilettes.

Il déclarait purs tous les aliments. 20Il disait : Ce qui sort de l’homme, voilà ce qui le rend impur. 21Car c’est du dedans, c’est du cœur des humains que sortent les mauvaises pensées, prostitutions, vols, meurtres, 22adultères, cupidités, méchanceté, ruse, dérèglement, regard envieux, blasphème, orgueil, folie. 23Toutes ces choses mauvaises sortent du dedans et rendent l’homme impur.

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