17 février 2020

un petit sentier dans une forêt naturelle - Image par Free-Photos de Pixabay
Ethique

Le pardon est-il toujours conciliable avec l’estime de soi ?

Par : pasteur Marc Pernot

un petit sentier dans une forêt naturelle - Image par Free-Photos de Pixabay

trouver son chemin demande parfois de faire un détour, d’enjamber des pierres et de passer sous des arbres.

Question posée :

Cher Monsieur,

Je me permets tout d’abord de vous remercier pour le travail immense que vous effectuez en tenant ce blog. Les contenus sont très intéressants et la partie « Questions/réponses » m’a même apporté un réel réconfort, car certaines questions qui vous ont été posées et auxquelles vous avez si aimablement répondu me taraudaient également.

Je me permets de vous soumettre ici une question personnelle au sujet d’une situation qui me pèse depuis plusieurs années et à laquelle je ne trouve pas d’issue. Peut-être pourriez-vous m’apporter un éclairage nouveau ou un regard neuf qui m’aiderait à mieux discerner le bon du mauvais, le juste de l’injuste, car je n’y arrive plus par moi-même. Je vous en serais profondément reconnaissante.

Mon mari et moi-même sommes mariés depuis peu, nous avons fait le choix d’un mariage religieux malgré l’opposition farouche de mes parents et l’indifférence un peu méfiante des siens, eux-mêmes divorcés.

La situation reste toutefois délicate avec les parents de mon mari, surtout mon beau-père. Celui-ci, même s’il a tenté d’en dissuader mon mari, n’a jamais opposé un franc obstacle à notre mariage, si bien que mon mari n’a jamais vraiment eu besoin de défendre notre couple comme j’ai eu à le faire avec mes parents. L’hostilité de mon beau-père à mon égard est beaucoup plus discrète, mais voilà trois ans que je la supporte et elle me pèse et me blesse terriblement, d’autant plus que mon mari ne la perçoit pas. Remarques machistes avec regards en coin, sexisme grossier, commentaires désagréables sur mon métier, xénophobie larvée sont lancés à table à chaque dîner de famille, à chaque rencontre. Mon beau-père parle de moi dans mon dos, parfois même à mon mari lorsqu’il sont ensemble sans moi, et travaille à diviser pour régner (ou du moins c’est le sentiment que j’en ai) sous prétexte de camaraderie père-fils et de complicité masculine. Parfois-même il m’exclut d’emblée de certaines « réunions de famille » et décrète ouvertement que telle rencontre se fera « sans les gonzesses ». Mon mari n’y voit rien de mal, et j’ai beau essayer de lui expliquer à quel point je ressens ces comportements comme de l’hostilité et du rejet, il me dit qu’il me comprend, mais ne fait rien. Son père a beaucoup d’ascendant sur lui, un mélange de dépendance émotionnelle et d’affection réelle, et il n’ose pas s’affirmer face à lui.

J’ai d’abord tenté la carte de l’apaisement et de l’union. Je ne veux pas faire de chantage à mon mari, et encore moins lui demander de couper les ponts avec son père. Je sais à quel point l’affirmation de soi face à ses parents peut être difficile, et si j’ai choisi l’opposition catégorique avec mes propres parents, je ne le souhaite pas pour autant à mon mari. Il a un caractère doux, un tempérament bien plus paisible et enclin au compromis que le mien. D’ailleurs je n’ai rien contre son envie de préserver sa relation avec son père, c’est normal et tout à fait sain, mais j’ai l’impression que cette complicité se fait au détriment de notre couple.

Cette espèce d’hostilité larvée à mon égard, ce comportement machiste me blesse chaque fois un peu plus profondément et je nourris actuellement une rancœur abominable qui « pourrit » littéralement mes relations avec ma belle-famille, parfois même avec mon mari. Je rage, je bous, je tempête. Avec le temps la tristesse s’est muée en colère, la colère en rage, la rage en haine. Chaque nouveau dîner de famille me vaut plusieurs nuits de pleurs. Je culpabilise de voir mon mari, impuissant, tourner en rond sans savoir que faire. Je culpabilise d’introduire dans sa vie cette colère, cette tristesse, cette rage qu’il n’aurait jamais rencontrées sans moi.

Que dois-je faire ? Qu’est-ce qui est juste ? Le pardon semble l’option la plus libératrice, la plus belle, la plus noble, mais comment faire si cela implique de baisser la tête au point d’en perdre son estime de soi ? Comment me délester de ce poids émotionnel qui m’étouffe et m’empêche d’être la personne calme et aimante que j’ai toujours été ? Faut-il prendre de la distance intérieure avec le problème, laisser dire et laisser parler ? Comment concilier pardon chrétien et estime de soi ?

Pardon pour ce courriel interminable. Je m’en veux de vous faire l’étalage de mes soucis, mais cette question du pardon, de l’apaisement, qui semble a priori inconciliables avec le respect de soi, me taraude depuis longtemps. Si vous pensez qu’elle puisse être utile à d’autres, n’hésitez pas à y répondre sur votre blog. J’ai moi-même profité par le passé de réponses que vous avez données à d’autres.

Avec mes meilleurs messages,

Réponse d’un pasteur :

Chère Madame

Grand grand bravo pour votre recherche du plus grand bien possible, avec cœur, avec une vraie pensée pour votre mari, avec dignité et intelligence. Vous êtes manifestement une bonne, très bonne personne. Même dans les situations difficiles.

Il y a une chose qui me semble importante, c’est que l’on peut espérer avoir la paix intérieur et la sérénité dans l’injustice et la capacité à pardonner, c’est une bonne idée, une noble intention, mais cela ne me semble pas bon de culpabiliser de ne pas y arriver. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, on fait selon les forces que l’on a aujourd’hui. D’abord. Ce qui n’empêche pas de travailler et prier pour en avoir plus demain, mais en attendant…

La seconde chose qui me semble importante est cette question de la justice et de la dignité que vous soulevez. C’est génial si l’on arrive à pardonner à une personne qui nous fait du mal, cela veut dire que l’on ne souhaite pas qu’elle meure de souffrances atroces pour la peine qu’elle nous a faite. Mais cela ne veut pas dire qu’on devrait se laisser maltraiter non plus, ni laisser faire le mal. Cette distinctions est essentielle entre le méchant et les méchancetés qu’il comment : Dieu aime le méchant et il hait la méchanceté. Jésus s’insurge quand il est frappé par le garde, et il réclame la vérité et la justice (Jean 18:22-23). Cette distinction est essentielle par exemple pour une personne maltraitée dans son couple, ou au travail. Peut-être que cette personne finira par avoir la grâce de commencer à pardonner un jour, mais de toute façon il n’est pas question de se laisser frapper ou harceler.

La troisième chose qui me semble importante, soulevée par votre situation difficile, est qu’il y a effectivement du tragique dans l’existence, c’est dû à la richesse extraordinaire de la personne humaine. Cela fait que parfois nous devons chercher la solution la meilleure, ou la moins mauvaise, car il n’y a pas de solution parfaite. Ce n’est pas une compromission, au sens où nous gardons un idéal de justice, de bonté, de dignité. Seulement il s’agit de trouver un vrai chemin de vie dans des circonstances concrètes réelles. Jésus nous propose d’aimer notre prochain comme nous-même. Nous sommes appelés à aimer notre prochain et aussi nous aimer nous même sinon nous ne serons pas en mesure d’aimer qui que ce soit bien longtemps, si nous nous laissions démolir par tel ou tel prochain. Cela demande donc de discerner nos forces, discerner quel(s) prochain(s) nous pensons faire partie de notre vocation pour le(s) servir. Bien souvent nous voyons Jésus s’enfuir d’une contrée trop dangereuse pour ne pas se faire tuer tout de suite, au risque de tout gâcher, laissant sa mission ici afin de se consacrer ailleurs auprès d’autres prochains qu’il servira plus utilement et moins dangereusement.

En ce qui vous concerne, comment faire ?

Je suis bien d’accord avec vous qu’il ne serait pas bon d’imposer à votre mari de couper les ponts avec sa famille.

Votre espérance que les mauvais traitements infligés par votre beau-père glissent sur votre conscience comme une goute d’eau sur les plumes d’un canard. Ce serait effectivement une solution, car chercher à éduquer ce monsieur n’est pas nécessairement de votre ressort. Seulement, aujourd’hui cela vous fait manifestement trop de mal, personne ne gagnera à ce que vous fassiez comme si cela ne vous faisait pas de mal.

Il me semble qu’une solution pourrait être de laisser votre mari aller voir ses parents, et vous, pendant ce temps là d’aller vous promener, lire un bon bouquin, regarder une série, faire une tarte au framboise, aller voir une copine… Vous pouvez aussi demander à votre mari de ne pas raconter ce que son père a dit sur le fait que vous ne veniez pas, ni les commentaires positifs (éventuels) et négatifs (hélas) sur votre personne et votre couple. Je pense que votre mari peut faire cela pour vous. Et il pourrait, pour lui, pour son propre sentiment de dignité et de justice aller voir son père sans supporter qu’il dise le moindre mot contre vous et contre son couple. Si vraiment il y a une certaine amitié et respect entre son père et lui, c’est quelque chose que l’on peut dire sans que cela casse le lien, quelque chose comme : papa, je ne veux rien entendre contre ma femme… papa, ce que tu viens de dire me fait de la peine… papa, je ne parle pas comme ça des femmes, ce n’est pas correct…

Ensuite, à vous de voir si au bout de quelques temps, éventuellement, vous pourriez avoir assez de force pour faire une courte visite formelle, sans trop subir. Et ajuster le dispositif en fonction de l’évolution du gracieux caractère de votre beau-père et de vos propres forces. En tout cas, je n’y verrais pas une obligation de principe. Seulement si vous pensez que cela vous semblait, compte tenu des circonstances, le chemin que vous choisissez d’essayer.

Dieu vous bénit et vous accompagne.

Marc

PS. Grand merci pour les encouragements, c’est très motivant.

par : Marc Pernot, pasteur à Genève

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Un commentaire

  1. Cabane dit :

    Peut être une absence (du genre randonnée avec des copines, shopping avec des amies, ou même retraite spirituelle) serait bienvenue. Cela permettrait de remettre les pendules à l’heure, de prendre su recul, de penser à autre chose, … et d’être mieux « armée » pour les prochains jours. Il semble important de ne pas se sentir seule, mais d’être plusieurs de votre côté, à discuter, à échanger des points de vues (par essence différents de ceux des hommes !). C’est presque une question de survie. Mentale, bien sûr.
    Et si par votre métier, vous étiez amenée à prendre des distances (éloignement kilométrique), ce serait aussi bon. Car il est dit : « l’homme quittera son père et sa mère, et ira vivre avec sa femme. Ils feront plus deux, mais un » (je suppose que ca doit être dans la Genèse, mais Jésus n’a t’il pas affirmé venir, non pour abolir, mais pour reprendre l’enseignement de la Loi et des Prophètes ?)

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