A mon avis, le fond de la première question, effectivement assez délicate, pourrait se résumer ainsi : Quelle est notre vocation personnelle ?
En effet, Jésus nous invite à aimer notre prochain. Très bien, seulement, cela fait en gros sept milliards de personnes puisque ce concept de « prochain » dans la Bible est littéralement « une personne qui a le même berger que nous », ce qui est le cas de toute personne puisque nous pensons qu’il y a un seule Dieu et qu’il est le Dieu de chacune et chacun. Il nous faut donc bien sélectionner certaines personnes dont nous nous occuperons en priorité. En espérant que personne ne reste oublié sans secours. Et donc que d’autres s’occuperont des personnes qui, bien que faisant donc partie de mes prochains, je ne m’occuperai pas.
Comment discerner notre propre vocation ? Par le cœur, par la prière, par l’
intelligence, par l’écoute de notre propre sensibilité et conscience, par la connaissance de nos propres forces, talents, moyens. Ce n’est pas d’une évidence totale. Si nous sommes ému par un reportage et nous confions sincèrement dans la prière le lendemain pour demander à Dieu quelle est notre volonté, il est possible que je pense que Dieu s’appelle à faire quelque chose pour la situation dont parlait le reportage. Ou sur un autre que j’avais vu un mois avant et qui remonte à ma conscience plus tard pour diverses raisons. Peut-être que Dieu m’appelle effectivement pour cette situation, peut-être que non, pas particulièrement et que c’est un raccourci dans ma propre conscience, entre Dieu qui au fond de ma conscience m’appelle à trouver en quoi être utile, et le reportage construit pour soulever de l’émotion. C’est donc à creuser, à discerner, à prier, à réfléchir. La plupart du temps, le service auquel nous sommes appelés est sous notre nez, à notre porte, un service peut-être pas très spectaculaires, rien qui ferait l’objet d’un reportage, un geste humain.
Donc oui, je suis d’accord avec vous, cet éveil pour chercher quelle est notre propre vocation à un moment donné : cet éveil doit être ouvert, sans a priori, avec le moins d’œillères possibles. Dan ssa communauté ou en dehors. Des personnes pauvres sont à aider mais comment ? Des personnes riches peuvent avoir besoin d’être aidées aussi, d’une manière extrêmement cruciales. Des proches de notre famille mais sommes nous toujours le mieux placé pour cela ? Peut-être que oui, mais ce n’est pas toujours le cas.
Il est donc délicat de déterminer notre propre vocation personnelle.
Il est encore bien bien plus délicat de se mêler de la vocation personnelle des autres. Cela demande une infinie prudence et humilité, car nous ne sommes pas Dieu. Il y a des cas où une mère ne s’occuperait pas de son enfant, et où on penserait devoir dire quelque chose, ou interroger demandant si elle a besoin d’aide pour s’en occuper ?
Et c’est donc cela qui me gène un petit peu dans votre dialogue avec ce monsieur.
- Il se sent appelé à s’occuper des ouïgours et les rohingyas, qu’il s’en occupe. Et n’impose pas aux autres d’avoir les mêmes priorités que lui.
- Vous avez une vision plus large et voulez vous occuper des peuples discriminés divers : occupez-vous en.
Et que chacun s’occupe de sa propre vocation, au lieu de dire aux autres ce à quoi ils devraient se préoccuper.
Il y a aussi à notre porte des femmes battues, des filles violées, des vagues de suicides de personnes de tout âge, des personnes qui ne se plaindront de rien mais qui sont pauvres vivant dans une maison pleine de courants d’air, des personnes âgées isolées, des enfants sans soutien scolaire, des personnes qui n’ont jamais eu la possibilité d’avoir la
foi, des divorcés se retrouvant à la rue… Certaines personnes peuvent se sentir plus appelées à de l’action locale, comme cela, à leur porte. D’autres à des actions lointaines (pas faciles, évidemment, d’apporter quoi que ce soit de pertinent pour aider des personnes loins, même avec de l’argent). En tout cas, il faut de tout, comme vous dites. Et une vision étroite n’est certainement pas bonne.
S’il est normal et sain de se focaliser sur un certain champ d’action, je pense que cela doit être pour soi-même et pour un certain temps, en gardant à l’esprit que nous pourrions être amené, ou appelé, à changer de priorité au vu d’une situation particulière.
C’est là dessus que je vous rejoindrais, le communautarisme est un vrai problème de société. Et il est possible que les priorités de ce monsieur passionnés par l’aide aux ouïgours et les rohingyas soit motivé par le communautarisme. Mais peut-être pas, peut-être que si sa voisine non musulmane rencontrait un problème, il l’aiderait sans discrimination ? Alors sa préférence pour les ouïgours et les rohingyas par rapport aux tibétains ou aux chaldéens persécutés n’est pas du communautarisme mais une vocation personnelle, sans qu’il ait à s’en justifier.
Et si ce monsieur était effectivement un petit peu communautariste sur les bords, il serait alors lui-même dans un certain sens un pauvre ayant besoin d’aide, pour l’aider à s’ouvrir l’esprit, à avoir une vision de l’humanité comme étant un seul corps qui va mourir s’il est dépecé par une vision où la détresse de telle personne est mesurée différemment selon son sexe, son origine, sa religion, la couleur de sa peau, son orientation…
Je ne sais pas si vous choisissez mal vos amis ? Ou si vous les voulez trop parfaits ? Ou si votre vocation est de les aider à avoir une pensée un peu moins binaire (tout en douceur) ?
Vous avez tout à fait raison de vouloir travailler sur votre façon de réagir. Bien sûr. Et de le travailler dessus en comptant sur l’aide de Dieu, parce que, par définition, nous subissons en grande partie notre propre caractère.
Mais il ne sert à rien de culpabiliser. Votre mission est de faire au mieux et de chercher à avancer dans le bon sens. La mission de ceux qui sont autour de vous est de faire avec vos bons côtés et de faire avec vos moins bons côtés. C’est normal, nous avons tous à faire cela pour vivre les uns avec les autres. Et s’ils vous rejetaient ce serait plus révélateur de leur problème à eux, ce même problème que celui que vous vous reprochez.
Donc : bravo d’essayer de progresser, mais ne soyez non plus pas trop exigeante avec vous-même. Vous m’avez l’air d’être une bonne personne. C’est un pas après l’autre que l’on avance. Tranquille.
Dieu vous bénit et vous accompagne