
Longtemps éloignée de la religion, je me dis qu’il doit bien exister une source de vie, mais la vie du Christ me terrifie…
Question posée :
Baptisée dans l’Église catholique, je me suis longtemps éloignée de la religion avant de me dire que le monde ne saurait s’être fait tout seul dans son infinie complexité et qu’il faut à minima au départ une intelligence et un désir, le désir de la vie de se propager, ce que l’on peut appeler Dieu.
Malheureusement, il y a aussi le mal (qui n’a épargné ni ma famille ni moi-même au point qu’on a pu nous dire qu’on était envoûtés !), que l’on attribue traditionnellement au diable, puisque Dieu ne saurait être que toute bonté et miséricorde. Tout en disant que le diable n’est qu’une créature et ne fait que ce que Dieu l’autorise à faire… Pas très clair, tout comme le problème de la liberté humaine d’un homme qui naît naturellement pêcheur (pas sûre d’avoir choisi !).
Le pire pour moi vient du destin du Christ que l’on présente comme le fils unique de Dieu (chose à laquelle j’ai beaucoup de mal à adhérer), mais dont ce dernier aurait exigé qu’il meure dans d’atroces souffrances (qui plus est parfaitement injustes) pour accepter de pardonner le péché d’Adam, ce qui par ailleurs ne semble pas avoir arrangé grand-chose dans le monde, ni rendu les hommes meilleurs. Un tel Dieu sadique, je ne l’en voudrais pour rien au monde !
Dès lors, quel peut être le message du Christ, en particulier « pas ma volonté mais la tienne » au moment d’entrer dans la Passion ? Dieu exige-t-il notre souffrance ? Notre soumission totale allant jusqu’au sacrifice de notre vie ? Doit-on suivre le Christ en supportant tout le mal qui nous accable sans se rebeller, sans se plaindre et en pardonnant à nos tortionnaires ? Dans ce cas, pour moi, ce n’est même pas la peine d’essayer, c’est perdu d’avance…
Dans la même veine, que penser des « prières de guérison » et des « miracles » qu’elles produiraient… mais pas pour tout le monde ? Qui choisit ? Là encore, un Dieu capricieux ? Quel peut bien être ce Dieu ?
Merci d’avance de votre réponse.
Réponse d’un pasteur :
Bonsoir chère Madame
Dieu, la foi et la religion
Bravo pour votre démarche de réflexion théologique et de foi. C’est tout à fait excellent, c’est même plus que légitime, c’est vivifiant. N’arrêtez pas de vous poser des questions, c’est ce qui fait avancer.
Votre approche sur l’existence de Dieu me semble tout à fait pertinente. Particulièrement ces mots « ce que l’on peut appeler Dieu ». D’accord avec vous, il me semble vraisemblable qu’il y a a minima au départ une intelligence et un désir ; cela rend plausible l’existence d’une personne que l’on peut appeler Dieu. Mais au-delà de cette plausible existence, il me semble intéressant, avec vous, d’appeler Dieu ce qui va dans le sens d’un désir de vie, de vie bonne, juste et belle. Et ça, ce n’est pas une hypothèse, c’est une façon de chercher ce qui grandit la vie et en particulier notre vie et celle de ceux qui nous entourent. À partir de cette définition très pragmatique, il est déjà possible de prier au soir de sa journée : chercher ce qui a été effectivement de l’ordre de cette source, on peut appeler ça de la louange. Chercher aussi où cette source a manqué : on peut appeler ça de la lamentation ou de la repentance. Cette sorte d’auto-analyse, cherchant le meilleur et la source du meilleur est déjà une pratique religieuse personnelle extrêmement féconde, je pense. À cette définition de ce que l’on entend par Dieu, j’accorderais une place particulière à cette notion que l’on appelle la grâce : que nous sommes gardés inconditionnellement, car c’est ce qui permet sincérité et authenticité dans le regard sur soi-même et sur sa propre vie face à notre idéal.
On est là au-delà de la religion, au sens de telle ou telle église catholique ou protestante. On est là dans la religion intime, essentielle, profonde, que Jésus met au cœur de notre façon de prier (Matthieu 6:6). Ensuite, la religion à l’église nourrit notre conception de Dieu, doit permettre de l’affiner et de l’approfondir. À nous d’examiner toute chose, comme vous le faites, et de ne garder que le meilleur. La religion à l’église peut aussi nourrir notre prière, notre relation aux autres, et prendre acte que nous ne sommes pas seuls dans ce monde à chercher Dieu.
Le diable et l’existence du mal
Malheureusement, il y a aussi le mal dans ce monde. Vous pouvez voir dans le petit dictionnaire que j’ai mis en ligne un article sur l’existence du mal et de la souffrance : je vois deux causes principales au mal. Il y a le chaos qui existe dans la nature et en nous-mêmes, il n’est la volonté de personne, il est le fond encore incréé de l’univers. Et il y a effectivement notre méchanceté humaine qui existe, il faut bien le reconnaître, et par laquelle nous nous faisons du mal les uns aux autres et du mal à la création. Je pense que cette figure du diable, effectivement traditionnelle comme vous le dites, n’est pas à prendre au sens d’une sorte de créature devenue mauvaise, et que Dieu laisserait batifoler. Le mot diable est le nom d’une fonction : il désigne tout ce qui va dans le sens contraire de la vie et de la beauté, tout ce qui déchire, divise, éparpille, déconstruit. Je ne pense pas qu’il existe une sorte de Dieu méchant, ni de créature transcendante invisible qui fasse cela. Il y a du diabolique dans notre faiblesse, dans nos tentations, dans nos folies. Mais à part ça, je ne vois pas quelle autre source de chaos pourrait exister dans ce monde. Alors, est-ce que l’homme est naturellement pécheur ? Oui, dans le sens où l’humain naît inachevé : il faut toute une vie pour apprendre à aimer un peu véritablement. On ne peut pas en vouloir au bébé d’être égoïste. Ce n’est donc pas un péché dont nous sommes forcément coupables, c’est plutôt un manque d’évolution. Parfois, c’est vrai, le mal est notre volonté aussi, c’est alors autre chose. Dans tous les cas, nous travaillons dessus par la prière et par la réflexion, ou en discutant avec de bonnes personnes.
Le Christ, fils unique de Dieu ?
En ce qui concerne le Christ, dans quel sens l’appelle-t-on fils unique de Dieu ? Puisque nous sommes aussi tous et toutes fils ou filles de Dieu, frères ou sœurs du Christ, comme il le dit lui-même (Jean 20:17). C’est que le Christ est une figure de l’humain, tel que Dieu l’a toujours espéré. En chacun et chacune de nous, cette humanité existe en partie, en partie seulement. Nous sommes donc à la fois fils ou filles de Dieu, partiellement, et nous avons encore à nous laisser engendrer Part-Dieu pour le devenir plus réellement. Par contre, en Jésus de Nazareth, nous reconnaissons le Christ, c’est-à-dire pour une fois, un humain accompli. Et cela est assez unique. Je suis du même avis que vous : ça n’a aucun sens d’imaginer que Dieu aurait eu besoin que son fils meure dans horribles souffrances injustes pour accepter de pardonner les péchés de l’humanité. Comme vous le dites, ce serait tout à fait sadique. Dieu, comme source de vie, ne se satisfait en aucune façon de la moindre souffrance ou de la moindre injustice. Cette théorie, bien que assez répandue, n’est absolument pas acceptable et bien des théologiens et bien des croyants aujourd’hui la refusent.
La mort injuste du Christ sur la croix
Pourquoi est-ce que Jésus meurt ? Parce que la liberté de sa théologie et de sa foi n’ont pas plu au pouvoir politique. Il aurait pu arrêter sa mission publique, se cacher dans un coin et vivre. Mais il a senti, je pense, que pour vraiment accomplir sa mission jusqu’au bout, il était nécessaire de ne pas se dégonfler ainsi ; c’est comme ça qu’il n’a pas fui son arrestation probable. Bien entendu, ce n’était pas sa volonté de mourir, Jésus aimait la vie, ses proches, aimer, témoigner de son évangile. Ce n’est donc pas un suicide. C’est le courage du pompier qui, pour accomplir sa mission, entre dans une maison en flammes pour en éteindre l’incendie. Le capitaine des pompiers ne veut pas non plus la mort de ses pompiers, pas plus que Dieu ne voulait la mort de Jésus. Dans l’Évangile, Jésus lui-même dit que Dieu ne voulait pas sa mort, mais qu’il soit respecté et écouté (Matthieu 21:37). Vous pouvez voir cette prédication que j’ai donnée pour la fête du Vendredi saint 2025 à ce sujet (https://jecherchedieu.ch/temoignages/pourquoi-jesus-a-t-il-ete-crucifie-ce-que-cela-nous-apporte/).
Dieu n’aime pas nous voir souffrir, bien entendu. Dans ce monde où du chaos existe, l’humain a une place particulière. Nous avons les pieds sur terre, nous avons la tête au ciel, tournée vers un idéal de vie. Il y a dans la vie humaine cette tension, c’est une position difficile et en même temps extraordinairement riche et belle. Comme une corde de guitare, c’est la tension entre deux pôles qui lui permet de chanter notre vie humaine aussi. Comme le dit Blaise Pascal, nous sommes à mi-ange, mi-bête.
Notre peine et le prétendu devoir de pardonner
Nous avons bien entendu le droit de nous plaindre, c’est un des points importants de notre prière, c’est de la lamentation. Nous pouvons nous laisser cajoler, panser, soigner, réconforter par Dieu. Bien sûr, nous pouvons nous révolter contre le mal, contre la souffrance, et dire avec Jésus, dans notre prière : Notre Père qui es aux cieux, que ta volonté soit faite… et délivre-nous du mal. Alors, effectivement, dans cette prière, il y a un point délicat : nous demandons à Dieu de nous pardonner, c’est un point important où nous avons besoin de son aide. Et nous demandons aussi à Dieu de nous aider à pardonner. Car, effectivement, nous en sommes bien incapables, en tout cas quand le mal que nous avons subi est relativement important. Nous demandons donc à Dieu l’un comme l’autre : qui nous pardonne et qu’il nous aide à pardonner. Mais il ne faut pas entendre le fait de pardonner comme un commandement. Ce serait comme donner l’ordre à une personne qui a reçu un coup de couteau de cicatriser instantanément : cela renforcerait encore la peine de la victime, en plus de sa blessure on la rendrait coupable de saigner encore ! Par ailleurs, il faut bien espérer que notre tortionnaire ne continue pas à faire d’autres victimes et pour cela, il ne suffit pas de passer l’éponge sur une ardoise. En attendant que le méchant puisse être rééduqué, pourrait-on dire, la victime doit souvent s’écarter et se prémunir afin de ne pas subir encore et encore d’autres coups. Donc, d’accord, ce n’est même pas la peine d’essayer de se forcer à pardonner. C’est important de le dire. Mais on peut espérer que nos plaies ouvertes puissent cicatriser, devenir moins souffrantes, que les coups reçus appartiennent à notre histoire, certes, mais que nous ne les revivions pas encore et encore. Ce n’est ainsi pas pour le tortionnaire que l’on peut espérer pardonner un jour, mais c’est pour que la victime puisse retrouver une paix plus complète.
La prière de guérison
Quand on est malade ou souffrant, ou que l’on a des difficultés de toutes sortes, il est normal de les partager avec Dieu. Comment on le ferait avec un ami. Personnellement, j’essaye de ne pas dire à Dieu : fais ceci, fais cela. Dieu sait très bien ce qu’il a à faire, ce qu’il peut faire et ce qu’il ne peut pas faire. Et je n’ai pas d’ordre ou de conseil à lui donner. Peut-être que la meilleure des prières, c’est de lui demander son Esprit-Saint qui vienne comme une puissance en nous. Il me semble que cette puissance en nous a beaucoup plus l’effet qu’il ne nous semble sur l’ensemble de notre être, y compris sur nos organes. Notre corps a en lui-même un pouvoir d’autoguérison que l’on remarque justement en cas d’écorchure au doigt : la peau va se reconstruire avec même nos empreintes digitales personnelles. Par la prière, il ne s’agit donc pas de convaincre Dieu d’agir, mais de nous ouvrir, par notre être tout entier, à cette source de vie qu’est Dieu.
Les miracles de guérison
Ensuite, les miracles de guérison, nous en avons bien plus de témoignages par les reportages sur les sorciers vaudous ou les sectes les plus improbables. Je ne dis pas que c’est tout entièrement faux. Là encore, la personne humaine est tellement complexe et riche qu’il peut arriver bien des choses. Mais n’empêche, je n’ai pas tellement envie d’entrer dans ce jeu-là. Il y a énormément de déceptions et de troubles et d’angoisse qui sont rattachés à ce genre de pratique et de superstition. Dieu veut la vie, le bonheur, la santé pour chacune de ses créatures. Par définition-même de ce que l’on entend par Dieu (pour en revenir à ce que nous disions au début). Il n’a pas de chouchou, il n’a pas de caprice, il est le dieu de la vie et cela fait tellement de bien de lui faire confiance.
Dieu vous bénit et vous accompagne de sa tendresse.
Marc
par : pasteur Marc Pernot
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Merci infiniment cher Pasteur de votre réponse rapide, mais également tellement simple et concise, tout en laissant place à chaque réflexion individuelle, chaque recherche personnelle, en dehors de tout dogmatisme. Bref, si on m’avait parlé comme ça avant ça m’aurait évité de perdre un demi siècle à maudire les religions … Mais peut-être était-ce mon chemin, après tout !
J’apprécie particulièrement l’idée d’une création encore en train de se faire, peut-être simplement parce qu’elle rejoint une intuition qui m’est venue en lisant la Bible qui ne m’apparaît pas comme une histoire chronologique, mais un texte éternel , valable quelle que soit l’époque. Par exemple, l’arbre de la connaissance qui révèle le désir de l’homme de se faire Dieu (ou à minima son égal) me semble particulièrement d’actualité…
En tout cas , merci encore et félicitation pour votre site particulièrement riche en sujets de réflexion !
Chère Madame,
Grand merci pour les encouragements !!!
Vous avez raison, la cration en train de se faire est une évidence quand on y pense, à la fois physiquement, théologiquement et spirituellement. Du point de vue biblique, cela a été parfois masqué par des traducteurs pas très fidèles au texte biblique, par exemple quand, dans le Psaume 121, le texte parle de « l’Éternel qui a fait le ciel et la terre », c’est trompeur, car il y a un participe présent, présentant Dieu comme sans cesse en train de créer, que c’est même sa nature, nous avons littéralement « l’Éternel faisant le ciel et la terre ». Pourquoi est-ce que le « traducteur » met alors un verbe au passé ? Pour rétablir dans le texte sa propre théologie d’une création terminée le 7e jour, et que le Psalmiste s’est certainement trompé puisqu’il n’a pas cette même grande et belle théologie. Ce n’est alors plus une traduction mais de la propagande.