28 septembre 2018
Quelques réflexions théologiques sur la transition intérieure…
D’abord, la transition intérieure c’est quoi ?
Face aux pillages des ressources de notre planète et à la détérioration de notre environnement, il devient urgent de changer notre mode de pensée, nos modes de vie, notre façon de consommer.
On parle aujourd’hui de transition énergétique pour passer des énergies fossiles aux énergies renouvelables ; de transition agrolécologique pour passer d’une agriculture traditionnelle à une agriculture bio… La transition est le passage entre deux modes d’être, de vivre.
Sur le plan spirituel on pourrait faire le parallèle à l’injontion Convertissez-vous le Royaume des cieux est proche ! (Mat 3,2). La conversion proposée par Jean-Baptiste, puis Jésus se focalise essentiellement sur la relation entre l’être humain et Dieu, et entre les êtres humains entre eux. Au cœur de la prédication de Jésus se trouve le double commandement :
« Ecoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur ;
tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force.
Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas d’autre commandement plus grand que ceux-là. (Marc 12.28ss).
Alors je me pose les questions suivantes : comment peut-on aimer le Seigneur et saccager sa Création, ou comment peut-on aimer son prochain et poursuivre un mode de vie qui se fait au détriment de populations entières ?
Aujourd’hui nous parlons d’une conversion écologique : c’est à dire réaliser très concrètement dans nos vies notre impact écologique, les conséquences sur la planète et ses habitants et agir.
Cette prise de conscience ne date pas d’hier. Et je sais, grâce à Daniela Mathia et à Marcel Christina que vous faites partie des précurseurs en la matière dans nos Eglises. Autrement dit, je prèche à des convertis !
Je vous invite donc à une réflexion sur ce qui, dans notre vision du monde, dans notre relation à Dieu, dans notre tradition spirituelle est le moteur de notre engagement ? En quoi notre engagement écologique se différencie-t-il de celui des ONG et autres acteurs de la transition, s’il se différencie ?
J’aimerais vous donner là quelques jalons théologiques
Comment penser Dieu dans la nature
Nous trouvons dans la Bible, depuis la Genèse jusqu’à l’Apocalypse la notion que Dieu est le créateur de l’univers. C’est aussi dans nos confessions de foi.
Se faisant, nous avons développé, en particulier à cause des influences de la pensée dualiste grecque qui perdure plus que jamais aujourd’hui, une pensée dualiste qui sépare Dieu-la nature, le corps-l’esprit, le ciel-la terre, le paradis-l’enfer… le bien-le mal… Bref, au bout du compte, cette pensée a relégué Dieu en dehors du monde, déacralisant par la même la nature.
Cette désacralisation, indispensable pour lutter contre les idoles et les croyances qui poluent notre foi en Dieu, a été aussi le creuset des sciences et a permis l’émergence d’une connaissance toujours en évolution et toujours plus pointue de la nature.
Un astrophysiscien a dit un jour, lors d’une conférence, que nous sommes traversés tout les ¼ d’heure par une particule fossile du big bang. Et nous apprennons aussi que tous les atomes qui constituent la matière qui nous entoure ont été créés au cœur même des étoiles. Nous sommes donc poussière d’étoiles dans l’infiniment petit et poussière minuscule face à l’infiniment grand de l’univers.
Mais parallèlement à cette incroyable connaissance, la désacralisation de la terre a engendré tous les abus que nous connaissons, réduisant la nature à une marchandise que nous soumettons à nos envies, à nos besoins. L’être humain s’est petit à petit construit hors de la nature, créant aujourd’hui une société hors-sol déconnectée des rythmes naturels de la vie, mais par ailleurs ultraconnectée virtuellement.
La démarche de la transition intérieure nous invite à retrouver dans la nature des traces de la présence de Dieu, c’est comme aime le dire Michel Maxime Egger, réenchanter le monde. Et plus profondément encore c’est retrouver notre relation avec Dieu et aussi notre relation avec nous-même et les autres ; la crise écologique étant d’abord une crise spirituelle.
Cette pensée théologique de Dieu dans la nature on la trouve chez le philosophe Spinoza qui est allé jusqu’à dire que Dieu et la Nature ne sont qu’un. La Nature étant l’expression matérialisée de Dieu. Dans cette pensée l’être humain fait partie de la nature, il est nature et est complétement dépendant d’elle et vice-versa. On parle de monisme. Il n’y pas de séparation entre Dieu et la nature. Pour nous chrétiens, les limites de cette pensée c’est qu’elle nie tout acte créateur de la part de Dieu, toute forme de transcendance.
Nous trouvons une autre manière de penser Dieu dans la nature dans la théologie orthodoxe. Selon Michel Maxime Egger, théologien orthodoxe, chaque créature, chaque grain de sable, chaque atome, porte en soi une part du Logos divin , comme un fragment d’ADN qui nous rappelle l’origine de la Création, c’est à dire la Parole de Dieu.
De même, pour nous les humains, créés à l’image de Dieu, nous portons en nous une part de l’ADN de Dieu. Nous sommes une vraie merveille, dit le psalmiste (psaume 139).
J’aime à penser que le regard que Dieu porte sur chacun, chacune d’entre nous est celui de la mère qui vient de mettre au monde son enfant. Ce ne sont plus les yeux qui voient, mais une intense force d’amour qui jaillit des profondeurs de son être et qui la submerge. Ce petit être tout frippé sur son sein, c’est le plus beau !
Je crois que, comme la Création, Dieu nous a mis au monde avec cette même intensité d’amour et d’émerveillement et il a dit que c’était bon, très bon.
Une traduction qui pose problème
L’autre pensée qui a influencé grandement notre mode de vie se trouve aussi dans le mythe de la Création. Lorsque Dieu dit à l’être humain : Genèse 1 verset 28 : Puis il les bénit en disant : Ayez des enfants, devenez nombreux. Remplissez la terre et dominez-là !
On pourrait trouver dans ces versets une certaine violence.
Mais si on lit le texte jusqu’au bout : l’être humain reçoit comme nourriture les plantes, il serait donc « végétarien » et Dieu trouve sa Création bonne, voir très bonne.
Pour notre réflexion, il me semble important de prendre de la hauteur par rapport au texte biblique se rappeler que les racines hébraïques des verbes portent en elles bien plus de sens que les traductions ne le laissent entendre.
Dans un commentaire de la Genèse, Annick de Souzenelle met en évidence le sens soujacent des verbes de ce verset:
Dans le verbe dominer par exemple on trouve l’idée de descendre de, s’immerger, faire partie : il ne s’agit donc pas de dominer en étant au-dessus, mais bien d’endosser notre responsabilité de co-acteur de la Création. Ce verset ne serait être donc compris et interprété en dehors de son contexte qui est la création de l’être humain à l’image de Dieu : cela rend chaque être humain éminemment responsable de sa manière d’exercer le commandement de « dominer » la terre. Si la Création est bonne aux yeux de Dieu, s’il a permis que vivent les oiseaux du ciel et les poissons des mers… ce n’est évidemment pas pour que l’être humain les pillent et les détruisent. La domination doit se comprendre comme prendre soin de ce qui nous est confié.
Dans le calendrier de Carême que vous avez peut-être déjà reçu, je cite : « dans la Bible, la promesse d’une bonne terre est liée à la préservation de l’alliance entre Dieu et le genre humain (Genèse 17,9). Un mode de vie compatible avec les générations futures implique que nous prenions soin de la plantère Terre de façon responsable. »
La démarche de transition intérieure est traversée par plusieurs attitudes spirituelles que j’aimerais développer rapidement :
La gratitude, la joie et l’émerveillement:
1. La gratitude est au sentiment de manque ce que le pardon est à l’offense, une attitude spirituelle de guérison.
Remercier Dieu pour tous ses bienfaits (psaume 103) c’est entrer dans la dimension de l’accueil de ce qui est et reconnaître ce qui est bon, malgré le manque, la souffrance et la douleur : nombre de psaumes de lamentations comportent quelques versets de gratitude, (psaume 40 par ex). Rendre grâce, dire merci de tout son cœur, que cela soit à Dieu, aux humains, mais aussi à la terre, et tout ce qui la constitue, nous préserve de la tentation de vouloir toujours plus. Cette attitude intérieure est un rempart contre la manipulation du marketing et de la publicité.
Plus encore : la gratitude est un « canal » spirituel positif qui nous ouvre à un don très fort et très profond qui est la joie.
2. La joie, plus qu’un sentiment, est un don spirituel : dans Jean 15,11 par exemple, la joie parfaite vient de l’observance du commandement d’amour, qui nous fait rester dans l’amour de Dieu. La joie naît de notre rencontre, de notre expérience de la présence de Dieu dans nos vies, ou de l’expérience que nous faisons de Lui de manière indirecte, comme par exemple dans la contemplation de sa création.
Ayant une expérience artistique, je me suis figurée que Dieu lorsqu’il dit au 6ème jour de la Création (Genèse 1,31): « cela est très bon », devait exhulter de joie, comme l’artiste qui voit son œuvre et n’en revient pas de ce qui est sorti de ses mains. Cette joie, je l’expérimente dans les ateliers d’éco-création que j’anime. Le matériel de bricolage à disposition, les enfants comme les adultes laissent libre court à leur créativité et dans cet acte de création, ils expérimentent le plus souvent la joie.
La joie spirituelle, dont la joie de créer en est une facette, traverse toute la Création : on retrouve cette joie dans le psaume 96 par exemple : verset 11-13 : Que le ciel se réjouisse, que la terre danse de joie, que la mer rugisse avec toutes ses richesses ! Que les champs soient en fête avec tout ce qui s’y trouve ! que tous les arbres de la forêt crient de joie devant le Seigneur, car il vient !
La joie est aussi nourrie par une autre attitude spirituelle chère au mouvement de la transition intérieure, celle de l’émerveillement.
C’est le regard du tout petit devant un brin d’herbe et qui s’esclame : oh comme c’est joli ! Il ne connait pas encore le langage de la science qui explique la couleur… il voit simplement les brins fremissant dans le vent, la brillance du soleil sur les tiges, la transparence de la lumière et le jeux des ombres.
Cela peut paraître enfantin, mais en réalité, un brin d’herbe est une œuvre d’art : regarder le mouvement de la feuille, sa couleur, ses nervures. Aucune main humaine n’est arrivé à autant de perfection.
La gratitude, la joie et l’émerveillement font grandire en nous notre attachement à la terre et nous ouvrent à une relation à Dieu plus intense.
Pour finir ce petit survol théologique j’aimerais vous partager ce poème-prière qui s’appelle « communion »
Communion
Colossiens 2,6 :
« Vous avez reçu le Christ Jésus comme Seigneur.
Eh bien, vivez unis à lui.
Plongez vos racines en lui, construisez votre vie sur lui. » PDV
Seigneur Dieu,
j’aime regarder le ciel,
admirer les mouvements des nuages,
les reflets scintillants de la lumière sur l’eau,
l’immensité sans fin qui s’ouvre devant moi.
Je contemple ce paysage qui s’offre à mon regard ;
mais pas seulement :
je suis attirée par cette beauté,
je me laisse irradier par cette lumière,
charmer par les nuances des couleurs.
J’accueille avec bonheur la joie de cet instant.
Est-ce cela, entrer en communion ?
Se perdre dans le ciel ?
Devenir ciel ?
C’est comme écouter de la musique.
Je ne l’écoute pas seulement avec mes oreilles,
je me laisse transporter par elle,
bouleverser par elle.
Je me laisse vibrer à l’unisson,
entrer en communion.
Passer de l’extériorité à l’intériorité.
Est-ce le même chemin avec toi, Dieu ?
Comment te laisser advenir en moi et moi en toi ?
Comment me perdre dans ton amour ?
Oh Seigneur,
Donne-moi d’accueillir ton amour.
Anne-Christine Menu-Lecourt, de Poussière et de ciel, éd. Ouvertures 2017
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