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Une traversée de la Bible 1/9 : Mythes fondateurs (le déluge et sa relecture par Pierre)

Une traversée de la Bible : Les livres de la Bible : genres littéraires et textes célèbres
un mardi par mois de 18h30 à 19h30, au Chalet paroissial de Vandoeuvres, avec le pasteur Marc Pernot
Voir une introduction, le programme de ce cycle ici, ainsi que les épisodes déjà disponibles.

Séance du mardi 13 septembre 2022

 

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Textes de la Bible

Genèse – Chapitre 6

Alors que les hommes avaient commencé à se multiplier sur la surface du sol et que des filles leur étaient nées, 2les fils de Dieu virent que les filles d’homme étaient belles et ils prirent pour femmes celles de leur choix. 3Le SEIGNEUR dit : « Mon Esprit ne dirigera pas toujours l’homme, étant donné ses erreurs : il n’est que chair et ses jours seront de cent vingt ans. » 4En ces jours, les géants étaient sur la terre et ils y étaient encore lorsque les fils de Dieu vinrent trouver des filles d’homme et eurent d’elles des enfants. Ce sont les héros d’autrefois, ces hommes de renom.

5Le SEIGNEUR vit que la méchanceté de l’homme se multipliait sur la terre : à longueur de journée, son cœur n’était porté qu’à concevoir le mal, 6et le SEIGNEUR se repentit [נָחַם nacham cf. Noé נֹחַ] d’avoir fait l’homme sur la terre. Il s’en affligea 7et dit : « J’effacerai de la surface du sol l’homme que j’ai créé, homme, bestiaux, petites bêtes et même les oiseaux du ciel, car je me repens de les avoir faits. » 8Mais Noé trouva grâce aux yeux du SEIGNEUR. 9Voici la famille de Noé : Noé, homme juste, fut intègre [תָּמִים tamiym : doublement parfait] au milieu des générations de son temps. Il suivit les voies de Dieu, 10il engendra trois fils : Sem, Cham et Japhet.

11La terre s’était corrompue devant Dieu et s’était remplie de violence. 12Dieu regarda la terre et la vit corrompue, car toute chair avait perverti sa conduite sur la terre. 13Dieu dit à Noé : « Pour moi la fin de toute chair est arrivée ! Car à cause des hommes la terre est remplie de violence, et je vais les détruire avec la terre. 14Fais-toi une arche de bois résineux. (…) 18J’établirai mon alliance avec toi. Entre dans l’arche, toi, et avec toi, tes fils, ta femme, et les femmes de tes fils. 19De tout être vivant, de toute chair, tu introduiras un couple dans l’arche pour les faire survivre avec toi ; qu’il y ait un mâle et une femelle ! 20De chaque espèce d’oiseaux, de chaque espèce de bestiaux, de chaque espèce de petites bêtes du sol, un couple de chaque espèce viendra à toi pour survivre. 21Et toi, prends de tout ce qui se mange et fais-en pour toi une réserve ; ce sera ta nourriture et la leur. » 22C’est ce que fit Noé ; il fit exactement ce que Dieu lui avait prescrit.

Chapitre 7

11En l’an six cent de la vie de Noé, au deuxième mois, au dix-septième jour du mois, ce jour-là tous les réservoirs du grand Abîme furent rompus et les ouvertures du ciel furent béantes. 2La pluie se déversa sur la terre pendant quarante jours et quarante nuits… Les eaux grossirent et soulevèrent l’arche qui s’éleva au-dessus de la terre… toutes les montagnes les plus élevées furent recouvertes 20par une hauteur de quinze coudées. Avec la crue des eaux qui recouvrirent les montagnes, 21expira toute chair qui remuait sur la terre, oiseaux, bestiaux, bêtes sauvages, toutes les bestioles qui grouillaient sur la terre, et tout homme… Ils furent effacés, il ne resta que Noé et ceux qui étaient avec lui dans l’arche. (…)

Chapitre 8

Dieu se souvint de Noé, de toutes les bêtes et de tous les bestiaux qui étaient avec lui dans l’arche ; il fit alors passer un souffle sur la terre et les eaux se calmèrent. 2Les réservoirs de l’Abîme se fermèrent ainsi que les ouvertures du ciel. La pluie fut retenue au ciel 3et les eaux se retirèrent de la terre par un flux et un reflux. Au bout de cent cinquante jours les eaux diminuèrent 4et, au septième mois, le dix-septième jour du mois, l’arche reposa sur le mont Ararat. 5Les eaux continuèrent à diminuer jusqu’au dixième mois ; le dixième mois, au premier jour, les cimes des montagnes apparurent. 6Or au bout de quarante jours, Noé ouvrit la fenêtre de l’arche qu’il avait faite. 7Il lâcha le corbeau qui s’envola, allant et revenant, jusqu’à ce que les eaux découvrent la terre ferme. 8Puis il lâcha la colombe pour voir si les eaux avaient baissé sur la surface du sol. 9Mais la colombe ne trouva pas où poser la patte ; elle revint à lui vers l’arche car les eaux couvraient toute la surface de la terre. Il tendit la main et la prit pour la faire rentrer dans l’arche. 10Il attendit encore sept autres jours et lâcha à nouveau la colombe hors de l’arche. 11Sur le soir elle revint à lui, et voilà qu’elle avait au bec un frais rameau d’olivier ! Noé sut ainsi que les eaux avaient baissé sur la terre. 12Il attendit encore sept autres jours et lâcha la colombe qui ne revint plus vers lui…

15Dieu dit à Noé : 16« Sors de l’arche, toi, ta femme, tes fils et les femmes de tes fils avec toi. 17Toutes les bêtes qui sont avec toi

20Noé éleva un autel pour le SEIGNEUR. Il prit de tout bétail pur, de tout oiseau pur et il offrit des holocaustes sur l’autel. 21Le SEIGNEUR respira le parfum apaisant et se dit en lui-même : « Je ne maudirai plus jamais le sol à cause de l’homme. Certes, le cœur de l’homme est porté au mal dès sa jeunesse, mais plus jamais je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait. 22Tant que la terre durera, semailles et moissons, froid et chaleur, été et hiver, jour et nuit jamais ne cesseront. »

Chapitre 9

Dieu bénit Noé et ses fils, il leur dit : « Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre. 2Vous serez craints et redoutés de toutes les bêtes de la terre et de tous les oiseaux du ciel. Tout ce qui remue sur le sol et tous les poissons de la mer sont livrés entre vos mains. 3Tout ce qui remue et qui vit vous servira de nourriture comme déjà l’herbe mûrissante, je vous donne tout. 4Toutefois vous ne mangerez pas la chair avec sa vie, c’est-à-dire son sang. 5Et de même, de votre sang, qui est votre propre vie, je demanderai compte à toute bête et j’en demanderai compte à l’homme : à chacun je demanderai compte de la vie de son frère. 6« Qui verse le sang de l’homme, par l’homme verra son sang versé ; car à l’image de Dieu, Dieu a fait l’homme. « Quant à vous, soyez féconds et prolifiques, pullulez sur la terre, et multipliez-vous sur elle. »

8Dieu dit à Noé accompagné de ses fils : 9« Je vais établir mon alliance avec vous, avec votre descendance après vous 10et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous : oiseaux, bestiaux, toutes les bêtes sauvages [littéralement « les vivants de la terre »= végétaux ?] qui sont avec vous, bref tout ce qui est sorti de l’arche avec vous, même les bêtes sauvages [« les vivants de la terre »]. 11J’établirai mon alliance avec vous : aucune chair ne sera plus exterminée par les eaux du Déluge, il n’y aura plus de Déluge pour ravager la terre. »

12Dieu dit : « Voici le signe de l’alliance que je mets entre moi, vous et tout être vivant avec vous, pour toutes les générations futures. 13« J’ai mis mon arc dans la nuée pour qu’il devienne un signe d’alliance entre moi et la terre. 14Quand je ferai apparaître des nuages sur la terre et qu’on verra l’arc dans la nuée, 15je me souviendrai de mon alliance entre moi, vous et tout être vivant quel qu’il soit ; les eaux ne deviendront plus jamais un Déluge qui détruirait toute chair. 16L’arc sera dans la nuée et je le regarderai pour me souvenir de l’alliance perpétuelle entre Dieu et tout être vivant, toute chair qui est sur la terre. »

 

Relecture par Pierre : 1 Pierre 3:18-21

18Le Christ lui-même a souffert une fois pour toutes en rapport avec les péchés, lui, juste, pour des injustes, afin de vous amener à Dieu. Mis à mort quant à la chair, il a été rendu vivant quant à l’Esprit. 19C’est ainsi qu’il est aussi allé faire la proclamation aux esprits en prison, 20à ceux qui avaient refusé d’obéir autrefois, lorsque la patience de Dieu attendait — aux jours où Noé bâtissait l’arche dans laquelle un petit nombre de personnes, huit, furent sauvées à travers l’eau. 21C’était une figure du baptême qui vous sauve à présent — baptême qui n’ôte pas la saleté de la chair, mais qui est l’engagement envers Dieu d’une bonne conscience — par la résurrection de Jésus-Christ…

 

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5 Commentaires

  1. Pascale dit :

    Quelques remarques :
    1) Séance réellement enrichissante, merci.
    2) J’ai bien aimé le petit discours à propos de l’alliance avec Dieu qui va jusqu’à concerner les végétaux. Je ne pense pas que ce soit ce que le texte suggère, mais je le ressens plus comme une articulation du texte avec des connaissances plus modernes sur le vivant, avec des frontières de plus en plus floues et des interactions étonnantes, sans cesse à découvrir.
    3) Il est réjouissant de constater que, dès le début, Dieu ne regrette pas tant que cela d’avoir créé les humains puisqu’il a suffit qu’il en trouve un seul à peu près correct pour que renaisse l’espoir de mener à bien son projet. Il aurait pu se dire « je vais recommencer un autre truc ».
    4) Ce que je trouve tout de même étonnant, voire dérangeant, c’est de constater à quel point le sort des animaux est lié à celui des humains. Ils n’avaient rien fait de mal, eux, alors pourquoi les éliminer ? Ils peuvent très bien se passer de nous. Peut-être que le texte invite aussi, par ce biais, à reconsidérer notre rapport à l’animal.

    1. Marc Pernot dit :

      Bonjour

      1. et grand merci pour les encouragements.
      2. La question de ce que voulait dire l’auteur est intéressante. Mais n’est pas limitative. C’est textes sont faits pour inspirer leur lecteur, c’est particulièrement le cas quand on offre à son lecteur un récit et non un exposé systématique. Ensuite, contrairement à ce que donnent des traductions, il y a effectivement dans la lettre du texte (en 9:10) littéralement « les vivants de la terre » (et non « les bêtes sauvages » qui est une extrapolation légitime car le mot « vie » désigne en général des animaux), et ce à deux reprises, comme n’étant pas sorti de l’arche (ce qui est le cas des oiseaux et des animaux). En 9:2 la liste des trucs qui auraient de quoi craindre l’humain est « tout vivant de la terre, tout oiseau du ciel, tout ce qui se meut sur la terre, tous les poissons de la mer », qu’est-ce donc qui est un « vivant de la terre » sans se « mouvoir sur la terre » ? Il me semble possible de lire dans ces « vivants de la terre » les végétaux, il me semble possible même que cela soit dans l’intention du rédacteur. Mais bon, il n’est plus là pour l’affirmer ou l’infirmer, comme vous dites c’est une question laissée à la libre interprétation du lecteur. Avec des implications qui me semblent effectivement importantes pour aujourd’hui. Avec une grande noblesse des végétaux, capables de créer du vivant à partir du minéral, et dont nous savons maintenant qu’ils sont doués de propriétés tout à fait étonnantes de communication et de collectivité.
      3. Oui, Dieu déniche dans l’humanité, et dans chaque individu, ce qui est bon et l’appelle à surnager, afin de partir de ce meilleur. Et pas seulement, mais aussi à sauver les animaux avec. C’est le salut par le spirituel mais en vue de sauver l’ensemble, le spirituel et l’animal que nous sommes, un appel à sauver l’humanité et aussi le vivant non humain. C’est effectivement assez inspirant. Du point de vue du geste, cela nous encourage au recommencement, à ne pas craindre de commencer et de recommencer. Voir ce que dit Kierkegaard de « la répétition ».
      4. Je ne pense pas une seconde que Dieu soit du genre à punir les animaux pour se défouler de sa révolte contre la méchanceté humaine. Mais, que le sort des animaux soit compromis par la violence des humains, c’est effectivement le cas. C’est ainsi qu’à la place de la domination de l’humain sur les animaux (évoquée ici au chapitre 9, comme il l’était au chapitre 2), il me semble que c’est un appel à la responsabilité de l’humain dans la gestion de cette planète, en particulier avec cette attention portée sur le fait que la vie ne nous appartient pas, qu’elle appartient à Dieu, la vie des humains et des non humains.
  2. Lili dit :

    Merci beaucoup de partager autant de travail ! Je vous assure que c’est très très éclairant, surtout quand on s’aperçoit qu’on lisait ce récit à un tout petit niveau.

    La distinction que vous proposez en introduction entre mythos et logos est appréciable car cela permet de saisir que les mythes ne sont pas des récits pour enfants à côté de la belle philosophie des Grecs mais des lieux où une vérité très ancienne, immémoriale s’est en quelque sorte fossilisée, et avant même que la Grèce en tant que telle n’existe. A mon sens, ce n’est pas péjoratif, au contraire. Le mythos ne s’oppose alors pas réellement au logos, il envisage la vérité d’une autre façon. D’ailleurs, Platon use du mythe à de nombreuses reprises, par exemple dans la République (avec les mythes de l’anneau de Gygès et d’Er le pamphylien, entre autres, sans parler du mythe de la Caverne, bien sûr) pour renforcer ou cautionner – mais cela va au-delà encore – son propre discours sur le vrai et sur la justice.

    Le mythe propose bien une vérité qui se présente sous un jour différent d’une vérité conceptuelle, philosophique ou scientifique, et qui s’oppose davantage à l’oubli plus qu’elle ne s’oppose au faux. C’est bien pour cela que, dans une certaine mesure, plusieurs interprétations sont possibles et s’éclairent mutuellement. De fait, tous les genres littéraires convoquent à leur façon la vérité et la font miroiter sous des jours chaque fois nouveaux. C’est pour cela que la déclinaison que vous avez choisie pour toutes ces séances va, je pense, être passionnante, surtout lorsqu’on va arriver à l’incompréhensible feu d’artifice qu’est l’Apocalypse de Jean. Je me demande comment vous allez vous en sortir.

    Les mythes, c’est plus compliqué dans le sens où c’est moins évident à désosser. Le rapprochement avec le « cresson bleu » est très parlant. Eh oui, il ne doit pas y avoir plus de bleu dans ce cresson que de soldat dans ce vallon. Bref, c’est de la poésie, pas du reportage, comme vous dites. Il ne faut pas s’attendre à quelque chose comme un hyper réalisme. Ce serait quand même aller contre l’intelligence de Rimbaud, ainsi que celle des auteurs de cet Ancien Testament que de proposer de simples histoires enchanteresses, qui de toute façon, n’existent pas en littérature. Mais le problème, c’est que ça fonctionne tout comme du réalisme et on peut être piégé facilement par l’interprétation littérale sans parvenir à s’en extraire. Déjà parce que la narration a un pouvoir d’attraction du sens très puissant et que le second ou troisième degré – une fois sorti du récit proprement dit – n’est pas évident non plus à saisir. Raison pour laquelle on peut bien dire – même si vous bondirez – que le dieu de l’AT est « méchant » et celui du NT « gentil ». Eh oui, c’est mièvre mais c’est le risque. Heureusement, avec votre aide précieuse, on parvient à progresser plus loin.

    Personnellement, j’ai bien du mal avec l’anthropomorphisme dès qu’il s’agit de Dieu ou d’autres concepts. Vous me direz que c’est le style des récits de l’Ancien Testament, ils construisent leur sens largement en dessous de ce premier niveau. Alors, je vois bien dans vos explications qu’il n’est pas question de donner un statut de super-humain à Dieu mais bon, dans ce mythe, Dieu veut puis ne veut plus, change de projet, se met en colère, met efficacement sa toute-puissance à l’œuvre en noyant tout ce qui bouge ou presque, se radoucit, etc… Bref, au niveau littéral, pas très sympa ce Dieu et un brin girouette. Autrement dit, un peu trop humain. Il ne faut pas s’y arrêter, d’accord. Et finalement, vous dites que c’est une image pour nous convier à réformer notre théologie, à nous faire comprendre que nous avons à évoluer, à changer. Oui, re-d’accord. Et aussi que nous pouvons même repartir de zéro en cas d’échec, en repartant avec le minimum du minimum et même avec rien ? ce qui induit que nous soyons des êtres créateurs, libres et responsables ? Alors ce serait plutôt encourageant dans un sens.

    Mais là où il est plus difficile de vous suivre, c’est concernant Dieu car vous ne retenez pas grand chose des caractéristiques traditionnellement convenues d’une « représentation populaire » : toute-puissance, omniscience, immuabilité, impassibilité, éternité… L’idée qu’une force ait pu donner naissance à un monde en évolution et non pas tout fini ne me semble pas aberrante. Mais ensuite que Dieu lui-même évolue ou change ? Qui plus est devant les actions humaines ?? C’est ce qui pourrait ressortir de ce mythe, mais n’est-ce pas trop littéral comme approche ? Cela ne me paraît pas très cohérent. Qu’on conçoive Dieu comme impassible, immuable, éternel, en gros comme pétrifié dans le marbre ne me semble pas plus valable. On ne voit pas ce qui pourrait sortir d’une telle passivité. Une troisième voie serait peut-être de se le représenter comme l’ossature de l’être, à la fois éternel (conservation de l’énergie) et en devenir (entropie). Mais il faudrait sans doute abandonner l’idée d’un dieu personnel. Peut-être y a -t-il d’autres voies encore.
    Du coup, j’en viens à me demander : dans votre théologie, si on considère Dieu en mouvement ou changeant, peut-on encore lui attribuer des perfections ? Alors, lesquelles ? Il faut bien qu’il y ait au moins un truc qui ne change pas, non ? J’ai bien conscience que parler des qualités de Dieu reste un challenge et presqu’une coquetterie de l’esprit.

    Ensuite, j’ai bien aimé cette idée que vous faites particulièrement ressortir, que Dieu fasse alliance avec tout le vivant. Cela a aussi frappé Pascale. Ce qui semble assez logique puisque c’est bien la même vie qui anime tous les vivants, même si elle se présente sous des aspects différents. On ne comprendrait pas très bien que Dieu fasse une distinction dans cette alliance avec la vie. Qu’il y ait des différences entre vivants, c’est assez flagrant mais qu’il y ait des hiérarchies entre les vivants, hiérarchies qui plus est objectives, là je n’ai jamais été très très sûre de cela, sans être particulièrement antispéciste. C’est vrai que l’alliance que Dieu a pu réaliser avec la salade restera obscure pour nous et que comme vous dites, ça ne nous regarde pas, on s’en fiche un peu puisque nous ne sommes pas des salades. Mais on a bien l’impression que celui qui élabore les hiérarchies trouve des arguments pour organiser son réel à lui et pour se trouver le mieux placé dans cette hiérarchie, si possible tout en haut de cette hiérarchie, s’octroyant des droits sur le reste des vivants.

    Si on donnait la parole aux escargots, ils diraient probablement que la créature la plus extraordinaire de l’univers est l’escargot pour les raisons évidentes que tous les escargots connaissent. Et il y aurait certainement dans leur théologie un dieu qui aimerait plus que tout les escargots. La preuve, il leur aurait donné dans sa grande bonté des géants pour cultiver leurs salades, un habitat hyper pratique, et un mode de déplacement qui assure de se mouvoir sans risquer la crise cardiaque. Et leur diable sentirait, non pas le soufre, mais le beurre persillé.
    Tout cela pour vous demander : est-ce qu’on ne peut pas concevoir chaque vivant comme se trouvant finalement au centre de la création ? Sans qu’il y ait de supériorité de l’homme sur quoi que ce soit ? Si on regarde l’ensemble du vivant, on a bien l’impression que tout est fait pour tout. La sauterelle, le chêne et l’huître perlière en diraient autant que l’escargot, je suppose. Comme de cette arche, toute vie renaît, chaque vivant est au départ d’une nouvelle lignée et le centre d’une re-création, que ce soit l’homme ou n’importe quel animal ou plante. Tout le monde repart de zéro, en gros.

    Pour finir, on peut voir dans ce mythe, une fois sorti de tout le réalisme de la narration, l’idée que la violence ne se survit pas. Si Dieu réagit à la violence des hommes en produisant une violence plus grande encore, effectivement, on peut craindre le pire, il ne va pas rester grand chose : une petit barquette sur un océan. Quant à nous, si on se tape dessus avec des armes de plus en plus destructrices – pour toutes les meilleures raisons du monde bien sûr – cela va finir en anéantissement de l’espèce humaine et peut-être, ce qui serait plus grave, de toute vie. Une fois la vie éradiquée sur notre planète, parviendra-t-elle à redémarrer quelque part ?
    C’est aussi l’idée qu’un seul homme peut faire la différence, réorganiser le réel, comme l’idée d’un « homme providentiel » dont plusieurs exemples émaillent l’histoire. Ils sont rares et ont tous quelque chose qui relève du mythe d’ailleurs. Mais plus simplement, une conversation amicale, l’attitude de quelqu’un, un geste, un mot, un sourire parfois font la différence dans bien des situations de la vie courante, encourage, réoriente une action, une pensée, relance en nous, parfois sans le savoir, quelque chose qui dormait ou sombrait. Vous disiez sur un autre post qu’un internaute avec sa question avait suscité l’idée de votre prédication dominicale. Je me demande donc si nous ne croisons pas Noé plus souvent que nous ne le pensons et même si nous ne sommes pas un peu Noé de temps en temps.

    1. Marc Pernot dit :

      Grand merci, c’est passionnant et par ailleurs si vivant et même drôle parfois, que c’en est fort vivifiant.

      Je relirai en détail votre commentaire (je suis en ce moment en train de préparer la prédication pour demain), et reviendrai compléter ma réponse.

      Juste quelques mots :

      Sur les « les caractéristiques traditionnellement convenues d’une « représentation populaire » : toute-puissance, omniscience, immuabilité, impassibilité, éternité » sont effectivement plus un fantasme que biblique. Que Dieu change en fonction de l’humain, je ne pense pas que Dieu change de nature, mais je le verrais comme cybernétique, pourrait-on dire, ou organique. Il tient compte de son environnement et réagit. C’est la moindre des choses quand on est vivant. Et encore plus quand on est créateur.

      Bien sur, Dieu n’est évidemment pas un sur-humain quelque part. Mais il me semble intéressant, à condition d’être conscient de ce que l’on fait alors, de le penser non seulement comme un « tout autre » mais aussi comme une figure de l’humain idéal. C’est ce que propose Maïmonide (ais-je entendu dire) quand il dit que tout attribut que l’on donne à Dieu est à entendre à l’impératif pour nous. Deuxièmement, cela me semble intéressant, voire essentiel de prier Dieu comme un être personnel, que l’on tutoie. Et ainsi de pouvoir nous dire, et de nous dire en confiance.

      Il me semble que l’on peut tenir à la fois le « Dieu comme l’ossature de l’être, à la fois éternel (conservation de l’énergie) et en devenir (plutôt néguentropie qu’entropie) » pour ce qui est de la compréhension intellectuelle de Dieu, et « le dieu personnel » pour ce qui est de notre spiritualité, de notre prière. D’une même façon que la lumière est tantôt mieux décrite comme onde, tantôt comme flux de corpuscules.

      Du coup est-ce qu’il y aurait « un truc qui ne change pas, en Dieu » ? Je dirais, la positivité. Il conserve et il suscite un organisation, des relations.

      Je suis tout à fait du même avis que vous, « Chaque vivant comme se trouve au centre de la création, sans qu’il y ait de supériorité de l’homme » en dignité. Ensuite, l’humain est supérieur dans sa vocation propre d’humain. Même le plus génial des escargots serait mauvais à cela. C’est la vision de Paul du corps (1 Corinthiens 12), avec la diversité des membres, tous utiles, même ceux qui semblent être les moins nobles. Encore faut-il que cette diversité puisse s’assembler et être assemblée en un corps. Il y faut, selon Paul, de l’Esprit Saint (une Parole créatrice, une intention tournée vers la vie), et du soucis de l’autre membre.

      L’idée que « la violence ne se survit pas » me semble tout à fait un des fils rouges de cet épisode biblique, effectivement, du début (Dieu contaminé par la violence des humains), jusqu’à la fin (l’arc, arme donnant la mort, que Dieu tourne vers lui-même au cas où il aurait la tentation d’être violent. L’homme providentiel, le traditionnel héros des mythes, est ici bien présent en Noé sauf qu’il est ici que très marginalement providentiel, il ne l’est que grâce à Dieu, par son écoute, donc, par son travail, par sa patience et sa vigilance (avec l’aide de la colombe), et par sa louange (après les aventures). Cet héroïsme de No2 est donc modeste et dresse une proposition d’héroïsme ordinaire pour l’humain, et sauver le vivant. Ce n’est pas inintéressant comme réflexion.

      Il est possible que nous arrivions à faire que 80% du vivant disparaisse de notre planète, mais 100% me parait difficile à atteindre même en y mettant une extraordinaire bonne volonté. Mais en tout état de cause il me semble scientifiquement et théologiquement très plausible que la vie soit déjà apparue un petit peu partout dans l’univers. Nous aimons à nous penser comme unique, comme centre de l’univers, comme « phénix et parangon des hôtes de ces bois ». Il est plus raisonnable de nous supposer être un échantillon ordinaire de l’existant. Mais à tout prendre, il serait néanmoins préférable de ne pas ruiner cet échantillon, cette terre « qui est quelquefois si jolie  » (comme le dit Prévert dans son ‘Notre Père’ pertinent et impertinent).

  3. Lili dit :

    Tous mes remerciements pour avoir pris le temps – sur votre temps déjà tout pris – de formuler une réponse si intéressante et frappante à bien des aspects : ces représentations des qualités traditionnellement accordées au divin « sont effectivement plus un fantasme que biblique ». Je n’avais pas vraiment réalisé ce décalage entre ces concepts et le texte – faute d’y avoir sans doute réfléchi un tant soit peu – mais il est vrai que ce n’est pas dans la Bible qu’on peut voir un Dieu tout-puissant, omniscient et impassible et même que c’est tout le contraire, du moins de ce que j’ai pu en lire.

    Un dieu organique ? Mais oui c’est pas mal, vous donnez ainsi tout son sens à la notion de « Dieu vivant » : même si c’est un « organisme tout autre », s’il est vivant, il doit y avoir une relation, une interaction quelque part avec quelque chose ou quelqu’un. C’est le principe de la vie. Je crois que je l’avais mis de côté dans l’association des termes « Dieu vivant » parce que l’adjectif s’effaçait entièrement devant la charge des concepts suscités par le terme « Dieu ». Votre remarque permet de rééquilibrer cette association et cela prend une tout autre allure. Par la même occasion, vous mettez là devant les yeux le sens même de « testament », c’est plutôt éclairant. Concevoir un dieu « tout autre » et en même temps « tout proche » reste néanmoins une sacrée gymnastique. Mais après tout, onde ou corpuscule, dans les deux cas, ça éclaire.

    En fait, en y réfléchissant, je pensais que vous alliez écrire quelque chose comme « bien sûr qu’il y a un truc qui ne change pas : c’est que Dieu est amour et lumière ». Et cela m’a étonnée de ne pas trouver cette formule qui semble si habituelle chez vous qu’elle ressemble à une seconde nature. Mais bon, il faut bien s’adapter et en écrivant : Dieu « conserve et suscite organisation et relation », vous n’avez rien démenti de ce propos, tout en le rendant plus accessible. Un truc qui change sans changer ?

    La référence à Prévert, splendide, est très sympa et Jean-Marc Leresche ne s’est pas mal défendu non plus dans ce périlleux exercice.

    Merci à vous et à ceux qui vous aident pour nous permettre d’embarquer dans cette traversée, de susciter des interrogations, d’avancer un peu plus loin en faisant bouger les lignes, dans un esprit de dialogue fraternel. C’est plutôt rare.

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