« Portez les charges les uns des autres, et accomplissez ainsi la Loi de Christ. » (Gal. 6 : 2)
Je souffre en mon corps de diverses pathologies qui sont la conséquence de psychotraumatismes répétés – dont la maltraitance infantile – et de stress chronique tout au long de ma vie subis en grande partie par des chrétiens faisant partie d’une église à dérive sectaire. Au nom du Bien, je te fais le Mal, disait Nietzsche. D’après les travaux de Elissa Epel, Elizabeth Blackburn et Audrey R. Tyrka (pour la maltraitance infantile), on sait que le stress aigu et/ou chronique induit une réduction des télomères (extrémité des chromosomes) qui accélère le vieillissement. (Pour plus d’informations au sujet de la corrélation entre stress et réduction des télomères, voir les références d’articles en bas de page.) Il ne s’agit pas pour moi de chercher des coupables, mais de mettre en place le dur et long combat du pardon, pour ne pas exacerber ma souffrance. Il s’agit plutôt de me demander comment assumer médicalement, psychologiquement et spirituellement un corps qui me trahit de plus en plus.
Comment nourrir mes ressources internes, comment mettre en place des outils qui me font du bien et me distraient de la souffrance et de la douleur (comme l’opéra par son effet catharsis, la marche pour sécréter des endorphines, la cohérence cardiaque pour réguler mes émotions, l’écriture d’un livre auto-biographique qui a le pouvoir de transformer un enfant perdu en un enfant trouvé). Et quelles sont mes ressources spirituelles et psychologiques pour épargner à mon entourage immédiat et élargi un épuisement moral qui peut même induire de l’agacement vis-à-vis de la personne chroniquement malade ? Aide-toi et le ciel t’aidera, dit le proverbe.
Je me suis beaucoup intéressée, entre autre, aux diverses causes du malaise devant la souffrance d’autrui, tel que décrit dans l’ouvrage du sociologue Bernard Rimé : Le partage social des émotions, PUF, 2005, p. 182 à 185; Il s’agit de mécanismes de défense comme
- l’ignorance (incertitude quant aux comportements à tenir devant la personne en souffrance)
- la vulnérabilité (l’exposition à la souffrance d’autrui suscite de l’angoisse, parce que la personne exposée prend brusquement conscience qu’elle est susceptible des mêmes fatalités.)
- l’aliénation( d’une manière générale, aux yeux de celui qui se porte bien, celui qui souffre appartient à un autre monde. Devant une personne en détresse en effet, les inconnues abondent.)
Accompagner un malade est tellement difficile à assumer pour l’entourage qui prie, mais qui est tellement démuni pour apporter à la personne souffrante un étayage psychologique et spirituel. Christophe Fauré, un psychiatre qui m’aide tant par la lecture de ses ouvrages, le décrit si bien : « Je n’arrive pas à te dire que je suis fatigué d’être fatigué, fatigué de souffrir tout le temps, fatigué de vivre, mais je sais que tu ne peux pas et que tu ne veux pas entendre cela, même si je tente à demi-vie de forcer ton silence. Alors je te dis « je suis fatigué » avec tant d’autres questions dans le regard et j’attends de toi quelque chose qui ne viendra jamais. A vouloir rassurer sans cesse, trop vite, on fait obstacle à l’autre qui nous parle de son angoisse, de ses appréhensions ou de ses doutes. On réduit au silence le véritable vécu intérieur. On a l’impression d’aider le malade, alors qu’en fait, on l’isole encore plus. » (« Vivre ensemble la maladie d’un proche, aider l’autre et s’aider soi-même « , Christophe Fauré, Albin Michel, 2011 , p. 62 )
Je pense à l’apôtre Paul qui écrit à Timothée la réaction de ses proches apeurés : dans ma première défense, personne ne m’a assisté, mais tous m’ont abandonné… c’est le Seigneur qui m’a assisté et qui m’a fortifié. » 2 Tim. 4:16. N’ est-ce pas la description de l’isolement moral de la personne en souffrance morale, physique et/ou spirituelle même dans l’église ?
A ce sujet, j’ai écrit au sujet de l’histoire de Bartimée qui me touche beaucoup :
« Ils arrivèrent à Jéricho. Lorsque Jésus sortit de la ville avec ses disciples et une assez grande foule, Bartimée, le fils aveugle de Timée, était assis en train de mendier au bord du chemin. Il entendit que c’était Jésus de Nazareth et se mit à crier: «Fils de David, Jésus, aie pitié de moi!» Beaucoup le reprenaient pour le faire taire, mais il criait beaucoup plus fort: «Fils de David, aie pitié de moi!» Jésus s’arrêta et dit: «Appelez-le.» Ils appelèrent l’aveugle en lui disant: «Prends courage, lève-toi, il t’appelle.» L’aveugle jeta son manteau et, se levant d’un bond, vint vers Jésus. Jésus prit la parole et lui dit: «Que veux-tu que je fasse pour toi?» «Mon maître, lui répondit l’aveugle, que je retrouve la vue.» Jésus lui dit: «Vas-y, ta foi t’a sauvé.» Aussitôt il retrouva la vue et il suivit Jésus sur le chemin. »
(Marc 10 : 46 à 52)
Un homme aveugle qui mendie. Le rebut de la société, seul, discriminé par ceux qui le côtoient. Qui a donc péché, lui ou ses parents, se demande la foule qui l’évite, comme s’il était contagieux.
Ce qui est intéressant et dramatique, c’est de voir que plusieurs le reprenaient, pour le faire taire. Le faire taire, alors que cet aveugle ne se plaint pas, mais recherche de l’aide qui ne peut venir que du Fils de David, lui l’Homme de douleurs, sensible à la souffrance d’autrui. Pourtant, les disciples, la foule avaient été témoins à combien de reprises des miracles de Jésus, comment il guérissait les malades, les relevait, leur rendait leur dignité d’être humain. Ils font taire Bartimée, qui les dérange dans leur théologie culpabilisante de la souffrance. Ne sont-ils pas englués dans la logique de la rétribution, comme les amis de Job, les bons récoltent ce qui est bon, les méchants récoltent ce qui est mauvais ?
Le seul à s’arrêter près de l’aveugle Bartimée, c’est Jésus : Et Jésus s’étant arrêté, dit qu’on l’appelât. Il est le seul à ne pas passer son chemin comme les hommes religieux dans la parabole du bon samaritain (Luc 10 : 25 à 37). Il est le seul à prendre le temps de répondre à la détresse de cet homme handicapé. Bartimée peut dès lors jeter loin son manteau de la discrimination sociale, de la mendicité, de la pauvreté, de la solitude morale, du gouffre existentiel dans lequel il est plongé depuis sa naissance. Il suit Jésus dans le chemin et s’approprie ce que Jean-Baptiste disait : il faut que lui croisse et que moi je diminue. (Jean 3 : 30).
« Et eux, levant leurs yeux, ne virent personne que Jésus seul. » est-il dit des disciples sur la montagne de la transfiguration. (Matt. 17 : 8) N’est-ce pas le cheminement spirituel que fait Bartimée , tout comme Job, quand au terme de sa souffrance, il dit à Dieu : Mon oreille avait entendu parler de toi; mais maintenant mon oeil t’a vu ? (Job 42 : 5)
Dans mon salon, j’ai la reproduction de la statue de Rodin, la main de Dieu qui me rappelle la force de Dieu dans mon combat pour la vie. Adam et Eve s’extirpent difficilement et douloureusement d’un morceau de terre lors de la création, mais ils ne sont pas seuls, ils sont soutenus par la main puissante de Dieu.
Dans mes moments d’inquiétude, je pense à cette image du Cantique des cantiques 2 : 14 « Ma colombe, qui te tiens dans les fentes du rocher. » Mon Rocher, c’est Dieu dans lequel je me love pour m’y sentir bien et qui conduit ma vie comme avec un fil rouge où je vois sa main qui m’accompagne autant dans ma souffrance psychique que physique.
En conclusion, je citerai cette promesse d’Ez. 34 : 16 : « La brebis malade, je la fortifierai », chuchote Jésus à l’ oreille des malades qui sont dans la cohorte de ceux qui souffrent physiquement et moralement. (Ezéchiel 34 : 16 )
Je vous remercie de m’avoir lue et je vous adresse mes meilleurs messages.
Claire-Lise Rosset
Bibliographie :
Pour plus d’informations au sujet de la corrélation entre stress et réduction des télomères, voir les articles ci-dessous :
Stress au cours de la vie et réduction des télomères :
- (Accelerated telomere shortening in response to life stress, Elissa S. Epel, Elizabeth H. Blackburn, Jue Lin, Firdaus S. Dhabar, Nancy E. Adler, Jason D. Morrow, and Richard M. Cawthon, PNAS/December 7, 2004 /vol. 101 / no 49 /17313) « The current findings suggest that stress-induced premature senescence in people might be influenced by chronic or perceived life stress. Psychological stress could effect cell aging through at least three nonmutually exclusive pathways : immune cell function or distribution, oxidative stress, or telomerase activity. »
Pour la corrélation entre réduction des télomères et maltraitance infantile :
- 1.- (Telomeres and Early-Life stress : An Overview. Lawrence H. Price, Hung-Teh Kao, Darcy E. Burgers, Linda L. Carpenter, and Audrey R. Tyrka, BIOL. PSYCHIATRY 2013 ; 73 : 15-23). « Indeed, individuals with a history of early-life stress show increased risk for premature death, with one recent study reporting that adults with six or more adverse childhood experience died nearly 20 years earlier than those without adverse chidhood experiences. (Brown DW, Anda RF, Tiemeier H, Felitti VJ, Edwards VJ, Croft JB, Gilles WH (2009) : Adverse chilhood experiences and the risk of premature mortality. Am J Prev Med 37 : 389 -396.) « Consistent with Malan et al, O’Donovan et al observed reduced telomere length in adults with chronic PTSD (n=43) versus healthy control subjects (n=47); however, this was accounted for by those PTSD subjects reporting multiples categories of childhood trauma (n=18). (…) Taken together, these studies support a relationship between early -life stress and reduced telomere length and strongly suggest that this effect is dose-dependent. »
- 2.– Childhood Maltreatment and Telomere Shortening: Preliminary Support for an Effect of Early Stress on Cellular Aging, Audrey R. Tyrka et al., March 15, 2010, paru dans la revue Biological Psychiatry, Volume 67, Issue 6, Pages 531–534.
Background
- Psychological stress and trauma are risk factors for several medical and psychiatric illnesses. Recent studies have implicated advanced cellular aging as a potential mechanism of this association. Telomeres, DNA repeats that cap the ends of chromosomes and promote stability, shorten progressively with each cell division; their length is a marker of biological aging. Based on previous evidence linking psychosocial stress to shorter telomere length, this study was designed to evaluate the effect of childhood adversity on telomere length.
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