
Paul Tillich, théologien allemand puis américain (1886-1965 )
Paul Tillich est l’un des très grands théologiens du XXᵉ siècle.
Éléments de biographie
Paul Tillich est né le 20 août 1886, dans un hameau de Brandebourg (Prusse). Son père était un pasteur de sensibilité luthérienne conservatrice, sa mère était de sensibilité plus libérale. Elle meurt de cancer quand Paul a 17 ans.
1911 : Docteur en philosophie après des études dans de multiples universités (Berlin, Tübingen, Halle-Wittenberg, Breslau).
1912 : Docteur en théologie, pasteur de paroisse, il découvre le milieu ouvrier, et s’engage politiquement à leur côté.
1914 : épouse Margarethe Wever. Paul Tillich est envoyé comme aumônier de l’armée, sur le front de Verdun, dans de très difficiles conditions.
1919 : il divorce de Margarethe qui a eu un enfant d’un autre homme pendant la guerre. Paul est chargé de cours en théologie à l’université de Berlin.
1924 : Paul Tillich épouse Hannah Werner-Gottschow, elle aussi divorcée, c’est un mariage très libre des deux côtés.
1924 : professeur de théologie à l’université de Marburg. Il entretient une amitié avec le théologien Rudolf Bultmann, dialogue avec le philosophe Martin Heidegger. C’est là qu’il commence à développer et enseigner sa théologie « systématique », c’est-à-dire mettant en relation la théologie, la philosophie, l’histoire et les questions de l’existence humaine. À partir de 1925, il donne des cours de théologie aux universités de Dresde, de Leipzig, de Francfort. Il poursuit ses engagements politiques, entre en conflit avec le mouvement nazi, et il prend la défense d’étudiants juifs.
1933 : Adolf Hitler devient chancelier allemand, Tillich est immédiatement démis de ses fonctions à cause de ses engagements. Le théologien américain Reinhold Niebuhr l’invite à rejoindre Union Theological Seminary de New York. À 47 ans, Paul Tillich s’initie à une langue et à un pays alors étrangers pour lui, cela lui ouvre des horizons nouveaux à sa pensée. Il publie en particulier « À la frontière », et un recueil de sermons « Les fondations sont ébranlées », qui le font connaître à un public plus large.
1951 : publication du premier volume de sa « Théologie systématique » (très difficile), en 1952 « Le courage d’être » (excellent, et lisible).
1955 : À la retraite, il va s’illustrer comme professeur à Harvard et à Chicago, donnant de multiples conférences, et écrivant.
1960 : Voyage de trois mois au Japon, il découvre une culture non occidentale et le bouddhisme. Il développe une pensée interreligieuse.
Le 22 octobre 1965, il meurt en pleine activité.
Quelques éléments de pensée de Paul Tillich
De gré ou de force, Paul Tillich a connu des bouleversements dans sa vie qu’il a su intégrer comme des ouvertures intéressantes pour sa théologie et sa philosophie de l’existence :
L’engagement politique
En 1911 : issu d’un milieu assez protégé, dans l’église et dans les universités, Paul Tillich découvre le monde ouvrier, ses conditions de vie, l’engagement politique avec le socialisme.
Une théologie en dialogue avec la condition humlaine
En 1914 : Paul Tillich était finalement assez naïf et patriote comme bien des jeunes hommes de son époque. Il va être un spectateur direct de la Première Guerre mondiale et de ses horreurs. Paul Tillich connaît l’effondrement du monde bien ordonné qui règne à l’époque avec un certain positivisme, avec un idéalisme et un scientisme propres au début du XXᵉ siècle. C’est là que la théologie cesse pour lui d’être quelque chose d’abstrait, mais doit répondre à la question de l’existence humaine. Comme Bultmann, dont il était l’ami, Paul Tillich a une pensée très biblique, mais d’une façon délibérément non fondamentaliste, ne confondant pas le texte de la Bible avec la parole de Dieu. Le texte de la Bible s’inscrit dans la culture d’une époque. Paul Tillich utilise ce qu’on appelle la méthode corrélative mettant en tension, en interpellation mutuelle : le sens du texte avec la compréhension de l’existence humaine en ce monde. C’est un dialogue permanent et fécond entre le texte et l’humain. Bien des titres de ses livres comprennent deux mots ouvrant à une pensée en tension entre deux pôles, par exemple « Raison et Révélation », « L’Être et Dieu », « L’Existence et le Christ », « La Vie et l’Esprit », « L’Histoire et le Royaume ». Paul Tillich est aussi influencé par la philosophie existentielle de Kierkegaard, de Heidegger, de Sartre, de Jasper, de Nietzsche.
Une ouverture au multiculturalisme
En 1933 : c’est le choc du totalitarisme, et la recherche difficile de se placer entre le désir de rester pour combattre de l’intérieur, ou de partir pour interpeller de l’extérieur. Paul Tillich est appelé en Amérique, c’est pour lui une sortie du provincialisme européen pour découvrir la société multiculturelle américaine, riche de débats philosophiques, théologiques et religieux. Enseignant à Harvard, il découvre des étudiants beaucoup plus divers que les étudiants futurs pasteurs qu’il enseignait à New York.
En 1955 : à la « retraite », Paul Tillich donne des conférences en de multiples endroits, ce qui contribue aussi à lui ouvrir l’esprit, et à sortir la théologie chrétienne de son confinement dans des débats internes.
Une ouverture aux religions et à l’interreligieux
En 1960 : Paul Tillich sort cette fois-ci du provincialisme occidental chrétien, il découvre l’Orient et le bouddhisme. Potier développe alors une théologie, des religions où la Parole (le Logos) s’exprime partout et pas seulement dans la pensée biblique. Selon lui, ce qui permet d’évaluer les religions, c’est le fait qu’elles aident les personnes à progresser. C’est la mise en valeur de la foi comme dépassant les codes, les symboles pour mettre en valeur la seule transcendance commune à tous. En ceci, Paul Tillich s’est écarté de l’exclusivisme (le christianisme seul aurait la vérité, tout le reste est faux, voir démoniaque). Il se distingue aussi de l’inclusivisme (pensant par exemple que les bouddhistes sont des chrétiens qui s’ignorent). Il s’écarte aussi du relativisme (affirmant que toutes les religions ont la même valeur, sont finalement équivalentes, que le choix d’une religion n’aurait pas d’importance), il s’écarte du synchrétisme (on pourrait les mélanger dans une synthèse). Paul Tillich défend un pluralisme des religions, avec une norme : tout n’est pas acceptable, tout n’est pas également bon : le critère de valeur d’une religion est qu’elle permette d’avancer et de progresser. Paul Tillich soutient donc une interpellation mutuelle permettant un dialogue fécond.
Un œcuménisme riche de ses tensions
Concernant l’œcuménisme principalement entre catholicisme et protestantisme, Paul Tillich souligne l’importance de chacune de ces deux confessions, et leurs spécificités. Le catholicisme insiste sur la présence et sur l’incarnation de Dieu, le protestantisme insiste sur la transcendance absolue de Dieu et sur le prophétisme, Dieu inspirant directement chacun. Le catholicisme a à apprendre au protestantisme à ne pas vider la foi de son contenu à force d’insister sur la transcendance absolue de Dieu, et que la foi devienne alors une sorte de spiritualisme. Effectivement, à être trop protestant, on en viendrait à dire que les sacrements, la communion, le culte, la théologie sont tellement éloignés de Dieu et de sa transcendance que finalement tous ces éléments bien utiles pour avancer sont comme disqualifiés. Le protestantisme a, lui, à apprendre au catholicisme de ne pas exagérément sacraliser les doctrines, les rites, les lieux, les temps, afin d’éviter d’en faire des représentations de Dieu qui fonctionnent comme des idoles. Selon Paul Tillich, il ne serait donc pas intéressant que l’œcuménisme mène à une unanimité, à une seule forme de christianisme, car il n’y aurait plus cette féconde interpellation mutuelle. L’objectif de l’œcuménisme est plutôt une harmonie, gardant une tension féconde entre la substance catholique et le principe protestant.
Œuvres
Paul Tillich a écrit bien des livres très difficiles à lire, par exemple la théologie systématique est vraiment réservée à des spécialistes aguerris. Mais il a aussi écrit des livres plus lisibles, fort heureusement, en particulier :
Le Courage d’être, Labor et Fides
Des recueils de prédications qu’il donnait lors de cultes pour ses étudiants en théologie et philosophie, et qui permettent de découvrir que sa théologie n’est pas de la pure spéculation raffinée, mais une théologie pour vivre et faire vivre (à mon avis) : « L’éternel maintenant », « L’être nouveau », « Les fondations sont ébranlées ».
Sur les prédications de Paul Tillich, introduction par Jean-Marc Saint.
En 1955 Paul Tillich publie The New Being (traduit sous le titre « L’être nouveau »), qui est le second de ses trois recueils de prédications. Il rassemble vingt-trois prédications prononcées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Paul Tillich était professeur de théologie à Harvard après l’avoir été à Yale au moment de la publication de « L’être Nouveau ». Sa réputation de penseur religieux déborde déjà largement l’audience des milieux universitaires. Le premier volume de sa Théologie systématique a été publié en 1951. « The courage to be » (« Le courage d’être » ) l’est en 1952 Ce fut un succès de librairie. Il trouva dans le public américain un intérêt comparable à celui que rencontraient à la même époque en France « L’homme révolté » d’Albert Camus ou « La Nausée » de Jean-Paul Sartre. Le professeur était invité à présider des séminaires, à donner des conférences et à prendre la parole dans les services religieux des chapelles d’universités et des églises paroissiales. Les étudiants en théologie ne furent pas ses seuls auditeurs ; ces derniers en savent parfois trop ou pas assez pour s’impliquer dans les tâches de la pensée. Paul Tillich recherchait l’audience de ses contemporains protestants ou non, religieux ou non et beaucoup lui accordaient un intérêt. Le prédicateur était persuadé que l’annonce chrétienne concerne la réalité sociale et personnelle de tout homme, que ses convictions propres recoupent ou non les thèses consacrées des catéchismes, des liturgies et des documents confessionnels (les diverses confessions de foi historiques) d’Églises ayant pignon sur rue. Il s’est voulu apologète. Il en avait la culture. L’apologète – littéralement, celui qui rend raison de sa foi – ne se contente pas de témoigner de son adhésion personnelle au message chrétien, il entend argumenter pour convaincre de sa validité lecteurs ou auditeurs. Il en résulte un style de communication simple et instruit, formulé dans la culture de son public. Paul Tillich a fait œuvre d’auteur.
L’exilé Paul Tillich, fuyant aux Etats-Unis avec son épouse l’Allemagne nazie qui l’interdit d’enseignement, dut y apprendre sur le tas la langue vivante de ses étudiants pour poursuivre sa carrière d’enseignant dans une « situation mondiale » – le kairos – d’alors, qu’il savait un ébranlement de toutes les fondations, de toutes les références intellectuelles et spirituelles de la société occidentale. The Shaking of the Foundation, c’est le titre général qu’il retint en 1948 pour ses sermons de la période de guerre. Sa pensée s’enracine dans cette expérience historique. Il voyait les abîmes catastrophiques. Elle fit l’effet d’un coup de fouet sur les développements de sa théologie. Il devenait urgent de tirer du neuf du vieux trésor pour que l’événement proclamé par la prédication de l’Église sur le fond ne perde pas sa saveur. Quant à la forme souple et au ton direct de ses interventions publiques, ils doivent beaucoup à la liberté intellectuelle du « séminaire » et du groupe d’étude caractéristique de la vie académique américaine. Il y excellait au dire de ses étudiants. L’eau tiède des certitudes s’y change en vin nouveau (Vinum bonum laetificat cor hominum) ! Paul Tillich, prédicateur théologien, théologien prédicateur, a veillé à la qualité du breuvage versé aux commensaux des banquets où il était invité ! Il est, à ce titre, exemplaire. Elle n’est pas triste la sobre ébriété – la liesse – liée à la « chose » annoncée par le sermon, commentée scientifiquement par la théologie, chantée dans les liturgies. Elle vaut bien l’effort de pensée qu’elle réclame de l’auditeur d’hier et d’aujourd’hui. Mais on n’a rien sans rien !
Jean-Marc Saint, traducteur de ces prédications
qui les a partagées avec nous
Une anthologie de prédications de Paul Tillich
Trois prédications sur la joie :
- La profondeur de l’existence, sur 1 Corinthiens 2, 10
- Le sens de la joie, sur le Psaume 126
- Remerciez…, sur 1 Thessaloniciens 5, 16-18.
Cinq prédications sur Romains 8 :
- Le témoignage de l’Esprit, sur Romains 8, 1-16, 26-27.
- Attendre, sur Romains 8, 24-25
- Le paradoxe de la prière, sur Romains 8, 26-27
- Principats et puissance, sur Romains 8, 36-39
- Le sens de la providence, sur Romains 8, 38-39
Trois prédications sur la signification du temps vécu :
- Le mystère du temps
- Le bon moment, sur Ecclésiaste 3, 1-8
- L’éternel maintenant, sur Apocalypse 21, 6
Quatre prédications sur le salut et le sens de l’existence :
- L’Être nouveau, sur Galates 6,15
- Notre préoccupation ultime, sur Luc 10, 33-42
- Le salut universel, sur Matthieu 27, 45- 46 et 50-54
- Le Messie est-il venu ? sur Luc 2, 25-32
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Merci beaucoup pour cette présentation, tout particulièrement pour l’anthologie de prédications (celle qui est intitulée « Remerciez », suivie d’une magnifique prière, m’a beaucoup touchée).
Deux petites infos à propos de la bibliographie.
1) Deux des trois recueils de prédications cités ont fait l’objet d’une nouvelle traduction par André Gounelle sous les titres : Le Nouvel Être et Quand les fondations vacillent ; ils ont été édités par Labor et Fides et sont encore disponibles en neuf, il y a même une version ebook.
2) On peut aussi découvrir un aperçu de la pensée de Paul Tillich avec un petit livre que j’ai trouvé très bien fait : Paul Tillich – Une foi réfléchie, d’André Gounelle (encore lui !), aux Éditions Olivétan ; là encore une version ebook est disponible.
Grand merci, Pascale. Les nouvelles traductions sont très bien, en effet. Si une personne désire plus de ces prédications de Tillich, c’est une bonne source.