Peinture de Joao Zeferino da Costa (1876) : l
Prédication

La confiance de la foi, un rapport renouvelé et plus solidaire à la vie (par Michel Schach)

Peinture de Joao Zeferino da Costa (1876) : l'offrande de la pauvre veuve

(Voir les textes bibliques ci-dessous)

prédication (message biblique)
culte à distance en temps de confinement
donné le dimanche 22 mars 2020,
par le pasteur Michel Schach

Cher.e.s ami.e.s,

Nous vivons ces jours une situation singulière, hors normes.

La particularité de la situation se trouve sans doute dans le fait qu’elle touche tous les âges et toutes les couches sociales.

Personne n’y échappe, ce qui signifie que, sur ce plan, nous sommes tous convoqués à une forme de solidarité.

Et solidarité il y a ! Chaque jour on découvre de nouvelles actions, de nouveaux gestes, les uns plus beaux que les autres. Les plus jeunes offrent de faire les achats pour les plus âgés.

D’autres proposent des actions de reconnaissance sur les balcons ou le rebord des fenêtres. Force est de constater qu’il n’y a pas que ceux qui sont en première ligne comme les politiciens, les médecins ou le personnel soignant (ou de vente ) qui font des miracles ; il y a énormément de petits projets , de petites réalisations qui voient le jour de la part de tous les corps de professions, des musiciens, des intermittents du spectacle, des journalistes, de milliers d’acteurs individuels ou collectifs, de ceux que l’on peut identifier mais aussi d’énormément d’ anonymes .

Et lorsque nous serons sortis d’affaire, j’espère qu’à côté des blessures qui nous auront touchés, nous garderons aussi de cette période une ode de reconnaissance et de louange : un MERCI individuel et collectif.

Cela dit, il m’apparaît qu’au coeur de cette situation se trouve une réalité qui nous concerne toutes et tous – quels que soient notre âge et notre condition sociale – mais qu’en temps d’abondance nous pouvons plus facilement éviter, refuser ou nous masquer : celle de la fragilité (du dénuement profond) qui fait partie de notre condition humaine, de notre simple fait d’exister.

Cette réalité, même si nous en sommes tous conscients, est très difficile à concevoir réellement et à accepter. Elle est de tout temps latente, mais tout en nous la refuse .

Et, aujourd’hui, nous sommes comme contraints de la regarder en face et peu à peu de la visiter.

Les achats compulsifs pour faire des réserves, auxquels il est si difficile de résister – surtout lorsqu’on voit le chariot d’une autre personne se remplir – est, à mes yeux, l’une des expressions de cette difficulté à acquiescer à notre fragilité, une ultime tentative de la recouvrir et d’éviter d’y être confronté.

Les jeunes ou les moins jeunes qui – à propos de la pandémie – considèrent qu’ils ne sont pas vraiment concernés et qui affirment « qu’ils assument » expriment autrement et à leur manière le même refus. Et comment leur jeter la pierre puisque nous sommes tous concernés.

Ce qui frappe c’est que, plus nous cherchons à nier, à échapper à cette fragilité, plus elle nous revient, tel un boomerang : les confinements sont toujours plus stricts et la solitude face au dénuement n’en est que plus soulignée. Mais peut-être est-ce le chemin à suivre pour,peu à peu, visiter la fragilité.

La solidarité à laquelle nous sommes conviés, vous l’aurez sans doute compris, n’est pas qu’une solidarité dans et à travers de multiples actions les unes plus belles et plus honorables que le autres.

Elle est dans une forme de prise de conscience d’une commune pauvreté existentielle profonde et (de la nécessité) d’une solidarité dans cette dimension fondamentale de nos vies.

Les plus vulnérables de nos sociétés sont de tout temps contraints à un face à face avec cette fragilité ; elle est une composante de leur quotidien. Les plus âgés parmi nous, les rejoignent peu à peu sur ce chemin avec les années. Et en ce moment, par les circonstances, nous sommes tous conviés à les rejoindre en solidarité de fragilité, quels que soient notre âge et notre condition.

L’Evangile nous invite, page après page, à visiter cet aspect de notre vie.

Lorsque Jésus est monté à Jérusalem, toute sa destinée a consisté à apprivoiser ce dénuement profond et à déjouer cette peur d’exister en solidarité de fragilité ; il avait assurément perçu le risque que nous fait courir cette peur : à savoir de participer à ce qui déshumanise le monde.

Dans notre récit, cette peur, ce refus se cache sous la robe des religieux, en principe des esprits conscientisés – ici au chapitre 21 de l’Evangile de Luc, les scribes, au chapitre 11 de ce même Evangile déjà, les pharisiens. Leur crainte de ne pas assez exister les conduit à se travestir sous de belles tenues. Celles-ci avec toute leur prestance, deviennent comme le reflet d’un processus où les religieux finissent par dérober les plus pauvres de la société qu’ils avaient justement pour mission de protéger.

Jésus, devant tout le peuple qui l’écoutait, enseigne, éveille ses disciples.

Il les invite à plonger leur regard derrière la surface pour percevoir une beauté d’un autre ordre qui se dévoile à celui qui sait la voir : celle-ci va prendre les traits d’une femme parmi les plus pauvres.

L’enjeu tourne autour d’un don, d’une offrande mise dans le tronc du temple.

Chacune des offrandes est vue par Jésus et, à travers lui, par Dieu.

Sur ce plan il n’y a pas de différence à priori .

S’il y a une différence, c’est dans la quantité du don et dans la manière d’en identifier la valeur.

La particularité, ici, est que même le don dérisoire de la veuve a été vu et, en plus, reconnu.

Cette femme pouvait-elle seulement  imaginer un seul instant que son geste serait reconnu ?

En effet, que pouvaient bien représenter les deux petites pièces pour le service, l’entretien, la décoration d’un édifice aussi somptueux que le temple de Jérusalem ?

(Remarquez que si vous êtes curieux et que vous allez voir le contexte de notre récit, vous découvrirez que, dans les versets qui suivent immédiatement notre passage, Jésus annonce la destruction du temple.)

Sans la parole de celui qui l’observe et le nomme, ici Jésus, le geste de cette femme n’aurait eu aucun impact.

Comme la Samaritaine rencontrée sur la margelle d’un puits – qu’a évoquée mon collègue Gabriel Amisi dimanche dernier – ici, cette femme était sur une trajectoire, sans espoir d’être vue, donc de croiser quelqu’un, ne serait-ce que du regard, sans espoir de relation ou de rencontre, comme confinée dans la solitude de son dénuement.

N’est-elle pas, à sa manière, comme un symbole, une image des hommes et des femmes que nous croisons dans la rue ou les magasins, de nous-mêmes, gardant respectueusement la distance de 1,5 à 2m. les uns des autres, comme invités ou contraints, par mesure de protection, à nous tenir un peu seuls face à notre dénuement…

Et ce qui nous arrive là, n’est-ce pas à sa façon un très pâle reflet de ce que vivent depuis des mois, sinon des années, les réfugiés du conflit syrien, confinés par mesure de protection (de l’Europe ?!) à la frontière entre la Turquie et la Grèce, condamnés à affronter leur dénuement dans la solitude, et cela en raison de notre difficulté à être solidaires de notre propre misère avec eux.

Le phénomène est d’autant plus singulier que les trois monothéismes ont en commun une figure qui les invite à réfléchir : celle du patriarche Abraham. Et les trois sont mis à mal sur leur manière d’accompagner leurs fidèles dans le dénuement de cet essentiel.

Abraham avait entendu un appel qui bouleverse tous les croyants, mettant à rude épreuve leur foi tout en posant un défi à tous les commentateurs : cet appel était de sacrifier son fils en holocauste sur le mont de Moriyya (Genèse 22).

Lorsqu’il avait gravi la montagne avec son fils Isaac, il s’était,chargé de tout le nécessaire pour le sacrifice,  à savoir le feu, le couteau, le bois du sacrifice. Entre raison et absurdité, face au dénuement absolu, il avait risqué le pas de la foi pour ce qui touche à l’essentiel : l’objet du sacrifice. Il a abandonné cela à Dieu. Or, au moment du geste fatidique, sa main a été arrêtée par la voix de Dieu qui lui a fourni cet essentiel à travers le bélier, les cornes prises dans un fourré à côté de lui.

Dans notre récit, là où son entourage prenait sur son superflu, la femme a pris sur sa misère, sur son dénuement. Littéralement, elle a « jeté » dans le trésor du temple deux petites piécettes, elle a jeté dans le tronc de l’offrande son dénuement – ce qui reste quand tout le superflu et même le nécessaire sont tombés.

Le mot grec employé par Jésus à cet endroit c’est le mot « Vie ».

Elle a jeté ce qui la faisait vivre, sa vie.

Dans sa 2ème lettre aux Corinthiens, au chapitre 8 dont je vous ai lu quelques extraits, à propos d’une collecte organisée parmi les Eglises pagano-chrétiennes en faveur de l’Eglise de Jérusalem, l’apôtre Paul cherche à mettre des mots sur cet essentiel qui est dénuement et qui, en même temps fait vivre : ce n’est pas que de l’argent, c’est une intelligence, une volonté, un coeur, un élan, des forces corporelles, des connaissances, des ressources diverses de compassion, de générosité, de solidarité.

Les plus âgés parmi nous savent qu’avec l’âge, toutes ces ressources se limitent et on peut de plus en plus en faire le tour.

C’est cela que cette femme donne, jette, dans le trésor commun.

Il y a, dans son geste, à l’instar de celui du patriarche Abraham, l’immense richesse d’une confiance absolue.

Il y va, bien sûr, d’un acte excessif, à la limite de l’absurde, voire impossible…

En effet, comment donner ce que l’on n’a pas ?

Et pourtant, les plus pauvres et les plus démunis, les plus âgés parmi nous connaissent cela, ils le côtoient à chaque fois qu’ils se demandent pourquoi ils sont encore là.

Il y a quelque chose de divin dans le geste de cette femme , quelque chose qui rappelle ce que Jésus dit à ses auditeurs à propos du jeune homme riche, qui s’en va tout triste après n’avoir pas pu vendre tout ce qu’il avait pour le donner aux pauvres.

Lorsque ceux-ci dans un cri du cœur, presque désabusés, demandent « qui peut ? », Jésus répond « ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu » (Luc 18,27)

Quelque chose dans le geste de cette femme nous tourne vers Dieu et même plus précisément vers le Christ et son don sur la croix.

Si ce que nous traversons ces jours nous ramène à une forme de dépouillement extrême- riches comme pauvres, jeunes comme âgés, malades ou en bonne santé – nous sommes invités à une solidarité de dénuement avec tous le démunis de notre planète et de notre entourage.

L’Evangile des deux petites pièces de la veuve nous propose de jeter la prise de conscience de ce vécu dans le tronc du temple ; de le déposer dans le lieu de la rencontre avec Dieu.

Ce lieu a, aujourd’hui- pour respecter le confinement où nous sommes invité à ne pas nous réunir- plus que jamais pris le forme de la chambre la plus retirée de la prière.

Singulièrement ce chemin de dénuement contraint nous invite à faire des réserves…mais cette fois-ci pas de celles que l’on trouve dans les grandes chaînes alimentaires : des réserves de l’ordre de la folie, parfois de l’absurde, de la confiance ; pour que, le jour où nous renouerons avec l’abondance, nous gardions, au moins pour un temps, par la confiance de la foi, un rapport renouvelé et plus solidaire à la vie.

Amen

Textes de la Bible

Luc 20,45 à 21,4

Jésus dit aux disciples devant tout le peuple qui l’écoutait:
«Gardez-vous des scribes qui tiennent à déambuler en grandes robes, et qui aiment les salutations sur les places publiques, les premiers sièges dans les synagogues, les premières places dans les dîners. Eux qui dévorent les biens des veuves et affectent de prier longuement, ils subiront la plus rigoureuse condamnation».
Levant les yeux, Jésus vit ceux qui mettaient leurs offrandes dans le tronc. C’étaient des riches. Il vit aussi une veuve misérable qui y mettait deux petites pièces,et il dit: «Vraiment, je vous le déclare, cette veuve pauvre a mis plus que tous les autres.Car tous ceux-là ont pris sur leur superflu pour mettre dans les offrandes; mais elle, elle a pris sur sa misère pour mettre tout ce qu’elle avait pour vivre».

2 Corinthiens 8,7-9, 12-13

Mais puisque vous avez de tout en abondance, foi, éloquence, science et toute sorte de zèle et d’amour que vous avez reçus de nous, ayez aussi en abondance de la générosité en cette occasion.
Je ne le dis pas comme un ordre ; mais, en vous citant le zèle des autres, je vous permets de prouver l’authenticité de votre charité.
Vous connaissez en effet la générosité de notre Seigneur Jésus Christ qui, pour vous, de riche qu’il était, s’est fait pauvre, pour vous enrichir de sa pauvreté…
Maintenant donc, achevez de la réaliser ; ainsi à vos beaux projets correspondra aussi la réalisation selon vos moyens.
Quand l’intention est vraiment bonne, on est bien reçu avec ce que l’on a, peu importe ce que l’on n’a pas !
Il ne s’agit pas de vous mettre dans la gêne en soulageant les autres, mais d’établir l’égalité.

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